1792 - LES HUSSARDS BRACONNIERS - MURAT CONTRE LANDRIEUX
LES HUSSARDS BRACONNIERS
Ce titre peu reluisant pour un régiment était cependant tout à fait justifié. C'est leur chef même, un nommé Landrieux, qui les avait ainsi baptisés. Un drôle de luron, ce Landrieux !
Clerc en rupture de ban, avocat, médecin, puis inspecteur des relais de Monsieur, comte de Provence, il avait fait tous les métiers et connu des aventures multiples.
A la Révolution, il s'était révélé jacobin ardent et, ne sachant pas de quoi vivre, avait proposé à la Convention de lever un régiment de cavalerie moyennant une avance de 25.000 écus, qui lui fut accordée.
De tripot en cabaret, il se mit donc à recruter ; obligé de ne pas se montrer difficile, il acceptait tout le monde et l'on pense bien que ce n'est pas la fine fleur de l'aristocratie qui vint à lui. Aussi, lorsqu'il eut levé la valeur de quatre compagnies, crut-il devoir honorer la plus grande partie de ses troupes, en donnant à son régiment le sobriquet mérité de "hussards braconniers".
A Douai, la moitié du régiment passe à l'ennemi, avec armes et bagages. Mauvais début. Landrieux recrute quelques nouveaux gueux supplémentaires et, à la tête de sa véritable cohorte de brigands, arrive à Hesdin. Il est bien incapable, et ses officiers encore plus que lui, il rencontre à Hesdin un jeune capitaine, aide de camp du général d'Urre de Molans, ancien séminariste, comme lui défroqué, qui a été soldat, sous-officier, puis cassé, s'est fait épicier et enfin est revenu à l'armée. C'est l'homme qu'il lui faut, un jacobin convaincu, tout dévoué aux idées nouvelles et capable de faire de sa bande armée un régiment à peu près présentable. Le jeune officier s'appelle MURAT, et cette aventure nous est contée par son dernier et excellent biographe, M. Marcel Dupont.
Mais le capitaine Murat, que les scrupules n'étouffent pas, est dévoré d'ambition. Il n'acceptera d'entrer aux "hussards braconniers" que comme chef d'escadron. Landrieux qui a des relations, obtient pour lui ce grade. Il lui confie deux des escadrons à instruire et, avec le troisième, composé des hommes les plus sûrs, il part en mission.
Tandis que Murat, le futur sabreur d'Aboukir, reçoit le baptême du feu avec ses hommes qu'il est arrivé à prendre en main. Landrieux se livre à un travail moins dangereux. Avec ses meilleurs gaillards, il escorte, de concert avec les représentants du peuple, la guillotine dans les départements du Nord. Et, auprès des suspects dénoncés, il sait se faire acheter son silence à bon prix. Seuls, ceux qui refusent de payer vont à la guillotine.
A partir de ce moment, c'est une lutte à mort qui s'engage entre les deux hommes.
Landrieux prend les devants en accusant Murat d'incivisme. Murat réplique ; apprenant que Landrieux a été inspecteur des relais de Monsieur, il le dénonce comme un suppôt des tyrans, le fait incarcérer à Abbeville et s'offre naturellement pour prendre sa place de chef de brigade. Mais les dénonciations de Landrieux ont porté leurs fruits, elles aussi ; c'est un autre qui obtient la place convoitée.
Survient Thermidor, Landrieux toujours opportuniste, se révèle un modéré et dénonce à nouveau Murat. Cette fois comme terroriste. Il n'est plus question maintenant de le rattacher aux Murat d'Auvergne ; son ennemi se contente de lui faire remarquer qu'il a changé son nom en celui de Marat. En voilà assez. Le futur beau-frère de Napoléon Ier est jeté en prison à Amiens où il devient le voisin de geôle de Landrieux.
Cette histoire eût pu briser sa carrière si mal commencée au milieu des "hussards braconniers". Il s'en tira cependant, ainsi que son rival, qui dut servir le Directoire, puis Napoléon, avec autant de ferveur que le comte de Provence, puis Robespierre.
Devenu maréchal de France, grand-duc de Berg et de Clèves. Murat n'avait ni oublié ni pardonné. Quand on lui parlait de Landrieux, il voyait rouge :
"Dites-lui bien que s'il bouge sur mon compte, je l'écrase !" Mais l'autre se le tint pour dit.
Georges Mongredien
Les nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques - 30 mars 1935.