POÉSIE ♣ LE SUPREME COMBAT

LE SUPREME COMBAT
 
Dix mille pauvres gens qui n'ont pas pris la fuite,
Cadavre de l'Armée, errent sous la conduite
Du brave Fleuriot qui remplace Henri,
Henri sur l'autre bord sans doute ayant péri.
Et puis vers Savenay, dont ils ferment les portes,
Ils laissent avancer les terribles cohortes,
Noires bandes de loups, de chacals, de corbeaux,
Qui veulent dévorer jusqu'aux derniers lambeaux.

Marigny court partout pour échauffer les âmes.
Au chemin de Guérande il rassemble les femmes ;
Pour protéger leur fuite il met là deux canons,
Et s'élance des murs avec ses compagnons.
Trois fois ce vaillant homme, à la géante taille,
Le drapeau blanc en main, plonge dans la bataille ;
La rage fait couler des larmes de ses yeux.

Se verra-t-il jamais un choc si furieux ?
Les gars, pour vivre encor leur vie infortunée,
Retrouvent en eux-même une ardeur effrénée,
Les uns pour s'accrocher sur le gouffre béant,
Les autres pour lancer leur victime au néant,
Déploient tant de vigueur que toute une journée

La lutte se prolonge ... Hélas ! la destinée
Penche aux Républicains : - Lyrot est mort ; Piron,
Le célèbre vainqueur de Santerre, à Coron,
Tombe avec son cheval que le sabre mutile.
Résister plus longtemps devenait inutile,
Et Marigny revient, et, tremblant de courroux ;
- "Femmes ! tout est perdu ! Sauvez-vous ! sauvez-vous !"

Les bouchers à présent vont avec énergie
Se ruer au travail par la ville rougie ;
Dans le sein des vieillards, des mères, des enfants,
Leurs couteaux vont fouiller, leurs couteaux triomphants,
Puis, quand cette besogne atroce sera faite,
Vous pourrez, ô vainqueurs ! hurler des chants de fête ;
Car tout est consommé par ce jour trois fois beau
Où la royale Armée entre dans son tombeau ! ...

ÉMILE GRIMAUD