Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
4 mars 2024

GRANDPRÉ (08) - JEAN-LOUIS DEMORMAND, TAMBOUR

Le récit qui suit, a dû paraître vers la fin de 1793 dans les "Fastes du peuple français". Son auteur, le jeune Demormand, enfant de dix ans, tambour dans le bataillon des chasseurs des Ardennes, est né dans la commune de Grandpré :


"Mon papa, âgé de 35 ans, et moi de 7 et demi, nous partîmes de Grandpré, et nous nous engageâmes à Sedan dans un tourbillon de volontaires, qui fut depuis changé en troupes franches, sous le nom de chasseurs des Ardennes. Mon papa fut nommé capitaine de la 1ère compagnie des carabiniers, et moi j'obtins la permission d'en être le tambour. La première bataille où nous nous trouvâmes, fut celle de Tirlemont. Après une heure et demie de combat, trois hussards osent pénétrer dans l'armée française ; l'un d'eux me trouvant sous sa main, me prît par le collet, me mit sur son cheval, et sans me demander si je voulais me rendre ou non, me fit prisonnier trois mois et deux jours.


A la bataille de Valenciennes, mon papa engagea la compagnie à forcer à l'arme blanche, et tout le bataillon suivit cet exemple. Alors mon papa, le sabre à la main s'élança sur trois hommes (un tambour-major et deux tambours), et les menaça de leur couper la tête s'ils ne se rendaient ; il n'y eut que le tambour-major qui résista, mais mon papa lui donna un si grand coup de sabre sur une jambe, qu'ils se rendit comme avaient fait les deux autres. Alors mon papa, muni des papiers nécessaires, monta à cheval, les attacha tous les trois avec des cordes et les conduisit à Bruxelles où il proposa de les échanger contre moi, ce qui fut bien vite accepté.


Après ces événements, les ennemis s'étant emparés d'une ferme non loin du Quesnoy, mon papa reçut l'ordre d'aller dans la nuit les en chasser à la tête de 2.000 hommes. Il me donna son portefeuille à garder et me défendit de venir avec lui, ne voulant pas que je fusse présent s'il venait à être tué, parce qu'il avait juré de vivre libre ou de mourir, et que ce n'était pas remplir sa promesse que de se laisser faire prisonnier. Je me mis à pleurer et me retirai comme si j'avais voulu lui obéir. Mais je me couchai tout habillé, et lorsqu'à minuit il cria : "Tambours, battez la générale", je me levai et exécutai l'ordre ; le tambour qui devait marcher resta fort tranquillement dans son lit. Ainsi je suivis mon papa sans qu'il s'en aperçût. Il chassa les ennemis, en prit plusieurs prisonniers et revint au Quesnoy. Malheureusement, il voulut retourner à l'attaque avec les cinq sergents des premières compagnies, et il permit que je marchasse avec lui. Entouré par cinq hommes, il perdit la vie sous mes yeux, en refusant toujours de se rendre, après avoir blessé un grand nombre d'assaillants et en avoir étendu quatre sur la poussière. Le soldat qui lui avait tiré un coup de fusil dans la poitrine s'élança aussitôt sur son corps sanglant, et lui coupa un bras pour avoir ses épaulettes ; un autre imita son exemple, de sorte que mon papa fut haché en morceaux. Pendant cette scène douloureuse, je m'étais caché dans l'épaisseur d'une haie d'où je ne cessais de tirer des coups de pistolet. Un des ennemis m'ajusta si bien avec son fusil qu'il me fit une large blessure à la jambe. Je m'éloignai un peu plus, et n'ayant point perdu de vue le soldat qui avait tué mon papa, je le vis venir par un chemin qui conduisait à l'endroit où j'étais. Je me mis derrière un arbre. Il m'aperçoit, charge sa carabine, m'ajuste et me manque ; je lui tire aussi vainement un coup de pistolet ; je recharge, fais feu, et la balle lui emporte un morceau de bras et lui entra dans le côté ; il tombe ; aussitôt j'appelle un des sergents qui s'étaient cachés, crainte que l'autrichien n'agît de ruse pour me surprendre ; il vint et nous le trouvâmes mortellement blessé ; alors je l'achevai en lui tirant mon troisième coup à la tête, et en m'écriant : "Non, tu ne m'échapperas pas, toi le meurtrier de mon père !"


Je retournai au bataillon, où je reçus sur le champ mon congé. Je me rendis à Paris ; je présentai moi-même une pétition à la Convention nationale, afin d'obtenir une pension pour ma mère. Mes voeux furent comblés, et je reçus du président le baiser fraternel, et un sabre où ces mots sont gravés sur la lame : CITOYEN DEMORMAND, AGÉ DE 10 ANS.
Cette arme lui a été donnée par un décret de la Convention nationale, séance tenante, le 18 août 1793, l'an 2 de la République française ..."

J'ai demandé à être reçu de l'École nationale des orphelins de la patrie : Tel fut le voeu d'un soldat de dix ans, qui a fait deux campagnes et reçu un coup de feu."

Revue historique des Ardennes - Tome troisième - deuxième année - premier semestre - 1865.

Gravure de Jean-Marie Mixelle (1796)

Décret : Gallica - Convention Nationale - Décrets prononcés le 18 août 1793

 


Le père de ce petit tambour s'appelait Gabriel Demormand, fils de Christophe Demormand et de Jeanne Livrezanne.

Il était capitaine au premier bataillon de Chasseurs des Ardennes, sous les ordres du lieutenant-colonel Pierre Margaron.

Le 20 juillet 1778, il avait épousé à Vienne-la-Ville (51), Marie-Anne-Théodore Lesnier, fille de Jean-Baptiste Lesnier, capitaine général des fermes du roi, et de Marie-Magdeleine Morel, née à L'Épine (51), le 13 mars 1754, dont il eut :

 

- JEAN-LOUIS, né à Grandpré, en 1783 (pas de registres aux AD08) ; tambour ; 

- Louis-Ferdinand-Valentin, né à Grandpré, le 3 octobre 1792 ; constructeur mécanicien ; marié à Reims, le 16 août 1826 avec Charlotte-Hermance Pinsard ; il est décédé à Reims, le 5 octobre 1877.

 

Gabriel Demormand a été tué au Quesnoy (59), le 5 juillet 1793.
 

Marie-Anne-Théodore Lesnier est décédée à Grandpré (08), le 5 février 1842, à l'âge de 87 ans.

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité