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La Maraîchine Normande
30 juin 2013

RELATION DE CE QUI S'EST PASSÉ LE 24 - 25 ET 26 JUIN 1815 PAR LE GÉNÉRAL COMTE GABRIEL DUCHAFFAULT

 

GABRIEL COMTE DU CHAFFAULT

RELATION DE CE QUI S'EST PASSÉ LE 24 JUIN 1815
A LA TESSOUALLE, PRES DE CHOLLET,
A L'OCCASION DU TRAITÉ SIGNÉ A CHOLLET,
LE 26 DU MEME MOIS

PAR M. LE GÉNÉRAL COMTE GABRIEL DUCHAFFAULT

[M. Gabriel DUCHAFFAULT ayant figuré dans le Traité de Chollet, il regarde comme indispensable de publier la Relation des faits, pour prouver la loyauté de sa conduite.]

La Tessoualle est un petit bourg distant de deux lieues de Chollet. M. AUGUSTE DE LA ROCHEJAQUELEIN, se trouvant à Châtillon le 23, avec son corps d'armée qu'il avait ramené de Thouars, reçut l'invitation de se rendre, le 24, à la Tessoualle, avec plusieurs de ses officiers. Nous venions d'apprendre la malheureuse affaire de Rocheservière. Les généraux CANUEL, DUPERRAT, DUCHAFFAULT & plusieurs officiers se rendirent à la Tessoualle, avec M. AUGUSTE DE LA ROCHEJAQUELEIN. Ils y trouvèrent rassemblés le général en chef DE SAPINEAU, M. D'AUTICHAMP & une vingtaine d'officiers de l'état-major de ce dernier. Le général en chef nous réunît tous dans le même local. M. D'AUTICHAMP fit lecture de la lettre adressée au général en chef, par le général ennemi LAMARQUE.

LETTRE LAMARQUE


La lecture finie, on parla de traiter. M. D'AUTICHAMP opina fortement pour cet avis ; le général CANUEL le combattit ; le général DUPERRAT en fit autant, ainsi que M. AUGUSTE DE LA ROCHEJAQUELEIN, qui se prononçait plus fortement encore. M. D'AUTICHAMP répondait à tous, et affirmait qu'il ne voyait d'autre moyen que celui de traiter.

Enfin, après plus de trois heures de pourparlers & de discussions pour & contre, il fut convenu d'aller aux voix. Chacun donna sa parole d'honneur d'accéder à l'avis de la majorité. Un morceau de papier fut remis à chacun des votans. On convint que ceux qui voulaient traiter écriraient le mot OUI, & les autres le mot NON. Une voix s'écria : "Il serait bon que chacun signât son vote." - "Non, non ! s'écrièrent plusieurs autres, cela gênerait les opinions". Il fut donc arrêté que l'on ne signerait pas.

Nous étions au nombre de 34 : on déposa bientôt sur la table 34 billets portant chacun un OUI ou un NON.

AUGUSTE DE LA ROCHEJAQUELEIN fit le dépouillement ; il trouva 22 OUI & 12 NON ; & c'est alors que ce digne frère de HENRI & de LOUIS s'écria : "Puisque je suis lié par ma parole d'honneur, je donne tout mon bien aux Vendéens, & je passe en Angleterre !" - Il sort ; M. D'AUTICHAMP s'approche de la table & dit : "Qu'il donne son bien, qu'il passe en Angleterre, si cela lui convient ; moi, j'ai femme & enfans, je garde le mien & je reste."

M. DUCHAFFAULT, témoin de ces faits, sort aussi. Il rentre un quart-d'heure après, & trouve encore réunis M. D'AUTICHAMP, le général en chef DE SAPINEAU & quelques officiers. Le général proposa à plusieurs officiers d'aller en parlementaire ; personne ne s'en souciait. DUCHAFFAULT s'approchant de SAPINEAU, lui dit : "Vous êtes le général en chef, ordonnez & ne priez pas ; il est tout simple que personne ne demande à se charger de cette commission." - "Eh bien ! mon cher Duchaffault, dit le général de Sapineau, allez-y, vous vous en tirerez bien ; il vaut mieux que ce soit vous qu'un autre." - Le général D'AUTICHAMP joignit ses instances à celles du général DE SAPINEAU. - M. DUCHAFFAULT dit : "Il serait fort étrange que, moi dont le vote a été contraire au Traité, je fusse chargé de cette mission." - Ces Messieurs insistèrent, prétendant que ce ne devait pas être un obstacle ; lui dirent des choses flatteuses, & lui donnèrent l'ordre de se rendre près le général LAMARQUE, à Clisson.

M. DUCHAFFAULT part de la Tessoualle avec MM. DE MARANS & CHEFFONTAINE, aides-de-camp de Monseigneur le Duc DE BOURBON, qui l'accompagnèrent jusqu'à Chollet.

Chemin faisant, ils l'exhortaient à se hâter de joindre le général Lamarque. Vous manquez totalement de munitions, disaient-ils, il est tout simple que vous traitiez. - Eh ! pourquoi en manquons-nous ? ... répondit M. Duchaffault.

Après avoir voyagé toute la nuit, il arrive à Clisson sur les cinq heures du matin. Le général Lamarque venait d'en partir.

M. Duchaffault remet son laissez-passer à un gendarme ; le charge d'informer le général Lamarque qu'il est arrivé, & que son cheval est exténué. Le général Lamarque, à peine éloigné d'une demi-lieue, lui envoie de suite son chef d'état-major, son aide-de-camp & un de ses chevaux.

M. Duchaffault arrive auprès du général Lamarque ; il avait 9.000 hommes d'excellentes troupes ; il fut reçu très civilement. Cependant les soldats voyant sa cocarde blanche & sa croix de Saint-Louis, le saluaient par des cris de vive l'Empereur ! - Il dîna à Valet, avec les généraux Lamarque, Brayer, Estève, &c. Après le dîner, le général Lamarque se dirigea sur Beaupréau. Il fut convenu que M. Duchaffault retournerait le soir à Chollet ; qu'il avertirait les généraux Vendéens, & que le général Lamarque se trouverait à Chollet le lendemain, à huit heures du matin, pour traiter.

A peine M. Duchaffault fut-il parti, qu'un Vendéen lui remet un manuscrit contenant les évènements de Waterloo. M. Duchaffault lui dit : "Admirable ! mon ami ; si tout cela est vrai, le Roi est à Paris dans 8 jours, s'il n'y est déjà." Cette nouvelle, qu'il ne croyait guère, lui mettant cependant du baume dans le sang, il arrive lestement à Chollet. Un habitant lui apporte la gazette venant d'Angers ; c'était le 25 au soir. Elle donnait les mêmes nouvelles, avec des détails moins brillans que le manuscrit. M. Duchaffault écrit à M. de la Rochejaquelein : "Je vous envoi la gazette & le manuscrit qu'on m'a remis ; j'ai rendez-vous ici pour demain huit heures du matin, avec le général Lamarque ; je lui ai promis d'avertir les généraux de s'y trouver. Donnez-moi des ordres. D'après la nouvelle position où nous sommes, dois-je l'attendre ? Faut-il vous rejoindre ?"

La réponse d'Auguste de la Rochejaquelein arriva le 26, à 6 heures du matin ; elle obligeait M. Duchaffault à rester. Elle est la cause du Traité, & ne peut qu'honorer son auteur.

LETTRE AUGUSTE DE LA ROCHEJAQUELEIN


Bientôt le bruit se répand que l'ennemi arrive. Le peu de Vendéens qu'il y avait à Chollet, se retire ; M. Duchaffault va seul à pied au devant de la colonne. A peine est-il hors de la ville, qu'il entend deux coups de fusil. C'était deux paysans vendéens qui, cachés dans un bois, tirèrent sur l'avant-garde. Ils tuèrent un dragon & en blessèrent un autre. Les dragons étaient furieux. Apercevant M. Duchaffault, qui avait la cocarde blanche, la croix de Saint-Louis & la décoration du lys, ils fondirent sur lui pour le sabrer. Il avait beau leur parler, ils allaient le tuer, lorsque le général Lamarque détacha un aide-de-camp à toute bride, qui arriva à propos pour lui sauver la vie.

L'aide-de-camp l'invita à monter à cheval & à joindre de suite le général en chef. Il ne peut répondre de vous que lorsque vous serez près de lui ; on vient de commettre une horreur. - "Je suis étranger à cet évènement, répond M. Duchaffault ; je vous ai bien averti hier que cela vous arriverait à tout moment, si vous avanciez dans le pays."

Les officiers étaient dans une telle fureur, que le général Brayer dit à M. Duchaffault, en regardant sa cocarde : Jamais les troupes françaises ne porteront la cocarde blanche. - "Général, répliqua M. Duchaffault, les troupes françaises l'ont portée avant vous & avant moi ; elles la porteront après vous & après moi. Au reste, ni vous ni moi ne pourraient l'empêcher." - Monsieur, vous devriez l'ôter, continua-t-il. - "Si le général en chef l'exige, il faudra bien que je me soumette ; mais je n'obéirai qu'à lui seul." - Le général Lamarque lui laissa sa cocarde & ses décorations.

Arrivé à Chollet, M. Duchaffault tira le général Lamarque à part, lui demanda s'il savait les nouvelles. - "Je n'en sais que d'avantageuses pour l'Empereur." - On lui apporta une gazette. - "C'est vous autres qui l'avez fait imprimer." - "Nous n'avons point d'imprimeur, répondit M. Duchaffault." - "Est-ce que par hasard vous ne voudriez plus traiter ?" - M. Duchaffault, montrant le lettre de M. de la Rochejaquelein, dit : "Si on ne voulait pas traiter, je ne serais plus ici. Hier j'aurais traité avec peine ; aujourd'hui je traiterai avec plaisir ; car, si le Roi n'est pas à Paris, il y sera dans 8 jours." - "C'est impossible".

Le général Lamarque, mieux instruit que M. Duchaffault, des désastres de Waterloo, s'amusa à lui faire signer des laissez-passer, pour envoyer à Angers connaître la vérité.

M. Duchaffault, suivant la formule ordinaire, écrivit en tête : DE PAR LE ROI. - "Pourquoi DE PAR LE ROI ?" - "C'est pour qu'ils soient valables ; sans cela ils ne pourraient servir ; c'est comme cela que nous les donnons." - "Ces Messieurs viendront-ils pour traiter ?" - "Je pense que oui." - "Je marche, je marche, si dans 3 heures ils ne sont pas ici." - "Général, je vais envoyer un courrier pour les prévenir de votre empressement."

M. Duchaffault écrivit de suite à M. de la Rochejaquelein le peu de succès de cette entrevue.

Vers les 4 heures de l'après-midi, le général Duperrat & le colonel de la Voyerie arrivèrent ; ils avaient les pouvoirs du général Sapineau, & ils étaient porteurs de ceux d'Auguste de la Rochejaquelein pour M. Duchaffault.

Ces Messieurs traitèrent, toujours en disant : C'est pour éviter l'effusion du sang désormais inutile, car le Roi sera bientôt à Paris.

L'article 4 du Traité, ainsi rédigé : "En traitant avec des Français, qui, dans leur erreur même, ont montré une loyauté constante, toute défiance serait injurieuse", souffrit beaucoup de difficulté. Ce mot erreur déplaisait fort ; ces Messieurs ne purent jamais obtenir de le faire ôter ; il fallut en passer par là.

Le lendemain matin 27, ils retournèrent à Châtillon. Le général en chef de Sapineau ne signa que le 28, & le général Lamarque se retira aussitôt.

Il n'y avait plus de troupes ennemies dans le pays, lorsqu'on vit paraître contre ce Traité une Protestation du ton le plus solennel. M. Duchaffault ne blâme pas la grande majorité de ceux qui ont protesté ; ils l'ont fait sans doute par un beau motif ; mais il lui semble qu'il y a parmi eux quelques chrétiens étonnés eux-mêmes de se voir protestans.

FIN

Chez Ferré, Imprimeur de la Ville et du Tribunal
A Bourbon-Vendée
1816

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