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La Maraîchine Normande
7 août 2017

CHÉNÉRAILLES (23) - L'ÉGLISE ET LE TOMBEAU DE SON FONDATEUR, BARTHÉLÉMY DE LA PLACE

 

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L'église de Chénérailles (Creuse) forme un carré long partagé en quatre travées sans piliers. La porte, ouverte latéralement au nord, est décorée, selon l'usage de l'architecture limousine, de voussures concentriques en retraite, supportées par de minces colonnettes coiffées de chapiteaux à crochets. Les nervures fines et légères de la voûte s'appuient sur des consoles à fûts grêles et tronqués. Chaque travée est percée d'une longue et étroite fenêtre plein-cintrée. Tous ces caractères bien positifs accusent, en Limousin, la seconde moitié du XIIIe siècle. Notons aussi que l'église est sous l'invocation de saint Barthélémy ; on va apprécier l'importance de ces renseignements.

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Le tombeau est engagé dans la troisième travée du mur méridional, à deux mètres environ du pavé. Il est taillé dans un seul bloc de calcaire. Un cadre d'architecture embrasse les personnages, hauts, en moyenne, de quinze à vingt centimètres. Entièrement détachés du fond, ils se distribuent, au nombre de vingt-sept, en trois scènes superposées. Nous suivons l'ordre logique en commençant par le haut relief inférieur.

 

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Un prêtre, revêtu de ses ornements sacerdotaux, est couché sur un lit funéraire que décorent des arcades trilobées. Les mains sont jointes sur la poitrine. Sa tête sereine, mais endormie par la mort, repose sur un riche coussin. L'absoute, qui clôt la cérémonie des funérailles, vient de finir. Un clerc vient d'adresser comme un dernier adieu dans le chant du REQUIESCAT IN PACE. L'assistance entière, prêtres et parents, défile pour jeter, sur ce corps gardé par la religion, l'eau qui purifie. Selon l'ordre du rituel, l'officiant, vêtu de l'amict, de l'aube et de l'étole, marche en tête du funèbre cortège. Précédé par le sous-diacre portant la croix et le bénitier, il va tremper dans ce bénitier un aspersoir formé d'une petite gerbe d'épis. L'attitude du célébrant est grave ; sa douleur est contenue, comme il convient à l'homme qui a mission de prier sur les tombeaux et de consoler les survivants. Plus jeune, moins mûri par l'expérience de la douleur, le diacre qui le suit laisse lire sur ses traits une affliction plus vive. La tête s'incline, comme si elle succombait sous le poids de son émotion. Deux jeunes clercs, faisant fonctions d'acolythes et portant des chandeliers, les suivent. Ils se détournent pour regarder le mort ; mais leur physionomie trahit moins l'attendrissement qu'une naïve curiosité. Enfants encore, ils sont plus étonnés qu'émus à la vue de ce spectacle lugubre. Entre eux marchent deux femmes, probablement les soeurs du défunt. Vêtues avec la simplicité du deuil, le visage enveloppé par une sorte de guimpe, elles joignent douloureusement les mains et se retournent avec angoisse pour donner un dernier regard à celui que la tombe va désormais leur cacher. Enfin, aux pieds du défunt et comme appuyés l'un sur l'autre, un homme et une femme semblent étrangers à tout ce qui se passe à l'entour ; ils paraissent ne lire que dans leur coeur. L'homme, vêtu d'une robe que recouvre un manteau à capuchon, laisse tomber sa tête sur sa main droite. Sa main gauche, cachée sous son manteau, semble presser son coeur comme pour en contenir les battements. Les mots nous manquent pour louer convenablement la grâce exquise, la variété d'expressions, la finesse de sentiments qui respirent sur toutes ces petites figures. Les hommes impartiaux reconnaîtront l'art ingénieux avec lequel est composée cette scène si difficile à rendre. Les draperies sont jetées avec une simplicité pleine de vérité, d'élégance et de goût. On notera la forme du bénitier, du goupillon, des vêtements sacerdotaux. Le défunt est couvert d'une longue et souple chasuble ronde, relevée sur les cotés pour livrer passage aux mains. L'étole et le manipule, longs et étroits, et le collet de la chasuble sont semés de quatre feuilles ou de trèfles lancéolés. Tous ces détails si imperceptibles sont finement exécutés.

Au-dessus de cette scène, un gracieux petit ange déroule une large banderole sur laquelle on lit, en caractères du XIIIe siècle et sculpté en relief :
+ HIC : JACET : DOMINUS : BARTHOLOMEVS : DE PLATHEA : PRESBITER :

L'inscription se termine, dans la partie inférieure, par ces mots (disposés sur trois lignes, comme la précédente, mais avec des blancs) qui nous font connaître la date du décès du défunt et l'âge du monument :
QVI : OBIIT : DIE : FEST. (i) V.M : (Virginis Mariae) ANNO : DNI : MCCC :


Un fait curieux ressort de cette inscription si simple. L'église de Saint-Barthélémy de Chénérailles est un peu antérieure au décès de Barthélémy de La Place, arrivé en 1300 ; elle a le même patron.


Ne sommes-nous pas fondés à conclure qu'il en fut le fondateur ? Nous allons trouver la preuve de ce fait curieux dans le haut-relief suivant.

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Onze figures y sont distribuées dans une composition pyramidale. La sainte Vierge en occupe le sommet. Vêtue d'une ample draperie, couronnée comme une reine, elle tient sur son bras gauche l'enfant Jésus qui la caresse et lui sourit. Un dais ouvragé abrite sa tête. Elle est debout sur un petit édifice percé d'une porte gothique. Nous y retrouvons, en miniature, les moulures, les colonnettes, toute l'ornementation de la porte de l'église de Chénérailles. Une inscription ne permet pas d'en douter ; on y lit, en caractères remplis d'une pâte bleue et rouge : PORTALI DE GANALICIS. Dix marches conduisent à ce trône original. S. Martial (s : MARCIAL), vêtu d'un pluvial ou chape à capuchon, coiffé d'une mitre ornée, les gravit en agitant un encensoir. De l'autre côté, un petit ange tient un flambeau. Le martyre de S. Cyr et de Ste Julitte, sa mère (s : CIRIC : ET : s : IVLITA : MATER : EI), occupe la droite de la sainte Vierge. Remarquons, en passant, que le fait figuré ici diffère notablement du récit de la légende. Les mains gantées, vêtu d'une armure de mailles que recouvre en partie un surcot, et coiffé d'un casque simple, un bourreau vient de frapper saint Cyr. La tête est détachée du tronc. Sur ce jeune et gracieux visage, le froid de la mort lutte avec le calme de la céleste béatitude. Le corps s'affaisse sur lui-même ; déjà les mains, naguère élevées, viennent de retomber vers la terre. Sainte Julitte, sa mère, attend le coup fatal dont va la frapper la longue épée d'un bourreau. Agenouillée, les mains jointes pour une dernière prière, pleine de calme, elle recule instinctivement sous le fer par un mouvement insensible. Dieu accueille ce double sacrifice, et sa main montre le ciel aux martyrs. Ce n'est pas en vain que coule ce sang précieux. Il est destiné à purifier le prêtre dont l'âme, rajeunie par l'immortalité, est présentée à Jésus porté par Marie. Agenouillé dans ce séjour de gloire, le défunt Barthélémy de La Place lève vers son juge un regard plein de confiance. Il s'abrite sous les vêtements de son sacerdoce, son meilleur titre à l'indulgence et au pardon. A sa droite, saint Barthélémy (s. BARTHOLOMEVS :), son patron, auquel il a consacré une église, le présente à Jésus et pose sur sa tête une main bienveillante et protectrice. Saint Aignan (s : ANIANVS :), évêque, placé derrière, lui assure, par un geste éloquent, un appui semblable. Comment pourrait-il trembler ? Le piédestal qui sert d'escabeau à Marie est formé de l'église même que Barthélémy de La Place éleva à son saint patron. Saint Martial, apôtre du diocèse de Limoges, en a gravi les marches. Une Enfance divine tend à Barthélémy de La Place une main fraternelle et lui sourit entre les bras d'une Mère couronnée. Dieu lui-même ratifie sa prière. La main divine sort d'un cadre de feuillages et le bénit. Habitué à symboliser la grandeur morale par la grandeur physique, le sculpteur du XIIIe siècle a donné à la Vierge une stature de beaucoup supérieure à celle des autres personnages.

Tous, bourreaux et saints, nous offrent, dans leur élégance exquise, les costumes civils, militaires et religieux du XIIIe siècle. Les souples cottes de mailles, les mitres basses et légères, les chasubles et chapes, de tous ces petits personnages, sont à étudier par notre époque qui a perdu le sentiment de l'élégance alliée à la simplicité.

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Deux consoles ornées de feuillage supportent un troisième relief. Jésus-Christ est attaché à la croix entre la sainte Vierge et saint Jean. La douleur de ces deux compagnons de la Passion contraste avec la douceur ineffable du demi-sourire de l'Homme-Dieu. Il accueille par ce tendre regard un soldat coiffé d'un casque et dont une main mutilée semblait porter un bouclier. De l'autre côté, un personnage à ample vêtement implore à genoux le Sauveur. Ils représentent le centurion Longin, qui perça le côté de J.-C. avec sa lance, et l'un des Juifs qui ouvrit son intelligence, comme l'aveugle Longin ses yeux, pour reconnaître le Sauveur et proclamer sa divinité. En faisant d'autres conjectures, on pourrait croire que B. de La Place, avant de se consacrer à Dieu, a combattu du glaive et de la lance dans un ordre militaire. Le soldat, ce serait lui ; ils se recommanderait au Dieu dont le sang a lavé les iniquités des hommes, de même que, prêtre, il se mettait naguère sous la protection du Dieu incarné. Peut-être faudrait-il prendre notre description au rebours et interprêter ce sujet en commençant par le haut : B. de La Place consacrant ses armes à Dieu ; puis, embrassant le sacerdoce ; puis, mourant. Tel serait l'ordre suivi par le sculpteur. Nous ne savons ce que figuraient les deux appendices mutilés, placés sous les bras de la croix. Y faut-il voir deux ornements sans signification ? Le soleil et la lune qui accompagnent la crucifixion se figurent toujours au-dessus des bras de la croix.


Quoiqu'il en soit, la variété d'expressions rendues avec tant de bonheur en ce petit monument le recommande à ceux qui ignorent ou dédaignent la sculpture gothique. Il faut avoir la main heureuse, pour exprimer avec ce sentiment la douleur dans toutes ses nuances, les saintes joies du martyrs, la confiance de la prière, l'amour maternel et filial ...

Annales archéologiques par Adolphe N. Didron, Edouard Didron - Volume 9 - 1849

 

Les saints du tombeau :

SAINT BARTHÉLÉMY : Il est le saint patron des métiers en rapport avec le cuir : bouchers, tanneurs et relieurs. Par ailleurs, l'église de Chénérailles dépendait de l'église abbatiale de Saint-Barthélémy de Bénévent.

SAINT MARTIAL : D'après la légende, Saint Martial serait venu prêcher l'Évangile entre le IIIe et le IVème sièckle dans le Limousin gallo-romain. Il est considéré comme un des premiers missionnaires de la Gaule et comme le fondateur de l'église de Limoges.

SAINT CYR ET SAINTE JULITTE : Cyr et sa mère Julitte, tous deux chrétiens, ont été faits prisonniers lors de la persécution de Dioclétien, à la fin du IIIe siècle. Les bourreaux qui voulaient torturer l'enfant, se retrouvaient brûlés, ébouillantés ou encore flagellés, grâce à l'aide de Dieu. Le juge du palais, fou de rage, attrapa l'enfant par les pieds et lui brisa la tête contre les marches du tribunal. St Cyr est depuis considéré comme l'un des plus jeunes martyrs de la Chrétienté. (Informations trouvées sur place)

 

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