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La Maraîchine Normande
12 mars 2017

LOUIS DE LA ROCHEJAQUELEIN - COMMISSAIRE EXTRAORDINAIRE DU ROI DANS LES DEUX-SÈVRES EN 1814 - 1ÈRE PARTIE

LOUIS DE LA ROCHEJAQUELEIN
Commissaire extraordinaire du Roi
dans les Deux-Sèvres en 1814

1ère partie : CELUI QUE LA VENDÉE A ÉPOUSÉ

 

LOUIS DE LA ROCHEJAQUELEIN portrait ZZZ

Le 8 mai, cinq jours après l'entrée de Louis XVIII à Paris, un voyageur quittait la capitale vers sept heures du matin et prenait la route d'Orléans. Poursuivant sa route au delà d'Orléans par Tours et Saumur, il arrivait le lendemain à neuf heures du soir dans la petite ville de Thouars où il passa la nuit. Ce voyageur était le marquis Louis de La Rochejaquelein.

Le but de ce voyage ? Une mission, officielle et des plus ingrates, toute d'information et d'action morale. Le Roi s'inquiétait de la Vendée.

Vingt-cinq à trente mille de ses fils avaient bien pris les armes le jour même où l'Empereur abdiquait à Fontainebleau sous les sommations de ses maréchaux ; et cette levée d'armes-là, alors désirée par Louis XVIII depuis des mois, n'avait donc pas eu d'autre portée que celle d'un geste, bien symbolique, de la fidélité de la loyale province, mais sans résultat pratique.

Mais voici que, le 4 mai, elle s'était à nouveau agitée, soulevée. Soulevée pour s'en prendre aux acquéreurs de biens nationaux, disait-"on" à Paris. En fait, raconte d'Andigné (le chevalier de Sainte-Gemmes) dans ses mémoires, le bruit s'étant répandu qu'une troupe de brigands, ne voulant pas reconnaître le Roi, marchait sur la Vendée, l'alarme avait gagné de proche en proche, provoquant en vingt-quatre heures une levée de vingt-cinq mille hommes en armes. Puis chacun, s'apercevant que l'alerte était fausse, était rentré chez soi, l'oreille aux aguets. Quelques bandes continuaient d'ailleurs à battre la campagne tout comme en temps d'insurrection.

Les peuples sont femme, la France surtout, a dit très justement M. Pierre Ordioni, "délicieusement et odieusement femme, capricieuse, spontanée, exclusive, indolente, intuitive, héroïque et amoureuse de qui l'aime et de qui sait lui plaire". Cette position de France qu'était la Vendée n'était pas moins femme que le reste du royaume, seulement plus exclusive et plus amoureuse, partant plus délicieuse, plus importune aussi. Elle devait se révéler de ces héroïques amoureuses qui restent fidèles, même quand l'amour n'est pas aimé.

Et l'amour s'était refroidi du côté de l'Époux depuis qu'il avait renouvelé ses accordailles avec l'Épouse par excellence, dont la Vendée n'était jamais qu'une portion comme on vient de le dire.

Il s'alarma donc. Il savait que le gouvernement provisoire avait envoyé naguère des commissaires extraordinaires qui avaient produit le contraire de l'effet désiré ; il dépêchait aujourd'hui à la chère insoumise ses propres chefs ; La Rochejaquelein, Suzannet, d'Autichamp, en attendant d'envoyer, le 24, aux régions chouannes du nord de la Loire, leur cher Sainte-Gemmes.

RUTY général

La plus gracieuse des attentions, en vérité, si ces messieurs n'eussent été réduits, chacun dans sa zone, au rôle d'assagisseur et d'informateur, et placés sous les ordres du général Ruty, comte de l'Empire, que sa prudence et son ménagement de toutes les opinions ont toujours retenu loin du premier rang, artilleur de son métier, administrateur des poudres où il finira sa carrière, est seul investi de pouvoirs. Tout juste ses nobles subordonnés sont-ils autorisés à correspondre avec le monde officiel.

C'était commettre une singulière erreur que prétendre réduire un La Rochejaquelein, un Suzannet, un d'Andigné à ce rôle de fonctionnaires-inspecteurs ; c'est à dessein qu'on excepte ici le souple d'Autichamp, placé en Anjou sous le contrôle direct de Ruty. Otages naturels de populations qui n'ont cessé de les considérer comme leurs fondés de pouvoirs, ils vont se trouver, bon gré, mal gré, les commissaires de celle-ci autant que du Roi.

Si à Thouars, où Louis est salué dès le lendemain 10, de grand matin, par le maire et l'archiprêtre, tout se passe selon le rite purement officiel, la scène change dès qu'il atteint avec Pierrefite, après deux lieues de parcours en voiture, les frontières de la Vendée. Ici le maire se tient à l'entrée du bourg avec une garde vendéenne "sous les armes". C'est que ce maire est lui-même un ancien combattant de 1793. Une foule se presse sur la place de l'Église. Et ce sont aussitôt des "Vive le Roi" éperdus, des salves de mousqueterie.

Louis descend de voiture.

"Je viens de la part du Roi pour vous assurer de Son affection paternelle et de l'estime que Sa Majesté fait de votre bravoure, vous inviter à la paix et, en même temps, à payer vos contributions dont Sa Majesté a le plus grand besoin."

"Vive le Roi ! Vive le Roi !" On continue de crier, de se bousculer, de tirer des salves, on prie La Rochejaquelein d'allumer le feu de joie. Louis fait saluer à ce peuple le drapeau qui flotte à son clocher, remonte en voiture. Vingt-cinq cavaliers l'encadrent d'autorité et prennent avec lui le chemin de Faye-l'Abbesse où se renouvelle le même délirant accueil ... militaire. Le soir, quand, vers 6 heures, il arrive à Clisson en Boismé, le château de Lescure, à présent le sien, il s'y trouve noyé dans "une foule immense affluant par toutes les avenues du château."

"Je suis envoyé vers vous par Sa Majesté pour terminer toutes les dissensions et vous assurer que le Roi est satisfait de votre zèle et de la constance de votre dévouement".

C'est tout ce qu'il a, cette fois, la force de dire.

Quel choc au coeur ! C'est qu'il est ici au milieu de son monde et nul mieux que Louis de La Rochejaquelein ne saisit profondément le sens de cette manifestation inouïe. C'est le seigneur qu'on fête - du latin senior - l'aîné, le chef de la famille-guide, donc le chef de toutes les familles ici réunies, confondues en une seule, dans cette immense fête familiale. C'est la réunion, pour la première fois depuis vingt-deux ans, de ces trois facteurs de la vie patriarcale de la vieille France : l'Église, la Royauté, la Seigneurie, où se comptait encore la Vendée. On avait craint de perdre le seigneur dans la reconquête du Roi. Et voici qu'il revenait, et en manière de représentant officiel de cette royauté qu'on avait désespoir de revoir, lui par qui seul on connaît le Roi. Une joie à étouffer le coeur.

Et, tandis que brasille le feu de joie, que Louis fait servir des rafraîchissements, des couples se forment, entraînant bientôt dans un tourbillon de danses et de chants toute une jeunesse délirante. Ah ! ne demandez pas à cette foule si elle fête La Rochejaquelein ou le Roi restauré ! Ne dissociez pas ce qui est indissociable pour elle. L'absence d'un seul des trois éléments de l'indissoluble faisceau la dissiperait.

Si toute une partie de la France est en ce moment désaxée par l'écroulement du grand rêve de 1792, ce peuple-ci n'a pas varié. Et c'est sa victoire qu'il fête avec l'héritier de l'inoublié Monsieur Henri, celle qu'il poursuit depuis 1793, l'harmonie retrouvée au sein de la communauté villageoise.

A cette fête, prolongée "bien avant dans la nuit", succède un lendemain tout vendéen.

Dès le matin du 11, en effet, "de grand matin", des hommes venus de Chanteloup, Terves, Courlay, de toutes les communes "de six lieues à la ronde" dévalent en armes à Clisson. "Pourquoi ces armes ?" questionne La Rochejaquelein. - "Pour votre défense", jettent des voix ardentes.

Eh oui ! l'instabilité politique a entretenu en Vendée une psychose d'état d'alerte perpétuelle ; d'où le maintien de son organisation de guerre.

Louis remercie ces braves gens, les rassure, leur expose l'objet de sa mission. C'est bien de guerre qu'il s'agit à présent ! Pourquoi se taire plus longtemps ? Et, tandis que se succèdent, qu'affluent toute la journée les députations populaires, il répète : "Le Roi, plein d'affection pour vous, vous sait gré de tout ce que vous avez fait pour son service, il ne faut plus songer maintenant qu'à la paix et payer les contributions, parce que les déprédations de Bonaparte ont ruiné les finances."

Ah ! Comme il a bien tourné la chose ! C'est ainsi qu'il faut parler aux Vendéens. Ceux-ci répondent en promettant d'"obéir religieusement au Roi". C'est, à vrai dire, assez vague ; et, de fait, ils ne sont point disposés du tout à verser leur argent dans la caisse des percepteurs ex-impériaux. Louis s'en apercevra avant peu.

Mais quel métier Louis XVIII lui impose ! L'homme est superbe, avec son teint basané de colonial, sa carrure d'athlète, des épaules de lutteur. Il a cette bonté du coeur sur la main de tous les La Rochejaquelein. Sa nature, bien "incapable d'intrigue et de méchanceté", nous dit sa femme, n'est qu'une flamme de dévouement et de franchise. On le constate d'ailleurs à lire la centaine de rapports figurant dans son "copie-lettres" conservé par ses descendants au château de Clisson.

Dès le soir de son arrivé, il a narré minutieusement au duc de Berry son voyage, ses observations, ses réceptions, ses contacts, avec un luxe de détails qui font de ces lettres comme autant de tableaux reconstitutifs. Le Prince ne peut pas désirer informations plus complètes et plus franches. Le ton même, un peu naïf parfois de ces lettres, reflète une âme de cristal, aussi ignorante du langage diplomatique que de cette forme épistolaire que doit revêtir la correspondance officielle.

Le Prince est mis au courant de l'heure de son départ, de celle de son arrivée, de l'accueil qui lui est fait, des doléances des gens, des propos recueillis et des discours qu'il tient, des réponses qu'on lui fait, des réactions des foules, de ses réceptions officielles et de l'heure à laquelle elles ont eu lieu, et aussi de ses observations. Ainsi avise-t-il Son Altesse du "très mauvais esprit" qui règne dans les troupes rencontrées par lui entre Paris et Saumur, des vexations auxquelles elles se livrent à l'égard des habitants, de l'absence presque générales de cocardes blanches, et aussi de l'absence de solde, de l'attitude du général Lefebvre des Nouettes qui est à Saumur. "Sa conduite doit être surveillée", écrit-il. On s'en apercevra, trop tard, dans quelques mois.

C'est que Louis de La Rochejaquelein ne nage pas, il s'en faut, dans l'euphorie.

Il est inquiet de la fragilité du trône, inquiet de l'avenir de cette royauté ligotée par ses ennemis tant de l'extérieur que de l'intérieur. La Vendée, pivot de l'Ouest fidèle, a été trop tardive. Et lui-même arrive trop tard.

Calmer les esprits, faire rentrer les impôts. Est-il donc besoin de La Rochejaquelein pour ça ! C'est plus tôt, beaucoup plus tôt qu'il eût été utile à la Vendée, au Roi.

Un souvenir vieux de quinze ans dut à cette heure s'imposer à sa mémoire, souvenir inoubliable de sa vie comme une de ces grandes visions fugitives qui demeurent gravées "là" toute votre existence.

C'était en 1790, à Londres, chez les princes. Il sortait de leur salon, ayant reçu l'inconsistante promesse qu'il ne serait pas oublié en cas de descente sur les côtes de Vendée. La pression d'une main sur son épaule lui avait fait tourner la tête. Un homme, un athlète corpulent, aux bras, aux poings énormes, le dévisageait avec émotion. Il n'oublierait jamais les paroles sorties de ses lèvres.

"Jeune homme, je suis charmé de vous voir, j'ai servi sous votre brave frère que j'aimais tant ; votre ardeur me plaît beaucoup, mais elle sera inutile. Retournez à votre régiment (anglais) et n'espérez pas recevoir des ordres ; les princes ne comprennent pas et vous ne savez pas vous-même l'effet de votre nom dans la Vendée ; mais il ne manque pas ici de gens qui le savent et qui trouveront bien moyen d'empêcher qu'on ne vous y envoie. Allez, allez, bon jeune homme, vous verrez la vérité de ce que je vous dis. Je suis le général Georges Cadoudal."

Chacun des propos du célèbre Georges devait acquérir, jusqu'au terme de l'existence de Louis de La Rochejaquelein, la valeur d'une prophétie ...

 

DURBELIERE ZZZ

Né à la Durbellière, le 30 novembre 1777, cinq ans après Henri, emmené en exil à quatorze ans, après des études cahotées de Niort à Paris, l'enfant s'est mué en homme au milieu d'une existence de misères et d'aventures. Saisi au seuil de l'adolescence par le dévorant climat des îles, en pleine révolution noire, à Saint-Domingue, il y a donné libre cours à ses fougueux appétits naissants d'héroïsme et ... d'amour. L'assouvissement frénétique de ses sens désolait sa mère. "Il n'est pas assez convaincu qu'il ne doit pas se conduire comme les jeunes gens de Saint-Domingue", gémissait-elle dans sa correspondance avec sa fille aînée, la bonne Annette. Il était livré si jeune à lui-même.

L'assagissement de ses passions charnelles, tôt survenu, vers vingt ans, à la suite de la terrible affaire dite de la "Redoute rouge", où il n'échappa à la plus terrible morts qu'au prix de glissades de plus de quarante mètres dans un ravin, n'a pas éteint celles de son coeur demeuré droit. Quatre ans de campagne contre les noirs révoltés comme capitaine dans l'armée anglaise, deux de garnisons en Angleterre, la lutte pour la vie jusqu'à sa rentrée en France ont trempé cette mâle nature qui a conservé de son aventureuse adolescence le goût du risque, ce goût à vrai dire un peu congénital que son aîné possédait au plus haut point. Pour tout dire, une âme en feu, dont l'allant de feu attirera demain les grenadiers dits de La Rochejaquelein, en partie issus de la Garde Impériale, comme elle enivre aujourd'hui les Vendéens. Une âme communicative, mais dont l'idéalisme naturel porté à un rare dynamisme par la chaleur du sang demeure servi par un jugement sain et discipliné, par ce sens pratique de la vie que révèlent fort développé ses lettres d'affaires, écrites sous l'Empire.

S'il n'hésite pas à rembourser, sur la présentation de la seule copie, bien suspecte, d'une créance, une dette contractée par son père en 1792 - car il est méticuleux sur l'honneur - il demeure, dans le privé, rigoureusement économe. On le voit fulminer, en 1811, contre l'esprit dépensier de sa belle-mère, Mme de Donnissan, à l'occasion de l'achat fait par celle-ci, en son absence, d'une voiture à flèche, plus versable qu'une voiture dite à col de cygne, alors qu'il était si facile de faire transformer une voiture par un charron. "Cela multiplie les dépenses", dit-il, presque exaspéré. C'est un terrien, un campagnard. Il en a la tenue négligée, au chagrinement de sa femme, mais aussi cette comptabilité rigoureuse qu'il apportera demain dans la gestion de la caisse des grenadiers de la Garde Royale ; et encore cette vigilance qui s'étend jusqu'au potager, à la disposition de ses carrés et à l'emplacement des légumes. A-t-il assez supplié son père, en 1799, de venir le retrouver en Angleterre pour y louer un domaine que tous deux eussent exploité comme fermiers ! N'allez pas, pour autant, le croire avare. A Saint-Domingue, la plus grosse partie de sa solde était envoyée à ses soeurs restées en Angleterre. Un trait de son enfance achève de le peindre.

C'était peu d'années avant la Révolution. Des petits pauvres se présentent à la Durbellière. Les châtelains sont absents. C'est Louis qui les reçoit, sans posséder d'ailleurs un sou en poche ; mais peut-on les renvoyer ainsi ? Et le "jeune Bli", comme on l'appelle dans l'intimité familiale, d'aller solliciter pour eux, avec eux, les fermiers des environs, présentant sa casquette, raconte la narratrice, sa propre soeur, pour ses petits protégés. On n'osa pas refuser à "Monsieur Louis". Et c'est ainsi que débuta dans la carrière de la charité celui qui, au lendemain de la Restauration, devait devenir en Vendée, puis à la Cour, un sollicité-solliciteur universel.

Il porte bien le poinçon de cette vieille chevalerie de race dont il est issu - j'entends celle que la Cour n'a ni déracinée ni vidée de sa vieille substance - par son double culte de la terre et du Roi.

Sa terre, il l'a revue en 1802, après dix ans d'absence. Mais c'est une terre héroïque qu'il retrouvait, avec des paysans-soldats. Émouvant retour de l'héritier au pays natal. Les métayers, les garçons de ferme avait empli la cour de la vieille Durbellière. Quelle fête ! Et qui évoquait dans cette même cour un tableau héroïque si récent encore ! Et le frère d'Henri pleurait en écoutant tous les récits. En Poitou, encore, est venue la veuve de Lescure, aujourd'hui sa femme, déjà historiographe de l'épopée, à présent fixée en son château de Citran, dans le Médoc. Elle éprouvait quelque scrupule à recevoir, par la grâce du nouveau code, cette terre de Clisson qui aurait dû, suivant la règle successorale régissant jadis les biens nobles, revenir aux La Rochejaquelein. En se remariant, le 1er mars 1802, avec Louis (de cinq ans plus jeune qu'elle), elle résolvait la question au gré de sa conscience. Ainsi la Vendée est vraiment venue à lui plus encore qu'il n'est allé à elle.

Aujourd'hui encore, n'est-ce pas sur l'ordre du Roi seulement qu'il revient vers la terre de légende ?

Son Roi ! La Rochejaquelein a pour lui ce culte filial de tous les Français ... de l'ancienne France. C'est en Guyenne qu'il a servi sa cause, à Bordeaux, près de Citran. La réussite du mouvement royaliste du 12 mars, en cette ville, est en grande partie son oeuvre. "C'est à lui que je dois le mouvement de ma bonne ville", a dit Louis XVIII au duc de Duras à Hartwell, au moment de le recevoir. Cependant, en 1813, quand M. Latour, de Bordeaux, était venu prendre ses ordres pour sa cité, le Roi avait dit : "Je compte sur La Rochejaquelein pour la Vendée".

Jagault abbé ZZZ

Louis était allé y faire un sondage, puis avait regagné Citran en passant à Tours pour voir des jeunes royalistes que Napoléon avait enrôlés de force dans les gardes d'honneur et les exhorter ... à la patience et la prudence. Un décret d'arrestation le chassa de Citran (6 novembre). Il songea de nouveau à la Vendée. Décembre arriva. La Vendée en effervescence ne se soulevait toujours pas. Ses chefs disaient ne rien vouloir faire d' "incomplet". Lui était recherché en Vendée plus qu'ailleurs, et plus que tout autre ; il resta donc à Bordeaux, rongeant son frein, tandis que sa femme envoyait dom Jagault, l'ancien secrétaire du Conseil Supérieur Vendéen, s'assurer de l'état de la Vendée et préparer au proscrit le moyen d'y rentrer. Impossible de rien commencer d'important encore, avait fait savoir Jagault le 5 février ; et l'ancien Bénédictin avait gagné Paris, pour conférer avec le duc de Lorge et le duc de Duras. C'est alors qu'à Bordeaux, où il se cachait, Louis reçut la visite du maire, le comte Lynch. Lynch revenait de voir secrètement le détenu Polignac qui lui avait dit : "Voyez La Rochejaquelein". Cette entrevue devait décider du succès de la journée du 12 mars.

Louis a pris sur lui, en effet, d'aller trouver le duc d'Angoulême au péril de sa vie. Il a gagné Royan où un marin royaliste l'a caché dans la tille de sa chaloupe pour gagner son bateau, le Régulus. Quarante-deux heures de trajet dans cette inconfortable position. Puis ce fut la traversée par une affreuse tempête, le port espagnol de Renteria où l'on débarqua, Saint-Jean-de-Luz, quartier général du prince, Garitz, le quartier général de Wellington, la lutte vaine pour vaincre à la fois les résistances de Wellington qui ne croit pas aux chances de la légitimité en France et se refuse à détacher des troupes vers Bordeaux, et les préventions du duc d'Angoulême d'abord convaincu, puis retourné par le septicisme de l'Anglais, enfin le dialogue pathétique : "Vous êtes donc bien sûr de votre fait ? - Autant qu'on peut l'être d'une chose humaine, Monseigneur. - J'ai confiance en vous. Partez."

Le 10 mars au soir, Louis était de retour à Bordeaux. Les troupes anglaises le suivaient. Les autorités royalistes demandaient quarante-huit heures de délai. Il les rejeta : "Il ne faut pas laisser le temps de la réflexion aux esprits timides, mais profiter de l'élan !" Vue juste des choses. Le 12 mars, le Fils de France entrait à Bordeaux aux acclamations de tout un peuple, vingt et un ans, jour pour jour, après le grand soulèvement de la Vendée.

Mais que faisait-elle donc la Vendée ? De Saint-Jean-de-Luz, il avait voulu s'y rendre. Pas de bateaux ! avait répondu Wellington. De plus, ses côtes étaient gardées entre toutes. De Bordeaux, il tenta encore d'y foncer avec sa compagnie de volontaires bordelais lors de la marche de lord Dalhousie vers Saint-André-de-Cubzac. "Vous, sans votre compagnie", jeta Dalhousie. Il partit, seul Français, dans les rangs anglais. Les troupes impériales barrèrent la route à Etauliers. Il y vit néanmoins surgir le jeune Bascher, envoyé vers lui, de Vendée, par son cousin de Suzannet. Tout est prêt, fait dire Suzannet. L'ardeur des paysans est de plus en plus vive. Les paysans de votre région vous désirent pour les commander. On demande seulement quinze mille fusils et de la poudre. Pas besoin de troupes. Le tocsin sonnera dans la semaine de Pâques.

Trop tard ! Le 10 avril, les cloches des églises de Bordeaux sonnaient, avec l'alleluia de Pâques, l'alleluia de cette autre résurrection : la proclamation de Louis XVIII, roi de France, par le Sénat. La nouvelle, apportée pendant les Vêpres, y avait fait éclater partout des "Vive le Roi" qui interrompirent le chant des psaumes ou couvrirent la voix du prédicateur.

L'insurrection avait été devancée par le Sénat. Et La Rochejaquelein se retrouvait en Vendée que pour être le témoin quelque peu ahuri d'un pays désaxé, inquiet, couvert de gendarmes à pied, sorte de garde mobile de sécurité, circulant en armes au milieu d'une population dont les éléments masculins circulaient eux aussi l'arme à la bretelle, sans qu'il parvint très bien à comprendre comment ce peuple incandescent et frémissant d'un élan somme toute comprimé avait pu ne prendre aucune part à la Restauration.

Encore tout rêveur de ce spectacle paradoxal, il s'assit à sa table, prit sa plume et du papier :

"Tous les coeurs, Monseigneur, sont tournés vers vous en ce moment. Chacun se demande : N'aurons-nous pas le bonheur de posséder quelques-uns de nos princes ? ..."
Et il termine : "Je me réunis aux voeux publics pour supplier Votre Altesse Royale de bien vouloir accorder à ces braves gens une faveur aussi signalée ..."

Le destinataire ? "Monseigneur le Duc de Berry". D'un coup d'oeil, il a jugé la situation. La présence d'un prince s'impose d'urgence.

Mais quelle est donc au juste la mentalité de la Vendée, en cette aube de Restauration du Roi ?

C'est ici qu'il nous faut faire, dans l'océan du temps, ce que les navigateurs appellent : le point.

 

Baron de La Tousche d'Avrigny

Extrait de l'article - Société des Sciences, Lettres & Beaux-Arts de Cholet et de sa Région - 1957 - p. 82 à 86

2ème partie  -  ICI

3ème partie  -  ICI

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