PONS (17) - BLAYE (33) - LOUIS-FRANÇOIS PELLIGNEAU, VICAIRE GÉNÉRAL (1739 - 1794)
Louis-François Pelligneau, né à Pons, paroisse Saint-Martin, le 9 mars 1739, d'une famille très honorable, était fils de Jean Pelligneau, juge de la châtellenie de Pons, et d'Agnès Heudebourg.
Il vint à Bourges en 1773 ; en 1775, il obtint un des douze canonicats de la métropole qui étaient à la nomination du roi ; puis il eut l'archidiaconé de Bourbon-l'Archambault, qui comprenait les archiprêtres de Bourbon, d'Hérisson et de Montfaucon, et fut nommé vicaire général du diocèse : le chapitre supprimé (12 janvier 1791), Pelligneau, dépouillé de cinq propriétés qui faisaient sa fortune particulière, privé de tous ses bénéfices, se retira dans une modeste maison hors des murs de la ville, louée 300 francs à Buchet, président du district de Bourges.
Il accepta des administrateurs du département la mission de mettre en ordre les livres enlevés aux couvents, à l'archevêché, aux séminaires, et qui forment aujourd'hui la bibliothèque de la ville.
Malgré cette preuve de dévouement, il fut atteint par un arrêté (3 août 1792) du département qui obligeait les ecclésiastiques insermentés à quitter la ville. Infirme et possesseur d'une petite propriété rurale à Bourges, il croyait qu'il n'était pas compris dans la loi, et adressa aux administrateurs la pétition suivante :
"Messieurs, Louis-François Pelligneau, prêtre du diocèse de Saintes, a l'honneur de vous exposer qu'il a rempli sans reproche, sous vos propres yeux, les fonctions de son ministère pendant près de vingt ans ; qu'après la suppression des offices de son église, il s'est retiré dans son habitation au-delà des murs de la ville, où il a toujours vécu dans la paix, employant son temps à donner les soins qu'exigeait la direction de l'ordre à établir dans les divers dépôts de livres du district de Bourges, commission que vous aviez jugé à propos de lui confier ; que ce travail fini n'est plus qu'à copier ; que la seule récompense qu'il désirerait en obtenir serait qu'elle lui méritât le privilège de demeurer dans sa solitude, dont il est devenu propriétaire à vie, en vertu d'un bail passé dans le mois d'avril dernier, dont il offre la communication ; que cet héritage, le seul qu'il possède dans ce monde, après en avoir eu jusqu'à cinq en propriété, consiste en une maison, un jardin et une pièce de terre ; que la maison seule avec le jardin lui coûtait d'abord par un premier bail la somme de 137 l. 10 sols ; que depuis la réunion de la pièce de terre, il donne de l'ensemble la somme de 300 francs, que par conséquent cette pièce de terre est une propriété qui est supposée rapporter seule la somme de 162 l. 10 sols ; qu'en conséquence il se trouverait dans l'exception portée à l'art. 9 de l'arrêté sur les troubles ecclésiastiques ; mais que par-dessus tout, il vous prie, messieurs, de vouloir bien prendre en considération l'état de sa santé ; qu'âgé de plus de 50 ans et perpétuellement menacé d'une attaque d'apoplexie, dont il a déjà eu le malheur de faire une première épreuve, il est constamment dans les remèdes, incompatibles avec les fatigues des voyages, ainsi qu'il est prouvé par le certificat du médecin ; il ne demande qu'à vivre en paix, en respectant les lois et s'y soumettant en gardant le silence.
Bourges, 7 août de la 4e année de la république."
A cette pièce était joint le certificat du médecin :
"Je, soussigné, Louis-Edme Carré, médecin, certifie que Louis-François Pelligneau, prêtre, né dans le diocèse de Saintes, âgé de 53 ans, demeurant dans le département du Cher depuis 1773, ayant été attaqué, il y a dix ans, d'apoplexie avec paralysie incomplète, est demeuré dans un état comateux presque habituel et plus ou moins intense ; que la goutte étant la cause des symptômes précédents en se portant à la poitrine, a occasionné des suffocations alarmantes ; considérant que si les secousses d'une voiture peuvent être employées pendant une crise, elles peuvent aussi la rapprocher lorsqu'elle serait fort éloignée ; je pense qu'un voyage long entrainerait de graves accidents dans la santé de M. Pelligneau.
Bourges, 8 août 1790, l'an 4e de la liberté."
Sa demande fut rejetée, le 11, par le district, sur l'avis de la municipalité. Il se retira à Orléans.
Le 30 janvier 1793, il adressait de là au district du département du Cher cette lettre :
"Citoyens administrateurs, le citoyen Louis-François Pelligneau, prêtre, a l'honneur de vous exposer que, pour satisfaire aux termes de l'art. 9 de votre arrêté qui a pour titre : "Troubles religieux", il fut obligé de sortir de votre territoire ; qu'en partant il laissa une maison remplie d'effets utiles ou précieux ; que depuis son absence des procès-verbaux de recherches publiques constatent que cette maison est devenue un lieu d'abus et de prostitutions de toute espèce ; que dans ces circonstances affligeantes, il vous supplierait de trouver bon qu'il fût passer à Bourges le temps qu'il vous plairait lui accorder pour mettre fin à des désordres devenus le sujet d'un scandale aussi révoltant qu'il est public et préjudiciable à ses légitimes intérêts ; qu'il se flatte d'autant plus, citoyens administrateurs, d'obtenir cette faveur de votre sagesse, qu'il n'a jamais cessé de mériter d'être votre concitoyen."
Puis il se décida à aller chercher un asile dans sa famille. Il partit déguisé, raconte-t-on, ayant confié 30.000 francs à une personne de connaissance qui garda la somme. En route, il fut arrêté et conduit à Bordeaux où il arriva le 15 juin, pour être déporté.
De Bordeaux, où il fut enfermé aux carmélites, on le conduisit au Paté de Blaye, le 5 décembre.
Du fond de son cachot, il écrivit, le 21 décembre, à son frère "le citoyen Pelligneau", cette lettre que nous empruntons avec les autres documents aux Martyrs du diocèse de Bourges, par l'abbé Caillaud :
"Au citoyen Pelligneau, premier municipal de Pons, en Saintonge. Il était impossible, mon cher ami, de me procurer une connaissance plus utile que celle de notre respectable parent. Il m'a fait passer sur-le-champ la somme de 100 francs dont je lui donne reconnaissance. Sans ce secours, je serais réduit à l'eau et au pain, et qui est encore si coûteux qu'on ne nous en donne souvent qu'une demi-livre et que la totalité ne dépasse pas trois quarterons, tout chaud, ce qui en augmente le poids sans le rendre plus nourrissant. Si vous pouviez donc faire passer à notre parent un pain de quatre à cinq livres par semaine, il aurait des moyens sûrs pour me le faire parvenir et vous me rendriez la vie tout-à-fait. Témoignez ma juste reconnaissance à nos parents et à nos amis des marques d'intérêt qu'ils veulent bien me donner. J'embrasse de tout mon coeur ma belle-soeur, mes nièces et mes soeurs, et vous, mon cher ami, dont je serai toujours le tendre frère. PELLIGNEAU."
"Toujours malade, mais souffrant moins, et cependant ne dormant pas. Il n'est pas encore trois heures du matin."
On comprend qu'avec un régime pareil, une demi-livre de pain par jour, sans compter le souterrain humide, il soit mort plus de 250 des 900 déportés qui se trouvaient à Blaye et dans les environs.
Pelligneau devint perclus de tous ses membres ; on le laissa cependant dans sa prison. Cing mois entiers, il traîna sa pénible et douloureuse existence, et mourut enfin le 8 prairial an II (27 mai 1794), comme le constate l'acte suivant :
"Aujourd'huy le neuf prairial, l'an 2e de la république une et indivisible, par devant moy Nicolas Gabaud, officier public de la commune de Blaye, est comparu le citoyen François Audoire, habitant de cette ditte commune, rue Marat, qui m'a déclaré que, le jour d'hier, est décédé le citoyen Louis-François Pelligneau, natif de Pons (Charente-Inférieure), prêtre, archidiacre de Bourges et ancien vicaire général, est décédé ledit jour, de sur 8 à 11 heures du soir, dans sa réclusion au fort Pâté, âgé de 57 ans. D'après cette vérité, qui m'a été attestée par le dit F. Audoire, en présence des citoyens Charles Lamy et Michel Bardet, habitants de cette ditte commune, le lendemain 9 du courant, je me suis transporté au fort Pâté, et me suis assuré du décès dudit L.-F. Pelligneau. J'en ai rédigé le présent acte que les témoins ont signé avec moi. BARDET. AUDOIRE. LAMY. GABAUD, officier public."
Revue de Saintonge & d'Aunis - VIIIe volume - 1ère livraison - 1er janvier 1888 - pp. 82 à 84
AD33 - Registre d'état-civil de Blaye
AD17 - Registres paroissiaux de Pons



