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La Maraîchine Normande
2 mars 2021

LE LUDE (72) PARIS (75) - FRANÇOIS-JACQUES-MODESTE LENOIR, VICAIRE GÉNÉRAL D'ANGERS (1755 - 1828)

La Flèche z

Fils de François Lenoir du Ruisseau, bourgeois, et de Modeste-Élisabeth Léger de Chémant, François-Jacques-Modeste Lenoir est né au Lude, le 17 juin 1755. Il eut pour parrain, maître Jacques-Michel Le Noir, seigneur de la Poidevinière, et pour marraine, Louise Bourgoin, épouse de Jean Léger, écuyer, seigneur de Chémant.

LE NOIR François-Jacques-Modeste baptême

Reçu docteur en théologie par l'Université d'Angers en 1779, il devint chanoine de la cathédrale le 11 novembre 1780, et vicaire général en 1783. Il demeurait à la cité.

En 1786, il est reçu membre de la loge du Tendre Accueil, qui tenait ses séances à Angers. Peu après, le 24 septembre, il part d'Angers pour un voyage en Italie, obtient une audience de Pie VI le 29 décembre et arrive à Angers le 30 juin 1787, avec son compagnon de voyage, M. Bassereau, curé de Lesvière, lui aussi docteur en théologie.

Le 10 juillet 1789, M. Lenoir repartit d'Angers pour un voyage en Angleterre, et revint à Angers le 24 août.

Mgr de Lorry, évêque d'Angers, tous ses vicaires généraux et tous les chanoines de la cathédrale refusèrent de faire le serment à la constitution civile du clergé, solennellement condamné par Pie VI. L'évêque légitime ayant été remplacé le 20 mars 1791 par un intrus, M. Lenoir quitte Angers le 30 mars, dîne et couche aux Rosiers, le lendemain à Langeais et de là se rend à Tours ; après avoir fait toute la route à pied, il arrive à Paris le 4 avril, jour de l'enterrement de Mirabeau. Il assiste à une séance de l'Assemblée Constituante qui siège au Manège des Tuileries, va rêver sur les décombres de la Bastille et au Champ de Mars où s'érige l'autel de la patrie. Le 13 avril, il mande à sa soeur, restée à Angers, qu'il souhaite retrouver plus tard ses concitoyens "dignes de la liberté. Elle peut être un bienfait du ciel. Prenez garde d'en faire le fléau de la terre."

M. Lenoir quitte Paris au milieu d'avril, visite la Flandre, la Hollande, une partie de l'Empire et la Suisse.

Apprenant que Louis XVI a accepté la Constitution (14 septembre 1791) et accordé une amnistie, M. Lenoir revient en France, séjourne à Paris du 28 septembre au 13 octobre, et arrive à Angers le 22 octobre. "Mon séjour dans ma patrie, écrit-il, a rouvert une multitude de plaies que mon éloignement avait presque cicatrisées. Par devoir et par amour propre j'étais trop attaché à mon corps pour avoir oublié qu'il n'existe plus. Ce douloureux souvenir a souvent rembruni à mes yeux, dans mes voyages, les paysages les plus riants. Mais la vue continuelle de ce temple auguste où pendant des années j'ai exercé des fonctions honorables autant que douces et où il ne m'est plus permis d'entrer (la cathédrale d'Angers, occupée par les intrus), me rappelle à chaque instant celui où la violence m'en a chassé. De quelque côté que je porte mes pas, je me trouve environné des décombres de ces édifices sacrés que tant de siècles avaient respectés". L'auteur parle des églises que l'on venait de démolir : Saint-Pierre, Saint-Maurille, Saint-Maimbeuf, Saint-Denis, Sainte-Croix, etc.

M. Lenoir repart d'Angers le 14 décembre 1791, passe par La Flèche, Le Mans, Connerré, Versailles et arrive le 20 à Paris. Il loge à l'hôtel de Saxe, rue du Colombier, puis à l'hôtel Dauphin, même quartier. En juin 1792, l'horizon politique s'obscurcit, l'avenir devient inquiétant. La journée du 20 juin annonce la chute prochaine de la royauté. Après le 10 août, les prêtres sont emprisonnés en attendant les massacres de septembre. M. Lenoir quitte Paris le 3 septembre, et par Chartres, Orléans, Lyon gagne Genève, séjourne à Constance de décembre 1792 à septembre 1793, et arrive en novembre à Bologne où il reste jusqu'en mars 1794. Il fait un voyage à Vérone, où il fait visite au comte de Provence, le futur Louis XVIII (17 octobre 1795). Séjour à Ceuta de janvier à juin 1796, à Venise, à Genève.

L'horizon politique s'étant éclairci en France, M. Lenoir rentra dans sa patrie par Lyon au mois de juillet 1797. On sait que le 24 août, le Directoire vota l'abrogation des lois contre les prêtres insermentés, et substitua aux anciens serments la formule anodine : "Je promets d'être soumis au gouvernement de la République Française". Arrivé à Angers, il ne put y rester, à cause du coup d'État du 18 fructidor (4 septembre) qui engloba les prêtres avec les émigrés et les royalistes dans une persécution qui dura jusqu'à la fin du Directoire. Dès le 5 septembre, les mesures les plus sévères étaient édictées et à la loi pacificatrice du 24 août, on substituait cette disposition : "Le Directoire est investi du pouvoir de déporter, par arrêtés individuels motivés, les prêtres qui troubleront la tranquillité publique". Enfin on exigea un nouveau serment ainsi conçu : "Je déclare et jure haine à la royauté et à l'anarchie". Tous les prêtres sans exception devaient le prêter. La sanction c'était la déportation à la Guyane.

Après le 18 fructidor, M. Lenoir adressa à l'administration centrale de Maine-et-Loire une pétition dont voici le résumé : "En principe, je n'étais point sujet à la déportation lorsque je m'y soumis, n'étant plus fonctionnaire public à l'époque de la loi du 26 août 1792, d'où je conclus que je ne suis pas dans un cas moins favorable que les prêtres qui, sans avoir jamais fait aucun serment, n'en ont pas moins continué à rester sur le territoire de la République. La loi ne voyant de prêtre que celui qui exerce, je ne puis être considéré comme tel à ses yeux, puisque je n'en remplis point les fonctions. Au surplus, je déclare me soumettre aux lois de la République". Les administrateurs angevins décidèrent, dans leur séance du 13 septembre, que la pétition serait envoyée au Ministre de la Police, avec des observations à l'appui du pétitionnaire. Mais dès le lendemain, M. Lenoir, qui était bien décidé à refuser le serment de haine à la royauté, demandait à la municipalité d'Angers un passeport pour l'étranger, conformément à la loi du 5 septembre.

M. Lenoir quitte Angers au mois d'octobre 1797 et va se fixer à Londres, puis à Reading de mai à août 1798 (où réside son frère aîné). En novembre 1798, il revient à Londres. C'est là qu'au mois de février 1800 il reçoit des lettres de sa soeur lui donnant des nouvelles de France, où la politique du Premier Consul ramène l'apaisement, le calme et l'espérance de la sécurité. En mars, elle réitère près de lui ses instances pour hâter son retour à Angers. Il préfère attendre que le nouveau régime se consolide et redoute qu'un retour trop hâtif soit désapprouvé par ses confrères en exil. Le 1er septembre, il se décide à rentrer en France, le 19 il débarque à Rotterdam et le 27 à Paris. Le 9 octobre 1800 il était à Angers.

Mgr de Lorry, évêque d'Angers, qui résidait à Paris, avait deux vicaires généraux, M. Meilloc, ancien supérieur du Séminaire d'Angers, et M. Courtin, ancien supérieur du Séminaire d'Orléans. On devine la joie que ces Messieurs éprouvèrent à l'arrivée de M. Lenoir, qui tout de suite fit partie de l'administration ecclésiastique.

Le 9 février 1801, fut signée la paix de Lunéville. M. Meilloc demanda au clergé de chanter un Te Deum en action de grâces de ce grand évènement. La lettre était à peine distribuée que, par ordre du Ministre de la Police, M. Meilloc fut emprisonné pour avoir donné des instructions à un prêtre au sujet des acquéreurs de biens nationaux, question brûlante entre toutes à cette époque. Le 8 avril, M. Lenoir écrivait au préfet de Maine-et-Loire : "Le citoyen Meilloc n'a point fait de mandement pour ordonner le Te Deum, mais une simple lettre aux citoyens curés, qui ne paraît pas destinée à être lue à leurs prônes. Elle était imprimée et en partie distribuée au moment de son arrestation ; je n'ai rien pu y changer. Quoiqu'en tout état de cause elle n'eût jamais dû paraître sous son nom, je regrette de n'avoir pas été dans le cas de la concerter avec vous. Celle du citoyen Meilloc, à laquelle je ne crois pas qu'on n'ait rien à reprocher, ne sera probablement point insérée dans la feuille publique du département ; je ne vois personne qui ait qualité pour l'y faire mettre. Je sais sentir et apprécier l'attention que vous avez eue de me prévenir qu'on y verrait le mandement du diocèse de Luçon, et je vous prie de croire que j'en suis reconnaissant autant que je puis l'être ; je l'ai lu avec le plus grand plaisir et désirerais qu'ils fussent partout dans le même sens et à peu près dans les mêmes termes." Il s'agit du mandement que M. Paillou, vicaire général de Luçon, avait publié, le 9 mars 1801, ordonnant un Te Deum en action de grâces du traité de Lunéville ; il fut effectivement reproduit dans les Affiches d'Angers.

A la date du 22 juillet 1801, M. Lenoir mandait, de La Flèche, au préfet de Maine-et-Loire : "Je me trouve, pour quelques jours, dans une ville de mon diocèse, où mes confrères font au Gouvernement la promesse de soumission qu'il a droit d'exiger. J'ai cru que je ne pouvais me dispenser de me réunir à eux pour une démarche qui a toujours été dans mes principes. L'arrêté du citoyen préfet de la Sarthe en développant le sens de la formule qu'on nous présente, ne laisse ni scrupule à la conscience, ni prétexte à un refus. En conséquence, je promets fidélité à la Constitution de l'an VIII. J'ai l'honneur de vous adresser ma déclaration et vous prie de vouloir bien m'envoyer un certificat qui fasse preuve que vous l'avez reçue."

Sait-on que M. Lenoir faillit devenir évêque vers cette époque ? Le 21 juillet 1801, six jours après la signature du Concordat, le Ministre de l'Intérieur avait adressé aux préfets une lettre confidentielle, leur demandant l'état nominatif des prêtres de leur département qui, ayant occupé des places ou exerçant le culte, pouvaient mériter la confiance du Gouvernement et lui être utiles par l'estime et la confiance dont ils jouissaient. Le citoyen Montault des Isles, préfet de Maine-et-Loire, répondit le 11 août au Ministre ; en tête de la liste des ecclésiastiques en question, il mettait M. Lenoir : "Ses talents et sa moralité lui ont mérité et acquis l'estime général et la confiance de ses confrères. Très influent dans la société par ses alentours. Déporté, rentré ; a fait sa soumission. C'est sans exception celui de tous les ecclésiastiques qui peut rendre le plus de services au Gouvernement". Cette recommandation du préfet fut transmise plus tard à Portalis, qui, en 1802, proposa M. Lenoir pour l'épiscopat.

Au mois de mai 1802, nous voyons M. Lenoir refaire, entre les mains du préfet de Maine-et-Loire, la promesse de fidélité à la Constitution de l'an VIII, et le 27 octobre suivant, il fut rayé de la liste des émigrés.

Il assista, le 6 juin 1802, à l'installation de l'évêque concordataire. Mais on ne tarda pas à l'accuser, ainsi que M. Meilloc, d'avoir poussé le nouvel évêque à demander une rétractation aux prêtres qui, en 1791, avaient fait le coupable serment à la constitution civile du clergé. Sur l'ordre de Portalis, M. Lenoir quitte Angers le 24 octobre 1802 pour se fixer définitivement à Paris.

L'archevêque de Paris le nomma en 1803 chanoine honoraire ; à cette occasion on le trouve qualifié de "vicaire général d'Angers et de Londres".

Durant l'été de 1807, M. Lenoir fit un voyage en Espagne et au Portugal, accompagné de M. de Préaulx, alors âgé de vingt ans, que ses parents lui avaient confié.

Sous la Restauration, le préfet de Maine-et-Loire demanda à l'évêque d'Angers des renseignements sur M. Lenoir. Mgr Montault répondit le 4 décembre 1818 : "M. l'abbé François-Jacques-Modeste Le Noir est né en 1755. A l'époque de la Révolution, il était vicaire général et chanoine de l'église cathédrale d'Angers. Ce bénéfice lui donnait environ 3.000 francs de revenu. J'ignore s'il avait d'autres bénéfices. En 1791, il est sorti de France pour éviter la persécution dirigée contre le clergé. Il est rentré en France en 1800 à l'époque du Concordat. Il était à Angers en 1802 et m'aida dans le travail de l'organisation du diocèse. Quelques ennemis qu'il avait dans la ville d'Angers, lui firent penser qu'il agirait prudemment en s'éloignant. Il alla se fixer à Paris, où il demeure depuis la fin de 1802, avec une soeur veuve qui lui donne les moyens d'existence. Je ne crois pas que M. l'abbé Le Noir ait des biens patrimoniaux. Il a sa pension ecclésiastique de 267 francs. Ayant perdu de vue M. l'abbé Le Noir depuis seize ans, je ne puis vous donner d'autres renseignements sur sa personne. Il serait facile d'avoir de plus amples informations à Paris, où M. l'abbé Le Noir réside constamment depuis seize ans. Il a été chanoine honoraire de la métropole de Paris ; j'ignore s'il l'est encore."

François-Jacques-Modeste Lenoir mourut à Paris, rue Saint-Claude, au n° 1, le 23 septembre 1828, à l'âge de 73 ans. Il avait tenu un Journal de tous ses voyages.

lenoir françois-Jacques-Modeste décès 1828

 

L'Anjou historique - 39ème année - Juillet 1939

AD72 - Registres paroissiaux du Lude

État-civil de Paris en ligne

 

EXTRAITS DES MÉMOIRES D'UN PRÊTRE ÉMIGRÉ
CONCERNANT LES ÉVÈNEMENTS SURVENUS EN ANJOU
ET EN VENDÉE ENTRE 1793 ET 1807.

Ces extraits ont été transcrits par Pierre Le Noir de la Cochetière qui a hérité d'un manuscrit rédigé entre 1783 et 1824 par un de ses grands oncles.

Durant ces huit années d'exil, il parcourt 2.755 lieues dont 659 à pied et écrit ses Mémoires sous forme de lettres à sa soeur [Modeste-Marie, 1759-1826], notant au fil des jours, les incidents de sa vie quotidienne, ses réactions vis à vis des évènements auxquels il est mêlé, ou dont l'écho lui parvient.

Il est de son temps, les idées du siècle des lumières n'ont pas été sans influence sur sa formation, si son ton est parfois grandiloquent, sa plume court vite, son esprit est vif, son bon sens terrien l'emporte presque toujours.

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Quand les premiers troubles éclatent en Vendée, François-Jacques-Modeste Lenoir est en Allemagne, à Constance.

Après les revers des patriotes en Brabant et en Flandre, après la trahison de Dumouriez, il voit déjà la fin de son exil et écrit le 3 mai 1793 :

Contre-Révolution

"D'après touts ces succès que l'espérance grossissait encore plus que les gazettes et qui nous ont occasionné ici un "Te Deum" et des illuminations, nous avons cru toucher décidément au moment de la contre-révolution. Déjà, presque, on fixait celui de son départ et on ne raisonnait plus que sur ce qu'il y avait à faire quand on allait être rentré. On ne parlait plus de la révolution que comme un de ces grands fléaux passés dont il ne reste plus qu'à réparer les ravages."

Sa joie n'est cependant pas sans mélange :

"Je voyais avec peine à travers la joie générale, les semences fâcheuses de nouvelles divisions et de longues dissensions intérieures. Je sens combien doivent être exaspérés des gens qui, depuis quatre années sont en proie aux plus horribles vexations et que peut-être, une des raisons qui animerait chez eux l'esprit de vengeance, ce serait la crainte de voir l'impunité préparer de nouveaux forfaits. Mais je voudrais qu'on se persuade bien que la persécution, ne fut-elle qu'une juste punition, devient presque aussi funeste au repos de celui qui en est l'instrument qu'à ceux qui en sont l'objet."

Venant d'apprendre les évènements de Vendée, il poursuit dans la même lettre :

Guerre civile

"On me permettra de ne pas compter au nombre des bonnes nouvelles, quoique elle nous soit avantageuse, l'insurrection qui se manifeste dans quelques provinces de France.

De touts les fléaux auxquels l'humanité soit sujette, le plus affreux sans doute, c'est la guerre, ne fut-ce que parce qu'il est volontaire ; et de toutes les guerres qui peuvent désoler le monde, les plus horribles sont les guerres civiles. Quand à cette idée, se joint celle que ma province est en partie le malheureux théâtre sur lequel s'entre-égorgent nos concitoyens, je frémis que mes foyers ne soient inondés du sang des miens et que je ne puisse y parvenir qu'à travers les membres épars de mes parents et de mes amis."

A Constance, le bruit a couru qu'on l'avait vu à Angers à la tête des rebelles ; il craint des représailles contre sa soeur et ses belles idées de pardon, de concorde précédemment exprimées fondent comme neige au soleil ; il écrit le lundi 3 juin 1793 :

Accusation contre moi-même

"En sabots et en saro, sur un superbe cheval, à la tête des rebelles, on m'a vu, on m'a bien examiné, on est sûr que c'est moi ... et il se trouve des scélérats qui l'attestent et des imbéciles qui le croyent ... et sur une aussi absurde dénonciation, on te menace ; peut-être que déjà on t'a traînée dans les prisons (sa soeur sera arrêtée le 4 novembre 1793 et emprisonnée pendant 11 mois, échappant de peu à la guillotine).

Les monstres, ils m'ont rendu barbare !

Je sens en ce moment que si j'étais avec une armée victorieuse sous les murs de Rome, les larmes de Véturie (Véturie, mère de Coriolan) ne la sauverait pas ! Je ne voudrais y rentrer qu'à travers les ruines et les décombres pour la punir d'avoir protégé leur berceau, comme le mien.

Ah ! qu'avaient-ils besoin d'un prétexte aussi ridicule pour commettre un crime de plus ?

En vain, tu peux me préparer au sort qui t'attend et que déjà sans doute tu as subi ; le grand nombre de femmes honnêtes avec lesquelles tu dois le partager, n'est qu'une preuve de plus de la scélératesse de vos tirans et je sais que chez les cannibales, il n'est qu'un pas de la captivité au bucher.

Cependant, si pour t'arracher d'entre leurs mains, il ne faut que leur ôter jusqu'à l'apparence d'un prétexte de te retenir, ils auront bientôt une victime de moins. Je t'envoye un certificat de résidence en Suisse tel que tu le demandes. Je l'ai signé avec l'homme public qui l'a expédié et il est dans une forme à laquelle il n'y a point de réplique. Je vais leur supposer un moment d'équité pour pouvoir me livrer aux douceurs de l'espérance."

Rassuré provisoirement sur le sort de sa soeur dont il a reçu une lettre lui annonçant la prise d'Angers par les Vendéens, il écrit :

De Constance, le vendredi 5 juillet 1793

Prise d'Angers, le 19 juin 1793

"J'ai reçu, ma chère amie, ta lettre en date du 15 du mois dernier. Elle n'avait pas été décachetée ; car quoi qu'elle soit on ne peut plus sagement écrite, on ne l'eut pas laissée sortie, elle contient d'un évènement des détails trop défavorables au parti dominant. Il ne pouvait se passer plus heureusement. Ma ville prise par l'armée chrétienne sans résistance quelconque est tout ce que je pouvais désirer. S'il y eut eu du sang répandu, le bon aurait pu couler avec le mauvais et la mort de cent scélérats ne m'aurait pas consolé de celle d'un de mes parents ou de mes amis.

Vous êtes donc débarrassés de vos tirans, de ces vils et cruels des potes qui exerçaient au milieu de l'anarchie le pouvoir le plus absolu comme le plus atroce. Vous allez voir renaître l'ordre et la tranquillité après quatre années de troubles et de vexations. Quel plaisir ont du éprouver en se retrouvant chez eux touts les honnêtes gens dispersés depuis si longtemps dans les prisons et les cachots ? Et mes malheureux confrères que l'âge et les infirmités avaient condamnés à attendre la palme du martyre dans le plus dure captivité, déjà sans doute le parfum de leur encens a purifié ce temple auguste si indignement profané. Je les vois y traînant avec peine les restes d'une vie dont, tant de fois, ils ont fait le sacrifice et dont ils ne se félicitent de jouir encore, que pour en consacrer les derniers moments à la gloire de Celui qui la leur a conservée."

Ayant appris la marche vers le nord de l'armée vendéenne, il écrit de Constance le lundi 5 août 1793 :

Armée Chrétienne

"La marche des royalistes est inconcevable. Je ne devine pas pourquoi, après s'être emparé de deux postes importants sur la Loire et dee deux villes considérables où ils ont été bien reçus, ils renoncent aux avantages que leur assuraient ces conquêtes et en abandonnant les malheureux habitants à la vengeance des patriotes. La nécessité de porter toutes leurs forces sur Nantes, pour se rendre maîtres de cette place bien autrement importante, explique peut-être ce problème de tactique ; mais alors, ils devraient avertir de leurs projets les amis qu'ils ont trouvés sur leur route et ne rien exiger d'eux qui les exposât au ressentiment de leurs féroces ennemis. Il paraît qu'heureusement, l'exemple de modération qu'ils ont donné, a fait impression sur ceux-ci ; ou plus probablement que la crainte des représailles a empêché les exactions."

Devant les succès obtenus par les Vendéens, les craintes qu'il exprimait au mois de mai ont disparu et c'est l'enthousiasme qui l'emporte. De Constance, il est parti pour l'Italie et c'est de Bologne qu'il écrit le samedi 2 décembre 1793 :

Armée de la Vendée

"Quelle gloire pour nos compatriotes de la Vendée s'ils pouvaient en disputer l'honneur et le plaisir aux braves autrichiens et aux fidèles hongrois ! Sans doute que cette noble émulation a redoublé leur courage et leurs forces. Je les vois traverser en conquérants l'Anjou et la Bretagne ; je ne puis croire qu'ils ayent abandonné le Poitou en fugitifs. Cependant le succès complet de ce nouveau plan peut seul l'expliquer et le justifier. Si la guerre actuelle n'était d'une autre espèce que celles qui ont agité l'Europe jusqu'ici, on pourrait espérer que la rigueur de la saison ralentirait l'ardeur des puissances belligérantes. Mais la phrénésie de l'une tiendra nécessairement les autres en haleine et il est probable que le froid qui va suspendre le cours des fleuves, n'empêchera point le sang humain de couler."

Le décret sur l'athéisme lui inspire les réflexions suivantes le 7 janvier 1794.

L'inquisition, le décret sur l'athéisme

"L'inquisition religieuse depuis plus de cinq siècles qu'elle existe n'a jamais immolé autant de victimes dans l'Europe entière que l'inquisition politique en a fait périr depuis trois années dans notre malheureuse patrie. Sans doute, les autodafés d'Espagne ont fait la honte de la religion ; mais la guillotine en France est l'opprobe de l'humanité ; et si quelques fois à Madrid, on a eu à rougir d'être chrétien, journellement à Paris on doit regretter d'être homme.

En lisant le décret qui vient d'abolir touts les cultes en France, on est étonné sans doute de l'audace qui l'a publié, mais on ne peut concevoir l'indifférence qui l'a accueilli. Cependant, n'en trouverait-on point l'explication dans une vérité à laquelle, elle-même, elle servirait de preuve ? C'est que parmi touts ceux qui imaginent avoir de la religion, il en est bien peu qui en ayent véritablement.

Ce sentiment sublime qui nous attache à des dogmes que l'on ne conçoit point, n'a point besoin d'être raisonné pour être adopté. C'est à l'esprit à le graver dans le coeur : pour croire, il faut être convaincu et on ne l'est pas sans réflexion.

Or, qui est-ce qui réfléchit sur la matière cependant la plus intéressante ? Chez touts les peuples, chez ceux sont le flambeau de la vérité éclaire le berceau, comme chez ceux qui croissent au milieu des ténèbres de l'erreur, l'éducation fait toujours la religion. Or, elle ne donne que des habitudes et non des idées religieuses, deux choses fort différentes que l'on confond presque toujours. On s'accoutume à prendre pour de la religion ce qui la suppose, mais ce qui ne la constitue pas. Même les affections de l'âme n'en sont pas une preuve. Souvent on aime Dieu, on craint le diable sans croire véritablement ni à l'un, ni à l'autre."

Après les revers de l'armée vendéenne, il poursuit dans la même lettre :

Succès des patriotes

"Si pour oser de grands forfaits, il fallait toujours aux scélérats l'espérance de l'impunité, on pourrait croire que lorsque l'assemblée a porté ce décret déicide, elle comptait sur les succès que ses armes viennent d'obtenir. En effet, quelle confiance audacieuse, quelle énergie destructive ne doivent pas lui inspirer les évènements qui nous enlèvent, à nous, le consolant espoir qui avait adouci jusqu'ici la rigueur de nos maux ?

Foulon repris par un courage qu'il faut admirer, même dans son ennemi, l'Alsace reconquise par une masse qu'on a trop méprisée avant d'avoir appris qu'elle était susceptible d'une activité redoutable, l'armée de la Vendée détruite par une férocité qui révolte mais qui déconcerte, décident peut-être du sort de l'Europe !"

Devant de tels résultats, son voeu le plus cher est une paix rapide ; mais l'annonce de nouveaux succès lui fait écrire de Bologne le samedi 5 avril 1794 :

La Vendée

"Depuis longtemps, nous ne recevons plus que des nouvelles désagréables ; celles qui pourraient nous consoler des mauvaises sont si peu certaines qu'on n'ose y ajouter foi.

Toutes nos espérances actuellement se portent sur la Vendée. Ce phénix vient de renaître de ses cendres ; le sang des martyrs de la bonne cause en a multiplié les deffenseurs au point qu'ils pourraient en devenir les restaurateurs. Pour moi, je ne puis croire autre chose, sinon qu'il existe encore dans notre infortuné pays des rassemblements que l'impossibilité de se cacher a forcé de reparaître, que des vexations atroces grossissent nécessairement et dont le désespoir prolonge la résistance. Elle peut avoir quelques succès passagers, mais je tremble toujours qu'elle n'entraîne encore plus de malheurs. Cependant les braves vendéens sont de véritables Machabées ; pourquoi à des efforts aussi sublimes le Dieu des armées n'accorderait-il pas les mêmes victoires ?"

La nouvelle de la mort de Robespierre lui parvient à Bologne en août 1794 et ne le rend pas optimiste pour l'avenir :

Mort de Robespierre

"Le supplice de Robespierre nous a fait faire bien ( ) des calculs mais dont la flatteuse probabilité diminue touts les jours. Avec lui devait finir la révolution, comme si cet hidre n'eut eu qu'une tête. Dans une association de scélérats, le triomphe d'une faction n'est jamais que celui du crime et que peut y gagner le bonheur public ? Robespierre n'était point le seul tiran. Ceux qui affectent de détester les atrocités qu'ils lui attribuent, n'ont de regret que de ne les avoir pas ordonnées.

Ce n'est pas du sein de l'Assemblée qu'on verrait sortir un Brutus, si elle avait un César ; mais elle n'a pas même un Sylla. Le monstre à qui elle a donné si ridiculement ce nom trop fameux pour s'assimiler au sénat de Rome, n'avait du premier dictateur que ce qui fait le bourreau et rien de ce qui peut rendre un scélérat illustre. Sa mort ne peut servir de leçon qu'à un vil assassin ; elle n'effrayera jamais l'ambitieux qui se sentira les talents et le courage qu'il n'eut point.

Mais un peuple de jacobins n'a guère à redouter la tirannie d'un seul. Pour asservir et régner, il faut démontrer par de grands forfaits et en imposer par l'apparence de grandes vertus. Or parmi des brigands, le crime n'a pas plus d'avantage que la vertu n'a d'empire. Les grecs et les romains ont eu des tirans ; les cannibales n'ont que des chefs."

Ayant appris à Bologne, en mars 1795, la publication du décret sur la liberté des cultes et la ratification du traité de La Jaunaye, il écrit :

Liberté du culte

"Ce décret ... a déjà fait partir d'ici ceux de nos confrères qui avaient le plus de courage ou le moins de patience. Les provinces frontières seront les premières à se repeupler de ministres. La facilité des relations est une preuve de la tranquillité qui y règne et les invitations qui en arrivent, achèvent de convaincre.

Quant à nous que la France entière sépare de ma province, nous ne pouvons songer à y retourner que lorsque la sécurité sera générale."

Paix de la Vendée. Traité de La Jaunaye (15 février 1795)

"S'il était facile d'y parvenir, elle doit être un des aziles les plus calmes du royaume. La manière dont Charette vient de traiter avec la Convention, suppose qu'il était en état de défendre encore le terrain que son parti occupe et doit faire espérer qu'il a sçu en garantir le repos. Cette paix qui n'est plus un problème, a probablement des conditions secrètes dont il faut attendre la publicité avant de porter un jugement sur celui qui les acceptées. Il est difficile d'imaginer qu'après avoir acquis tant de gloire au prix de tant de fatigues, de périls et de malheurs, le jeune héros ait renoncé à la récompense que la victoire semblait lui promettre et que ses services lui assuraient dans ce cas.

L'offre qu'il a faite de marcher contre son ancien compagnon d'armes est une preuve de plus à mes yeux que nous ne connaissons du traité que ce qu'il n'a point le projet d'exécuter.

Quoi qu'il en soit, il semble que je n'ai plus à redouter pour mon pays, mes parents et mes amis que les calamités passées !"

Tous les évènements ne sont pas aussi favorables ; l'échec du débarquement de Quiberon le consterne en août 1795 :

Quiberon (juillet 1795)

"La baye de Quiberon devait nécessairement être célèbre. Elle l'est devenue par un des plus malheureux évènements de la guerre actuelle. Quel découragement doit entraîner le mauvais succès d'une entreprise dont on avait conçu de si belles espérances ? L'Angleterre sera-t-elle encore de force et d'humeur à faire des sacrifices aussi coûteux et trouvera-t-on parmi les émigrés de nouvelles victimes qui se dévoueront à une mort presque certaine ? Elle est glorieuse sans doute, mais quand on en prévoit l'inutilité pour la cause que l'on sert, il n'y a que le désespoir qui puisse y exposer.

On doit admirer le zèle qui avait associé Mgr d'Hercé, le vertueux évêque de Dol, à une expédition aussi périlleuse, plus encore la grandeur d'âme avec laquelle il a refusé de se soustraire à la captivité et le courage qu'il a montré en allant au supplice.

Mais heureusement, je ne vois de précepte dans sa conduite que ce que la prudence pouvait lui faire éviter."

La mort de Stofflet à Angers, de Charette à Nantes, lui inspirent de sombres pensées et quelques conseils qu'il voudrait bien donner au prétendant tellement le triomphe de la révolution lui paraît inéluctable dans les circonstances actuelles.

En avril 1796, il confie donc à sa soeur :

Fin de la guerre de Vendée

"Quelle confiance et quelle énergie doit inspirer au parti républicain la destruction totale de celui de la Vendée ! Cette province, aussi célèbre par ses malheurs que par sa fidélité, offrait jusqu'ici un point de ralliement où le génie de la Monarchie paraissait vouloir en recueillir les débris.

Celui-ci, aujourd'hui, semble nous exhorter à fléchir le genou devant son heureux rival et nous dire en expirant que la soumission est un devoir quand la résistance devient une folie."

Conseils au prétendant

"Il y a longtemps que j'aurais voulu être à portée de faire gouter un conseil à l'héritier abandonné du trône de nos rois. Ce n'eut pas été celui de renoncer à ses droits, pas même à ses espérances. Il n'est point dans ma pensée de songer à lui contester les uns, bien moins encore à lui ravir les autres. Mais puisqu'il est démontré qu'il n'a rien à attendre de la force des armes et que des conspirations n'aboutissent qu'à faire couler un sang qui doit lui être précieux, je crois qu'il devrait dire à ses sujets : "Vous ne voulez point de roi ? Essayez le gouvernement qui paraît avoir tant de charmes à vos yeux. Je ne troublerai point l'épreuve à laquelle je vous exhorte. Le bonheur de mes concitoyens est l'objet le plus cher de mon coeur. Si vous m'y croyez nécessaire, vous me trouverez toujours prêt à y travailler. Si vous pouvez l'obtenir sans moi, je n'aurai de regret que de n'y concourir que par mes voeux."

Rentré en France, à Angers, le 1er août 1797, il doit à nouveau s'expatrier après le coup d'état du 18 fructidor (4 septembre 1797). Il quitte donc Angers le 21 septembre et va s'établir en Angleterre, à Reading, où réside son frère aîné et une nombreuse colonie française. En 1798, il devient vicaire général de Monseigneur l'Évêque de Coutance, vicaire apostolique de Londres.

Quand la guerre des chouans se rallume, il écrit en août 1799 :

La guerre des chouans

"Je ne suis point encore arrivé à cette hauteur de patriotisme d'où on fait le sacrifice de ses proches et de ses amis à l'espérance de sauver son pays. La guerre des chouans, qui se renouvelle dans ma province, n'est encore à mes yeux que le plus terrible des fléaux ; et pour m'empêcher de l'en écarter par mes voeux, il me faudrait une révélation qui m'assurât que le bonheur public ne peut renaître que des nouveaux désastres de cette malheureuse contrée.

Alors, peut-être, avec le même courage et avec plus de mérite que DARIUS, je mesurerais l'abyme et s'il devait engloutir ce qui m'est plus cher que moi-même, je voudrais qu'il ne se refermât que sur moi.

Mais qu'avons-nous à attendre de ces attroupements prématurés, dont la faiblesse n'annonce que la soif du sang et du pillage, parce qu'elle ne peut supposer l'espoir d'un succès utile ?

Quelle espèce de confiance peuvent inspirer à des royalistes honnêtes, ces bandes indisciplinées que l'histoire ne distinguera peut-être des bandes noires du quatorzième siècle que par la couleur de leur cocarde et qui, dans une guerre de dévastation, méconnaissent souvent les partis et toujours les droits d'une défense et d'une attaque légitimes ?

Je n'accuse point les chefs réduits à diriger un courage dont ils ne peuvent réprimer la férocité. Leurs intentions ne peuvent être suspectes, mais ils sont, la plupart, à cet âge où les périls de leur métier sont des jouissances, où l'amour de la gloire aveugle, quelques fois en la poursuivant, sur les malheurs publics, où celui-même de la patrie peut aisément se confondre avec la dangereuse ambition de la sauver seul."

Le chanoine Lenoir rentre définitivement en France en octobre 1800.

En juillet 1801, il entreprend un voyage en Anjou à la recherche des vestiges des années de guerre qui dévastèrent cette province.

Le chanoine Lenoir a rencontré à diverses reprises l'abbé Bernier, bien connu en Vendée, l'un des négociateurs du Concordat et évêque d'Orléans. Voici ce qu'il en dit en juin 1802 au moment où il a été dénoncé auprès du ministre des cultes, Portalis, comme l'ennemi de la réunion des deux partis du clergé d'Anjou :

L'abbé Bernier

"M. Bernier est né en 1764 d'une famille fort obscure à Daon, petit village situé entre Chateau-Gonthier et Angers. Les dispositions extraordinaires qu'il montra dès son enfance engagèrent le vicaire de sa paroisse à lui procurer une éducation à laquelle il n'était point destiné. On lui accorda des pensions à moitié gratuites dans le collège de Chateau-Gonthier où il commença ses études et au séminaire d'Angers où il les acheva. Une grande facilité et une mémoire prodigieuse le firent distinguer parmi même les meilleurs sujets de ses cours.

Pendant sa licence, il acquit par délassement des connaissances étrangères à son objet, mais néanmoins aussi intéressantes et en couronnant ses études théologiques, on prévit qu'il était destiné à en obtenir d'autres.

En sortant de l'ordination, il fut fait vicaire dans la ville épiscopale ; bientôt, on l'y nomma à la cure de Saint-Laud, puis à la chaire de théologie, faveurs qu'ils l'eussent conduit à un canonicat de la cathédrale et au titre de vicaire général. C'eut été là le terme de sa fortune et probablement de son ambition dans l'ancien régime.

La révolution vint lui ouvrir une plus vaste carrière dans laquelle il entra avec une réputation sans reproches, qu'il a suivi avec un bonheur qui ne peut être sans mérite.

Je questionne souvent sur sa conduite dans la guerre de la Vendée ceux qui ont partagé l'honneur et les périls. Il n'y a que l'esprit de parti à me répondre. Ceux-là l'accusent d'avoir fait servir la guerre et la paie à son ambition ; ceux-ci prétendent que par ses conseils, il a rendu l'une moins désastreuse et l'autre plus avantageuse et plus on consultera de relations orales ou écrites, plus on sera embarrassé pour prononcer s'il n'a abandonné un parti que pour en sauver ou en vendre les débris. En lui supposant de l'ambition au lieu - ou autant- que de principes, la faveur dont il jouit auprès du gouvernement, a dût dédommager de l'influence qu'il avait dans la faction dont il était l'âme. On ne saurait prévoir si son crédit survivra au besoin que l'on a eu de lui ; mais si "le soldat heureux" dont il a consolidé la puissance par la paix de la Vendée et le Concordat, et en conservant quelque souvenir, conçoit l'idée d'un genre de gloire dont la singularité peut le tenter, il n'est point impossible de voir le favori s'asseoir au rang de son protecteur.

Charles Quint fit un pape de son précepteur dans un siècle où la thyare était d'un grand poids dans la balance politique ; aujourd'hui qu'elle n'y figure que comme ornement, toutes les difficultés disparaîtraient devant une puissance qui fait et détruit les républiques et les rois.

Même en laissant à un conclave le degré de liberté dont il jouit ordinairement dans ses élections, qu'est-ce qui s'opposerait à celle-ci, toute extraordinaire qu'elle paraisse ? Nous allons avoir des cardinaux ; ils se multiplient plus que jamais dans le nord de l'Italie. Ceux d'Espagne, ainsi que son gouvernement, sont presque dans une dépendance aussi directe du nôtre ; les allemands sont toujours en petit nombre ; la faction romaine est nécessairement prépondérante et semble la plus aisée à gagner quand on sait que le traité de Falentino, par hasard ou par prévoyance, a été rédigé de façon que sans rien y changer du reste, on peut détacher de la république Cisalpine les trois légations pour les rendre à l'État Ecclésiastique. Croit-on que les cardinaux romains se refusassent au seul moyen de reconquérir l'intégrité du patrimoine de l'église, ce qu'on pourrait leur offrir sans perdre le moindre degré d'influence en Italie ?

Je ne présente cette fortune extraordinaire que comme possible et pour survenir en cas d'évènement. Je sens que pour devenir probable, elle dépend de mille circonstances qui ne le sont guère pour elles-mêmes dans ce moment. Il faut que le consul et sa créatur ainsi que la puissance de l'un et la faveur de l'autre servissent au pontif actuel. Mais que de chances contre l'un et l'autre ? Et dans l'hypothèse la plus heureuse, même pour les deux, je vois descendre des montagnes d'Italie, un oncle que le sort pourrait plus probablement destiner à les repasser en triomphe.

Au reste, c'est déjà beaucoup pour la gloire et l'amour propre d'un vicaire français qu'on puisse, sans absurdité, associer son nom à l'idée du Souverain Pontificat."

Intronisation de Mgr Montault, évêque d'Angers

"Il a donné ici le premier spectacle de la publicité du culte et cette cérémonie, à laquelle il a procuré de l'éclat par son caractère d'envoyé du gouvernement dans nos provinces, a dû être aussi flatteuse pour lui, qu'elle a été avantageuse à la religion. Je n'y assisterai point en habit de choeur parce que je crus devoir attendre l'arrivée prochaine de mon évêque pour reprendre un uniforme avec lequel je n'avais point paru, par respect pour les loix, depuis mon retour en France. Ce refus, impolitique si j'avais eu de l'ambition, commença à le prévenir contre moi. J'achevai de l'indisposer en ne voulant pas me prêter à lui faire élever un thrône dans la cathédrale le jour de la prise de possession de M. Montault à laquelle il devait assister. J'avais vu autrefois des évêques se contenter en pareil cas de la première stalle et je n'ai point lu les nouveaux règlements, supposé qu'il en existe.

Le tapissier me suppléa et je reçus la bénédiction du prélat qui me parut sans rancune, comme j'étais sans humeur. J'ai sçu depuis qu'il s'était plaint et j'ai soupçonné qu'il s'était vengé, mais d'une manière dont on verra que je n'ai pas pu lui scavoir mauvais gré."

L'évêque d'Orléans, ex abbé Bernier, meurt en janvier 1807 et le chanoine lui consacre les lignes suivantes :

Mort de l'abbé Bernier

"Il a fallu que M. Bernier mourut pour faire encore parler de lui. Depuis longtemps, il végétait à Orléans, oublié de la cour et par conséquent de Rome et du public. Les gazettes ont annoncé sa mort comme celle de quelqu'un qui n'eut jamais rempli une de leurs pages pendant sa vie. Effectivement, il a trop vécu pour lui et même pour moi. Il a toujours attendu les grandes récompenses qu'il paraît qu'on avait promises à ses services et moi, j'ai cru quelque temps qu'au milieu des fortunes extraordinaires dont nous sommes entourés, on voulait que celle qu'on lui destinait marquât encore.

Cependant, ce n'est que d'un chapeau rentré qu'on le dit mort. Il l'a vu, à la vérité, si longtemps suspendu sur sa tête qu'il a dû être étonné de ne pas le sentir s'y reposer. Mais, avec moins d'ambition, il en eut été quitte pour un rhume. Je connais beaucoup de gens à qui il avait offert protection, quelques uns à qui il avait accordé une utile. Je ne connais personne qui honore sa mémoire par des éloges ou des regrets et il en est plusieurs qui l'outragent par des reproches ou des satyres. Avec un revenu considérable, il faisait beaucoup de bien dans son diocèse, point assez cependant pour qu'on ne soit surpris qu'il n'ait presque rien laissé à sa mère.

Il me fit inscrire sur la liste des évêques, m'en fit rayer ensuite, deux services que j'ai également oubliés pour n'avoir point de preuves de la fausseté de son caractère.

J'en ai encore moins de torts plus graves que l'histoire, plus mal ou mieux instruite que moi, lui reprochera."

En septembre 1823, Madame la Duchesse d'Angoulême, soeur de Louis XVI vient visiter la Vendée ; il note dans ses mémoires :

"Madame a fait dans la Vendée au mois de septembre un trop court voyage qui a dû être une marche triomphale. J'aurais voulu voir mes anciens diocésains l'entourer avec leurs vieilles piques, leurs vieux fusils, leurs (bielles) et leurs sacs, les entendre parler comme à la dame du village, vanter leurs exploits en termes énergiques, faire les gestes qui effrayaient les bleus et simuler les coups qui les renversaient. J'ai vu et entendu tout cela en Anjou et je suis persuadé qu'on était tout aussi à l'aise à côté de l'auguste princesse qu'à côté de moi.

C'est là le sentiment qu'on apporte au pied du malheur et de la vertu quand même elle serait déjà couronnée. Princesse adorable, vous n'avez vu presque que les enfants de la génération qui se sacrifia toute entière à la défense de vos droits. Retournez dans la Vendée lorsqu'il n'y aura plus que ses arrières petits enfants, vous y trouverez le même enthousiasme qui n'est alors que du respect et du dévouement."

 

Transcription de Pierre Le Noir de la Cochetière

AD85 - BIB PC 16/58 (Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée ... 1985 - p. 113 - 125)

 

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