Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
5 avril 2013

LÉGENDE VENDÉENNE ♣ LE CALVAIRE DE BOURGENAIS

37542722


Arrête ton vol rapide, corbeau à l'aile noire, et dis-moi pourquoi les approches de ce calvaire sont défendues par un vieux loup gris ?
- C'est une ancienne histoire, pèlerin. Depuis, une forêt nouvelle a, de ses rejets vigoureux, fermé tous les chemins qui menaient à la Croix, sauf le sentier qui t'y a conduit. Le temps passe, l'herbe de l'¤ubli croît.
- Regarde là-bas, vieillard, entre ces chênes centenaires ; si l'âge n'a pas affaibli tes yeux, tu distingueras les ruines d'un manoir, et, plus loin, au-dessus de ces sombres futaies, les tours d'un château. Sur celui-ci flotte encore le fanion de ses maîtres ; des gardes veillent à ses remparts. C'est le présent, le passé est l¤in.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- Le manoir en ruines dominait autrefois la forêt et son donjon guidait de loin les pêcheurs de la mer. Il était la demeure de la blonde Yseult. On n'aurait pas trouvé parmi les filles du Poitou, une damoiselle aussi belle, aussi bonne.
Sur son passage, la misère s'évanouissait, la mort semblait même reculer. Dans les huttes de la forêt, comme dans les cabanes du rivage, sa main bienfaisante s'ouvrait à chaque malheur. Nul n'avait imploré en vain celle qu'on nommait la Blanche-Fée.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- Quand la tempête soulevait les vagues de la mer et courbait sous son souffle les arbres de la forêt, la belle vierge venait s'agenouiller à ce calvaire. Ses chastes prières ont sauvé bien des vies, bien des âmes.
Sa douce influence s'étendait même sur les hôtes des bois. Les oiseaux lui faisaient cortège de leurs chants. Ne leur avait-elle pas porté souvent la pâture ? Les bêtes féroces se rangeaient pour la voir passer. N'avait-elle pas élevé un louveteau orphelin ? Devenu grand, il s'était enfui dans la forêt, mais chaque fois que la noble fille arrivait au calvaire, le loup gris venait se coucher à ses pieds.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- Lorsqu'au jour du Seigneur, elle sortait de la grand-messe, au bras de son fiancé, le chevalier Alain, tous admiraient ce beau couple. Tous proclamaient que le jeune chevalier, dont le château porte toujours la bannière, était seul digne de la Blanche-Fée.
En attendant leur mariage, qui causait la joie universelle, ils avaient échangé leurs anneaux de fiançailles et s'étaient promis leur foi sur les marches de ce calvaire, entre la forêt et l'océan.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- Mais, hélas ! le malheur est proche ! J'ai vu un navire quitter le port ; debout sur le pont, le chevalier portant la croix rouge, lever son étendard en signe d'adieu et d'espérance, et, sur les noirs rochers de la rive, la belle Fée agiter son voile blanc.
Chaque jour depuis, elle se rendait au calvaire, et suivie du loup gris, allait ensuite secourir les infortunés. Le temps s'écoulait ; la voile espérée qui devait ramener son fiancé, ne paraissait pas à l'horizon.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- J'ai vu, un mendiant frapper à la porte du manoir. La trahison au coeur, il ne craignit pas de prendre place au foyer, de partager le pain de l'hospitalité. Pendant le repas, il jetait des regards brûlants sur la vierge, et, la nuit venue, Conan, le bandit, ouvrit la poterne à ses routiers. Quoique surpris, les gardes tentèrent une résistance impossible.
Fuyez dans la forêt, gente damoiselle, fuyez pendant que nous luttons encore.
Je ne veux pas vous abandonner, mes amis, je mourrai avec vous !
Fuyez vous ne nous êtes d'aucun secours, fuyez, ce n'est pas à votre vie qu'en veut Conan, le bandit.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- Elle fuit enfin, laissant derrière elle le carnage et la mort. Les flammes de l'incendie éclairent bientôt sa marche. Elle entend le pas des routiers. Par un dernier effort, elle arrive au calvaire, mais tombe, épuisée, contre la croix.
Sainte Mère de Dieu, sauvez-moi ! Prenez ma vie en échange !
Trois bandits montent les marches du calvaire.
Vous êtes à nous, vous ne nous échapperez plus, s'écrie Conan ; il étend son bras criminel pour la saisir, mais le loup gris s'est dressé entre les bourreaux et la victime !
Lancez vos traits, camarades, abattez cette bête infernale !
Les flèches volent, l'une d'elles s'est égarée, et a frappé un autre but. Une plainte, douce comme celle d'un enfant, s'élève, cri de douleur et de joie. Le loup gris s'est élancé et a bondi trois fois.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- J'ai vu, pèlerin, un vaisseau atteindre les rives de la patrie. Des chants d'allégresse retentissent parmi les vaillants soldats qui reviennent vainqueurs de l'Infidèle. Mais j'ai volé au-dessus de leurs têtes et j'ai poussé, dans la nuit, mon cri de funeste augure.
Voyez, sire chevalier, cette lueur qui teinte la forêt de reflets sanglants !
Les cavaliers sont partis, rapide comme la tempête, terribles comme elle. Le roc résonne sous leur galop furieux.
Allez aussi vite que le vent, aussi vite que l'éclair, cavaliers, il est trop tard, la vengeance seule vous reste !

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- J'ai vu la croix du chemin rougie de sang ; j'ai vu sur les pierres du calvaire, une jeune vierge endormie dans la mort, avec un sourire radieux, le coeur traversé d'une flèche ; son sang tracer un sillon rouge sur ses blancs vêtements et sauter goutte à goutte, de marche en marche.
J'ai vu un loup gris, debout sur trois cadavres, remplir l'air de ses hurlements désespérés, un chevalier prosterné à terre au milieu de soldats en larmes.

- Dis-moi, noir corbeau, qu'as-tu vu dans ton vol rapide ?
- J'ai vu disparaître une douleur qui aurait dû être éternelle, une autre fiancée entrer comme épouse au château où flotte la bannière. J'ai vu l'oubli et l'ingratitude des hommes délaisser ce calvaire.
Je vois un loup gris qui, en dépit des années, est resté seul fidèle, et garde les pierres qui recouvrent le corps de la vierge martyre. Parfois, il va troubler de ses gémissements, les nuits des châtelains.
Avance sans crainte du loup gris, pèlerin ; prie un instant sur celle dont le repos est bercé par la plainte éternelle de la forêt et de la mer, et, que Dieu te conduise !

G. HENRI COLINS
Revue du Bas-Poitou
1888 - 2e livraison

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité