Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
19 août 2016

LIVRÉ-LA-TOUCHE (53) - ANGÉLIQUE MORAILLE ET LE CANONNIER BELLEPERCHE, DIT BELLONI

Morailles et Belloni-Belperche

C'était le 7 frimaire, an II de la République. (27 novembre 1793)

L'armée vendéenne, commandée par de la Rochejacquelein, le prince de Talmont et Marigny, se trouvait bivouaquée, près de Livré, à l'orée de la forêt de Craon.

Les chefs avaient établi leur quartier général, tout près, au château de la Lande. 

Château de la Lande

 

Quant aux gas, pittoresquement groupés sous les arbres, ils causaient ensemble du pays natal et de cette "guerre des géants", dont il étaient les obscurs héros ; ou bien ils regardaient la flamme qui, sortant de grosses pierres moussues, cuisait, dans les fours improvisés, la frugale pitance du soir.

Le soir tombait, enveloppant les fauves frondaisons de la forêt, d'une buée violette et fine, empreinte d'une délicieuse douceur, et d'une rêveuse poésie.

Tout-à-coup, les tambours battent le rassemblement ; et voici les chefs qui accourant vers leurs troupes, dégringolent le haut perron de l'antique castel.

Qu'y-a-t-il donc ?

Il y a, tout là-bas, un bout de la grand'route, bordée de chênes feuillus, un gros nuage de poussière qui s'avance. Ce nuage, signalé par les sentinelles, est un détachement français, comprenant une batterie d'artillerie du 7e bataillon de la Somme.

Alors, les gas de Vendée se sont blottis dans les ajoncs en fleurs, et derrière les taillis épais.

Tout-à-coup, un commandement bref a retenti, interrompant brusquement le chant des oiseaux, en train de se coucher dans les feuillages : - Feu !

Surpris par cette soudaine attaque, les canonniers français sont dégringolés de leurs chevaux, et ont roulé sur la route.

- Feu ! Feu !

Ils sont tombés, en tas, sous les coups de fusils qui crépitaient sans interruption. Maintenant, il n'en reste plus qu'une poignée. Mais cette poignée a mis les canons en batterie, sous le commandement d'un grand gars, simple canonnier, qui ne semble pas avoir froid aux yeux.

- En avant ! en avant ! hurlent les Vendéens, tapis dans les ajoncs d'or.

Vraiment ! on dirait une meute de loups qui se rue à la curée !

Quel horrible corps à corps ! La route est rouge de sang, et les corbeaux déjà qui ont senti l'odeur, planent, en croassant dans le ciel empourpré.

Les soldats français, écrasés par le nombre, ont dû se rendre à merci. Les gas de Vendée les ont alignés sur deux rangs. Et, en avant marche ! La troupe se dirige vers Livré.

A Livré, les ménagères causent, en tricotant, sur le pas de leurs portes, tandis que les enfants viennent d'avaler leur écuelle de soupe, gambadent dans la rue.

La petite troupe a contourné la grande place.

Les prisonniers ont été alignés, un à un, contre le mur du cimetière. [ils étaient 16*.]

Des coups de feu ont retenti.

Chaque fois, les bonnes femmes se sont signées, et, les enfants qui, tout apeurés, sont venus se nicher dans les maisons.

C'est que, chaque fois, par le grand trou que les balles ont fait dans le corps des beaux de vingt ans, c'est l'âme du chrétien qui s'est envolée vers le Juge suprême.

La nuit est tout-à-fait tombée, et les étoiles s'allument dans le ciel bleu.

Les gars de Vendée sont entrés dans l'auberge du Croissant d'or. Ils ont bu à grandes lampées, disant, en manière de plaisanterie, que la poudre dessèche le gosier.

Ensuite, commandés par un sous-officier, ils ont repris la route de Craon, emportant au bout de leurs fusils, les hardes des soldats fusillés derrière le cimetière.

Cependant, de sa chaumine, sise à l'écart, derrière le cimetière, est sortie une jeune fille.

Elle a vingt-deux ans à peine.

La nuit est si claire qu'on distingue très bien la pureté de son joli visage, et la candeur de sa naïve expression. Sans menterie, c'est la plus jolie fille de Livré ! Elle s'appelle Angélique Moraille, et de l'avis général, comme le prouvent les branches d'aubépine qui ont orné sa fenêtre au dernier Mai, elle est cent fois digne, par sa vertu, du nom d'Angélique qu'elle a reçu, le jour de son saint baptême. Angélique Moraille ne va donc pas à un rendez-vous galant. Non. Elle va voir si, en face, au long du mur du cimetière, il n'y aurait pas un agonisant à soulager.

Qui sait ?

- Qu'est-ce là ?

Quel est cet être étrange qui rampe, sur la route, au long des grands ifs ? Est-ce un chat sorcier ? On dirait plutôt un malade qui se plaint. Angélique hâte le pas.

Mon Dieu ! Mon Dieu !

C'est un homme, tout nu, maculé de sang et de poussière.

Point de fausse pudeur !

Angélique l'appuie contre un arbre. Elle court chercher de l'eau pour laver ses blessures et du vieux linge pour le panser. Il a une horrible plaie à la main, et le corps quasi traversé d'un coup de feu. Enfin, lui, du moins, il n'est qu'aux trois quarts fusillé !

Et, doucement, elle l'a aidé à se vêtir, avec des habits de paysan qu'elle est aussi allée chercher chez elle.

Pauvre gas ! maintenant, au moins, il ne rampe plus sur la terre, comme un vieux chien qui va crever. Il marche, tout doucement, en lui donnant le bras.

Oh ! bien sûr ! elle va le cacher chez elle ; elle va le soigner ; elle va le guérir.

Grâce aux bons soins d'Angélique Moraille, le nommé Belleperche, dit Belloni, canonnier au 7e bataillon de la Somme, est enfin complètement rétabli.

A Livré, on croit tout simplement que ce beau gas est un promis, et que ma foi ! Angélique et lui feront un joli couple ! C'est l'avis unanime des bonnes ménagères, dont les langues marchent, le soir, entre chien et loup, quand elles tricotent leurs bas, sur le pas de leurs portes.

Cependant, Angélique et son père, accompagnés du canonnier Belloni sont, un matin, partis pour Port-Malo.

Tous trois, ils se sont présentés à l'assemblée populaire. Ce jour-là, c'était le 18 pluviôse (6 février 1794), ainsi que le relatent les archives de notre ville qui, sur ce touchant épisode de la guerre de Vendée, renferment de nombreuses pièces ; lettre de la société du 5 ventôse, même année, adressée à Le Carpentier, Représentant du peuple ; lettres à la citoyenne Moraille, au comité d'instruction publique ; à la société de Saint-Brieuc ; au citoyen Briols, employé à la Trésorerie nationale, qui avait manifesté le projet de mettre à la scène, l'acte de dévouement d'Angélique.

Quoiqu'il en soit, la société populaire de Port-Malo offrit au canonnier Belleperche, un sabre et un pistolet d'honneur portant l'inscription suivante : La société populaire régénérée de Port-Malo, au citoyen Belleperche.

Et, Belleperche, dit Belloni, qu'offrit-il, lui, à Angélique, la plus fine fleur de Livré, à laquelle il devait la vie.

L'histoire ne le dit pas, mais je pense bien qu'au retour du voyage à Port-Malo, il lui offrit sa main, et que comme dans les contes de fée, ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

EUGENE HERPIN

Annales de la Société historique et archéologique

de l'arrondissement de Saint-Malo

1907

* Inventaire sommaire des archives communales postérieures à 1790 : période révolutionnaire / par M.H. Harvut - 1907


Je ne suis pas parvenue à trouver l'acte de naissance d'Angélique Moraille (ou plutôt Morreil ou Moreille ...) dans les registres paroissiaux de Livré. Néanmoins, un acte de naissance du 20 février 1793 confirme sa présence à Livré cette année-là. Il est précisé qu'elle est de cette municipalité et qu'elle est âgée de 22 ans.

 

Moreil Angéliquezzz

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité