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La Maraîchine Normande
17 février 2024

JEAN-PIERRE BOUTILLIER dit POULAILLER dit CHEVALIER dit DESMAISONS, UN BRIGAND AU TEMPS DE LOUIS XVI

 

poulailler portrait journal détective 18 mars 1937 zzz

 

Vers 1732, le bruit se répandit tout-à-coup qu'un chef de voleurs, audacieux et redoutable, venait d'apparaître à Paris. Son nom, en dépit de ses crimes répétés, n'était pas connu. Il s'attaquait sans vergogne à toutes les classes de la société de l'époque. Et bientôt toutes les forces de la police furent dirigées contre ce bandit fantôme dont tout le monde parlait et que personne n'avait jamais vu.

 

De guerre lasse, le lieutenant général de police mit à prix la tête du brigand insaisissable.

 

Ce nom de Poulailler, c'était le bandit lui-même qui se le donnait. Il avait écrit au lieutenant de police une lettre insolente, à laquelle il avait donné un lugubre cachet d'authenticité : il avait joint, au message, l'oreille d'un agent tué deux jours plus tôt par un des hommes de sa bande !

 

"Tout ce que je peux vous dire, écrivait le bandit, c'est que l'on m'appelle Poulailler depuis toujours. Ça doit être mon nom. Je suis né en Bretagne. Je suis le fils unique d'un père à qui un sorcier avait prédit que son premier enfant appartiendrait au diable. A dix ans, je fus embarqué comme mousse. A douze, je me sauvai en Angleterre, après avoir volé mon capitaine. Les Anglais voulurent m'arrêter, m'accusant bientôt d'être une canaille. Je m'enfuis sur un bateau et je débarquai au Portugal. Je m'associai avec des Bohémiens. Je fus escamoteur, danseur de corde, diseur de bonne aventure. Je jouai la comédie, je vendis de l'orviétan, j'entrai enfin dans l'armée de mon pays. Une vivandière m'inspira mon premier amour. Mais le sergent-major de ma compagnie se montra si jaloux que je dus le tuer. Je fus condamné à mort. Mais je me suis évadé et l'homme que vous avez condamné à mort condamne aujourd'hui tout le monde à le faire vivre."

 

Poulailler avait toutes les audaces. Grand, les yeux noirs, doué d'une dentition magnifique, quelque peu instruit, il n'avait aucun mal à se grimer et à se faire passer pour élégant gentilhomme.

 

Ce brigand ne reculait devant aucune des horribles conséquences de sa "profession". En 1760, on portait à plus de cent cinquante le nombre des personnes tuées ou assommées par sa bande et par lui. Pourquoi aucun des siens ne s'avise-t-il jamais de le dénoncer ?

 

Tout d'abord, Poulailler, après un mauvais coup, partageait loyalement le butin avec ses complices et disparaissait. Même son lieutenant ignorait son repaire. Et puis le bandit savait faire taire les imprudents. Un de ses hommes l'ayant trahi, il le fit prendre et placer dans l'angle de deux murs, debout et garrotté, puis il fit construire, devant le délateur un troisième mur "de manière à lui enlever l'air et le jour". Et sur le plâtre frais, il grava lui-même et signa la sentence et l'épitaphe du misérable qu'on avait muré vif.

 

En vain, le lieutenant-général de police renouvelait-il ses agents, qu'il accusait d'être tous des "fripons ou des imbéciles". En vain augmentait-on chaque jour la prime offerte à celui qui ferait capturer Poulailler. Cette somme, un beau matin, atteignit trente mille livres.

 

 

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LES DERNIERS MÉFAITS DE POULAILLER

 

Le 20 octobre 1785, sur les quatre heures du matin, un individu à peine vêtu frappait à coups redoublés aux volets d'une maison de Brie-Comte-Robert habitée par le commandant de la maréchaussée du lieu, le sieur Jean-François Andrieux. Celui-ci, réveillé en sursaut, venait ouvrir et reconnaissait un nommé Ragan, aubergiste du Cadran Bleu près la route de Paris, qui lui déclarait, encore tout ému, avoir été victime, durant la nuit, d'un vol singulièrement audacieux. "Étant couché dans son lit avec sa femme, on lui avait pris sa culotte sous sa tête ; dans laquelle il y avait un écu de six livres et une pièce de douze sols, et on avoit aussy pris les pouches (tablier) de sa femme dans lesquelles il pouvoit y avoir environ quinze livres, et aussi sa montre d'argent qui étoit accrochée à son lit." Après quoi les voleurs s'étaient retirés par la porte de la cuisine dont ils avaient pris soin de condamner extérieurement le loquet avec des coins de bois pour que Ragan, s'il venait à s'éveiller, ne pût les poursuivre ; ils étaient résolument montés au premier étage et avaient pénétré dans une chambre où reposaient, en des lits voisins, deux voyageurs, les sieurs Bernard, ancien aubergiste, et Henri Bellier, marchand de Paris. Sans troubler en rien le sommeil des dormeurs, les cambrioleurs avaient réussi à ouvrir, par d'habiles pesées, les portes d'une grande armoire qui se trouvait entre les deux lits. Ils avaient alors fait tranquillement un choix des objets à leur convenance, puis étaient enfin partis, chargés d'un volumineux butin. Ayant franchi le mur de la cour à l'aide d'une échelle, ils avaient gagné la campagne avant que personne se fût aperçu de leur passage.

 

Et, mélancoliquement, le malheureux hôtelier d'énumérer à l'officier les nombreux objets disparus de son armoire : "Une somme de trente louis d'or, un gobelet d'argent, des boucles de femme aussi d'argent, un habit complet de drap bleu de ciel, une redingote carmélite, une robe de taffetas fond mordoré à petites rayures blanches avec un caracot pareil, un déshabillé d'indienne rose, doublé de blanc et quantité d'autres vêtements et linge de corps ..."

 

A peine le commandant Andrieux a-t-il eu le temps de recueillir les premières informations sur le vol Ragan qu'il est avisé d'un cambriolage analogue, commis trois jours après, dans la nuit du 23 octobre, à Boissy-Saint-Léger : des inconnus se sont introduits par escalade dans la cour de l'auberge de Saint-Nicolas, tenue par le sieur Richard ; un cabriolet et une charrette couverte, chargée d'un grand coffre et de nombreux paquets, y étaient garés : les voleurs se sont emparés du coffre, ils l'ont traîné jusqu'au milieu du jardin, puis fracturé à l'aide d'un levier de fer, dérobant tout un trousseau de linge fin et plusieurs riches vêtements qui y étaient contenus. Mais la difficulté consistait à emporter une aussi lourde charge ; les brigands ont donc eu l'idée d'utiliser le cabriolet que le hasard mettait à leur portée.

 

Sortir un cheval de l'écurie, l'atteler à la voiture, placer dans celle-ci les objets dérobés, ouvrir la grande porte de la rue et partir sans éveiller personne, leur parut un jeu d'enfant ; ils exécutèrent tout ce programme sans le moindre accroc et avec une incroyable subtilité.

 

Ce n'est qu'au matin, lorsqu'il descendit pour panser ses chevaux, qu'Hippolyte Morlet, le propriétaire de la grande voiture, découvrit le vol et donna l'alarme. Mais les brigands étaient déjà hors d'atteinte.

 

Dix jours plus tard, sans s'inquiéter aucunement des recherches de la maréchaussée, nos voleurs réussissent un troisième exploit. Cette fois leur victime est un cabaretier, Étienne Coradin, tenant débit au village des Bordes-lès-Corbeil, paroisse d'Essonnes. Il vient, lui aussi, déposer qu'étant couché au premier étage il crut entendre, vers une heure du matin, un certain mouvement dans la salle d'en bas, mais qu'il n'y prit point garde pensant que c'était quelque voiture qui passait sur la route. En descendant avec sa femme à cinq heures et demie, il a trouvé le contre-vent de sa cuisine grand ouvert et tous ses meubles fracturés. On lui a pris quinze livres en monnaie grise, trente livres de salé, les voleurs ayant laissé sur place le saloir vide, un pot de grès plein de graisse qui en contenait bien pour douze livres, un bocal de tabac râpé (environ quatre livres) et un fusil à deux coups.

 

 

L'ARRESTATION

 

Ces trois vols successifs, opérés de la même façon et commis en moins de quinze jours dans la même région, ne décelaient que trop clairement la présence dans le pays de Corbeil d'une troupe de bandits aussi dangereux qu'adroits.

 

Les aubergistes et cabaretiers d'abord, puis tous les commerçants dont le logis est du fait de leur profession ouvert au public, enfin tous les habitants, indistinctement, vécurent dans l'émotion de recevoir, une nuit ou l'autre, la visite de la mystérieuse et redoutable bande. On ne voyageait, après le soleil couché, que le pistolet au poing, et l'on ne dormait que d'un oeil, même derrière des portes bien verrouillées.

 

La crainte devint presque de la terreur lorsqu'on apprit, au matin du 10 novembre, que le sieur Hardouin, honnête bourgeois, demeurant au village de Quincy, près Brie-Comte-Robert, sur la lisière de la forêt de Sénart, venait d'être à son tour victime d'un quatrième coup de main des brigands. Suivant leur méthode ordinaire, ceux-ci l'avaient sans doute préparé, se renseignant exactement par avance sur les habitudes des hôtes et sur la disposition des lieux. S'étant introduits dans la salle basse en fracturant une fenêtre, n'avaient-ils pas pris la précaution d'enfermer tout d'abord le cuisinier du sieur Hardouin dans la cuisine où ils le savaient couché ? Ils étaient ensuite montés dans les chambres, et, y ayant dérobé quantité de linge et de vêtements, étaient redescendus sans bruit, puis avaient pris tranquillement la clef des champs avec leurs ballots, en escaladant le mur de clôture. Aucun indice, cette fois non plus, semblait-il, qui pût orienter la maréchaussée dans la recherche des coupables.

 

Mais Hardouin n'était pas homme à s'en remettre entièrement à la justice du soin de ses voleurs. Dès le matin, sitôt le cambriolage découvert, il avait personnellement fait procéder à une première enquête aux environs de Quincy. Et le soir du même jour, 11 novembre, un exprès apportait de sa part au brigadier Picard de Fontenelle une lettre fort civile contenant de précieuses indications : un voiturier de Saint-Germain-lès-Corbeil, le sieur Mangeot, avait rencontré la veille du vol, vers cinq heures du soir, sur la grand'route, une petite voiture à couverture verdâtre traînée par deux chevaux, l'un rougeâtre et l'autre blanc, se dirigeant vers Quincy. Et le lendemain, à cinq heures du matin, Mangeot, accompagné cette fois du voiturier Belloy, avait à nouveau rencontré la même voiture, attelée des deux mêmes chevaux, revenant dans la direction inverse ; elle contenait deux voyageurs et un chien. Il était donc vraisemblable que ces deux inconnus avaient passé la nuit à Quincy. Ne seraient-ce pas les auteurs du vol, écrit Hardouin, qui ajoute poliment : "Je n'ai pas l'honneur, Monsieur, d'être connu de vous ; je me flatte que vous voudrez bien concourir à me faire retrouver ce vol ; c'est une justice, mais cela ne diminuera pas ma reconnaissance. J'aurais été vous demander cette grâce, mais ces voleurs m'ont emporté jusqu'à ma garde-robe. J'aurais prié beaucoup de personnes de votre ville, M. Girardot, M. Decourville, M. Papelin et autres de vous recommander cette affaire. Ils ont emporté trois ou quatre paires d'habits ..." On le voit, le malheureux Hardouin, encore sous le coup de l'alerte de la nuit, embrouille son discours, revenant malgré lui à l'objet qui lui tient à coeur. Il se répète : "J'aurai toujours l'honneur de vous aller faire mes remerciements le plus tôt que je pourrai ; j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Hardouin.

 

"Aussitôt cette lettre reçue, le soir même, le brigadier Picard va recueillir de la bouche des voituriers Mangeot et Belloy confirmation des détails que lui fournissait le plaignant. Puis, dès le lendemain matin, il se met en campagne. Ses recherches vers la lisière de la forêt de Sénart n'aboutissant à la découverte d'aucune piste, il fait volte-face, se dirigeant vers Tigery. Et bientôt, il est assez heureux pour remarquer "dans une terre labourée, la trace d'une voiture qui lui paraît assez fraîche" ; il observe même que l'un des deux chevaux qui traînaient ladite voiture avait "trois cloux neufs sous le pied hors-le-montoir" et qu'un chien accompagnait l'attelage. Mais, en arrivant à la grand'route, toute empreinte de roues et de pas disparaît ... Picard, assez dépité, s'arrête à Tigery avec ses hommes ; il ne se décourage pas pourtant, et bien lui en prend ; à force d'interroger l'un et l'autre, il apprend que le matin même la voiture fantôme a été aperçue filant à toute allure sur la route de Saint-Germain. Dès le lendemain, un dimanche pourtant, le brigadier continue donc ses recherches dans la direction indiquée. Il enquête d'abord à Essonnes où les voleurs ont peut-être passé la nuit. N'ayant pu recueillir aucun renseignement dans les diverses auberges d'Essonnes, les gendarmes vont poursuivre leur route, lorsque l'idée vient à quelqu'un que "le particulier établi depuis un mois seulement dans le pays comme marchand de chevaux pourrait bien être l'homme qu'ils recherchent." Picard a bientôt fait d'imaginer un prétexte pour pénétrer dans la maison suspect : il frappe à la grand'porte de la cour. Un homme lui ouvre, dans les quarante-cinq ans, de taille moyenne, le visage pâle, répondant bien au signalement fourni par Mangeot de l'un des mystérieux voyageurs. "Je viens, explique Picard, examiner vos chevaux, car on vous a dénoncé comme ayant des animaux malades de la morve." Aucune excuse n'est possible et le brigadier, introduit dans l'écurie, reconnaît aussitôt les deux chevaux, l'un blanc et l'autre rouge, que lui ont dépeints les témoins. Le rusé gendarme constate même, à la dérobée, que le cheval blanc porte bien au pied hors-montoir trois clous neufs. Enfin, le chien de la maison reconnaissable à son poil grisâtre et à son large collier de fer, et la voiture à couverture verte se trouve remisée dans un coin de la cour.

 

Édifié sur l'identité de son voleur, Picard de Fontenelle se retire afin d'aller chercher tous ses hommes pour opérer l'arrestation. Mais le pseudo-marchand, inquiet des suites de cette première visite policière, s'éloigne en toute hâte, et quand le brigadier revient accompagné de ses gens, il ne le trouve plus. Cependant deux gendarmes se mettent à sa poursuite et l'arrêtent une heure après sur la grand'route de Paris.

 

Entre temps, la maison a été investie et tous ses habitants arrêtés. Le prisonnier, pressé de questions, a donné son nom : Jean Chevalier, natif de Paris, paroisse Sainte-Marguerite, ci-devant demeurant aux Nouveaux-Convertis, rue de Seine, et récemment venu s'établir marchand de chevaux à Essonnes. Les autres personnes arrêtées sont : Jeanne Gauthier, qui se dit femme de Chevalier, Sauvage, domestique de Chevalier, Claudine Masselot, femme Sauvage, enfin Marie-Antoine Delorme, une jeune servante.

 

Tout ce monde, étroitement surveillé par l'heureux brigadier Picard.

 

 

L'INSTRUCTION.

 

Un rapide examen du logis de Chevalier avait permis d'y retrouver un peu partout des objets provenant des vols Ragan, Morlet et Hardouin, en sorte que la culpabilité des prisonniers était déjà certaine. Ravi de cette importante capture, maître Jehan-Baptiste Robert de Courville, lieutenant-criminel pour le roi au bailliage de Corbeil, ne voulut pas différer d'un jour le premier interrogatoire. Marie-Antoine Delorme comparaît la première, c'est une timide enfant de dix-huit ans, toute en larmes. Elle explique comment Sauvage, domestique de Chevalier, offrit un jour à son père, jardinier à Quincy, de la placer en service chez son patron. Elle y entra vers la Toussaint dernière ; son emploi était de servir au ménage, balayer, laver la vaisselle, aller chercher de l'eau, et dans la journée de garder les dindons et les canards. Elle ignore tout ce qui pouvait se passer dans la maison, ne s'étant jamais occupée que de son ouvrage.

 

Après cette jeune fille, qui paraît bien être innocente, le juge appelle Jeanne Gauthier. Celle-ci, âgée de vingt-six ans, reconnaît sans peine qu'elle est depuis sept mois la concubine de Chevalier. Elle raconte, de la meilleure grâce du monde, les débuts de cette liaison. Née à Nancy, en Lorraine, elle habitait à Paris, ouvrière en linge, rue Galande, en la maison des sieurs Grandjean, oculistes. Elle fréquentait chez les époux Viardot, ses voisins, dont le mari exerçait la profession de cordonnier, et c'est chez eux que Chevalier, alors cordonnier, lui aussi, la rencontra et en devint éperdument amoureux.

 

Un soir, il y avait quinze jours qu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois, Chevalier l'invita à souper en compagnie des Viardot. C'est chez ces derniers qu'eut lieu la fête.

 

"Et après soupé, se disposant à rentrer chez elle, lesdits Viardot et sa femme ont fermé la porte de leur chambre à la clef et ont dit à la répondante qu'il falloit qu'elle couchât avec eux et ledit Chevalier. La répondante ayant voulu absolument s'en aller, lesdits Viardot et sa femme et ledit Chevalier à leurs instigations, se sont saisis d'elle, l'ont déshabillée avec violence et l'ont mise dans le lit desdits Viardot. Ceux-ci s'y sont mis aussi, ainsi que ledit Chevalier, et ils y sont restés tous quatre jusqu'au matin ..." Depuis ce temps, qui était dans le courant de janvier dernier, elle a été demeurer avec Chevalier dans un logement qu'ils louèrent chez le sieur Chéron, marchand de vins, rue Galande. La Gauthier prétend au reste ignorer les vols reprochés à Chevalier et ne pouvoir donner aucun renseignement sur ce qu'il faisait pendant ses absences du logis.

 

Chevalier comparaît à son tour. Il nie avec énergie être l'auteur du moindre vol et s'efforce vainement d'expliquer la présence à son domicile des nombreux objets déjà reconnus pour avoir été récemment dérobés. Interrogé sur son passé, il raconte que, s'il a quitté Paris pour venir s'installer à Essonnes, c'est à la suite d'une fâcheuse affaire de chevaux vendus avec fausse garantie au comte du Barry. Il s'agit sans doute du fameux roué qui avait fait de sa maîtresse, Jeanne Bécu, à la fois la femme de son frère Guillaume, et la favorite du feu roi Louis XV.

 

Un interrogatoire sommaire de Sauvage et de sa femme, se disant tous deux domestiques de Chevalier, termina cette première séance.

 

L'information fut activement continuée les jours suivants. L'enquête menée à Paris ne tarda pas à révéler des faits nouveaux qui amenèrent l'arrestation d'un sixième personnage. En quittant, pour venir habiter Essonnes, Paris où il avait successivement été cordonnier, marchand de vins, brocanteur et maquignon, Chevalier y avait conservé sous le nom de sa femme une chambre, rue de la Parcheminerie ; mais il y avait encore un autre lieu de recel, le logement d'un certain Martin Droguet, écrivain public, avec lequel il était demeuré en relations constantes depuis son départ. Droguet, arrêté dès le 19 novembre, à la suite d'une perquisition fructueuse effectuée à son domicile, rejoignit aussitôt la bande Chevalier dans les prisons de Corbeil. Ce jeune homme très différent de ses coaccusés, assez instruit, pourvu d'une situation, aisé sans être riche, mérite quelque sympathie. Il fut victime de sa passion pour la jolie Jeanne Gauthier. Étant un jour allé chercher son linge, expose-t-il, chez sa blanchisseuse, la femme Viardot, il vit la maîtresse de Chevalier, et en devint follement épris. Pour l'approcher, il eut la faiblesse de rechercher la société du voleur, et Chevalier, voyant tout le parti qu'il pourrait tirer du sentimental jeune homme, répondit à ses avances avec empressement. Même, au bout de quelques jours, il le traitait en vieille connaissance, lui empruntant la bagatelle de mille francs. Le naïf Droguet, introduit par sa nouvelle maîtresse dans la chambre de la rue de la Parcheminerie, était devenu à son insu le complice et le receleur de la bande. Chevalier lui confiait souvent de volumineux paquets bien ficelés, qu'il se gardait discrètement d'ouvrir et hospitalisait innocemment. Droguet ne pensait qu'à ses visites à Essonnes, elles étaient fréquentes, et à l'aubaine, quand le maître s'absentait toute une nuit pour une grande expédition, de demeurer joyeusement jusqu'au petit jour dans la galante compagnie de la Gauthier.

 

Au moment où l'enquête allait être close, une dernière découverte sensationnelle vint encore retarder le prononcé du jugement : il y avait identité certaine entre Chevalier et le nommé Desmaisons jadis inculpé pour vol à Meaux et évadé des prisons de cette ville le 2 juin 1784, sans qu'on eût jamais pu retrouver sa trace. Et, de ce fait, la culpabilité de l'accusé s'aggravait singulièrement.

 

En 1780, une première fois, Desmaisons avait été arrêté à Montereau pour avoir volé deux chevaux ; incarcéré à Guermantes, il s'était évadé la nuit même par le jardin du curé de ce village ; un de ses complices, le berger Sauvage, s'était également enfui, tandis que le troisième larron, Didier, avait été condamné à neuf ans de galères. Desmaisons et Sauvage avaient dès lors poursuivi, non sans succès, pendant deux ans, la série de leurs vols.

 

De nouveau, en 1782, Desmaisons avait été arrêté et incarcéré, cette fois, à Meaux. Son procès allait être jugé lorsqu'il s'était encore évadé le 2 juin 1784. Venu se cacher à Paris sous le nom de Chevalier, il avait renoncé pour quelque temps à voler ouvertement, y vivant pourtant de métiers assez louches. Puis, le goût de son ancienne profession l'ayant repris, il avait successivement élu pour centres de ses opérations Vincennes, et Essonnes où nous l'avons retrouvé.

 

 

LA CONDAMNATION

 

L'identification du Chevalier de Corbeil avec le Desmaisons de Meaux donnait lieu à un conflit de compétence judiciaire entre les deux sièges. Le litige fut porté devant le Parlement de Paris, qui, après de longs débats, trancha la difficulté en évoquant les deux affaires conjointes au Châtelet.

 

Le procès de Chevalier, jugé de la sorte dans la capitale, en acquit un retentissement inattendu. Ce n'était pourtant, on l'a vu, qu'un adroit voleur de chevaux, de poules et de lapins, un détrousseur exercé de garde-robes et de garde-mangers, qui n'allait pas à la cheville d'un Cartouche, d'un Mandrin ou d'un Derues ; pas le moindre meurtre, pas le plus petit empoisonnement à relever à son actif !

 

Seulement une dizaine de crimes sont retenus contre lui, et il s’agit de vols nocturnes sans violence.

 

 

droguet

 

 

La curiosité du public se contenta de sa double évasion, de la galante aventure de la Gauthier avec le sentimental écrivain public qu'était Martin Droguet : on avait eu peur un peu de ce hardi brigand ; on lui savait quelque gré, maintenant qu'il était sous les verrous, d'avoir nargué la justice pendant plus de cinq ans ; enfin, outre les deux noms sous lesquels nous le connaissons, et qu'il avait pris, car il s'appelait réellement Boutillier, il jouissait de l'aimable sobriquet de "Poulailler", et ceci contribua sans doute encore à le rendre intéressant.

 

Marchands d'estampes et rimeurs de complaintes ne se firent point faute d'exploiter cette popularité, imaginant de pied en cap un Poulailler terrifiant, armé jusqu'aux dents, haches et pistolets à la ceinture, à la main un fusil, ou une massue qu'un homme ordinaire eût à peine pu soulever, brigand sinistre dont les mères eurent loisir de faire peur, comme de la Barbe-Bleue, aux enfants méchants :

 

"Du Haut en Bas
Je vous dévalise mon homme,
Du Haut en Bas,
Et s'il raisonne, je lui casse un bras,
Ne remue pas ou je t'assomme.
Poulailler ne ménage personne
Du Haut en Bas."

 

Et les images coloriées s'enlèvent en masse, rue Saint-Jacques et rue des Mathurins, aux étalages de Basset et des Campions, représentant le criminel, accoutré de toutes façons, sa maîtresse Jeanne Gauthier, le berger Sauvage, le jeune et amoureux Droguet, et tous les autres. L'illustration de ce procès est en quelque sorte plus riche et plus intéressante que ce procès lui-même, en dépit de quatre cartons bourrés de procédure que conservent les Archives Nationales. Il n'y manque rien, portraits en pied et en buste des accusés, croquis d'audience, tableau final : "Triomphe de Poulailler", le condamné amené dans la charrette au lieu de son supplice. Car le 26 mai 1786 le Châtelet rendit sa sentence, conforme aux lois rigoureuses alors en vigueur, contre Jean-Pierre Boutillier, dit Chevalier, dit Desmaisons, âgé de 38 ans, bien qu'il en parût 45, coupables de plus de quinze vols qualifiés.

 

Bien gardé cette fois, il échoua dans ses nouvelles tentatives d'évasion.

 

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Il le condamnait "pour réparation, à être pendu et estranglé jusqu'à ce que mort s'ensuive par l'exécution de la haute justice à un poteau qui pour cet effet sera planté dans la place de la Porte Sainct Antoine, ledict Chevalier préalablement appliqué à la question ordinaire et extraordinaire pour avoir par sa bouche la révélation de ses complices ..."

 

Mais sur la sellette, appliqué à la question, il avoua sept cent soixante crimes, dont près de deux cents meurtres, le tout commis en cinquante années de vols, de rapines et de brigandages.

 

L'arrêt donnait sursis à l'égard des autres accusés, jusqu'après l'exécution de Chevalier. Celui-ci, comme il était d'usage, fit bien appel ; mais la Cour de Parlement rendit le 30 juin un arrêt de rejet, confirmant purement et simplement la sentence de mort. Et l'exécution eut lieu, dans les formes prescrites, le 3 juillet 1786.

 

"On comparoit ce Poulaillier au fameux Cartouche, pour l’intelligence, l’esprit et la finesse. On assuroit même que nombre de personnes de distinction s’empressoient par curiosité de se transporter au Châtelet, pour s’y faire ouvrir sa prison, le contempler à loisir et s’entretenir avec lui." (Siméon Prosper Hardy, Mes Loisirs, 22 mars 1786.)

 

 

F.-L. BRUEL, et M. FOUCAULT - Magazine Historia du 5 avril 1911

Magazine Détective du jeudi 18 mars 1937

Crimino Corpus :  Procès conduit par la Tournelle criminelle du Parlement de Paris contre Jean Chevalier, dit Poulailler, pour vols de grand chemin.

 

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