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La Maraîchine Normande
20 juillet 2013

DISCOURS FAIT A JERSEY POUR MM. LES GÉNÉRAUX, OFFICIERS ET SOLDATS DES ARMÉES ROYALES ET CATHOLIQUES

DISCOURS A L'OCCASION DU SERVICE SOLENNEL

FAIT POUR MM. LES GÉNÉRAUX, OFFICIERS ET SOLDATS DES ARMÉES ROYALES ET CATHOLIQUES DE LA VENDÉE, DU POITOU ET DE BRETAGNE, MORTS POUR LA CONFESSION DE LA FOI CATHOLIQUE, LA RESTITUTION DU TRONE AU SOUVERAIN LÉGITIME ET LE RÉTABLISSEMENT DE LA JUSTICE.

Prononcé à Jersey, le 29 avril, devant MM. du Comité François ; le 30 avril devant MM. les Gentilshommes Émigrés du Poitou ; le 4 mai devant MM. les Officiers & Soldats du Régiment de CASTRIES, Infanterie Françoise, Émigrée.

PAR J.M. DE CHASTEAUGIRON, Prêtre du diocèse de Rennes.

1796

AU SINCERE AMI DES FRANCOIS,
MONSIEUR LE PRINCE DE BOUILLON,
COMMANDANT LES FORCES NAVALES DE
SA MAJESTÉ BRITANNIQUE, A JERSEY.

Vous le demandez, mon Prince, ce faible discours consacré à l'éloge d'hommes vertueux, de sujets fidèles ; à ce titre il vous appartient, & je suis trop heureux de trouver cette occasion de vous prouver mon dévouement. Si j'avois pu faire passer dans mes expressions toute la chaleur de mes sentimens, le présent seroit digne de vous : c'est le talent qui a manqué au sujet ; car jamais on ne fut en plus heureuse circonstance pour bien dire. Je parlois de modèles de confiance & de générosité, & je parlois devant mes concitoyens, dont le désintéressement, la fidélité, la bravoure & les sacrifices sont l'étonnement & l'admiration de leurs ennemis même : fut-il jamais circonstance plus propre à enflammer ; je parlois de l'honneur & de la fidélité à des François qui n'existent que pour ces deux sentimens, & sous les auspices & la protection d'un PRINCE dont la loyauté, la délicatesse ... Mais il faudroit finir par des protestations de reconnoissance, & votre générosité nous interdit de prononcer ce mot, le sentiment du moins nous reste, & nous vous ferons toujours un devoir de la conserver.
Je suis avec respect,
MON PRINCE,
Votre très-humble & très obéissant serviteur,
J.M. DE CHASTEAUGIRON, Prêtre.

DISCOURS

La menace & le blasphême à la bouche, un orgueilleux philistin insulte & provoque les plus braves d'Israël : la terreur a glacé tous les courages ; les guerriers les mieux connus craignent de se mesurer avec cet odieux blasphémateur. L'éclat de ses armes les éblouit ; sa taille gigantesque les effraye, &, dans le silence général, le Roi lui-même, ce Saül distingué par des exploits militaires, semble partager le découragement de ses guerriers. Un jeune berger se présente, & seul il ose demander à combattre. J'irai, dit-il au Roi, & j'effacerai l'opprobe du peuple. Quel est donc cet inconnu qui ose maudire l'armée du Dieu vivant ? Malgré les représentations du Monarque, étonné de tant de générosité, il persévère ; il part, & bientôt son audacieux rival, étendu par terre, cède sa dépouille & sa vie à un enfant qu'il sembloit dédaigner & dès ce moment Israël, dans le jeune berger, prévoit un libérateur.

Messieurs, ne pouvons-nous pas appliquer cet exemple étonnant & sublime aux françois généreux, dont le souvenir nous rassemble en ce jour, & pour qui, dans le même temps que nous sollicitons la divine miséricorde, nous osons nous promettre que le Seigneur aura déployé sa grande & souveraine indulgence. Comme autrefois David, c'est pour venger leur patrie cruellement outragée ; c'est pour repousser les sacrilèges attentats des rebelles, également coupable envers le Dieu de leurs pères & envers leur Monarque légitime qu'ils osèrent défier, ces ennemis furieux, enflés par les premiers succès de leurs crimes, enhardis par leur nombre & soutenus par toutes les ressources de l'art & de la scélératesse. C'est parce qu'ils mirent, comme David, en Dieu seul leur confiance qu'ils eurent des succès. Ils n'envisagèrent jamais d'autre but que la justice, d'autre règle que le devoir, & c'est pour cela qu'ils bravèrent, avec un héroïque dévouement, les dangers les plus redoutables, & qu'ils nous laissèrent, en mourant, le plus magnifique exemple & le plus légitime espoir.

Dédaignant ou affrontant tout ce qui peut retenir ou effrayer les autres hommes, ils développèrent, au sein de la contagion & au milieu de la corruption générale, cette généreuse activité, qui fait le caractère honorable & distinctif du sujet fidèle ; mais ils appuyèrent leur résolution sur la seule base qui pouvoit les rendre inébranlables, & ces nouveaux Machabées, décidés à mourir pour les saintes lois de la patrie, s'étoient long-temps accoutumés à les regarder comme les dispositions de la sagesse divine, comme des établissemens consacrés par la garantie de l'Eternel, & ils furent fidèles, parce qu'ils étoient chrétiens convaincus & soumis ; & s'ils se soulevèrent avec une sainte indignation contre les violateurs de tous les droits, c'est qu'ils virent en eux les profanateurs de la justice de Dieu, & s'ils soutinrent jusqu'à la fin le combat du Seigneur, si leur mort même fut une source d'espérance & un triomphe, c'est que, nouveaux David, ils pouvoient dire à ces nouveaux Goliath : "Vous venez contre nous, armés de lances & d'épées, couverts de boucliers, & nous c'est au nom du Dieu de nos pères, que vous avez outragé, que nous nous élevons contre vous ; il vous abandonnera à nos justes efforts ; la terre sera jonchée de vos cadavres, & tout l'univers saura qu'il reste encore un Dieu à Israël : ut sciat omnis terra quia Deus est in Israel. C'est aujourd'hui sa cause pour laquelle nous combattons ; c'est sa guerre que nous soutenons, & il vous livrera dans nos mains. Ipsius est enim bellum & tradet vos in manus nostras."

C'est à cette constance & sublime persuasion qu'ils durent leurs vertus, leurs premiers efforts & leurs succès. S'ils ont péri au milieu de leur généreuse entreprise, ces nouveaux Jonathas n'en sont pas moins les libérateurs d'Israël, ils n'en ont pas moins laissé à l'univers un grand exemple, & à nous, Messieurs, de puissans modèles ; ils ont montré aux peuples combien la fidélité du sujet pouvoit inspirer de générosité, de résolution & de sacrifices ; ils nous ont montré comment la religion affermit & double les ressources, la fidélité & l'héroïsme du sujet.

Rassemblés ici pour une cérémonie funèbre, ce n'est point à de vains éloges, à un simple récit d'actions héroïques & vertueuses que vous attendez que je doive, ministre de l'évangile, borner l'honorable emploi de la parole ; c'est l'instruction que vous venez ici chercher ; c'est elle que vous avez droit d'exiger de moi ; c'est elle qui doit sortir de tous les détails. Ceux pour qui nos prières aujourd'hui s'élèvent à l'Eternel, remplirent éminemment les devoirs difficiles que la religion & l'honneur leur traçoient. Le souvenir de leur exactitude à les remplir doit exciter en nous une noble émulation, & donner une chaleur nouvelle à nos voeux pour leur entière justification : ils furent chrétiens, espérons que le Dieu de miséricorde a accepté leur sacrifice ; ils furent vertueux, nous devons l'être. Reconnoissons nos devoirs à l'école des Généraux, Officiers & Soldats des Armées Catholiques & Royales de la Vendée, du Poitou & de Bretagne, morts pour la confession de la Foi Catholique, pour la restitution du Trône au légitime souverain, & pour le rétablissement de la Justice.

Être citoyen fidèle, ce n'est pas seulement se borner à conserver dans son coeur un respect inaltérable pour le Souverain & pour les dépositaires de l'autorité ; ce n'est pas seulement éviter la communication avec les séditieux & les rebelles ; ce n'est pas même seulement condamner hautement les entreprises sacrilèges formées contre l'oint du Seigneur & contre les appuis du Trône ; ce n'est pas seulement gémir sur les maux de la patrie & déplorer les crimes & les désordres de ses concitoyens. Le sujet vraiment fidèle ne borne point là l'expression de sa sensibilité, ni l'étendue de ses devoirs ; il a vécu sous la protection bienfaisante de la loi ; il doit donc être disposé, s'il le faut, à mourir pour elle ; comblé dès ses premiers ans des bienfaits d'un gouvernement paternel & fixe, il doit en transmettre à ses descendans tous les avantages. Ce n'est point assez pour lui de ne pas concourir à sa destruction, il doit de tous ses efforts le soutenir, en arrêter la ruine, & s'il faut périr en cet honorable emploi, il n'y voit qu'un devoir, qu'un acte de justice & de reconnoissance, il ne regarde point autour de lui, si tout ce qui l'environne concourt à son effort. Il sait qu'il y est obligé & il s'en acquitte avec zèle, confiance & désintéressement. Placé au milieu des pervers, il préfère de mourir généreusement, plutôt que de devenir le complice ou le sujet des rebelles, eligens nobiliter mori potius quam fieri subditus peccatoribus, plutôt que d'être forcé par les outrages & les injustices mêmes, à agir contre les devoirs que lui impose sa naissance, & contra natales suos indignis injuriis agi : mais cette constante fidélité, les moeurs seules peuvent la donner, & l'on ne peut s'assurer de ses moeurs qu'autant qu'on les appuye sur une base religieuse, qu'autant qu'on va attacher au Trône de Dieu même le premier anneau de ses devoirs. Jamais cette vérité ne fut plus évidemment démontrée par les faits que dans le siècle déplorable où nous vivons.

Une immoralité générale, un égoïsme aride avoit détaché les hommes de l'intérêt public ; le moins vicieux vivoit pour lui seul, & érigeant en prudence les froids calculs de l'intérêt personnel, chacun en son coeur examinoit les lois de sa patrie, d'après ses rapports particuliers, & les jugeoit d'après ses combinaisons isolées : il n'existoit plus qu'une association d'hommes occupés d'eux-mêmes, que la timidité ou l'incapacité d'un effort un peu vif retenoit les uns près des autres ; mais que rien n'unissoit, & que par conséquent le moindre choc, pourvu qu'il fut dirigé avec violence ou adresse, devoit certainement désunir & repousser à une grande distance les uns des autres. Le lien sacré de la religion qui, au défaut des lois, suffiroit seule pour affermir la société humaine, au milieu d'une immoralité si universelle, étoit devenue une chaîne importune dont on cherchoit à se débarrasser, & ce sentiment disposoit à tous les sophismes de la mauvaise-foi, à toutes les impressions de la fourberie, à tous les pièges de la scélératesse : les Ministres du culte étoient par là même devenus un objet importun, parce que leur vue réveilloit un reproche intérieur, ou rappeloit une obligation à laquelle on vouloit se soustraire.

Messieurs, voilà la véritable source de nos maux ; ne cherchons point ailleurs la cause des désastres qu'a essuyé notre malheureuse patrie. Nous n'étions plus citoyens, & nous avions cessé de l'être en proportion de ce que nous avions cessé d'être chrétiens, & si les traces du civisme se conservèrent quelque part en notre infortuné pays, c'est que là les moeurs étoient plus pures & la religion mieux observée.

Interrogeons ces généreux défenseurs du Trône & de l'Autel, dont nous honorons aujourd'hui la mémoire ; demandons-leur à quels heureux signes ils découvrirent quelle contrée dans le royaume pouvoit leur fournir des hommes assez vertueux pour dédaigner les vains efforts des méchans, braver les considérations ordinaires & triompher des obstacles : interrogez même leurs ennemis, consultez un de ces êtres sanguinaires, ministre actuel de la barbarie de nos nouveaux tyrans ; demandez-lui à quoi il attribue cette fidélité généreuse qui éleva les Royalistes de la Vendée au-dessus des promesses, des considérations humaines & des obstacles ? Dans les mémoires mêmes qu'il a écrits pour pallier ses atrocités & ses défaites, il vous dira : c'est que ce peuple avoit conservé ses moeurs, c'est qu'il étoit religieux.

Heureuse contrée, pendant que le reste du royaume ébranlé par les secousses successives que lui donnoient des pervers, cédoit à toutes les impulsions ; vous seule, fidèle à vos premiers engagemens, aviez conservé, soigneusement récelé, ces Ministres des Autels qu'on poursuivoit, qu'on déchiroit de toutes parts ; restée fidèle au culte de vos pères, vous n'aviez pas consenti à être privée de ceux qui pouvoient affermir vos habitans dans la pratique de la vertu, & les diriger dans les sentiers de la justice. Habitans vertueux, envain employoit-on autour de vous & les offres de la séduction & les horreurs de la menace, on n'avoit pu vous détacher de ces seigneurs dont vous aviez tant de fois recueillis les bienfaits, & dont les titres & les distinctions, achetés du sang de leurs auteurs, n'étoient point pour vous un objet de jalousie, parce qu'à l'école de la religion vous aviez appris à les regarder comme les effets d'une subordination nécessaire, établie par Dieu & garantie par sa volonté. Le nom auguste de roi faisoit tressaillir votre coeur vraiment françois, & toutes ces heureuses dispositions vous les deviez à la religion & à l'ignorance d'un vain luxe, destructeur des moeurs & de la félicité publique & individuelle.

Tous les établissemens de vos ancêtres tombant autour de vous par l'horrible fracas qui accompagnoit leur chûte, vous avertissoient des dangers qui menaçoient la patrie, & tant que vous pûtes croire que la volonté de votre Roi y concouroit, vous gémissiez en secret des nouveautés auxquelles l'autorité sembloit souscrire : mais le Monarque, échappé un moment aux indignes fers dont les rebelles le tenoient enchaîné, avoit, dans ce court intervalle, protesté contre la violence, & vos coeurs s'étoient soulevés d'indignation, & détestant ouvertement toutes ces innovations audacieuses, vous aviez dès ce moment songé à repousser le joug qu'on vouloit imposer à votre patrie.

Éclairé sur les vraies intentions de son Maître, un brave gentilhomme breton, ami de son Dieu, ami de son Roi, & portant dans ce double amour toute la chaleur d'un coeur tendre & d'une âme de feu, tout le désintéressement d'une âme chevaleresque & vertueuse, & la confiance de la droiture qui s'indigne contre les méchans, sans jamais prévoir la méchanceté, cherchant par-tout, au péril de ses jours, aux dépens de sa fortune, des amis à son Roi, des ennemis aux rebelles, des citoyens à la patrie qu'il chérissoit. Le vertueux De la Roirie avoit, dans ses courses nombreuses, connu les dispositions du Poitou, & s'étoit bien promis qu'en resserrant les noeuds qui, de tous temps, unissent cette province à la Bretagne & font des Poitevins les dignes frères d'armes des Bretons, il donneroit à la France l'exemple efficace de la résistance à l'oppression, & du retour aux vrais principes fondamentaux du bonheur social. Ses plans combinés avec les principaux personnages des deux provinces, approuvés des Princes & du Roi même, soutenus par la bravoure d'une Noblesse généreuse, par les forces d'un peuple fidèle, sembloient devoir prévenir bien des maux : des ordres l'enchaînent : un soulèvement partiel éclate ; à la tête de quinze mille hommes, que son industrieux dévouement à rassemblé près de Bressuire, le vertueux Baudry d'Asson se promet d'être bientôt puissamment soutenu. Ame noble & franche, dans un siècle pervers, craignez la perfidie. Déjà le fidèle d'Héricy & ses braves amis, associés au même projet, vendus par un traître, expient à Caen, dans les horreurs de la détention, la gloire d'avoir projeté le rétablissement de leur patrie. Vos efforts en ce moment sont impuissans ; des lâches vous ont trahis ; fuyez, réservez-vous pour des temps plus heureux, où vos efforts pourront être plus utiles. Pendant huit mois ce sujet fidèle reste enseveli dans un obscur souterrain, gémissant sur les maux de sa patrie, & demandant au Ciel de pouvoir contribuer à les finir. Homme généreux, consolez-vous, votre prison volontaire finira, & vos longues souffrances seront couronnées par une récompense sans prix : vous verrez vos concitoyens étonner l'univers par leur courage ; vous concourrez à leurs succès, & s'il faut périr à S. Fulgent, c'est au sein de la victoire que votre Dieu vous appellera à la palme, & votre trépas sera le plus noble que puisse désirer un chevalier françois ; vous périrez pour attester votre fidélité au Roi.

Cette tentative infructueuse a éveillé l'inquiète vigilance des méchans : d'artificieuses promesses sont répandues pour corrompre un peuple que depuis César on ne pût jamais asservir, & que les méchans désespèrent de soumettre : mais ces promesses perfides cachent un poison, & les assassins du meilleur des Rois ne peuvent être que des traîtres : bientôt l'effet a vérifié les soupçons. L'indignation & l'horreur deviennent générales, & les rebelles peuvent dès cet instant compter une province de moins.

Sagesse inconcevable de mon Dieu, ce sont toujours les plus foibles élémens, aux yeux des hommes, que vous employez pour opérer les plus grandes merveilles. Paisibles & simples habitans des campagnes, c'est au milieu de vous que Dieu va susciter des défenseurs & des héros : vos coeurs faciles & vrais peuvent aisément être égarés par les apparences du bien que vous chérissez ; mais gardez-vous du poison corrupteur des villes. Trop souvent leurs habitans corrompus soufflent sur vous leurs vices & vous laissent la pauvreté, la douleur & le remords à la place de vos vertus que vos regrettez. C'est par vous qu'ils voulurent consolider leur crime, les rebelles, & c'est en vous que les lois outragées trouveront des vengeurs ; c'est en vous que le Dieu de Clovis trouvera des défenseurs, que le fils de S. Louis retrouvera les premiers sujets fidèles.

Stofflet et Cathelineau, hommes rares & précieux, vos noms vivront dans tous les siècles ; prononcés avec respect par tous les sujets fidèles, ils seront gravés sur le trône des Monarques ; ils se conserveront sur le marbre & l'airain pour attester à tous les peuples, à tous les âges que s'il n'est aucune condition à qui la vertu, la valeur & l'héroïsme soyent étrangers, il n'est aussi rien que ne puisse surmonter le sujet fidèle & vertueux ; qu'il fait également dédaigner les vains efforts des méchans & braver les considérations ordinaires.

S'il pouvoit exister parmi des françois, illustrés aux yeux de l'Europe par leur généreux désintéressement & leur inébranlable courage, quelqu'un de ces hommes de mauvaise-foi qui voudroient cacher leur nonchalance ou leur lâcheté, sous le voile de l'impuissance, qui, se retranchant derrière leur prétendue nullité, s'excuseroient de partager des dangers dont ils voudroient bien recueillir les fruits, qui se disant chrétiens feroient consister leur religion à prier, tandis que leur vocation dans l'ordre social, que le rang qu'ils occupent, les appellent à agir ; tandis que quatre ou cinq cent ans de bienfaits ont été versés par la société sur leur race, pour qu'ils sçussent mourir un jour ; je leur dirois ; venez & voyez combien sont vaines les considérations qui vous arrêtent.

Alleguerez-vous que vous êtes un particulier isolé, sans crédit ? Quel étoit Stofflet ? Un soldat, un homme réduit par la modicité de ses moyens à la domesticité, & voyez cet homme devenir le modèle des guerriers, le digne rival de la chevalerie françoise. Voyez quelle existence il a su acquérir par l'ascendant du courage & la confiance de la vertu. Voyez à côté de lui cet homme dévoué par son état aux derniers emplois de l'Eglise ; il puise en son coeur seul l'aliment de son énergie ; il est chrétien, il est sensible & il devient éloquent. Ecoutez dans cette forêt le brûlant Cathelineau, haranguant les paysans qu'il a rassemblés. Voyez-le embraser du feu qui le dévore ces âmes simples & droites, leur communiquer son enthousiasme, ne jamais nommer son Roi qu'au nom de son Dieu, confondre avec justice les droits du Trône & ceux de l'Autel, & ne parler à ces êtres vertueux de leurs anciens seigneurs, que pour leur rappeler les bienfaits : & vous que la Providence a placés à un rang plus élevé, quand vous vous croyez, avec raison, nés pour conduire, & destinés au commandement par la société même, vous vous plaindriez de l'insuffisance de vos moyens ; ce n'est point ici, comme vous, un seigneur adoré qui parle à ses vassaux ; mais c'est un homme chrétien qui parle des devoirs au nom de la vertu & qui montre la récompense après un trépas glorieux. La pesanteur de l'âge même ne peut retarder l'élan d'un coeur généreux. Voyez ce vieillard, décoré du signe honorable de la valeur ; c'est Roirand déjà dans sa soixantième année ; & il vient se rejoindre aux amis de son Roi, quels qu'ils soient ; il mène avec lui quatre mille habitans de la campagne.

Qui peut arrêter des hommes que le besoin d'armes n'arrête pas ? Saül veut revêtir David de sa plus brillante armure ; le jeune berger effaye ces armes & s'en trouve accablé ; c'est avec son vêtement ordinaire qu'il affronte le philistin ; c'est avec des bâtons, c'est avec les honorables instrumens de leur utile état que ces respectables laboureurs, devenus les soldats de Stofflet, Roirand & Cathelineau, volent au combat, & quatre mille paysans battent une armée de quinze mille hommes, pourvus de tous les instrumens du meurtre ; & des hommes défendus par les seuls symboles extérieurs de la religion, dont ils portent tous les principes dans le coeur, enlèvent ces machines foudroyantes qui vomissent au loin le carnage & la mort.

Ministres du Dieu vivant, hâtez-vous de paroître au milieu de ces nouveaux Machabées ; sortez de vos retraites & partagez les dangers auxquels s'exposent ces admirables défenseurs de l'Autel & du Trône. Votre ministère saint vous défend, sans doute, de verser le sang ; mais il vous ordonne aussi de prêcher à temps & à contre-temps, de devenir, s'il le faut, anathême pour le peuple, & votre divin Maître vous a dit, qu'il vous envoyoit comme il l'avoit été lui-même, & qu'il n'étoit pas venu pour les justes d'Israël, mais pour sauver ceux qui périssoient. Un double emploi vous attend, celui d'affermir dans l'espoir les honorables victimes de leur zèle, de leur accorder les secours & les consolations de la religions, & celui plus précieux encore & plus urgent de ramener à la vertu ces républicains farouches, que le sort des armes a fait prisonniers, & qui ne blasphêment la vérité, que parce qu'ils ne l'ont jamais connue. Nos voeux sont remplis, & des ministres fidèles, attachés à la suite des combattans d'Israël, leur répètent ces paroles que Moyse ordonna autrefois d'adresser au peuple de Dieu avant les combats : écoutez Israël, aujourd'hui vous allez combattre vos ennemis, que votre coeur ne cède point à la crainte, non expavescat cor vestrum ; ne vous laissez point alarmer, nolite cedere ; soyez sans frayeur, ne formedetis ; le Seigneur votre Dieu est au milieu de vous, deus vester in medio vestrum est ; il combattra vos adversaires, contra adversarios dimicabit ; il vous arrachera du danger, eruet vos de periculo.

Le dix mars Cathelineau & Stofflet ont allumé les premières étincelles de cette ardeur généreuse, & dès le 29 Fontenai-le-Comte est enlevé ; quarante lieues sont soumises, & le Roi de France peut compter une étendue de terrain couverte par de fidèles sujets. Fontenai, Thouars, Saumur, Angers deviennent la conquête des fidèles royalistes ; ils s'y arment, & leurs ennemis tremblent d'effroi. A grands frais ils font accourir en poste cette garnison aguerrie, qui, si long-temps enfermée dans Mayence, a si constamment résisté aux forces prussiennes ; ils comptent sur sa bravoure & les insensés ! ce sont des victimes qu'ils amènent au royalisme. Au pont de Vrines cinq mille hommes osent attaquer les républicains, & l'armée, forte de vingt-cinq mille hommes, fuit devant le petit nombre des sujets fidèles. Les succès se multiplient sur tous les points, & par-tout une disproportion aussi marquée est toujours accompagnée du même succès. Campagnes de Coiron, jonchées de cadavres républicains, vous attesterez aux rebelles futurs que la justice & le courage religieux, l'emportent sur le nombre, & que trente-cinq mille soldats de l'athéïsme ne purent tenir devant six mille adorateurs du Christ. En cette journée, à jamais mémorable, artillerie, bagage, tout est abandonné, tout est délaissé, tant est grande la terreur qu'imprime au méchant l'homme vertueux.

Etonné de succès dont il ne connoît pas la cause, le rebelle s'agite, il se tourmente : avec une rapidité incroyable ses généraux se succèdent & avec eux les revers. Hommes injustes, ils se déchirent entre eux & ne savent pas que la source de ces évènemens vient de la différence de leurs moeurs. Ils ne voyent pas que la déplorable irreligion, que le désolant fatalisme laisse l'homme isolé au milieu de l'univers & détruit en lui jusqu'au germe des pensées nobles ; ils ne voyent pas que celui qui n'attend rien après la mort, doit désirer de vivre & envisager sa destruction avec effroi, tandis que l'homme rempli de son immortalité s'unit dès ce moment avec ceux de qui il ne compte jamais être désuni, tandis que l'homme qui porte ses regards & ses désirs dans l'éternité s'y enfonce avec joie & n'envisage en mourant qu'une longue suite de jouissances, produite par la satisfaction intérieure d'avoir rempli son devoir. Raisonneurs sans principes, vous voulez faire des citoyens & leur donner une âme ardente pour le bien commun ; multipliez donc les liens qui les réunissent ; donnez-leur donc des moeurs, & pour cela attachez-les plus puissamment au Dieu que tout leur atteste. Les prodiges des royalistes, leur constante persévérance vous déconcertent, c'est qu'ils sont citoyens, & que comme tels, ils méprisent les efforts des méchans, les considérations humaines & bravent les obstacles qui arrêtent les autres hommes ; ils sont citoyens, parce qu'ils sont chrétiens, & c'est encore le christianisme qui affermit & double leurs ressources, leur fidélité & leur héroïsme ; c'est lui qui leur apprend à braver la mort, parce qu'elle est le passage au bonheur, & que soufferte pour la justice, elle est le sceau d'une double immortalité.

Galates insensés, dit l'apôtre S. Paul, vous aviez bien commencé, pourquoi vous arrêter dans la carrière ? Vous avez commencé par l'esprit, finirez-vous par les illusions de la chair ? Cet avis de l'apôtre, Messieurs, peut s'appliquer à presque toutes les institutions, à toutes les entreprises humaines : entreprendre une chose hardie, c'est donner à son amour une satisfaction bien sentie ; c'est en quelque chose s'agrandir soi-même à ses propres yeux, dédaigner ce qui flatte les autres hommes ; c'est acquérir une supériorité précieuse, une indépendance réelle ; parvenir à de grandes choses avec de foibles moyens, c'est le fruit & la récompense d'une noble audace, ce peut être aussi le produit de la témérité ; surmonter de grands obstacles, sans s'en laisser ébranler, il ne faut pour cela que de la continuité dans les efforts & de l'énergie dans le caractère, & si des motifs humains seuls ont déterminé ces efforts, il est bien à craindre que la lutte des passions contraires, ne viennent annuller le premier effet : mais pour récompense de ses efforts pénibles ne se proposer que la soumission la plus exacte, qu'une patience sans cesse, nécessaire, une mort glorieuse sans doute, mais presqu'inévitable : la religion seule peut inspirer cette générosité ; elle seule double & affermit les ressources ; elle seule double l'héroïsme & la fidélité. C'est elle qui inspira aux armées Catholiques & Royales cette soumission constante qui les attacha à leurs chefs, cette patience infatigable qui brava tous les dangers, toutes les souffrances : c'est la religion qui donna à leur mort ce caractère héroïque qui en fit des martyrs de la religion & du devoir.

Formée par le désir du bien général, par un amour commun de la justice, cette coalition d'hommes vertueux sentit la nécessité de se donner des lois & un chef, & c'est ici le triomphe de la générosité & du désintéressement. Hommes ordinaires, vous-mêmes hommes qui vous piquez de délicatesse, un momens mettez-vous à la place de Stofflet & de Cathelineau, & par votre résolution, jugez de leur généreuse abnégation & de leur vertueux amour du bien ; ils ont formé les premiers rassemblemens, ils sont l'idole & l'objet unique de la confiance pour ceux dont ils ont réveillé le courage, & je les vois renoncer au commandement & aller chez un jeune & estimable guerrier, dont les sentimens de fidélité leur sont connus, le prier d'être leur chef, l'y contraindre même par une noble violence. Dira-t-on que c'étoit, de leur part, aveu de leur impuissance ? Hommes injustes, sachez donc connoître & apprécier mieux les vrais sentimens, & rendez hommage à la modestie de ces personnages vertueux. Avec la confiance d'un héros, Stofflet en avoit la fermeté ; courageux jusqu'à l'audace, vif et franc, hardi dans ses décisions, grand dans ses projets, prompt dans ses apperçus, aimable pour ceux qu'il avoit à conduire par la simplicité de ses manières ; ce n'étoit point pour lui un apprentissage que la guerre ; fils d'un vétéran, soldat lui-même, il avoit long-temps servi dans un de ces corps d'infanterie françoise, si connue par la bravoure, & né Lorrain, il avoit au régiment de Lorraine fait ses premières armes & y étoit parvenu à un de ces grades en sous-ordre qui font la force exécutrice de l'armée, comme les officiers supérieurs en sont la force motrice & réelle. Il s'étoit formé dans cet emploi à la tenue & à la discipline ; & les développemens qu'il donna à son ordonnance militaire, & qui ont mérité les suffrages des républicains mêmes, prouvent sa capacité, encore mieux attestée par ses exploits. Doué d'une imagination chaude et vive, Cathelineau y joignoit le sang froid de la prudence, la réserve de la circonspection, attentif à profiter de toutes les circonstances, sachant à propos saisir l'occastion & en tirer tout le parti dont elle étoit susceptible : habile dans l'art de connoître les hommes & de s'en servir, Cathelineau avoit deviné l'art militaire & étoit aussi propre à la négociation & à l'administration qu'au combat : nous pouvons attester ici l'armée entière qui, d'un commun accord, l'auroit choisi pour général, si, par un malheur, hélas ! irréparable, cet homme unique n'eut péri d'une mort prématurée. Qu'on juge de ses talens en songeant qu'un homme sans expérience, sans autres ressources que son génie, étoit parvenu à soulever, en faveur de la royauté, six cent soixante-quatre paroisses en vingt-quatre heures, & ce qui est encore plus incroyable, de les amener à une unité de vue, à un accord que la négociation exercée auroit craint de se promettre en une année. Hommes présomptueux, qui ne voulez point de supérieurs ou qui n'êtes jamais content de ceux que la Providence vous a donné, voilà les deux personnages qui, pour premier acte d'autorité, vont à la retraite paisible où sur les maux de sa patrie, fut son impuissance actuelle d'y remédier, un jeune & valeureux guerrier ; il vont entre ses mains jurer obéissance à leur Roi & le prier de les conduire par ses ordres & de les diriger par ses avis. Quel est donc ce guerrier qu'honore une pareille confiance, Messieurs, c'est un homme encore dans la fleur de l'âge, qui n'a pas encore atteint son quarantième hiver, mais que la réflexion & l'étude ont mûri ; il s'est instruit & dans son pays & chez l'étranger aux manoeuvres de la guerre & aux grands intérêts des peuples. Adoré, béni de ses vassaux, dont il étoit le père, lié d'intimité & d'estime avec le vertueux Roirie, il avoit été le confident de ses desseins & les avoit adoptés & il attendoit le moment d'en voir l'exécution. A un extérieur séduisant & distingué, joignez une bravoure à toute épreuve, une prudence consommée, une éloquence persuasive & entraînante, une affabilité majestueuse, une fermeté douce que rien ne décontenance. Tel étoit le valeureux Delbecq. Militaire profond, il porta ses premiers soins à organiser son armée, à rétablir & affermir les anciennes lois. Il apprit à ses soldats l'art difficile d'attaquer & de défendre, & forma, par ses leçons & ses savantes méthodes, les généraux qui lui succédèrent.

Loin du citoyen généreux l'ambition de dominer seul, c'est le bien général qu'il désire & il sait qu'il ne peut s'opérer que par le concours des volontés & par le secours d'agens intermédiaires & éclairés. Prenez, dit Jethro à Moyse, des hommes puissans & craignans Dieu, qu'ils aiment la vérité & détestent l'avarice ; établissez-les au-dessous de vous pour conduire le peuple dans tous les temps ; qu'ils se concertent avec vous pour les grandes affaires & décident par eux-mêmes, suivant le besoin du moment, celles de moindre importance. Alors vous pourrez vous assurer d'exécuter la volonté de Dieu.

C'est ainsi que le brave Delbecq, tout dévoué à l'intérêt public & n'aspirant qu'à la gloire de bien faire, s'entoure d'un conseil, par les avis duquel il veut être éclairé, à la tête duquel il met le sage Bonchamp & auquel il cède dans les choses même qu'il croit devoir être autrement. Voulant resserrer les liens qui unissent tous les ordres ensemble, voulant même adoucir par la tendre commisération du ministère ecclésiastique, la sévérité de la discipline, il appelle à ces conseils d'administration quelques ecclésiastiques vertueux & instruits. Outre l'avantage d'avis appuyés sur une morale pure & sévère, il est assuré par-là de convaincre de plus en plus les peuples de la sincérité des motifs qui le font agir. L'armée se partage en trois corps, mais le même esprit y règne & le généralissime est l'âme qui vivifie l'ensemble ; Bonchamp, Lescure, Charette, animés des mêmes sentimens, se font gloire de concourir aux mêmes succès.

Grand Dieu ! par quel crime nouveau avions-nous mérité que vous nous retirassiez sitôt ces flatteuses espérances, & pourquoi n'ai-je presque plus à annoncer que des revers ? Vous avez voulu, sans doute, en nous punissant, faire briller la patience de ceux dont déjà tout nous faisoit admirer la subordination ; après les victoires les plus signalées, des désastres effrayans viennent tout-à-coup semer le découragement & la terreur : Mortagne, Chollet, Tiffauge, Beaupréau, tous ces retranchemens jusqu'alors redoutés, tombent. Le républicain insolent chante & profane la victoire. Des débris de ses armées vaincues, il a formé un tout, & enchaînant, par la terreur, les foibles & pusillanimes, il traîne avec lui ces masses effrayantes en apparence, mais sans solidité quand on les reçoit avec le talent & le sang froid, masses qui ne peuvent exister que chez un peuple sans moeurs, où la timidité & l'égoïsme arrêtent la résistance & enchaînent au joug que l'on déteste, l'homme foible qui craint d'avouer ses principes & d'agir après eux. L'espoir de l'armée, les braves généraux Delbecq, Lescure, Bonchamp sont blessés. Grand Dieu ! le pays honoré par tant de prodiges de votre bonté, cette terre où votre nom étoit béni, abandonnée de ses habitans, n'est plus qu'un théâtre de carnage, d'incendies ; toutes les traces du bonheur que vous aviez accordé à la vertu, ont disparues. Citoyens fidèles que vos infirmités empêchoient de combattre ; femmes vertueuses, dont les époux luttent encore contre les ennemis de Dieu & du Trône, fuyez devant ces dévastateurs ; emportez avec vous ces enfans précieux à qui, sans doute, la Providence un jour accordera la récompense due aux travaux & aux sacrifices de leurs pères.

Acharnés sur un seul point, il semble que les barbares veulent y faire la guerre aux élémens même, & cette atroce férocité qui sévit contre les débris, donne à l'armée catholique le temps de se retirer au-delà de la Loire ; des succès nouveaux marquent ses pas, mais des pertes bien cruelles l'y attendent. Auprès d'Antrain périt cette troupe renommée & féroce, si connue sous le nom de la ville qu'elle défend ; elle a succombés sous les efforts d'un jeune héros, aussi distingué par ses talens précoces que par sa naissance. Jeune La Roche-Jacquelin peu de jours sont encore dûs à ton existence ; mais tu vivras tant qu'il existera une âme sensible, & tes jours, quelque peu nombreux qu'ils soient, auront été pleins pour la vertu, pleins pour l'honneur ; c'est à toi qu'est due la gloire d'avoir sauvé le reste de l'armée & d'avoir écrasé les plus audacieux ennemis de l'ordre & du bien ; avoir été constamment utile, c'est avoir assez vécu. Espoir flatteur de succès, avec quelle promptitude ne vous êtes vous pas évanouis ? Grand Dieu ! un instant d'erreur & d'insubordination a-t-il pu provoquer un si terrible châtiment ?

Après un rapport infidèle, tout Israël se livre au murmure contre Aaron & Moyse. que n'avons-nous péris, s'écrient-ils, dans la terre d'Egypte, plutôt que d'être venus ici dans cette vaste sollicitude chercher nos tombeaux. Ah ! qu'à jamais le Seigneur ne nous introduise dans cette terre si désirée, puisque nous devons y périr par le fer & y voir nos femmes & nos enfans réduits à l'esclavage ; ne valoit-il pas mieux retourner en Egypte. En entendant ces murmures Moyse & Aaron se prosternèrent la face contre terre, & Josué & Caleb envain cherchèrent à rassurer le peuple, & le Dieu irrité qui jusques-là les avoit protégés, fit entendre ses menaces ; j'en jure par moi, dit le Seigneur, vos cadavres joncheront ces déserts ; vous avez murmuré contre moi, vous n'entrerez point dans la terre que je vous avois promise ; j'y introduirai vos enfans que vous disiez devoir être la proie de vos ennemis : mais vous errans & vagabonds, vous terminerez votre vie dans cette sollitude pour être à jamais un exemple effrayant de ma justice.

Menaces terribles ; en vous les rapportant, ne semble-t-il pas que je ne suis que l'historien des maux qui accablent les royalistes. Grand Dieu ! est-ce donc ainsi que vous avez puni un instant d'insubordination à Granville, & le regret d'avoir quitté ses foyers. Au Mans un carnage affreux enlève les femmes, les prêtres, les vieillards ; à Nantes plus de soixante mille périssent, l'air en est infecté, les sources en sont corrompues, & las d'égorger, le barbare ennemi invente des machines détestables pour en faire périr dans les flots un plus grand nombre à la fois. La pudeur naturelle est outragée, & des bêtes féroces lançant en l'air des enfans à la mamelle, les reçoivent sur la pointe de leurs lances, en chantant ces airs féroces, inventés pour animer au meurtre & que répètent, hélas ! avec tant d'insouciance, ceux à qui sans cesse ces sons de cannibales, devroient rappeler la mort de leurs proches & les derniers mots de leur Roi, étouffés sous le bruit de ces horribles chants.

Seigneur, votre justice est satisfaite, que le règne de votre miséricorde commence, & si vous avez puni si sévèrement une faute passagère, ah ! que le fruit de leurs longs travaux ne soit pas perdu & que du moins, en mourant, ils reprennent cette patience, cette résignation infatigable qui caractérisent le chrétien.

Messieus, vos voeux sont entendus, & sur tant de millions de victimes, pas une ne témoigne de faiblesse, pas une ne renie la cause pour laquelle elle périt. Les chefs ont succombé ; Stofflet & son digne collègue, le jeune La Roche-Jacquelin, restent seuls ; envain ils veulent rallier les débris de leur armée dispersée ; efforts inutiles, ils sont réduits à passer furtivement & mal suivis.

Un retour de faveur semble annoncer un nouvel espoir. Un jeune héros qui honore à la fois deux provinces, malgré les échecs, avoit su se maintenir sur la rive opposée ; Charette, c'est nommer la bravoure, le sang froid & la constance, Charette recueille les débris. Nouveau Fabius, avec peu de forces, sans cesse il harcèle & fatigue l'ennemi qu'il désespère ; il a recueilli ses valeureux camarades. La Vendée renaît de ses cendres, & sa défaite a multiplié les défenseurs de la justice. Quelques corps détachés s'étoient enfoncés dans la Bretagne, & réunis dans les forêts du Pertre & dans les retraites du Morbihan, dans les paroisses de la Basse-Normandie, aux défenseurs de la Religion & du Trône qui s'y trouvoient dispersés ; ils y avoient donné l'existence à un corps qui, chaque jour grossissant, est parvenu enfin à former une puissance redoutable, & alarmant l'ennemi, a déjà fourni aussi ses martyrs ; Focard, Pontbellanger, Tintiniac, La Vieuxville, Boishardy, Ferronière, La Roirie, & vous couple aimable & vertueux de frères, modestes au sein de la grandeur & de la dignité, amis de votre Prince, inviolablement attachés à sa personne, inviolablement attachés à ses droits, vous avez illustré de votre sang la Bretagne, qui se glorifie de vous avoir produits ; & vous aussi jeune De Rieux, dernier rejeton d'une branche de la famille de nos anciens Maîtres, vous avez fini par une mort prématurée ; mais en tombant pour votre Dieu, pour votre Roi, vous avez plus illustré votre courte existence, qu'en la transmettant à de nombreux descendants. Déjà, hélas ! dans cette désastreuse défaite, la Bretagne & le Poitou avoient pleuré le prince de Talmont, espoir d'une famille qui leur fut toujours chère.

Qu'est-il besoin de plus longs détails, Messieurs, sous les soins & le commandement du brave Stofflet, de La Roche-Jaquelin, de Sapineau. L'armée royale s'organise de nouveau & donne à ses ennemis une nouvelle épouvante ; ils ont recours à la ruse, &, sous l'extérieur d'une fausse paix, les lâches trompent la justice même ; ils promettent de sauver le Roi. Tous les ressentimens disparoissent, toute vengeance cesse, les hostilités se suspendent, & cet instant de repos les perfides l'employent à surprendre & trahir des chefs vertueux, qu'ils désespéroient de réduire. Ils corrompent, & la trahison a son tarif, & la bassesse marchande le prix des victimes. Généreux défenseurs, vous périrez donc dans les embûches des traîtres ? Ah ! du moins périssez comme vos prédecesseurs, périssez avec gloire & fermeté, périssez comme des chrétiens, comme des françois.

Qu'est-ce que la mort pour un guerrier ? une obligation de tous les jours, un hazard ordinaire, un triomphe quand elle est honorable. Qu'est-ce que la mort pour un chrétien ? C'est le commencement de la récompense, c'est le passage au bonheur. Chrétiens pusillanimes, que le nom seul du trépas effraye, venez apprendre à mourir. Il est pour un coeur noble un mal bien plus redoutable que la mort, c'est de manquer à son devoir, c'est de vivre inutile, quand les bienfaits de la société, quand les distinctions honorables dont on a été prévenu imposent des devoirs, prescrivent des obligations, & que la première est de savoir mourir s'il le faut.

Hommes vindicatifs & atroces, qui ne respirez que vengeance, voyez le jeune La Roche-Jacquelin, il meurt assassiné à la fleur de son âge par celui même à qui il venoit de sauver la vie. Voyez cet estimable Bonchamp, pour prix de sa vie & de ses services, il demande la grâce de dix mille ennemis, que de justes représailles condamnoient à périr, & content de finir par un acte de bienfaisance, son âme s'exhale en paix dans le sein de l'Eternel, pendant que les lâches qu'il a sauvés, retournent combattre ceux qui viennent de leur pardonner. Voyez, à la fleur de son âge, mourir d'une blessure longue & douloureuse ce jeune & aimable de Lescure, dont la piété honoreroit un cénobite & dont les exploits seroient la gloire d'un vieux guerrier ; au lit de mort ce héros terrible dans les combats, est un ange de douceur, &, comme le valeureux Bonchamp, son dernier voeu, son dernier désir est pour implorer le pardon des prisonniers condamnés à périr, en juste retour des atrocités commises contre les fidèles sujets du Roi. Il l'obtient ; mais aussi tant de vertus ne peuvent échapper à la juste vénération de ceux qui en sont les témoins, & les précieux restes de Bonchamp & de Lescure, religieusement conservés, sont regardés par l'armée comme le gage de son salut.

Ce sexe timide & doux, mais capable d'une réelle énergie & peut-être plus sensible à l'honneur que l'homme même, oublie pour sa patrie sa délicatesse naturelle. Voyez ces femmes plus admirables qu'invincibles. Voyez cette sublime La Rochefoucault ; déjà des Pontifes de son nom avoient dans cette cruelle révolution honoré par leur martyre les fastes de l'église gallicane. Héroïne chrétienne, elle a pris les armes pour son Roi, pour son Dieu ; elle ne les dépose que lorsque le froid de la mort les fait tomber de sa main glacée. La digne parente du vertueux de Lescure l'accompagne au combat, & ses débiles brasx, pendant une action, s'employent à charger une de ces machines de guerre qui vomissent au loin le tonnerre & la mort, & elle tombe, frappée d'un coup mortel, sur le canon même que si long-temps elle avoit dirigé contre les ennemis de l'état. A Gerté voyez cette femme généreuse qui ramène & rallie trois fois les troupes & périt en combattant.

Mais Dieu prépare à ses élus un genre de mort qui, par son atrocité, fasse encore plus briller le courage de ceux qu'il protège ; Messieurs, on peut braver la mort au champ de bataille, on se console avec la gloire, on s'endort au sein de l'honneur ; mais être trahi par son ami, être livré par ceux pour qui l'on combattoit, après avoir vécu en héros, finir de la mort des coupables, est-il rien de plus pénible pour la nature ? Ainsi meurent Delbecq, Stofflet & Charette : ainsi l'atrocité même de leurs vils assassins ne sert qu'à donner plus de relief & d'éclat à leur magnanimité.

Parlerai-je de Sapineau, de Vertueil qui, après avoir pendant huit mois défendu leur poste, vont au Pont-Charron périr au lit de l'honneur ? Parlerai-je de ce brave Chevigné, mourant aux Quatre-Chemins au sein de la victoire ? Parlerai-je de cet aimable enfant, de ce précieux La Voirie ; à quinze ans, il a déjà vu trente combats, & périt dans l'île de Noirmoutier, en défendant son général ? Ah ! Messieurs, reposons, il en est temps, sur une image plus douce notre coeur fatigué de tant de pertes & contemplons ce brave officier, formé à l'honneur au régiment de Béarn, ce Dupuy, que la Champagne se fera un devoir de réclamer, qui, tombé au pouvoir de l'ennemi sut lui inspirer l'estime par son inébranlable constance, & qui, pressé par les motifs les plus puissans, auront pu, dit le barbare général qui le fit périr, racheter sa vie par une indiscrétion bien excusable & qui, pour toute réponse, demande à périr, & marche à Saumur avec assurance à l'échafaud.

Messieurs, voilà les secours que la religion donne au civisme ; c'est ainsi qu'elle double les ressources & les moyens du citoyen en donnant une baze à sa subordination, un motif à sa patience, & un caractère héroïque à son trépas.

Les illustres morts, dont je viens de vous parler, étoient nés au milieu de nous, n'avoient pas d'autre religion, pas d'autres devoirs que nous ; pourquoi donc leur naissance, leur qualité de françois, leur titre de chrétien, leur ont-il imposé des devoirs aussi rigoureux ? si, avec les mêmes espérances, nous en sommes dispensés. Question terrible, Messieurs ; je n'entreprendrai point d'y répondre. A l'intérieur du royaume le sang de nos frères coule ; à la frontière, sous les drapeaux de nos alliés, il coule encore ; les étrangers, associés à nos intérêts, meurent pour notre cause ; vos enfans réclament l'état qu'en les faisant naître, vous avez promis de leur garantir ; la société redemande le prix des avances qu'elle vous a faites sans vous connoître & dans l'espoir que vous en feriez reconnoissans ; le sang de deux Rois crie vengeance ; pouvons-nous rester inactifs ? Invoquez l'honneur, consultez votre conscience, interrogez la sans partialité & devant Dieu. A vous seul appartient de prononcer. Téméraire feroit qui décideroit ; au reste mille raisons peuvent modifier la réponse ; mais pesez-la devant la religion, devant la justice, dans la sincérité de votre coeur & ne cherchez pas un témoignage favorable ; tâchez d'obtenir une réponse impartiale & vraie. Du moins puis-je vous dire avec confiance, Messieurs, la mort frappe sans cesse autour de nous, nos fautes passées ont amené nos maux présens ; n'est-il pas temps de songer à expier nos fautes & à revenir à la vertu ? N'est-il pas temps, courbé sous le poids de l'humiliation, de songer à désarmer la colère, par notre pénitence, notre résignation & sur-tout par la pratique constante des devoirs religieux ?

En parlant devant Messieurs du Poitou, on ajouta :

"Pour vous, braves Poitevins, si distingués par votre dévouement à la chose publique, depuis le moment où, suivant vos désirs, vous redevintes françois, dès cette époque vous fûtes les frères d'armes des Bretons ; encore une fois, pour la même cause, vos services se confondent, fidèles Poitevins, braves Chevaliers, c'est vous que d'abord la religion & le royalisme ont trouvé leur asile, c'est par vous que nous aurons la consolation de dire à la postérité, dans ces temps d'horreur, il resta encore une terre françoise. Nobles Poitevins, souvenez-vous de vos ancêtres aux journées de Jarnac & de Moncontour."

Seigneur, votre prophète nous l'a dit : heureux ceux qui meurent dans la justice ; mais cette précieuse mort est le fruit d'une vie chrétienne, elle seule peut le mériter. Daignez jeter sur nous un regard de compassion, daignez être sensible à notre détresse & nous donner la force nécessaire pour marcher dans les sentiers de l'équité. Au récit d'évènemens héroïques & généreux, notre coeur s'enflamme, & nous nous écrions, puissai-je mourir dans la mort des justes ? Seigneur, que ce voeu ne soit pas inutile ; donnez-nous la sincérité de coeur qui nous fasse rechercher nos devoirs, le courage qui nous les fasse pratiquer. Donnez à vos Ministres cet esprit de sagesse qui les dirige dans le conseil, cet esprit de sacrifice qui leur fasse tout braver pour votre gloire ; donnez à nos guerriers cette subordination qui entraîne les succès, cette valeur raisonnée qui n'attend rien que de vous, ce désintéressement qui fasse braver tous les dégoûts pour devenir utiles ; donnez aux enfans cet esprit de docilité qui les dispose aux connoissances nécessaires pour servir la patrie, & aux vertus sans lesquelles il n'est ni bonheur, ni gloire ; donnez à nos ennemis la conviction de leur injustice & à tous l'amour de la vérité & de la paix ; nous vous le demandons, Seigneur, au nom de ces victimes dont le sacrifice vous fut si agréable, au nom de tant d'âmes vertueuses enveloppées dans une persécution que leurs fautes n'avoient point amenée, au nom de Jésus-Christ, dont la doctrine seule peut faire des citoyens vertueux & des fidèles sujets.

En parlant devant Messieurs du Régiment de Castries, on termina ainsi après ces mots, des devoirs religieux.

Rassemblés à la voix d'un chef dont jamais l'héroïque dévouement à ses maîtres ne souffrit ni considération, ni obstacle, & qui, dès le premier moment, se montra l'ennemi déclaré de la révolte & des ingrats, vous avez, Messieurs, oublié le rang que vous avoient donné vos anciens services, changeant même pour l'utilité de l'état vos premiers goûts & vos premières études, ne connoissant plus de genre de service que celui qui peut vous dévouer plus particulièrement à l'intérêt public, vous brûlez d'employer ces armes, qu'un allié généreux vous offre, pour venger le Trône & l'Autel outragés : mais convaincus que c'est de Dieu seul que vient le secours, avant d'entamer cette vertueuse entreprise, priez-le de bénir & de seconder vos efforts ; dans ce court intervalle de repos, préparez-vous par la religion au combat, & avant de marcher à l'ennemi, prosternés au pieds des Autels, écriez-vous avec le prophète Roi : levez-vous, Seigneur, & vengez votre cause ; alors vos voeux seront entendus, alors il faut espérer qu'enfin Dieu se laissera fléchir & soutiendra vos efforts, & comme autrefois Josué aux Tribus de Ruben & de Manassés. Je vous dis, hommes généreux, précédez vos frères, combattez pour eux jusqu'au moment où le Seigneur vous aura donné le repos & le succès que je vous promets de sa part.

Prosternés au pieds de vos Autels, Seigneur, en ce moment où nos cruels ennemis rejettent les offres de la paix & se refusent à l'indulgence de notre Monarque, plus infortuné par leur endurcissement que par ses souffrances, en ce moment où le sang va encore être versé, foit que nous implorions votre justice ou votre appui, c'est contre des frères ou pour des frères que nous l'implorons. De quel côté que le sang coule, c'est notre sang qui doit couler. Esprit divin, amollissez le coeur de bronze des coupables, rendez-les à la vertu ; grand Dieu ! ce sera pour nous le plus doux des triomphes ; mais, Seigneur, si votre justice n'est pas satisfaite, si les maux de notre malheureuse patrie n'ont pas expié nos crimes, s'il faut que le sang françois coule encore, Dieu de miséricorde, épargnez du moins cette troupe précieuse de sujets fidèles ; c'est en vous seul qu'ils appuyent leur confiance ; attachés à leur culte, fidèles à leur Roi, long-temps, Seigneur, ils ont gémis sous l'adversité ; soyez aujourd'hui leur consolateur & leur appui. Des hommes injustes se sont élevés contre eux, Seigneur, ces hommes injustes se sont aussi élevés contre vous ; répandez sur nos ennemis & les vôtres une terreur salutaire ; qu'ils restent immobiles & glacés d'effroi, pendant que vous introduirez les fidèles dans leur héritage pour y redresser vos Autels, relever le Trône, & rétablir les moeurs ; c'est l'unique objet de nos voeux & de nos sacrifices, grand Dieu ! daignez les exaucer.

 

Lettre du Roi

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La Maraîchine Normande
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