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La Maraîchine Normande
8 avril 2013

LA THUILE (Savoie) ♣ "LE BON DIEU TETU DES THUILAINS" ♣ 1794

LA THUILE

thuile3


... En suite de la prise du Traverset qui eut lieu le 24 avril 1794, la charmante vallée de La Thuile était donc au pouvoir des révolutionnaires de France. Personne ne peut dire quelles furent alors les souffrances de ses pauvres habitants. Chaque jour leur amenait une nouvelle douleur accompagnée d'ir¤niques bravades. Quelques vieillards ont conservé le souvenir des évènements les plus néfastes, et ils rappellent entr'autres : la plantation de l'arbre de la liberté, l'incendie de vieux manuscrits, d'immenses forêts, mais surtout la profanation des lieux saints.

On était dans la première quinzaine du mois de mai 1794, quelques jours après la défaite des armées piémontaires. Le ciel de La Thuile était extraordinairement pur, l'étoile du berger scintillait encore à l'horizon et semblait quitter avec regret ces belles montagnes.

Cependant le soleil montait, et rougissant de ses feux les glaces du Rhutor, s'ann¤nçait dans toute sa splendeur. Une fraîche brise, messagère accoutumée de l'astre du jour, effleurait la montagne et caressait les violettes qui se balançaient à son souffle léger. Tout paraîssait convier les Thuilains à la joie, mais la joie n'était pas dans leurs coeurs.

C'est qu'un spectacle insolite leur était annoncé pour ce jour ; celui de la plantation du fameux arbre de la Liberté.

A neuf heures du matin, trente à quarante soldats français, le bonnet rouge en tête, sortent du village de la Gollette, les uns armés de haches, les autres portant des cordes. Tout en se dirigeant vers le centre du grand bois, ils poussent des cris sauvages entremêlés de quelques couplets sanguinaires.

Bientôt de violents coups de hache, se font entendre au coeur de la forêt, et pendant une heure entière les échos d'alentour en retentissent. Puis les coups cessent et font place à de frénétique hourras ; l'arbre géant est abattu.

Une trentaine de soldats placent sur leurs épaules l'arbre fameux, d'autre entonnent tour à tour des airs guerriers et bachiques ; les camarades demeurés au camp répondent par quelques détonations. Enfin la troupe se dégage du milieu des bois, l'arbre de la liberté paraît, de nouveaux hourras et de nouveaux battements de mains retentissent plus fiévreux et plus fréquents.

Les Piémontais campés sur le bord opposé essayèrent-ils de troubler par quelques coups de canon, la marche des vainqueurs, ou furent-ils spectateurs tranquilles de leur triomphe ? On n'en sait rien. Ce qui est hors de doute, c'est que l'arbre de la liberté fut planté au chef-lieu de La Thuile, qu'on nomme la Ville. On le surmonta du bonnet rouge. Les vieillards rapportent qu'ordre fut donné à tout passant de se découvrir à sa vue.

On n'ignore pas toutefois que de pareils ordres furent peu respectés tant à La Thuile que dans le reste de notre petit pays. A la Thuile, plusieurs regardaient l'arbre de la liberté comme une borne et agissaient en conséquence ; ailleurs on se plaisait à placarder de singuliers écriteaux sous le bonnet phrygien. Nous tenons par exemple de quelques vieillards de Saint-Pierre le fait suivant. En 1796 on avait dans cette commune élevé l'indispensable arbre de la liberté. Pour qu'il n'y fut pas l'objet de certains mépris qu'on lui avait prodigués ailleurs, on crut bon de le munir d'un factionnaire. Cependant, malgré les factionnaires, l'arbre se trouva un beau jour surmonté de l'inscription suivante :
Arbre de misère
Bonnet de galère
Symbole de brigands
Tu ne dureras pas longtemps.

Cette injure fut vivement sentie par quelques jacobins de la localité et trois d'entre eux qu'on nous a indiqués sous les noms d'Arnod, de Teppé, de Tzapuignon (probablement diminutif de Chapuis) allèrent en demander compte au factionnaire Cériano Joseph, dit lo Bourgno, natif de la Valseria et établi à Saint-Pierre depuis 1785.

Nos voisins de la Suisse eurent des réponses magnifiques au sujet de l'arbre de la liberté qu'on plantait aussi chez eux, à pareille époque. Les braves paysans d'Uri, par exemple, à ceux qui leur en parlaient, répliquèrent : "Chez nous tous les arbres deviennent l'emblême de la liberté." (En Suisse le sapin sert d'arbre de liberté).

Le républicain Joseph Leu disait : "Nous n'avons pas besoin de ces sapins sans racines, surmontés d'un bonnet rouge sans tête. Pour nous, le premier, le seul arbre de la Liberté, c'est la croix. Nous en trouvons à chaque carrefour de nos chemins". (V. Histoire du Sonderbund par Crétineau Joly - vol. 1er page 53).

L'arbre de la liberté planté par les Terroristes au centre de La-Thuile, donna des fruits amers ; le bonnet rouge qui le surmontait, symbole du sang et de ruines, fit couler du sang et accumula des ruines.

Le premier exploit des envahisseurs de ce petit pays, fut l'incendie des parchemins et des manuscrits précieux qui existaient à la maison communale de La-Thuile. Que leur avaient fait ces vieux papiers où nos bons pères avaient laissé peut-être d'utiles leçons et de chers souvenirs ?

Il fallait cependant aux nouveaux Vandales un incendie plus long et plus grandiose. Le bassin de La Thuile était couronné de bois touffus qui le protégeaient contre les vents, les avalanches, et faisaient sa principale richesse. Ces bois lui donnaient en outre un air enchanteur ; La-Thuile formait une oasis verdoyante qui, au lieu d'être entourée de sapins arides, l'était de magnifiques mélèzes et de sapins majestueux. Au milieu de ces forêts, les montagnards faisaient ordinairement des chasses abondantes.

On raconte qu'un ancien curé de La-Thuile, nommé Gal, allait chaque matin à la chasse et revenait presque tous les jours vers midi, apportant son dîner sur l'épaule.

Or, ces bois touffus devinrent en 1794, la proie des flammes, le bassin de La Thuile fut littéralement cerné par le feu. Chose singulière ! Les fils de Satan ont une prédilection étrange pour cet élément. A partir de Néron qui brûlait Rome et jouait sur la Lyre aux heures de cet effroyable incendie, jusqu'aux communards de Paris qui arrosaient naguère de pétrole cette fameuse cité, on les voit tous jouir d'un bonheur indicible en contemplant les flammes monter et dévorer tout.

Qu'un incendie est beau lorsque la nuit est noire !
Erostrate lui-même eût envié ma gloire.
D'un peuple à mes plaisirs qu'importent les douleurs ?
Il fuit : de toutes parts le brasier l'environne ...
Otez de mon front la couronne,
Le feu qui brûle Rome en flétrirait les fleurs.

Tels sont les sauvages sentiments que Victor Hugo prête à Néron, et tels sont ceux de nos incendiaires modernes.

Après la destruction des choses inanimées, vint naturellement celle des choses animées. Tout ce qu'il y avait à La Thuile en fait de bestiaux fut sacrifié et disparut au bout de quelques jours.

Tant de souffrances réunies ne manquèrent pas de produire sur nos montagnards les plus douloureuses impressions. Depuis la peste de l'an 1630 qui dépeupla la belle vallée d'Aoste, et depuis l'invasion de l'an 1691, les Thuilains n'avaient plus souffert comme en 1794, sous la domination des Terroristes français. A La Thuile d'ordinaire, la moyenne des décès est de vingt à vingt-cinq par an. En 1793 et 94, ils se multiplièrent dans une proportion effrayante. Près de deux cents Thuilains moururent dans le cours de ces deux années, de sorte qu'en deux ans La Thuile perdit plus d'hommes, qu'elle n'en perd ordinairement en neuf.

La population ne s'est pas relevée depuis lors. Avant la guerre de 93, elle s'élevait à mille habitants, en ce jour elle n'est plus que de 750 (546 en 1793 selon Wikipédia). Un siècle n'a pas suffi pour combler le vide, et un nouveau siècle n'y suffira pas.
Ce que le fer et le feu ne détruisent plus, les odeurs de Paris l'étouffent.

Une chose restait aux malheureux Thuilains, plus grande que leurs forêts, et plus chère que leurs foyers. C'était leur religion. Il leur restait une église entourée du champ où reposaient les cendres de leurs morts. L'Église ! ...

Une fois l'arbre de la liberté planté, les forêts détruites, les principales maisons incendiées, tous les efforts des soldats français se tournèrent contre la petite église de La Thuile. Ici nous les verrons lutter avec moins d'avantage. Leurs foudres tombèrent d'abord, comme toujours, sur le prêtre.

La paroisse de La Thuile avait perdu deux bons pasteurs, dans l'espace d'une année. M. Duc, vieillard doux et vénérable, se laissa intimider par les premiers coups de canon qui retentirent au Petit-St-Bernard en 93, et céda le terrain ; M. Perruchon, son successeur, périt à la brêche ; arrivé à La Thuile au commencement de l'an 93, il y mourut le 3 juillet, c'est-à-dire avant la fin de l'année. M. Périer le remplaçait, aidé de M. Joseph Cento, jeune prêtre intelligent et dévoué, quand les français, au mois d'avril 1794, firent irruption dans le bassin de La Thuile. L'un et l'autre ne trouvèrent de salut que dans la fuite.

D'après ce que j'ai pu recueillir de plus probable, La-Thuile resta sans prêtre depuis le 4 mai 1794 jusqu'au 12 juin de cette même année, sans culte public jusqu'à la fin de la guerre en 1796. Vers le 12 juin, nous voyons figurer de nouveau, M. l'abbé Joseph Cento dans une sépulture et quelques jours après porter les secours de son ministère à divers malades.

Une tradition populaire très accréditée raconte ainsi son retour et sa vie au milieu de son troupeau opprimé. Par une nuit plus sombre que de coutume, et déguisé en laïque, le jeune prêtre aventureux traversa les forêts qui bordent le chemin du Pont Taillaud, gravit le mont du Parc et s'introduisit secrètement dans le village du Thovex. Les fidèles l'y reçurent avec une joie inexprimable. Le jeune abbé vêtu tantôt en paysan, tantôt en meunier allait de part et d'autre visitant les malades, les infirmes, encourageant les victimes de la guerre et apportant à tous, les secours de sa divine religion.

Le secret le plus inviolable fut gardé par les braves Thuilains sur sa vie et son séjour au milieu d'eux. Il ne sortait, pendant le jour, que dans les cas d'extrême nécessité. C'était ordinairement à la faveur des ténèbres de la nuit, qu'il faisait ses courses apostoliques. Il se nourrissait, à la table des fidèles du pain noir et des pommes de terre qu'ils avaient pu sauver du pillage et des incendies. Où célébrait-il les saints mystères ? Etait-ce dans une chapelle isolée ou dans un fenil ? On ne le sait pas.

Au village du Thovex, vers le Nord, se trouve une ouverture ronde pratiquée dans les flancs du mont du Parc. Il y a là une espèce de souterrain qu'on appelle le grand trou. On prétend que M. l'abbé Joseph Cento en fit souvent son habitation et son refuge, au moment du danger. Il est probable aussi que les paysans s'y réfugièrent plus d'une fois, de plus qu'ils pratiquèrent eux-mêmes ce souterrain pour s'y cacher avec leurs provisions et leurs objets les plus précieux.

M. l'abbé Joseph Cento fut témoin de toutes les péripéties de cette guerre au sommet des Alpes. Il se trouvait à La Thuile en 92 lors de la démission de M. Duc curé, en 93 lors de l'arrivée de M. Perruchon, en 94 sous M. Périer, toujours en qualité de Vicaire. Ce jeune prêtre si digne et si dévoué le fut jusqu'au bout. Après avoir passé au pied du Rhutor une jeunesse pleine de périls et de belles actions, il voua ses cheveux blancs au salut d'un petit peuple perdu au milieu des neiges.

Les habitants de Rhèmes N.D. se rappellent encore avec attendrissement cet homme qui fut leur père et leur ange conducteur, ce vieillard haut de taille, noble de figure qui montait à l'autel et en chaire d'un pas ferme et mesuré mais en tâtonnant de la main. M. Cento était alors aveugle, cependant il prêchait de magnifiques sermons, disait sa messe, confessait et formait de jeunes élèves qui l'honorent aujourd'hui.
Il allait aussi de maisons en maisons, et disait aux parents des petits ramoneurs : (beaucoup de petits ramoneurs du Piémont sont Rhémains), "Quand vos enfants seront de retour, envoyez-les moi. Je leur ferai un peu d'école et de catéchisme. Pauvres enfants ! ajoutait-il avec un profond soupir, tout l'hiver sans instruction !! Envoyez-les moi pendant l'été, à l'heure que vous pourrez, à toute heure je serai à eux." Puis quand il entendait frapper à sa porte, et qu'il distinguait le pas et la voix du petit ramoneur, il quittait tout, fût-il à l'étude ou au milieu de son repas. Mais reprenons le fil de notre histoire.

Que de douleurs, le fatal mois de mai 1794 apporta aux malheureux Thuilains ! Leurs grandes forêts étaient détruites, leurs campagnes dévastées, leurs maisons incendiées, leurs prêtres fugitifs. Il semblait impossible de leur causer plus de maux. Cependant les révolutionnaires de France surent trouver la place de nouvelles plaies. Il restait à les frapper dans leurs sentimens religieux et la foi de leurs pères. Ils n'y manquèrent pas.

On vit un jour, une troupe de soldats débraillés, ayant à leurs têtes quelques officiers s'acheminer vers la petite église de La Thuile en hurlant des couplets impies et libertins. Ils arrivent, la grande porte cède aux coups de pieds et aux violents coups de crosse qui pleuvent sur elle. La bande est dans le saint lieu.
Que viennent faire ces vainqueurs, du Traverset dans la maison de prière, quel ennemi viennent-ils chercher ? Le Christ. Et chose singulière ! Un Christ en bois les vaincra.

Cependant le saccage de l'Eglise commence. Les statues des saints volent de part et d'autre laissant partout des débris épars, les images, les tableaux sont arrachés, mis en pièces, foulés aux pieds, les autels renversés, au milieu de battements de mains et d'éclat de rires frénétiques.

Mais voici, sur ce fond noir, un cadre touchant. Pantaléon Paris, conseiller communal de La-Thuile en 1794, avait suivi la soldatesque effrénée jusqu'à l'entrée de l'Église, curieux de savoir ce qu'elle voulait y faire. Il entendit tour à tour, et le bruit des statues qui tombaient, et le fracas des autels qui s'écroulaient les uns après les autres, et les hurlements et les sifflements des soldats qui dominaient tout le reste.
Quand le vacarme fut à son comble, il vit sortir par une porte latérale quelques militaires, les yeux baissés, la face extrêmement rouge. Ils ne dirent mot, se cachèrent derrière les murs de l'église, se laissèrent tomber à terre et le visage dans leurs mains, versèrent de chaudes larmes. Le montagnard s'approcha d'eux, et après quelques instants de silence, leur dit d'une voix émue : Pourquoi pleurez-vous ainsi ? Hélas ! répondirent-ils avec de profonds soupirs : on nous a forcés de commettre ces horreurs !!!

L'Église était à peu près complètement dévastée, l'horloge sonnait midi quand une nouvelle bande arriva. Parmi les nouveaux venus se trouvait le médecin des troupes françaises, homme d'âge moyen, impie jusqu'au cynisme. Son coeur se réjouit à la vue de ces ruines, de ces saints et saintes qui baisaient la poussière, de ces statues aux bras rompus. Mais voyant le Grand-Crucifix encore debout, suspendu à la voûte et appuyé sur une forte poutre, il se répandit en menaces et en affreux blasphèmes. Un nouvel assaut fut résolu.
Au même moment, deux jeunes montagnardes, Louise et Lucie Martinet, entrèrent furtivement dans l'Église. Elles virent la troupe des soldats se diriger vers la Tribune, y monter et faire feu tous ensemble sur le Grand-Crucifix.
Pas une balle ne l'atteint. Une seconde décharge mieux dirigée se fait entendre. Même insuccès. Une troisième ... une quatrième ... puis une cinquième se succèdent avec une espèce de rage ... Vains efforts. Le Grand-Crucifix reste debout et toutes les balles vont se perdre à la voûte de l'Eglise.
Alors un soldat, rouge de dépit, grimpe de la tribune sur la corniche principale, avec l'agilité d'un singe, fait à droite le tour de l'Eglise, parvient à la poutre qui soutient le Grand-Crucifix, et là, levant son sabre, il dit à haute voix : Voyons qui de nous d'eux descendra d'ici. Louise et Lucie Martinet saisies d'horreur sortent aussitôt de l'Eglise.
La porte s'était à peine fermée sur elles, qu'elles entendent un grand coup accompagné d'un cri désespéré. Elles rentrent, le soldat n'était plus ni sur la poutre, ni sur la corniche, le Grand-Crucifix était toujours à sa place, et au milieu de l'Eglise une centaine de soldats faisaient cercle autour d'un homme qui râlait. Quelques militaires font signe aux deux montagnardes de sortir. Elles obéissent.

Les révolutionnaires ne se tiennent pas pour battus. Les deux premiers assauts livrés au Grand-Crucifix viennent à peine de s'achever par la mort subite d'un homme, la victime est encore palpitante, que voici recommencer une troisième tentative. Un citoyen camarade, selon l'expression du médecin militaire, se présente à ses chefs et à ses compagnons d'armes jurant qu'il descendra lui seul le Grand-Crucifix.
Aussitôt on court chercher une échelle dont la hauteur atteint le sommet de l'Eglise, on la dresse et on l'appuie fortement à la poutre qui soutient le Grand-Crucifix. Le citoyen camarade, armé d'un sabre, monte résolument. Arrivé au pied de l'image du Christ, il prend une position assurée, puis levant son sabre et répétant les paroles de celui qui l'avait précédé, il s'écrie : Voyons maintenant lequel descendra de nous deux. En prononçant ces mots et en mesurant son coup, il tombe à la renverse, ses cervelles se répandent sur la pierre et il expire sur le champ.
A la vue de cette mort tragique, ses compagnons d'armes se retirent, les uns consternés, les autres fous de colère. Le soir du même jour, tandis qu'ils faisaient la soupe dans la maison de Jean-Philibert Chenal, ils s'entretinrent longuement sur ce fait. Chenal raconte que plusieurs d'eux proféraient d'horribles blasphèmes et disaient : que les Thuilains avaient un bon Dieu bien méchant et bien têtu, qu'il tuait leurs camarades et ne se laissait pas descendre. (Archives de La Thuile).

Le cadavre de ce sacrilège soldat fut d'abord enseveli en terre sainte la face contre terre, puis déterré vers la fin de l'an 1794, pour être placé en terre profane. En l'exhumant, le fossoyeur lui planta la pioche au dos et laissa échapper des paroles d'indignation contre ce profanateur. Il fut enfoui dans un pré d'Alexandre Jacquemot, appelé Ceintre.

La rage des révolutionnaires contre l'image du Christ avait été impuissante, trois assauts venaient d'échouer misérablement, deux soldats avaient payé de leur vie leur témérité ; néanmoins la lutte impie s'engagea de nouveau le lendemain.

Les soldats, s'étant ravisés, conçurent un autre plan d'attaque. Ils se munissent de cordes solides, au moyen de longues perches, les passent autour de la tête du Christ, puis dix ou douze d'entre eux tirent de toutes leurs forces. Longtemps, ils s'essaient à ce nouveau jeu ... ils se fatiguent, suent à grosses gouttes ... Sueurs inutiles ! ... Le Christ tient bon. Ils se remplacent, appellent d'autres camarades ... Le Christ en bois ne bouge pas.
Alors un des plus forcenés s'offre à monter par la corde. Il monte ... monte ... il va toucher au Christ, mais voici que la corde casse. Cette corde qui avait soutenu le poids et les efforts réunis de douze soldats, se brise tout à coup sous le poids d'un seul homme, et l'homme est brisé. O res miranda ! s'écrie le bon M. Nicco, en indiquant cette réflexion.
Cette tentative fut enfin la dernière, le Christ en bois resta vainqueur.

Le commandant des troupes françaises à la vue de ces fins tragiques, intervint. Il défendit rigoureusement à tous les militaires de toucher désormais au Grand-Crucifix.

Il disait un jour avec amertume à Pantaléon Paris, l'un des principaux montagnards de l'an 1794 : J'ai défendu de nouvelles profanations, il n'y a plus rien à faire pour nous ici. Dès lors les Français furent moins impitoyables, et au témoignage de Pantaléon Paris, la dévastation et la terreur diminuèrent sensiblement.

Pour transmettre aux générations futures le souvenir des faits qui précèdent et leur rappeler ce que M. Nicco nomme "le miracle du Crucifix", André Jourdain, ancien évêque d'Aoste, fit placer sous l'image du Christ cette inscription latine qui est due à M. Nicco, curé de La Thuile en 1840 : Caeteris cunctis bello vastatis 1794 a Gallis Hoec Christi imago mirabiliter intacta remansit.
L'an mil-huit-cent-quarante-un, c'est-à-dire quarante-sept ans après l'invasion de La Thuile, il restait encore plusieurs témoins oculaires des faits qui eurent lieu pendant l'occupation française. J.O. Nicco, alors curé de cette paroisse, eut l'excellente idée de consulter ces témoins et de conserver par écrit leurs dépositions. Tout ce que nous racontons au sujet du Grand-Crucifix est tiré des manuscrits qu'il nous a laissés là-dessus.

LA TERREUR SUR LES ALPES
PAR L'ABBÉ F. FENOIL
1887

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