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La Maraîchine Normande
2 octobre 2014

1820 - LA PETITE ÉGLISE - MÉMOIRE DE FRANCOIS-JOSEPH GIRARD, PRETRE

carte histoire de La Petite Eglise

FRANCOIS-JOSEPH GIRARD,
Prêtre de Fontenay,
de ceux que par mépris on appelle de la Petite Eglise,

A SES CONCITOYENS,

Concitoyens,

Depuis l'heureux retour du Roi, il m'était souvent venu dans la pensée de profiter comme les autres de la liberté de la presse, pour exposer au grand jour les motifs de notre conduite si injustement calomniée. Mais craignant d'un côté que cette démarche, malgré la modération que j'y aurais mise, n'aigrit encore davantage les esprits au lieu de les rapprocher ; espérant de l'autre que le mur de division, déjà demi abattu, s'abattrait de lui-même peu à peu, et sans secousse violente et dangereuse, j'avais renoncé à ce projet, et pris la résolution d'attendre du temps et de la patience la justification de notre cause. L'intention bien prononcée du Roi de rétablir la religion dans son premier état ; la rentrée prochaine de nos Evêques réclamans, l'arrivée d'un Nonce à Paris, la fermeté du Souverain Pontife envers certains personnages coriphées de votre parti, les aveux et les réflexions qu'on lit dans les journaux, tout cela m'avait confirmé dans ma résolution.


Plus d'un mois avant l'explosion de la bombe, j'avais été averti du complot qui se tramait contre nous ; il m'eût été aisé de parer le coup, d'éventer la mine, et de tromper les cruelles espérances de ceux qui se flattaient de nous perdre. Mais je trouvais les calomnies dont on voulait nous noircir, tout à-la-fois si atroce et si absurdes, que je ne pouvais me persuader qu'on osât les répandre, et bien moins encore que vous pussiez le croire. Malgré l'avis, je persistai donc dans mon plan de silence et de patience. Mais l'expérience a prouvé que je me trompais : ces calomnies ont été répandues et crues. On nous a traduits devant MM. les commissaires du Roi comme des ennemis dangereux du trône, comme des séditieux qui cherchaient à soulever le peuple et à entraver le recouvrement des impôts. Ces messieurs nous ont fait comparaître devant eux pour recevoir ces durs reproches et entendre des menaces. On a eu soin en même temps de faire imprimer et de répandre une lettre du ministre de l'intérieur, qu'on avait sollicitée contre nous. Alors vous nous avez cru perdus ; et vous, nos compatriotes ! vous avez eu la cruauté de vous réjouir de notre perte, de rire de notre humiliation ; et dans l'excès d'une joie, qui n'est assurément pas selon l'évangile, quelques-uns se sont permis des propos contre nous que je ne répéterai pas. Je vous humilierais : en vous humiliant, j'aurais l'air de me venger, et la vengeance n'est pas dans mes vues ; je suis chrétien.


Vous me forcez toutefois de rompre le silence auquel je m'étais condamné. La religion et l'honneur m'en font un devoir. Me taire après des inculpations aussi graves, auxquelles vous ajoutez foi, ce serait m'avouer coupable, ou paraître indifférent à votre estime. Je dirai donc un mot à notre défense ; mais ne craignez pas, je ne tremperai point ma plume dans le fiel : il ne m'échappera pas une expression qui sente l'aigreur et l'amertume.


On veut nous ravir ce que nous avons de plus cher, l'honneur et la Foi, puisqu'on attaque et notre fidélité au Roi, et notre soumission à l'Église. Notre justification sur ces deux points sera facile. Ayez la patience de me lire, et vous serez convaincus.


Concitoyens, y pensez-vous, quand vous nous accusez d'être les ennemis du Roi ? Auriez-vous oublié déjà les reproches tout opposés qu'on nous faisait encore peu de jours avant la chute du tyran ? Non, non, nous ne sommes pas les ennemis du Roi. Depuis vingt-trois ans, nous donnons des preuves du contraire. Notre attachement à sa personne sacrée et à toute son auguste famille est connu et nous a exposés à de grands dangers ; vous le savez bien. En Espagne, nous avons prêté, entre les mains de Monseigneur le duc d'Havré, le serment de ne jamais servir d'autres maîtres ; nous ne serons pas parjures. Notre fidélité est intacte et à toute épreuve. On ne réussira donc pas à nous perdre auprès d'un monarque qui est pour nous, sur-tout, LOUIS LE DÉSIRÉ. Celui qui a fait un accueil si touchant et si flatteur aux officiers Vendéens, ne rejettera pas des Prêtres qui ont fait tant de sacrifices pour servir sa cause et lui demeurer fidèles. Au reste, dut-on réussir à nous noircir dans son esprit, et à nous faire frapper d'une main si chère, jamais on n'arrachera de notre âme l'amour inviolable que nous lui portons. Les lys sont et demeureront imprimés sur notre coeur.


On dit que nous causons des troubles. Ah ! que ceux qui nous accusent se tiennent eux-mêmes tranquilles ; qu'on nous laisse jouir de la liberté accordée à tous ; qu'on attende en paix le dénouement, il n'est pas éloigné ; qu'on cesse d'insulter les fidèles qui nous suivent ; qu'on remplisse à notre égard les devoirs de la charité chrétienne, et il n'y aura pas de troubles.


On nous accuse d'empêcher le recouvrement des impôts. Je ne sais si je dois répondre à une telle inculpation. Nous en avons fait sentir le ridicule et le faux à MM. les commissaires qui nous ont fait ce reproche, et ils n'ont plus insisté. Dans ce canton, les fidèles qui nous suivent sont connus : paient-ils moins que les autres ? Pour se convaincre du fait, l'inspection des rôles suffit. Il est notoire que dans certaines communes qui ne payaient pas, il n'y a aucun de nous ni des nôtres. MM. les commissaires en sont convenus. Quelle injustice donc de faire retomber sur nous seuls des reproches que nous ne méritons pas ! Nous n'avons pas empêché de payer à l'usurpateur, comment veut-on que nous empêchions de payer au souverain légitime ? Nous voudrions avoir des milliards à lui porter, pour le mettre à même d'acquitter les dettes de l'Etat, de soulager son peuple, d'affermir son trône, et de fermer la bouche aux malveillans. Nous avons toujours dit et nous dirons toujours : rendez à César ce qui est à César ; qu'on nous permette donc d'ajouter : et à Dieu ce qui est à Dieu.


Or, c'est pour rendre à Dieu ce qui est à Dieu, que nous avons tenu la conduite que nous tenons encore. Notre conscience ne nous permet pas d'en changer jusqu'à ce que l'autorité compétente ait prononcé librement et canoniquement ; ce qui ne peut tarder : nous savons qu'on s'en occupe. Ce n'est pas d'après nos propres lumières que nous nous sommes déterminés à ce parti. Nous avons eu soin de nous éclaircir et de puiser nos raisons et nos motifs dans les savans ouvrages qui ont paru, tels que les Éclaircissements demandés à Mgr l'Archevêque d'Aix, la Défense du Jugement de l'Église, la Controverse Pacifique, les Mémoires de nos Évêques réclamans, Nouveaux Athanases de la véritable Église Gallicane, leurs différentes lettres au Pape, leurs réclamations canoniques, et autres. J'ai en ma possession ces excellens ouvrages trop peu connus, trop peu appréciés. J'offre de les communiquer à quiconque voudra s'instruire de bonne foi. Cessez donc d'attribuer nos démarches à l'entêtement, et donnez-vous la peine de faire attention qu'il n'est pas dans le coeur humain de s'exposer gratuitement, si long-temps et sans motifs, à tant de privations, d'humiliations, de peines et de dangers.


Vous avez cru que le retour du Roi devait lever toutes nos difficultés : vous vous êtes trompés. Oui, sans doute, le rétablissement du souverain légitime était un des points essentiels pour lesquels nous combattions. Jamais nous n'avons séparé sa cause de celle de la religion, parce que le Prince des Apôtres, en nous ordonnant de craindre Dieu, nous recommande aussi d'honorer le Roi. Nous n'avons pas fait, à cette religion sainte et juste, l'injure de croire qu'elle ordonnât, comme on l'a enseigné chez vous, d'abandonner son Roi malheureux et délaissé de ses sujets rebelles, pour suivre l'usurpateur de son trône, et qu'elle sanctionnât la révolte, à cause de la multitude des révoltés. Nous nous en sommes tenus à l'enseignement constant de l'Église de France, et aux principes de l'ancienne jurisprudence du royaume, savoir que le Roi ne tient sa couronne que de Dieu, et que nulle puissance sur la terre ne peut absoudre ses sujets du serment de fidélité.


Oui, nous avons notre Roi ; et la Providence en nous le rendant, comme par miracle, vous a forcés de vous rapprocher de nous en ce point, et d'abandonner le tyran, qui pouvait aussi lui se vanter d'avoir été reconnu par le Pape, couronné et sacré de sa main. Vous entendez ce que je veux dire.


Nous avons notre Roi, mais nous n'avons pas notre Évêque. Il n'est pas mort, vous venez de l'apprendre ; il ne s'est pas démis de son siège : si quelqu'un osait l'avancer, il serait aisé de le convaincre d'imposture ; il n'a pas été canoniquement déposé, parce qu'il ne l'a pas mérité. Or, la mort, la démission libre, la déposition canonique, sont les seuls moyens qui puissent rompre les liens qui nous attachent à lui. L'Église n'en connaît pas d'autres. Relisez les Instructions de Pie VI, d'immortelle mémoire, et de Pie VII lui-même.


D'ailleurs vous êtes encore liés de communion avec les Évêques et Prêtres, jureurs constitutionnels, que l'Église a condamnés et chargés de ses anathêmes, et qui n'ont rempli aucune des conditions que les Papes Pie VI et Pie VII eux-mêmes leur avaient imposées, pour mériter le bienfait de la réconciliation. On a voulu dire qu'ils s'étaient rétractés ; mais ils ont eu soin de nous prouver le contraire par leur conduite et des écrits publics.


En un mot, nous voyons qu'on tient encore chez vous à toutes les nouveautés dangereuses qui ont été la suite funeste du concordat, et contre lesquelles le Pape n'a cessé de réclamer. Les vérités saintes se trouvent encore tellement confondues avec les erreurs qu'on leur a associées, qu'il est très-difficile de les démêler. Nous ne voyons chez vous aucun aveu de tant d'égaremens, aucune réparation de tous les excès qui se commettent depuis tant d'années. Le Roi, dit-on, pardonne tout. Nous n'avons garde de nous opposer à sa clémence pour ce qui le concerne ; mais le pardon ne doit-il pas être accompagné du repentir ? et ne peut-on vous pardonner qu'en nous humiliant et nous condamnant, comme vous semblez le prétendre ? Prétention révoltante ! Pour couvrir ses propres torts, on voudrait nous obliger à avouer des torts que nous n'avons pas. On voudrait peut-être aussi nous soumettre à une pénitence qu'on n'a pas osé exiger de ces malheureux jureurs qui ont causé tant de scandales, qui ont apostasié leur religion et leur sacerdoce, comme l'attestent les registres publics.


Qu'a-t-on à nous reprocher ? avons-nous varié nos principes religieux ? avons-nous eu une foi, une morale, une discipline de circonstances ? ne sommes-nous pas les mêmes que nous étions, lorsque le saint Pape Pie VI nous comblait de ses bénédictions et de ses éloges ?


Cependant on voudrait nous faire passer pour des sectaires, sans mission, sans pouvoirs, et bannis du sein de l'Église. "A quelle Église, appartenez-vous, nous dit-on ? quels sont vos chefs ? quel est votre Évêque ; quel est celui qui tient pour vous la place du Vicaire de Jésus-Christ ?" Que de questions, ou plutôt que d'inculpations dans ce peu de mots ! la réponse sera également courte. Nous appartenons à l'Église catholique, dont nous défendons la doctrine, la discipline et les droits. Nos chefs sont à Londres, et peut-être en route pour se rendre à Paris. Notre Évêque est Mgr de Couci ; nous n'en connaissons pas d'autre : c'est de lui que nous tenons nos pouvoirs. Il n'a jamais renoncé à sa juridiction sur son troupeau. Sa protestation au Pape est publique. J'ai un recueil assez volumineux de ses lettres ; j'en ai quelques-unes écrites de sa propre main, qu'il a eu la bonté de m'adresser à moi-même. Je suis prêt à les montrer à quiconque voudra s'assurer de la fausseté de ce qu'on dit de lui. Enfin, nous ne reconnaissons d'autre Vicaire de Jésus-Christ que le vénérable Pie VII, qui nous est devenu si cher par ses honorables disgrâces, et que la divine bonté vient de rétablir dans le plein exercice de sa double puissance.


Ne dites plus que nous ne lui sommes pas soumis. Si nous l'avons été dans les temps difficiles, nous le serons à plus forte raison à présent que la soumission n'expose à aucun danger. Le Saint Père ne nous reprochera pas d'avoir adopté et suivi les lois organiques contre lesquelles il a réclamé ; d'avoir, contre sa défense, adhéré à la doctrine du chapitre de Paris, sur l'institution des Evêques, tendante à décliner sa juridiction ; d'avoir reconnu le faux concordat de Fontainebleau, qu'il a condamné, et pour lequel cependant on a rendu de solennelles actions de grâces ; d'avoir admis ces Évêques nommés, qui, sans institution canonique, ont envahi la juridiction épiscopale, sous la dénomination de Vicaires Capitulaires quoiqu'il eût déclaré leurs opérations frappées de nullité ; d'avoir chanté ces tristes et sacrilèges TE DEUM, comme on les appelle dans les feuilles publiques et dans les adresses au Roi, sans en excepter celle des députés de cette ville ; d'avoir marié des divorcés ; d'avoir approuvé le divorce de Buonaparte ; d'avoir été les fauteurs de son usurpation des États Romains ; d'avoir chanté un TE DEUM et allumé un feu de joie à l'occasion de la naissance du roi de Rome ; d'avoir fait des prières publiques pour Napoléon excommunié ; d'en avoir fait pour le succès de ses armes contre les souverains alliés nos généreux libérateurs, et par conséquent contre lui-même et contre le Roi ; il ne nous reprochera pas tant d'autres choses dont le détail serait trop long, et qui ont eu lieu dans votre Église.


Le concordat de 1801 est donc le seul point où vous nous puissiez trouver en opposition apparente avec le Souverain Pontife ; mais il vous dit lui-même que ce concordat, qui a causé tant de maux à la religion, par la manière dont il a été interprété et exécuté, lui a fait verser des larmes amères. D'illustres Évêques ont réclamé contre, et réclament encore : l'affaire n'est donc pas terminée. Je ne détaillerai pas ici les autres motifs qui justifient notre refus d'adhésion à ce concordat ; je vous renvoie pour les connaître aux savans ouvrages que j'ai cités ; et je finis par ces paroles que nous avons adressées à MM. les commissaires : "Nos Évêques réclamans vont rentrer. Puisque nous marchons à leur suite, et que nous défendons la même cause, ils seront notre doux organe auprès du Roi, qui connaît leurs démarches et leurs principes, et qui y a souvent applaudi. De concert avec Sa Majesté et le Souverain Pontife, libre, grâces au Ciel, ils termineront ce grand procès. Ils nous feront entendre leur voix, et nous les écouterons. Nous sommes Chrétiens soumis." Pourquoi ne veut-on pas nous laisser attendre en paix ce grand évènement ? Pourquoi veut-on nous faire perdre en un jour le fruit de tant d'années de persévérance ? Nous réunir de la manière dont on nous le propose ; ou, ce qui est la même chose, nous associer aux nouveautés que nous avons toujours repoussées, et qui vont disparaître, ce serait échouer au port, et flétrir la gloire de tant de combats, par une lâcheté sans but et sans motif. Nous désirons autant que vous la réunion ; mais une réunion qui ne compromettre ni l'honneur ; ni la conscience. Que la religion triomphe, que la vérité soit dégagée de l'erreur dont on a voulu l'obscurcir ; qu'on nous donne l'assurance que la Foi est à l'abri de tout danger ; que nos illustres Évêques, qui sont notre boussole, nous donnent le signal, à l'instant nous sommes avec vous ; le reste nous inquiète peu.


Je signe seul, quoique je défende une cause commune, parce que je veux qu'il n'y ait que moi de compromis. Si cet écrit vous déplaît, ne vous en prenez donc qu'à moi ; dirigez contre moi seul les traits de votre mécontentement, et laissez mes confrères tranquilles.

F.-J. GIRARD, Prêtre.

A NIORT,
De l'Imprimerie de Dépierris jeune, premier imprimeur
de S.M. LOUIS XVIII - Rue du Rabot.

[1820] (AD85 - 81J237 - Fonds Gauly)

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