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La Maraîchine Normande
4 mars 2015

FONTENAY-LE-COMTE (85) - 1789 - DEUX LETTRES D'UN VENDÉEN

Fontenay-le-Comte

DEUX LETTRES D'UN VENDÉEN

M. Guiet, agent-voyer d'arrondissement à La Roche-sur-Yon, auquel on doit la découverte et la conservation de plusieurs monuments préhistoriques de notre département : grottes, souterrains-refuges, routes anciennes, et la confection, avec M. Biton, d'une carte fort curieuse sur les lieux-dits, s'intéresse tout particulièrement à tout ce qui touche à l'histoire de son pays. Il a trouvé, en cherchant dans les archives de la famille de Mme Guiet, deux lettres intéressantes et se rapportant à des faits déjà connus du commencement de l'époque de la Révolution en Vendée : elles donnent plusieurs détails très précis, d'abord sur les bruits, réels ou inexacts, qui couraient dans la province du Poitou, lors des premières décisions de l'Assemblée Nationale, et ensuite sur la première sédition qui éclata à Fontenay-le-Comte, en Bas-Poitou, et qui eut pour prétextes l'accaparement des grains et la mauvaise volonté des boulangers à propos de la fabrication du pain.


Ces deux lettres sont évidemment du même auteur, d'un habitant de Fontenay appartenant à l'administration, soit de l'Élection, soit du Corps de ville et s'intéressant à la chose publique : les termes de ces deux missives ne sont pas assez précis pour établir exactement l'identité de l'écrivain, qui n'osa signer, de peur de se "faire tort".
Elles sont également adressée à la même personne, à M. Commailleau, habitant Luçon en ce moment, chez M. Collardeau : il y faisait des études pour la prêtrise.


Quant aux dates, il est plus facile de les établir : la première est de la fin de juillet 1789, et la deuxième du 11 août de la même année, sans qu'il puisse s'élever le moindre doute à cet égard, comme nous le démontrons plus loin dans une note.


On était, à cette époque, très inquiet dans les provinces : il courait les bruits les plus alarmants sur les desseins de la Cour et du peuple remuant de la capitale. On répandait dans les campagnes la nouvelle d'une invasion prochaine de brigands qui viendraient piller leurs habitants et brûler leurs provisions. Aussi on s'intéressait énormément aux nouvelles, vraies ou fausses, qui arrivaient de Paris ; on les commentait, on les colportait de vive voix et par écrit ; et, comme à Fontenay on était mieux placé pour les recevoir promptement, c'est de ce point qu'on les voyait se répandre dans tous les bourgs et villages comme une traînée de poudre.


C'est cet état d'esprit qui inspira la première lettre que nous donnons ci-dessous : Un citoyen de Fontenay en informe un autre de Luçon de ce qu'il vient d'apprendre.

"A Monsieur, Monsieur Commailleau, chez M. Collardeau, à Luçon.

J'oubliais de te marquer les nouvelles très intéressantes et curieuses.

Premièrement, la Reine répond sur sa teste des malheurs qui peuvent arrivé à nos députés.
2° que quatre princes, les auteurs de tant de troubles, ont été obligés de sortir du Royaume pour se mettre en sûreté.

3° l'on a trouvé chez le commandant de la Bastille, à qui on a tranché la tête, dix-huit cens habillemens de gardes françoises, pour tromper le peuple et faire un horrible massacre à Paris.
4° que l'on avait miné dessous l'Assemblée Nationale pour engloutir nos député et disperser par ce moyen les États généraux.

5° que s'il y a quelqu'un, parmi mes anciens confrères, qui veullent prendre le parti des armes, ils faut qu'ils aillent en demander des leçons pour monter la garde, à Monseigneur l'évêque de Luçon (Marie-Isidore de Mercy), qui certainement lui apprendra ; voici l'histoire : Mr l'évêque de Luçon, allant de Versailles à Paris, fut arrêté par la populace, qui lui enleva son carosse pour faire traîner des cannons, et lui, on lui fit monter la garde, quoi que investi de son habit épiscopal ; l'un lui mit en main un fusil, l'autre lui donna un mauvais manteau, et le troisième lui fit un petit sersifi (sic) (probablement crucifix). Relevé de garde, il ne s'inquietta pas où étaient ses cheveaux avec sa voiture, il s'en fut comme un joli garçon, de Paris à Versailles à pieds.

6° qu'on avait repassé M. Irland de Bazauges (1) lieutenant général de Poitiers sur son tribunal, en donnant audience, pour avoir fait signe à un député noble qui était venu au Palais, de se retirer, qu'il n'était pas en sûreté

7° que le Roi a pris la cocarde du Tiers-État.

8° que l'alarme qu'on avait répandu dans notre contrée avait été général, que cela ne pouvait être occasionné que par des gentilshommes, qui avaient des correspondances avec des grands, qui ayant vu leur complot découvert, on écrit à tous les nobles de se retirer dans les villes pour se mettre en sûreté.

Voici ce qu'il y a de plus curieux. Ne nomme point l'auteur de la lettre parce que cela pourrait me faire tort. Je me rends à l'Assemblée faisant (fais en) part à M. Suc... (abrégé).

Tu diras à Comailleau ou à maman de m'envoyer ma culotte à la foire de Fontenay, je ... (illisible)."

Afin de mieux comprendre la deuxième lettre dont nous venons de parler, il est bon de résumer d'abord les faits qui se passèrent à Fontenay quelques jours avant, et dont il est fait ici le récit avec les moindres détails. Et pour cela nous ne pouvons mieux faire que de citer le passage que Benjamin Fillon a consacré à cet évènement, qui aurait pu, sans le sang-froid et l'activité des administrateurs, avoir des conséquences encore plus terribles.

"Dans la nuit du 9 au 10 août, éclate une émeute à Fontenay, à l'occasion de la cherté des grains. Des artisans, des journaliers et des femmes s'attroupent sur la place Blossac (carrefour du Mouton), armés de triques et de bâtons. L'émeute se rend ensuite dans la rue La Fontaine, assiège la maison du sénéchal Savary de Beauregard, en enfonce la porte, en brise les meubles et profère des menaces de mort contre ce magistrat, qui parvient à s'échapper par les toits. Un boulanger de la même rue, le sieur Reverseau, soi-disant complice des prétendus accaparements de blé du sénéchal, suit son exemple après avoir tué, d'un coup de fusil, un enfant nommé Chaigneau qui se trouvait dans la rue. Les compagnies du régiment Royal-Lorraine, la maréchaussée et une foule de citoyens accourent sur les lieux, empêchent l'incendie des halles et dispersent les émeutiers qui se disposaient au pillage des magasins des autres boulangers.

Le lendemain, 10 août, dans la matinée, les jeunes gens de la ville, organisés en garde urbaine, apprenent qu'une troupe de brigands parcouraient les campagnes pour incendier et pillier, paraissent en armes dans les rues, calment les mécontents et dispersent les meneurs. Ceux-ci se dirigent vers Chassenon, où l'on prétendait que le propriétaire du château, Walsh, avait caché le comte d'Artois et d'autres seigneurs. Un détachement les y accompagne afin de prévenir tout désordre. Ils n'y trouvent qu'un bon repas et s'en retournent vers les 10 heures du soir.

Pendant ce temps-là, à Fontenay, à 11 heures du matin, le corps de ville enjoint aux habitants d'apporter au minage et à l'hôtel de ville les grains dont ils sont détenteurs. A 2 heures du soir, les habitants, réunis en assemblée générale au Palais-Royal, élisent comme commissaires : Savary de Calais, Bonnamy de Bellefontaine, Pichard du Page, Chevallereau de la Gaubardière, Robert, Daniel Pierre père, Bourgeois et Ballard, chirurgien. Ceux-ci fixent la taxe du pain comme suit : la première qualité à 42 deniers, la deuxième à 24 deniers, la troisième à 18 deniers la livre.

Le 11, une convocation fut adressée aux syndics des corps d'état de la ville à l'occasion de cette émeute ; ils y nommèrent 12 commissaires pacificateurs, qui invitèrent les ouvriers à rentrer dans leurs ateliers et à y reprendre leurs travaux.

Mais François Coirier, carrier, fut mis en état d'arrestation comme inculpé d'avoir dirigé les émeutiers et de s'être fait donner de l'argent par menaces. La Prévoté instruisit sur le champ son procès qui, commencé à 9 heures du matin, fut terminé seulement à 11 h 1/2 du soir. Il fut condamné à être pendu, jusqu'à ce que mort s'en suive, à une potence plantée, à cet effet, devant la porte de la prison de la ville, pour son corps y demeurer 24 heures et être ensuite porté aux fourches patibulaires.

Il fut exécuté, en effet, le 12, à 3 heures du matin, devant la grande porte de l'église Notre-Dame. Quant à Reverseau, meurtrier de l'enfant, qui n'avait pu être repris, il fut condamné, par contumace, à la même peine et pendu en effigie."


On peut maintenant, sans nouveaux commentaires, comprendre parfaitement le deuxième document que nous avons promis :


"A Monsieur, Monsieur Comailleau, chez M. Collardeau, à Luçon.

CHER AMI,
Je profite avec empressement de l'occasion de M. Sirot pour te marquer ce qu'est arrivé la nuit du dimanche venant à lundi dernier. Je ne puis te peindre assez vivement les malheurs de cette fatale nuit.

Dimanche, sur les neuf heures, étant à me promener sur la place, je rencontray deux des confrères qui me disent qu'il fallait prendre les armes, qu'il alloit arriver en Fontenay ce que jamais on avait vu. Je me rends chez nous, je me munis d'un fusil, d'un sabre et deux pistolets. Je ne fus pas plutôt arrivé sur la place où je rencontray un demi-douzaine de mes confrères armés, que notre président (Majou, René-Augustin, sieur des Touches de Chavagne, président de l'élection de Fontenay, exécuté à Fontenay, le 31 décembre 1793) qui était à deux portées de fusil de la place (qui venait de conjurer les mutins, de patienter un moment, qu'on allait leur faire donner du pain), nous cria : serrez, serrez vos armes, voilà la populace qui s'avance, si elle vous voit armés, nous sommes perdus.

A ces mots, nous nous empressons de chercher un asile ; à chaque pas nous craignions de trouver des rebelles, car s'en était fait de nous. Nous nous rendons chez M. le Chef de Police (Joseph Beurrey de Châteauroux, lieutenant de police, qui fut plus tard juge) où nous déposâmes nos armes. Nous ne trouvâmes pas, nous le cherchâmes dans plusieurs maisons. Enfin, nous fûmes chez son père, où il était, nous lui demande (demandons) s'il voulait bien nous permettre de forcer les boulangers à faire du pain, car ils n'en avaient pas fait dans la journée. Aussitôt qu'il nous l'eut permis, nous fûmes au-devant de la troupe des rebelles, que nous calmâmes assez pendant un moment ; mais cette populace ne faisait que s'ogmenter, s'irritant les uns les autres ; il ne fut plus possible de les contenir et ils portèrent l'eccès (excès) à la dernière violence.

Rendus chez M. le Sénéchal (Gabriel-Benjamin Savary, seigneur de Beauregard), ils se mirent à casser ses vitres, criant toujours, il faut le pendre, il faut le pendre, ce bougre-là, il faut le pendre ! 80 de ses rebelles ayant enfoncé la porte, se mirent à entrer, tout de suite on appelle la garde pour empêcher d'entrer, car s'en était fait de M. le Sénéchal : il eut le tams (temps) de se sauver, mais s'étant précipité d'un mur, il a tombé sur des casseaux de bouteilles, on prétend qu'il a perdu les deux tiers de son sang. Les mutins ont forcé les sentinelles, on entré chez M. le Sénéchal, n'y ont laissé que les quatre murs ; toute son argenterie a été vollée, l'on rejettait ses meubles dehors, l'on a cassé ses vitres et je crois que l'on en aurait fait davantage, si un boulanger (Reverseau) qui était à une portée de fusil de là, n'eut tiré un coût de fusil ; il cherchait notre président qui était à mes côtés, il a tué un jeune homme qui est mort à mes pieds, j'ai eu quelques grains de plomb dans mes habits. Il n'en a pas fallu d'avantage pour attirer la populace qui a pour, plus tôt finir, tout abîmé, le cherchant pour le pendre.

De là ils ont été ailleurs, mais il n'a rien eu de mal. N'allez (Les rebelles une fois partis ; n'allés, ancienne locution encore employée à la campagne. Ils sont n'allés, ils sont partis) de chez M. le Sénéchal, j'ay monter avec les autres pour voir s'il n'y avait rien de tuer, j'y ay trouvé Madame avec ses enfants, serrez dans un coing, plus morts que vifs, je lui ay demandé si on l'avait maltraité, elle m'a répondu qu'on lui avait donné un coup de pierre, et qu'on lui avait dit, puisque nous avons abîmé les meubles et brisez tout, il faut avoir la vie, j'ai bien travaillé pour la lui sauver, sans ce qu'on m'apperçu cependant, parce que s'en était fait (si) nous étions vus. Nous l'avons mis dans un lieu de sûreté avec ses petits enfants qui tiraient les larmes des yeux.

Nous nous sommes assemblés au Palais pour prendre des tempéraments pour assurer le bien public, jamais fermentation n'a été plus grande, je ne puis t'en dire d'avantage. Pourtant ne dis pas qui t'a écrit la lettre ... (le reste illisible)."


(1) Irland de Bazoges, lieutenant général de la Sénéchaussée de Poitiers, s'était marié à Montaigu le 13 mai 1777 avec Henriette-Suzanne de Lespinay du Pally, dont les parents y avaient un hôtel où ils passaient la saison d'hiver, et possédaient aux abords de la ville la Petite-Barillère et la Tonnelle. Il invita chez lui à Poitiers, Goupilleau de Villeneuve, dit de Montaigu, le vendredi 13 mars 1789 avec son frère et son cousin, notaire à Montaigu. Goupilleau de Fontenay, dit le Dragon, réunis en cette ville à l'occasion de l'élection aux États généraux. (Note de Dugast-Matifeux).

Société d'émulation de la Vendée - 1908 - AD85

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Commentaires
J
J'ai trouvé ces deux lettres très intéressantes ....Merci .
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La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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