UN TRAIT D'HUMANITÉ DU MARQUIS LOUIS DE LA ROCHE SAINT-ANDRÉ ♣ CHEF VENDÉEN
DOCUMENT DE LA BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE
COMMUNIQUE ET ANNOTE PAR LE BARON DE WISMES
La famille de la Roche, qui remonte au XIe siècle et ajouta, au XIVe, le nom de Saint-André au sien, a compté de nombreuses illustrations militaires, dont je n'indiquerai que deux.
Geoffroy, écuyer de Beaumanoir, qui l'arma chevalier pendant le combat des Trente et, lui frappant l'épaule de son épée sanglante, lui adressa ces paroles : "Beau doulx fils, souviens-toi de ton aïeul Budes de la Roche, dont la valeur émerveilla tout l'Orient ; j'ai juré que les Anglais te paieraient ta chevalerie avant l'heure de complies". Geoffroy donna le signal de la reprise du combat, et la victoire resta aux Bretons.
Au XVIIe siècle, le célèbre amiral Gilles de la Roche Saint-André, qui planta à Madagascar la croix du Christ et le drapeau de la France, et fut élevé par Louis XIV à la dignité de chef d'escadre, en remplacement de Duquesne.
Un petit-fils de l'amiral fut précisément l'abbé Louis-Joachim, qui, après avoir combattu vigoureusement le jansénisme dans le diocèse de Dax et être revenu à Montaigu, où il forma à la piété le P. Baudouin, déclaré vénérable par Pie IX, fut arrêté, traîné à Nantes, condamné à mort et guillotiné sur la place du Bouffay, à l'âge de 87 ans !
Ce sang, qu'il versait si généreusement pour la cause du Christ, toute sa famille l'offrait avec le même héroïsme sur les champs de bataille de la Vendée. Ses trois neveux furent blessés à Quiberon : Henri, dont la femme, condamnée à périr dans la Loire, fut reconnue à temps pour avoir contribué à sauver les prisonniers de Saint-Florent et dut entrer, comme servante, dans une auberge des faubourgs de Nantes ; - Victor, que les républicains achevèrent lâchement, et dont les ossements reposent dans la Chartreuse d'Auray, - et Charles, qui devint, en 1815, aide de camp de Suzannet.
Dans la branche aînée de la famille, trois frères également servirent la cause sainte : Louis, qui prit Pornic, combattit avec Charette à l'attaque de Nantes, fut, à Antrain, blessé de douze coups de sabre près de la Rochejaquelein, qui le sauva, et se fit tuer glorieusement à Savenay (M. de Lisle du Dreneuc a bien voulu me montrer au Musée une bague en or aux armes des la Roche Saint-André, trouvée sur le champ de bataille, très certainement celle de Louis) ; Joseph, qui mourut des suites de ses blessures, le 20 novembre 1793, et dont la veuve fut emprisonnée au Bon-Pasteur, près Saint-Nicolas, et ne dut son salut qu'au 9 thermidor ; et Henri, dont la veuve fut d'abord épargnée parce qu'elle était enceinte, puis qu'elle dut allaiter son nouveau-né. Mais, celui-ci ayant succombé, le bourreau vint la chercher, en lui adressant ces cruelles paroles : "Nous ne t'avions laissé vivre que pour nourrir ton enfant ; il est mort ; tu vas mourir à ton tour", et il la mena au supplice. Son mari avait été guillotiné peu auparavant, ainsi qu'en témoigne une note due à l'amabilité de notre distingué collègue, M. A. Lallié : "Trib.révol.19 mars 1794, 29 ventôse an II. La Roche Saint-André, Louis-Henry, lieutenant de vaisseau, 40 ans, demeurant à la Coudry, district de Challans, a été chef de brigands longtemps ; a été choisi par Lavoyrie pour aller chercher des secours en Espagne. L. 19 mars, 11 avril, 5 juillet. A mort". "Cependant, faisais-je remarquer, les archives du greffe conservent un billet que notre arrière-grand-oncle adressait aux royalistes de Beauvoir, pour leur recommander de traiter les prisonniers républicains avec humanité".
J'ai donc accueilli avec grand plaisir la communication qu'a bien voulu me faire, ces jours derniers, notre aimable confrère, M. Joseph Rousse, d'une note relative à ce trait d'humanité, dans les papiers légué à la Bibliothèque par M. Dugast-Matifeux.
Elle se trouve dans un "registre pour servir aux dénonciations qui pourraient être faites, concernant les attroupements des brigands soulevés contre la République française, coté et paraphé par nous, officier municipal de la commune de Saint-Gilles".
Le 14 avril 1793, un sieur Gaborit, notaire et greffier, déclarait que le 14 mars, à 4 heures du matin, il avait été réveillé en sursaut par sa femme, qui lui annonçait l'arrivée des brigands. Vite il cache tout son argent, dont une partie provenait de la vente des meubles d'un émigré, de Rorthays, dans une chemise, qu'il met dans la poche d'un habit, et part pour Olonne. Là, le juge de paix, Menantier, lui offre l'hospitalité. Tout à coup une domestique vient leur dire que les brigands sont à la Mothe-Achard et vont partir pour les Sables en passant par Olonne. Alarme générale. Gaborit, pris de panique, fuit, sans habit et sans argent ; mais, déjà souffrant à son départ, il ne peut aller loin et revient coucher à Olonne. Le lendemain, il réclame ce qu'il a laissé, mais impossible d'ouvrir la porte de la maison. Force lui est de s'éloigner, après avoir recommandé de lui renvoyer ses affaires ; mais, l'insurrection étant devenue générale, il doit en faire son deuil. Bien mal acquis ne profite jamais.
Il se rend à la Gachère, puis à Bretignolles, et arrive enfin chez lui, après avoir rencontré, au pont de la Jaunais, deux hommes, dont l'un lui signale la présence de 3 à 400 brigands à Saint-Gilles. Il n'en aperçoit cependant aucun ; mais le lendemain, 17, il en voit arriver quelques uns, conduits par Bouchereau, qui lui demandent des provisions. - Le 23, une quarantaine d'autres viennent le prier de leur donner du vin. Il leur répond que, n'en buvant pas, il n'en a pas ; mais les soldats, sceptiques, descendent à la cave et trouvent une barrique "qu'il y avait, pour la boisson de son épouse."
Arrêté, le 26, par Coulon et conduit au Comité central, à Challans, il y voit les deux Massé, les deux de la Barbelais, du Bois, Berthuys et autres. Les de la Barbelais lui ordonnent d'aller en prison ; mais il fait valoir des raisons de santé, qui déterminent à le confier à André Moisseau, vétérinaire. Délivré, le 12, par l'arrivée du général Boulard, il déclare que, "pendant son séjour, il a vu le sieur la Roche-Saint-André, des Planches, son frère, Découdrie, Audebine, Tinguy, tous cy-devant, Viaud, marin, avec 83 Barbâtrois, bien armés de fusils, de munitions, à la tête desquels il était, et dont plusieurs abattaient avec des haches le bonnet de la liberté", puis que, les derniers prisonniers ayant été transférés à Beauvoir, au retour d'une expédition dans cette commune, "le bruit se répandit que Charette arrivait avec des forces, qu'il avait donné l'ordre de massacrer provisoirement les prisonniers et que le sieur la Roche St-André, demeurant aux Planches, paroisse de la Garnache, était arrivé pour s'opposer à l'exécution de cet ordre barbare, et qu'il envoya à Beauvoir une défense expresse de la mettre à exécution".
Si j'ai ressenti quelque fierté à rappeler l'intrépidité dont firent preuve tous les la Roche Saint-André, c'est avec une joie et une émotion sincères que j'ai cité cet acte de générosité de l'un d'entre eux.
LE BARON DE WISMES
Bulletin de la Société archéologique de Nantes
et du département de la Loire-Inférieure
1899