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La Maraîchine Normande
21 janvier 2013

MLLE GLATIN ET LE PERE BARTHELEMY ♣ Histoire d'une paire de pantoufles

 

C'était en 1794, sous le proconsulat de Le Carpentier.

Au premier étage d'une maison située à Saint-Malo, 8, rue de Dinan, à peu près en face de la rue de l'Épine, vivait une pieuse demoiselle, que tout le monde appelait Mamselle Glatin.

Au niveau de son étage, se trouvait un petit pavillon bâti en retour d'équerre, au bout oriental de la cotale de derrière.

Ce petit pavillon appartenait aux demoiselles Ribertière de la Ville-Bagues qui en laissaient la garde, à titre amical, à Mamselle Glatin.

Ce pavillon était composé de deux pièces. A la pièce intérieure, on parvenait par une galerie extérieure, au niveau du premier étage.

Dans le coin le plus obscur de cette pièce, se trouvait un escalier intérieur qui menait à la mansarde du pavillon. Cette mansarde était éclairée par une petite fenêtre, à hauteur du second étage.

Ce jour-là, à ce second étage, avait lieu une vente mobilière. Les amateurs étaient nombreux, et toutes les revendeuses au grand complet.

L'une d'elles, la femme Gouesson, circulant autour des meubles disséminés, jeta tout-à-coup les yeux sur le pavillon d'en face.

- Regardez donc l'oiseau ! regardez donc l'oiseau ! s'écria-t-elle, tout-à-coup, en montrant du doigt la fenêtre de la mansarde du petit pavillon.

Malgré l'étroitesse des carreaux recouverts à dessein d'une épaisse couche de poussière, elle avait vu passer, comme une ombre, la silhouette d'un prêtre.

Aussitôt la police est prévenue. Les agents envahissent la demeure de Mamselle Glatin, et se précipitent dans le pavillon suspect, dont une couchette et une table de bois constituent l'unique mobilier.

Mais, quel est cet étrange placard qui s'ouvrant dans la cotale principale de l'étroit pavillon, s'harmonise à la forme du toit, et, large dans le bas, s'amincit en forme triangulaire ? On l'ouvre. Déception ! il ne renferme que quelques effets hors d'usage.

Une rumeur de mécontentement monte de la foule. Eh quoi ! l'honorable citoyenne Gouesson, revendeuse de la rue du Bé, aurait-elle osé mystifier la Force publique !

- Non ! je n'ai pas rêvé, glapit cette mégère. Je l'ai bien vu, le calotin, de mes yeux vu. Je garantis qu'il a passé devant la fenêtre, et n'a pas repassé ! Cherchez dans ce placard, c'est là que doit être le nid et le corbeau.

On examine à nouveau le mystérieux placard. Tiens ! tiens ! ... sa surface intérieure ne correspond pas à ce qu'elle est, vue extérieurement. La boîte a un double fond. On agite la tablette la plus basse. Elle glisse, et dévoile un couloir de vingt pouces de hauteur, sur dix à douze de large. Ce couloir mène à une minuscule retraite, d'où l'on déloge le prêtre.

Le voici. C'est le prêtre Barthélémy, un bénédictin de la rue Saint-Benoît, qui suivait tous les enterrements pauvres, avant la Terreur.

Alors, on amène aussi Angélique Glatin. On ne lui a même pas permis de remplacer par des chaussures, ses pantoufles en tapisserie verte qu'elle avait brodées, l'hiver passé, au coin du feu.

La foule rit.

- Oh ! les belles pantoufles, la p'tite mère. Ne vas pas les salir en route.

Le moine et l'humble vieille sont poussés dehors.

Dehors, la foule s'agite.

- C'est Mamselle Glatin qu'on arrête, et le Père Barthélémy.

- Leur sort est assuré. Couic ! Couic !

Et les lazzis vont leur train. Et les deux coupables, entourés de soldats, se dirigent vers la prison, tandis que la vente aux enchères reprend son cours, un moment suspendu.

- A vingt livres, six sols, la jolie bergère d'aristocrate.

- Vingt livres dix sols !

- Vingt-et-une livres ! ...

Le prêtre insermenté et la pieuse vieille fille furent dirigés sur Rennes.

A Hédé, ils s'arrêtèrent pour déjeuner. L'hôtesse leur servit une tasse de café qu'ils trouvèrent excellent, et ils la prièrent de leur préparer au retour une tasse semblable.

Le retour ne tarda pas. Tous deux avaient été condamnés à mort, et à Hédé ils reçurent, des mains de leur courageuse hôtesse, leur dernière tasse de café. C'était là, le petit péché mignon de la bonne demoiselle Glatin.

- Que nous vous savons gré, lui dirent-ils, d'avoir bien pensé à nous ! Nous n'oublierons pas que c'est à vous que nous devons le dernier bon café que nous prendrons.

La guillotine était dressée, à Saint-Malo, au bout nord de la place St-Thomas, appelée alors place de la Révolution.

Ce jour-là, comme toujours, la foule grouillait, autour de l'échafaud, et sur les remparts.

Tout-à-coup, dans la foule se fait un grand mouvement.

- Les voilà ! Les voilà !

Les condamnés sont assis dans une charrette. Mamselle Glatin en descend la première, et montant sur l'échafaud, elle supplie le bourreau de commencer par le Père Barthélémy, afin de lui épargner la douleur de voir mourir celle dont il a causé la mort, en se cachant chez elle.

La foule houleuse se demande ce que veulent dire tous ces pourparlers.

Une petite fille, appelée Julie Joly, se hausse, pour essayer de voir, sur la pointe de ses petits pieds.

Un curieux, complaisant, la prend dans ses bras, et l'élève au-dessus de toutes les têtes.

Alors, sur l'échafaud, elle voit un vieillard à cheveux blancs.

En bas, c'est une petite demoiselle dont les pieds menus sont chaussés de jolis pantoufles vertes à talons hauts.

Et tout-à-coup, l'enfant pousse un grand cri.

- Je ne veux plus voir ! je ne veux plus voir !

Et elle se laisse tomber des bras qui la portent.

Elle venait de voir rouler la tête du Père Barthélémy.

La vengeance du ciel s'appesantit sur la dame Gouesson, la revendeuse de la rue du Bé, qui avait été la cause de cette double mort. Elle finit dans la misère, et bourrelée de remords.

Quant à Julie Joly, qui devint plus tard, Mme Vatier, marchande de légumes, dans la rue des Herbes, elle n'oublia jamais l'horrible spectacle qui avait frappé ses yeux d'enfant.

Comme un rêve affreux, elle revit longtemps la scène sanglante de la place Saint-Thomas ; la foule grouillante se penchant sur le parapet des remparts. Et, surtout, elle revit une tête à cheveux blancs, qui, avec un long jet de sang, roulait au pied des pantoufles vertes à talons hauts.

"Ces pantoufles-là, mes enfants, disait la brave femme, je les ai toujours dans l'oeil. Tenez ! elles étaient tout juste de la couleur de mes choux."

Et, se mouchant, en coup de trompette, elle ajoutait :

- Allons ! ma p'tite dame, achetez-moi des choux verts, sans chipoter plus longtemps. Ils me rappellent trop les pantoufles de la pauv'demoiselle Glatin.

EUGENE HERPIN

Angélique Glatin et le Père Barthélémy furent guillotinés, le 5 août 1794.

Cette double exécution est relatée, à nos archives de la période révolutionnaire, par cette simple note adressée, le jour même, au Comité de Salut public :

"De la prison, il (le Père Barthélémy) saluait tout le monde, jusqu'à la guillotine, et il a pieusement passé aujourd'hui sous le rasoir national, avec la femme chez laquelle il s'était retiré."

Le Père Barthélémy Oger n'appartenait pas, comme le dit Bertrand Robidou, dans son livre Histoire et Panorama d'un beau pays, au couvent des Récollets de Saint-Malo, mais à celui des Bénédictins de la rue Saint-Benoît.

Ajoutons que la belle conduite de Mlle Glatin, qu'on essaya vainement de sauver, en lui faisant dire qu'elle ignorait la présence du Père Barthélémy, dans le pavillon dont elle avait la garde, est longtemps restée proverbiale, dans notre pays. Elle était le modèle cité aux petits enfants du Clos-Poulet, pour leur inspirer l'horreur du mensonge.

- Fi ! disaient nos grands'mères, que c'est laid de mentir ! La pauvre demoiselle Glatin, elle a mieux aimer mourir que de commettre un tout petit mensonge.

Et, nos grand'mères, joignant l'exemple au précepte, racontaient l'histoire des pantoufles de Mamselle Glatin.

Quand fut fermé, en 1790, le couvent des Bénédictins, le Père Barthélémy n'avait pu se résigner à quitter Saint-Malo.

Il y demeura avec quatre profès : dom François, dom Thomas Devy, dom Joseph et Louis Rousseau, qui avait succédé, en qualité de Prieur, à Gilbert Cunat, une des victimes de Carrier, dans les noyades de Nantes.

Annales de la Société historique et archéologique de l'arrondissement de Saint-Malo - 1907

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