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La Maraîchine Normande
17 septembre 2023

LES CHARITONS DE NORMANDIE

Au XIe siècle, la peste ravageait la Normandie. Les paysans superstitieux prétendaient que les pestiférés étaient possédés du diable ; ils les fuyaient, les laissant vivre à l'écart, sans leur porter aucun secours.

PROCESSION DE CHARITONS A BERNAY 3 z

C'est alors que quelques hommes courageux et pleins de pitié pour les malheureux se réunirent pour soigner les malades et enterrer les morts. Ces hommes dévoués furent appelés les "Charitons". Pour qu'on les reconnût de loin, ils portaient un costume particulier : un capuchon de velours brodé, le "chaperon", transformé plus tard en une sorte de mantille recouvrant les épaules ; un surtout et des culottes en velours noir, des bas noirs et des souliers plats ; leur coiffure ressemblait à un bonnet de juge.

Ils enterraient les morts pendant la nuit en s'éclairant de flambeaux fixés par une grille de métal au bout d'un bâton porté par chaque chariton. L'un d'eux, le "cliqueteur" (ou tintenellier), marchait en tête, muni à chaque main d'une clochette qu'il agitait en sonnant des mélodies bizarres, afin d'annoncer la venue du cortège. Outre tous ces sacrifices, les charitons portaient encore leur bannière, une croix, le suaire et la boîte des aumônes, où l'on mettait en particulier les amendes des frères ayant failli aux statuts.

Tous les hommes de bonne volonté étaient accueillis dans la confrérie, et dans le temps de graves épidémies, au moyen-âge, le seigneur et le serf, le maître et le serviteur devenaient des égaux dans l'exercice de la charité ; les rangs sociaux étaient abolis.

charitons de Bonneville Z

Lorsque les maladies contagieuses se firent plus rares, les charitons conservèrent néanmoins leurs associations. Ils offrirent leurs bons services à tous les malades indigents. Ils s'occupèrent aussi de l'instruction des enfants ; ils accouraient vers les familles affligées par la maladie du père ou de la mère ; ils assurèrent l'entretien des vieillards incapables de travailler ; ils prirent soin des femmes en couches, donnèrent un trousseau aux jeunes filles et un cadeau de baptême aux enfants. Leur caisse s'ouvrait également pour aider les gens ruinés par l'incendie ou tout autre sinistre.

Leurs bienfaits sans nombre leur valurent l'octroi de privilèges très importants de la part du pape et du roi. Les dons et legs affluèrent, si bien qu'au milieu du XVIIe et au XVIIIe siècles, les corporations de Charité devinrent très riches et qu'il se commit des abus. Puis la révolution éclata et les Charités eurent à en souffrir ; mais Napoléon leur redonna leurs anciens droits.

défilé charitons z

Des confréries existaient encore dans les contrées d'Évreux, Bernay, Pont-Audemer, Vernon, Lisieux, Caen ...  ; elles s'occupaient surtout à aider les pauvres,et, aussi, à maintenir leurs antiques traditions.

Les Charités possèdent des statuts sévères. Toute inobservance à la règle est punie d'amende : un sou pour mains sales, deux sous pour un trou au costume, trois sous pour un baiser donné à une personne qui n'est pas de la famille, dix sous pour un cas d'ivresse. Ces amendes sont encaissées par l'échevin, nommé pour une année. A l'occasion de cette nomination, on célèbre une fête de deux jours, où les banquets occupent une grande place ; les pauvres n'y sont pas oubliés : ils reçoivent une part des meilleurs mets.

Dans l'un de ces repas, un frère mourut d'indigestion ; il put, avant son dernier soupir, léguer tout son bien à ses compagnons, à condition qu'à chaque anniversaire de sa mort, ils fassent un repas aussi cossu que celui qui l'avait envoyé "ad patres". L'acte notarié de cette bizarre donation existe à Bernay !

charité en pélerinage Z

Le lundi de Pentecôte, les Charités organisent un pélerinage, toutes les Charités d'une région ensemble, en un lieu qui varie. On y représente des mystères intéressants. De toutes parts, on voit arriver les cortèges vers l'église, précédés de leurs cliqueteurs ; les pèlerins se promènent dans l'église et tout autour ; puis, posant leurs costumes dans une chapelle, les charitons, avec leurs parents et amis, s'asseoient sur l'herbe pour un plantureux repas où coule le cidre en abondance.

Au retour, plusieurs communes reforment le cortège précédés toujours des tintinabulants cliqueteurs. Puis, aux carrefours des chemins, l'on se sépare. Les bannières et les croix ne sont plus portées avec le même aplomb que le matin ; les charitons ont eu soif et le cidre clair a fait des siennes ... Bah ! on payera les dix sous d'amende, et avec ces dix sous, on fera beaucoup de bonnes actions ...

 

 

 

Journal Le Patriote dans la famille - supplément illustré - N° 52 - du 31 décembre 1905

 AD27 - Images : 10 NUM 3603 (Défilé des Charitons) + 37 Fi 938 (Lithographie Procession des Charitons à Bernay)

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Commentaires
T
superbe histoire
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La Maraîchine Normande
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