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La Maraîchine Normande
21 juillet 2013

LES VEILLÉES VENDÉENNES ♣ LA POELE DE MON GRAND-PERE

LES VEILLÉES VENDÉENNES

LA POELE DE MON GRAND-PERE

Ce soir, mes chers amis, je vais, car c'est mon tour,
Vous conter de mon mieux l'histoire de la poêle
Que mon aïeul, conduit par sa mauvaise étoile,
Sur l'enfer réuni sut conquérir un jour,
Tandis que le sabbat se démenait autour
Avec des hurlements à vous glacer la moelle.

Mon grand-père n'était pas très riche, entre nous.
La déveine semblait sans cesse le poursuivre.
Sa ferme rapportant tout juste de quoi vivre,
Il mésaisait souvent pour joindre les deux bouts.
Pourtant il n'était pas prodigue de ses sous,
Et personne au pays ne le vit jamais ivre.

Si la récolte était souvent réduite à rien,
La famille, en revanche, alors c'était la mode,
S'augmentait tous les ans d'un nouveau citoyen.
Les époux de nos jours ont changé de méthode :
Ils ne font plus d'enfants. Est-ce le bon moyen
Pour s'enrichir ? Les vieux le trouvaient peu commode.

Parfois à la veillée on parlait de trésor.
Un tel, dont le garçon est maintenant notaire,
Aidé par un sorcier, avait su dans la terre
Découvrir un borgnet rempli de pièces d'or.
Et le pépé disait : "S'il en restait encor,
Ca m'irait joliment d'être propriétaire !"

La chose l'aguignait au point que bien souvent
On entendait la nuit quelque plainte étouffée,
Et les profonds soupirs du bonhomme rêvant
A des trésors gardés par une bonne fée.
Si bien qu'un beau matin, s'arrachant à Morphée,
Il courut consulter un sorcier très savant ;

Un nabot affligé de deux bosses énormes,
Et sachant à son gré prendre toutes les formes,
Guérir les fis avec une couenne de lard,
Changer une fillette en gas avec sept cormes,
Faire parler un boeuf, rajeunir un vieillard,
Et trouver les trésors enfin, comble de l'art.

Grand-père en vérité ne pouvait pas mieux faire.
Son ami le sorcier, d'ailleurs fort bon garçon,
Lui dit : Vous tombez bien, mon vieux. J'ai votre affaire,
Dans un champ de jarrosse, auprès de Valençon.
Devant l'abrou. D'abord, écoutez ma leçon !
La chance n'est jamais pour celui qui diffère,

Et qui laisse passer le bon moment qui vient.
Or un trésor cent ans au démon appartient ;
Puis l'âme de celui qui, seul, avec mystère,
L'enfouit, pour cent ans en est propriétaire.
Inutile, quand c'est le démon qui le tient,
De vouloir dérober ce trésor à la terre.

Celui de Valençon se trouve en ce moment
Disponible, et l'on peut facilement le prendre.
Demain, sans plus tarder, vous allez vous y rendre,
Et lorsque vous aurez trouvé l'emplacement,
A l'heure du Sanctus fouillez profondément,
Sans bruit, pour que le mort ne puisse vous entendre."

Ayant encor donné d'autres instructions,
Comme on ne prend jamais trop de précautions,
Il lui recommanda d'emporter sa médaille
De Saint Benoît, du trèfle et trois brins de buaille,
Puis la baguette qui, par ses contorsions,
Doit désigner l'endroit propice à la trouvaille.

Mon aïeul enchanté remercia beaucoup
Son ami le sorcier, très obligeant, en somme.
Avant de se quitter tous deux burent un coup,
En trinquant au succès des projets du bonhomme,
Et dès le lendemain grand-père partit comme
C'était convenu. Las ! il n'était pas au bout.

L'abrou de Valençon est un peu loin sans doute,
Mais le pépé connaît parfaitement la route ;
Et voulant arriver de bonne heure par là,
Après avoir mangé sur le pouce une croûte,
Dans l'aiguail du matin joyeux il s'en alla,
Chantant à plein gosier la chanson que voilà :

Quand y étas chez mon père
Tot petit garçounia (bis,
Lle m'enveyont aux landes
Pre garder les egnas,
Ma tantin' Penoïlle,
Mon tonton Penoïlla.

Lle m'enveyont aux landes
Pre garder les egnas (bis),
Y n'en gardas ja djères,
Y n'en gardas que tras.
Ma tantin' Penoïlle, etc.

Y n'en gardas ja djères,
Y n'en gardas que tras (bis)
Le méchant loup vedjit,
M'emportit le pus béa.
Ma tantin' Penoïlle, etc.

Le méchant loup vedjit,
M'emportit le pus béa (bis),
Lle l'mangit tot enter
Ne me laissit qu'la péa.
Ma tantin' Penoïlle, etc.

Lle l'mangit tot enter,
Ne me laissit qu'la péa (bis)
Et le p'tit bout d'la quoue
Pre mettre à mon chapéa.
Ma tantin' Penoïlle, etc.

Et le p'tit bout d'la quoue
Pre mettre à mon chapéa (bis)
Et le brechet dau tchu
Pre faire un chaluméa.
Ma tantin' Penoïlle, etc.

Et le brechet dau tchu
Pre faire un chaluméa (bis)
Pre fair' danser les feilles
A tchau béa mardi-gras.
Ma tantin' Penoïlle,
Mon tonton Penoïlla.

Cependant il filait, il filait comme un lièvre,
Sautant les échaliers, plus léger qu'une chèvre,
Car avant le Sanctus il voulait arriver.
"Puisque je vais là-bas, ça va bien se trouver,
Je puis du même coup me guérir de la fièvre
Qui m'avrase la pire et me fait endèver."

Que faut-il pour cela ? Poser sur la margelle
D'un puits près de l'abrou, puits qui jamais ne gèle,
Quelques pièces d'argent, toujours en nombre impair.
C'est comme ça que fit jadis la mère Angèle.
Plus melée autrefois qu'un péreillon d'hiver
Elle a, depuis ce temps, l'oeil vif et le teint clair.

Il marche, il marche encor. Dieu ! quelle longue route !
Quelle trotte ! Bien sûr autrefois le chemin
Etait beaucoup plus court. S'est-il trompé de main ?
Aurait-il pris la gauche et non la droite ? Il doute,
Il hésite : "Avançons ! ma foi. Coûte que coûte
J'arriverai toujours, quand ce serait demain."

Mais il était déjà haute heure. Le grand-père
Qui, d'après son calcul, depuis longtemps eût dû
Au bur de son voyage être aisément rendu,
Ne reconnaissait plus aucun point de repère.
"C'est fini, démési, dit-il. Je désespère
D'arriver. Fi de vesse ! ah, je suis bien perdu !

Nulle trace d'abrou, de puits ou de fontaine.
Quelque méchant fradet pour m'empêcher, c'est sûr,
De trouver le trésor, m'aura fait passer sur
L'herbe de la détourne. Ah ! je n'ai pas de veine !"
L'horizon devenait de plus en plus obscur ;
La nuit allait bientôt s'étendre sur la plaine.

Dans sa détresse à qui s'adresser ? Le pays
Semblait complètement désert. Quelle infortune !
Pourtant il aperçoit là-bas, au clair de lune,
Près de ces deux menhirs par le lierre envahis,
Des nains vêtus de rouge et semblant ébahis
A l'aspect d'un passant égaré dans la brume.

Comme il s'avançait pour demander son chemin,
Voilà ces avortons qui se mettent en danse.
L'un d'eux veut l'entraîner et lui saisir la main.
"Allons, mon brave, il faut virouner en cadence !"
Mais à ce moment-là grand-père, par prudence,
Prend son trèfle et le jette à ce méchant gamin.

Alors tout disparaît et le pauvre bonhomme
Suit sa route, ignorant où cela le conduit.
Et pas une lumière au lointain, pas un bruit ;
Et rien dans l'estomac, rien, pas même une pomme.
Il ne peut pourtant pas marcher toute la nuit.
Ah ! comme dans son lit il ferait un bon somme !

Dans un vieux lavarit il allait tristement
S'abrier, quand il voit, non sans étonnement,
Une lumière qui dans le pré se promène,
Une autre, une autre encore. Est-ce une forme humaine
Qu'on distingue à côté ? Grand-père assurément
N'est pas lâche ; il saura d'où vient ce phénomène.

Il s'avance, et voici que ses yeux charmés
Aperçoivent alors. Que personne n'en doute !
Des dames tout en blanc, aux voiles parfumés,
Et tenant à la main des cierges allumés,
En font dégouliner la cire goutte à goutte
Sur le crin des chevaux qu'elles trouvent en route ;

Et de leurs doigts mignons, très blancs en vérité,
Elle tressent ensuite avec agilité
La crinière et la queue. A leurs grands airs de reines
Mon aïeul reconnaît les belles miloraines,
Dames blanches qui n'ont tant d'amabilité
Que pour les chevaux dont elles sont les marraines.

Mais elles n'aiment pas en soignant les chevaux
Qu'on se permette ainsi de troubler leurs travaux,
Et la bande en fureur du bonhomme s'approche.
Par bonheur il avait pour ces périls nouveaux
Et pour cette nouvelle et terrible anicroche
Sagement emporté ce qu'il faut dans sa poche.

Donc, sans trop s'émouvoir, il en tire ses trois
Brins de buaille et, vite, il en met deux en croix.
Ma foi, je ne sais pas ce qu'il fit du troisième.
Mais le pré redevint désert à l'instant même.
En tout autre moment le grand-père, je crois,
Aurait à tout cela pris un plaisir extrême.

Mais hélas ! le pauvre homme est toujours mal loti
Et sa position n'en est pas moins critique.
"Ah ! brenuncio ! Faut-il que je sois enchouti !"
Aussi quoique la nuit fût calme et poétique,
    en avait assez de tout ce fantastique
Et par tant de guignon semblait anéanti.

Qu'est-ce encore ? Un enfant jeune et de bonne mine
Là-bas sur le charraud tranquillement chemine.
Ce n'est pas un fradet, il n'a pas l'air méchant.
Mais rendu défiant grand-père l'examine
A distance d'abord, et dit en s'approchant :
"Eh ! que fais-tu, mon gas, aussi tard dans ce champ ?

"Est-ce à minet qu'on fait l'école buissonnière ?
- Je vais à Valençon assister au sabbat.
Satan y doit ce soir présider le débat,
Et je suis convoqué pour baiser son derrière.
Si vous voulez je puis vous y conduire. - Ah bah
Devrais-je aussi baiser la patène ... ordurière ?

- Oh ! nenni dà ! - Tant mieux ! Mais en pareil endroit
Chez nous on ne voit pas les queniots de ton âge.
- Un queniot ! moi ! je suis plus vieux qu'on ne le croit.
D'ailleurs j'ai fait couler mon sang en témoignage
D'obéissance au diable, et j'ai conquis le droit
D'aller, quand il me plaît, à ce pèlerinage.

Pour vous, n'ayez pas peur ! Vous pourrez sans ennuis.
Sans vous piquer la veine et sans qu'on vous tracasse,
Voir la cérémonie. - Eh bien ! va ! Je te suis.
Et puis pour le moment que veux-tu que je fasse ?
Ma nuit est démési bien perdue et je suis
Content de voir le diable et d'admirer sa f...ace."

Et fort heureusement l'abrou n'était pas loin,
Car grand-père vané marchait depuis la veille.
Il se cache derrière un gros mulon de foin,
Tranquillement assis, tout yeux et tout oreille.
Jamais probablement d'une chose pareille
Il n'aura le loisir plus tard d'être témoin.

Aussitôt installé dans son abri commode,
Voilà qu'il voit venir en grouée et nombreux
Sorcières et sorciers, garaches, nains affreux,
Bêtes bigournes qui courent la galipode,
Fradets, crapauds vrimoux, chès noirs, boucs amoureux,
Tous se rendent en foule à l'infernal synode.

Satan, rasé de frais et tondu comme un oeuf,
A, pour l'occasion, mis son bel uniforme ;
Il est nu comme un ver, et sa queue est énorme,
Ses cornes noires sont comme celles d'un boeuf,
Ses grands ongles de fer sont reforgés à neuf
Et de longs poils de bouc couvrent son corps difforme.

Les sorcières, pour plaire au maître, ont fait un peu
De toilette : elles sont comme lui toutes nues.
Comme l'on dit chez nous : Cela fait zir ! grand Dieu !
Dans une poële immense, au-dessus d'un grand feu,
Elles font cuire un tas de choses saugrenues :
Loches, camés, laverts, vermines inconnues.

Et tout cela répand un fumet peu tentant.
Grand-père est suffoqué par cette odeur malsaine
Puis le diable se met dans une pose obscène,
Et donne le signal pour que chaque assistant
Vienne à son tour baiser le derrière qu'il tend.
Ah ! le charmant tableau ! la magnifique scène !

Enfin le bal commence avec des cris affreux
Capables d'assourdir des artilleurs eux-mêmes.
Les baulements aigus, les sanglots douloureux,
Les rires effrayants, les horribles blasphèmes
Font grimacer soudain tous ces visages blêmes
Autour du bouillon noir assimenté pour eux.

Mon aïeul commençant à trouver que la fête,
Qui d'abord avait su l'amuser un moment,
Devient par trop bruyante et manque d'agrément,
Et sentant déjà croître un affreux mal de tête,
Empoigne sa médaille et très adroitement
La lance dans la poële où le fricot s'apprête.

Quel changement soudain ! Tout s'est évanoui,
Comme dans un théâtre où l'on baisse la toile.
Le silence succède au vacarme inouï,
Le feu s'éteint. Grand-père ému, tout réjoui,
Issit du tas de foin, s'empare de la poêle
Et, pour finir sa nuit, dort à la belle étoile.

Aussitôt que le jour blanchit à l'horizon,
Le pépé qu'une faim dévorante torture,
Renonçant au trésor, revient à la maison.
Et quand il nous fit part de sa déconfiture,
Quand il nous exhiba la poêle, sa capture,
Ma grand'mère faillit tomber en pamoison.

Dieu vous garde à jamais d'une telle aventure !

Les veillées vendéennes :
contes en vers
G. Boisson
1892

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