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La Maraîchine Normande
16 janvier 2014

PARIS - SÉANCE DU CLUB DES JACOBINS - 1794

PARIS - SÉANCE DU CLUB DES JACOBINS - 1794

Le compte rendu suivant de la séance du 3 ventôse au club des Jacobins, que nous empruntons au Moniteur, fera connaître au juste l'état des esprits dans les assemblées populaires et les influences qui dominaient sur les Jacobins. Carrier est patronné par Collot ; c'est le héros du moment. Ronsin, Rossignol, sont justifiés aux dépens de Phélippeaux et de Westermann. Les hébertistes l'emportent : triomphe de courte durée.

SOCIÉTÉ DES AMIS DE LA LIBERTÉ ET DE L'ÉGALITÉ
SÉANT AUX JACOBINS DE PARIS

Présidence de Thirion

SÉANCE DU 3 VENTOSE

"Carrier, représentant du peuple, arrivant de la Vendée, demande à subir l'épreuve du scrutin avant que de donner à la Société des détails sur le département qu'il vient de quitter et sur les évènements qui y ont eu lieu. - Il est admis et prend la parole.

Carrier : Il est enfin temps de connaître ce qu'il y a de vrai dans cette guerre infernale qui si longtemps désola ce pays ; je ne veux point remonter aux principes, et je ne vais vous parler que des conséquences. Il n'y eut jamais d'erreur plus profonde que celle qui accréditait la nouvelle de l'apparition tantôt de vingt mille homme, tantôt de plus, tantôt de moins. Le mal était général dans ce pays ; seize districts entiers étaient révoltés contre la république. Une étendue de près de quarante lieues voyait tous ses habitants armés contre leurs frères. Cependant les patriotes peuvent espérer que ces départements, en rentrant sous le joug salutaire des lois, ne seront point onéreux à la république, car ils sont cultivés, ensemencés avec le plus grand soin ; la récolte s'annonce sous l'aspect le plus favorable (Tant mieux ! s'écrie toute l'assemblée.) Oui, tant mieux ! car les brigands n'en tâteront pas. (On applaudit). Voici comment s'est formée cette guerre fatale, connue sous le nom de Petite Vendée. Les chouans qui la composaient étaient des voleurs de grands chemins, d'abord détroussant les passants, et se retirant toutes les nuits dans le creux des montagnes, où un immense rocher leur servait de rempart. Augmentés bientôt par le recrutement des gabelous et autres gens de cette espèce, ils se rendirent vraiment redoutables ; ils sont maintenant exterminés. Il n'existe plus de brigands ; et s'il en reste quelques-uns, ils seront pris d'ici à peu de jours.
Mais je ne puis retenir mon indignation quand je pense que des hommes sont venus demander à la Convention une amnistie pour quelques communes de la Vendée. Outre les preuves de scélératesse que toutes ont données, ce qui est bien loin de leur mériter l'indulgence qu'on ne doit tout au plus qu'à des patriotes "égarés", il n'est malheureusement que trop constant que le peu de patriotes qui s'y trouvaient ont été tous massacrés. Certainement tous ceux qui ont survécu ne sont pas patriotes, et je pourrais citer mille preuves de la profonde perversité des habitants du pays.
Carrier retrace sur ce sujet les mêmes détails qu'il a déjà développés à la Convention, et continue ainsi :
Je ne saurais exprimer toute ma surprise de la scandaleuse discussion qui a eu lieu au sujet de cette guerre ; je certifie qu'on a calomnié de la manière la plus atroce des patriotes excellents, de braves généraux. Ronsin, Rossignol, Santerre, ont été calomniés. Les brigands n'eurent jamais d'ennemis plus terribles, et je réponds de leur bravoure et de leur patriotisme comme du mien propre.
Je dois dire aussi que Phélippeaux ne mérite aucune croyance, attendu qu'il ne se connaît nullement aux opérations militaires. Je ne le crois pas contre-révolutionnaire quoiqu'il se pourrait qu'il fût l'agent d'une faction sourde qu'il ne croirait pas servir ; mais je le maintiens fou autant qu'on peut l'être. Il a attaqué mon collègue Levasseur, le plus courageux des hommes, qui combattait lui-même les brigands, et ne faisait pas comme Phélippeaux, qui se cachait toujours pendant le combat.
Quant à Westermann, je déclare que je ne l'ai vu que deux fois seulement ; ainsi je ne parlerai ni de sa vie privée ni de son patriotisme ; il peut être un intrigant, mais il est très-brave. Dans toutes les occasions il s'est montré avec un grand courage. Peu d'hommes se sont plus fait craindre de l'ennemi. Il n'en était nommé, comme on put s'en convaincre après qu'on eut surpris leur correspondance, que le "féroce Westermann", preuve qu'il n'en était pas aimé.

Thirion : Westermann est un très-brave général, et dans beaucoup d'occasions il a fait de l'ennemi un carnage épouvantable. Je le crois donc excellent à la tête d'une division d'escadron ; à l'aide de son courage il fera toujours des merveilles ; mais par la raison même qu'il est extrêmement bouillant, il serait peut-être dangereux à la tête d'une armée considérable.

Levasseur cite une occasion où Westermann désobéit aux ordres de Rossignol, et ne partit qu'à une heure après midi au lieu de partir à sept heures du matin ; il ne trouvera que quelques traîneurs, au lieu de surprendre les brigands en masse, et manqua ainsi l'expédition projetée.

Collot d'Herbois : Carrier nous a fait des récits sincères ; il nous a présenté la Vendée comme elle est aujourd'hui ; il n'a rien boursouflé, il n'a rien dissimulé ; il a combattu lui-même avec courage, il a couru de grands risques ; il a pris les précautions les plus salutaires pour l'extinction des brigands : les mesures sont prises aujourd'hui ; le plan de comité de salut public est fait ; les brigands seront bientôt anéantis.
Les mesures vigoureuses qu'il recommande eussent depuis longtemps exterminé ce malheureux fléau si on en eût fait plus tôt usage ; elles ne seront plus reculées, et j'annonce avec sûreté à la Société que les précautions de la force la plus terrible sont prises déjà par le comité de salut public, et vont incessamment frapper avec efficacité à mort le dernier rejeton de la Vendée.
J'ai demandé la parole uniquement pour rappeler aux principes, dont on s'est grandement écarté ; on a parlé de Westermann, de sa moralité, de sa bravoure, etc. On a oublié les principes, et l'on ne s'est occupé que de divagations frivoles ; on a loué Westermann, et l'on n'a pas loué ce qui méritait de l'être ; et moi aussi je vais louer Westermann ;  on a cité ses services dans la Vendée, et on n'a pas dit qu'il était au 10 août devant le château des Tuileries, qu'il combattit avec nous dans cette journée mémorable, et qu'il aida à jeter dans la poussière le trône du tyran. Il a été plusieurs fois, dix mille fois persécuté par les ennemis de la liberté, et toujours nous avons pris sa défense, parce qu'il est toujours ici des défenseurs pour les opprimés ; nous le défendrions encore s'il se trouvait encore dans une position aussi méritoire envers les amis de la république.
Eh bien ! pourquoi ne le voyons-nous plus ? C'est qu'il est entré de petites passions dans son coeur ... Il eût été heureux pour lui qu'il fût mort dans ses jours glorieux ; il eût été immortel, et aujourd'hui on ne sait comment il finira ! Heureux ceux qui meurent pour la liberté, et dont la mémoire est placée dans le coeur des patriotes ! ...
Westermann est brave, mais on loue peut-être trop cette qualité ; il est d'autres sacrifices plus grands que celui d'exposer sa vie : ce sont les privations. Les républicains en sont peut-être venus jusqu'à savoir se passer de cette bravoure pour vaincre. Nous ne devons pas fixer notre opinion sur un général par cela seul qu'il est brave et qu'il a combattu de telle ou telle manière, mais bien sur son dévouement pour la chose qui lui est confiée.
Le général ne vainc pas seul ; c'est le soldat qui triomphe. Si vous en attribuez tout l'honneur au seul chef, bientôt il se croira au-dessus de ses frères, et, égaré par son ambition, il en abusera pour attenter à l'égalité.
Un général a beau être brave, s'il peut causer quelque division entre les armées et les représentants du peuple, il faut l'écarter. Vous serez justes quand vous serez sévères. Il ne faut pas que la bravoure d'un général fasse passer sur son caractère ; il ne faut pas qu'un général préfère des volumes d'éloges dont on remplit les journaux à l'estime de la patrie. Que Westermann étudie Rossignol ; alors il pourra reconquérir notre estime.
Rossignol, attaqué, accusé, s'est soutenu par la seul force des principes, en combattant pour la liberté et l'égalité, ne montrant d'autre désir que de les faire triompher."

Extrait
Paris en 1794 et en 1795
Histoire de la rue, du club, de la famine.
Composée d'après des documents inédits
particulièrement
les rapports de police et les registres du comité de salut public
avec une introduction par C.A. DAUBAN
PARIS
Henri Plon, Imprimeur-Editeur
10, rue Garancière, 10
1868

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  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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