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La Maraîchine Normande
18 janvier 2013

LE "DOCTE" ABBÉ MANET

Celui qu'on appelle, en Bretagne, le docte abbé Manet, naquit à Pontorson, le 15 janvier 1764.

Quelle fut sa vie, jusqu'à la Révolution ? Ce qu'on en sait, c'est qu'il était professeur au collège de Dinan, alors que Chateaubriand y faisait ses études. Ce qu'on sait aussi c'est qu'en 1790, il fut nommé second chapelain de l'Hôtel-Dieu, à Saint-Malo, et refusa de prêter serment à la Constitution civile du clergé, en même temps que son collègue, l'abbé Doublet, qui, depuis 1785, exerçait les fonctions de premier chapelain.

Au début de 93, une pétition de patriotes malouins demanda son remplacement, ainsi que celui de l'abbé Doublet. Le premier mars suivant, le conseil du district fit droit à cette demande, et nomma à leur place le citoyen Mousset, prêtre assermenté.

Résolu à ne pas quitter Saint-Malo, l'abbé Manet mena alors, au milieu du drame qui se déroulait dans notre pays, l'existence la plus romanesque, la plus mouvementée, la plus héroïque.

Signalé au Comité de surveillance, il était obligé, pour se soustraire à ses recherches d'user des ruses les plus ingénieuses.

Sa cachette la plus habituelle était à la Ville-Houx, où déguisé en garçon de ferme, il passa presque toute la période révolutionnaire. A mainte reprise, il faillit y être arrêté. Une fois, ce fut lui qui alla ouvrir aux soldats, venant faire une perquisition, afin de l'arrêter. Doué d'un très grand sang-froid, d'une admirable présence d'esprit, l'abbé Manet joua à "l'imbécile", et en voyant ce gros garçon de ferme tout simple et tout nigaud qui, bonassement, les promenait de l'écurie au cellier, leur offrant au passage une bolée de cidre, les agents de Le Carpentier, alors Représentant du peuple à Saint-Malo, ne se doutèrent assurément pas qu'ils étaient guidés dans leurs recherches, par celui-là même qu'ils avaient mission d'arrêter.

D'ordinaire, cependant, l'abbé Manet évitait de séjourner à la maison, où il ne rentrait guère que pour se coucher, et, quand les propriétaires de la Ville-Houx apprenaient qu'on faisait des recherches aux environs, ils disaient à un de leurs enfants : "Va dire à François de rentrer les chevaux !" C'était le mot d'ordre, et l'abbé Manet détalait à toutes jambes.

A différentes reprises, l'abbé Manet célébra sa messe dans un des embas de la rue de la Harpe. Pour être aussi, en sûreté que possible, on avait alors soin de fermer toutes les portes du côté de la rue, et d'ouvrir seulement celles qui donnent sur la cour intérieure. La cour intérieure est, des quatre côtés, entourée de fenêtres. C'est de ces fenêtres, que les fidèles qui avaient été prévenus assistaient au Saint-Sacrifice.

Un matin, l'abbé Manet fut appelé en toute hâte, pour un vieux Malouin mourant, qui ne voulait pas se confesser à un autre prêtre qu'à lui. Arrivé à Saint-Malo, seulement depuis le 15 novembre précédent, Le Carpentier y régnait en maître tout puissant. Aussi, était-ce éminemment périlleux de se montrer en ville, en plein jour, étant prêtre et prêtre surtout aussi connu que l'abbé Manet.

L'abbé Manet usa de ruse. Il endossa un gros cotillon de tiretaine, se plaqua sur la tête une grande coiffe par dessus laquelle, il mit un mouchoir, se jeta sur les épaules un tablier, et ainsi déguisé en laitière de Paramé, il partit pour Saint-Malo. Il partit, cela va de soi, sur un âne, avec des "bues" (Buires de fer blanc qui, dès l'époque de la Révolution, servaient aux villageoises de Paramé, montées sur des ânes, à apporter le lait, à Saint-Malo), plein ses hottes.

Il paraît qu'il avait, dans cet appareil, assez cocasse tournure, car lorsqu'il fut en vue du poste de la porte St-Vincent, les soldats se tordirent de rire, et l'un d'eux lui cria au passage : "Hé ! la petite mère, tu vas crever ta bourrique !" Quoiqu'il en soit, la petite mère put passer son chemin et s'en fut confesser son pauvre mourant.

Il fut, à cette époque d'épouvante et de sang, une circonstance émouvante, dans laquelle le courage de l'abbé Manet s'éleva véritablement jusqu'à l'héroïsme. Je veux parler du départ, pour Paris, du premier convoi qui y fut envoyé par le proconsul Le Carpentier.

Le vendredi, 20 mai 1793, par ordre de ce dernier, huit membres du Comité révolutionnaire de Port-Malo, escortant le substitut de l'agent national du district, étaient allés inspecter toutes les maisons d'arrêt.

Tous les détenus descendirent dans la cour, et furent rangés sur une ligne. On en fit l'appel : Thomazeau, Robinot, Magon-Lalande, Magon-Coëtizac, l'Epinay, la Bas-Sablons ... Chacun répondit : Présent ! à l'appel de son nom. L'appel terminé, on les reconduisit dans les cachots, et le dimanche 1er juin, on annonça à trente-et-un d'entre eux de se tenir prêts à partir, le lendemain matin, pour Paris.

Plusieurs demandèrent alors l'autorisation de recevoir quelques vêtements.

- Inutile ! leur répondit-on, de vous embarrasser de gros bagages. A Paris, vous trouverez tout ce dont vous aurez besoin.

Le lundi 2 juin, à cinq heures du matin, des charrettes garnies de paille, s'arrêtèrent à la porte des prisons. La foule, tenue à distance, par un détachement de sans-culottes, prononçait le nom de chaque prisonnier, à mesure qu'il montait sur la fatale charrette.

- Celle-là, c'est la ci-devant marquise de Saint-Pern.

- Celui-là, c'est l'armurier Thomazeau ...

Cependant, voici les charrettes qui s'ébranlent lourdement. Personne n'ose manifester, agiter la main en signe d'adieu. L'adieu se donne seulement du fond du coeur.

Cependant, les charrettes vont franchir la Porte des Sans-Culottes, et là, elles se sont un instant arrêtées, pour la régularité du cortège. Alors, tous les prisonniers ont pris un air recueilli, et se sont tournés du côté de la rue. Pourquoi ? Est-ce pour jeter un dernier regard sur la chère cité natale ? Non. Il y a un autre motif. A cette lucarne de grenier, cet homme qui se tient debout, c'est un prêtre héroïque. C'est l'abbé Manet, dont la figure populaire est bien connue à Port-Malo.

Il est sorti de sa cachette du cimetière des Ecailles et suivant la promesse qu'il avait faite aux prisonniers, avec lesquels il communiquait en secret, il esquissa alors un geste depuis longtemps disparu : le geste du confesseur qui absout.

O l'admirable dévouement ! O l'héroïque folie !

Maintenant, le cortège s'éloigne. Le sinistre voyage va durer dix-huit jours d'indicibles tortures. Mais, le Représentant, dans un but d'économie, en a décidé ainsi. Le voyage tout entier doit se faire en fourgons, et dès lors à toutes petites étapes.

A la fin de la Révolution, l'abbé Manet reprit son poste d'aumônier à l'Hôtel-Dieu. La chapelle Saint-Sauveur, en dépendant, était alors dans le plus lamentable délabrement. Rapidement, il sut lui rendre sa physionomie passée.

Au mois de mai 1823, nous le voyons prendre la direction du collège de St-Malo, en remplacement de M. Querret. Il conserve ce poste, durant deux années. Dans un manuscrit malheureusement incomplet il raconte ses déceptions d'alors et sa lutte avec la municipalité dont le maire était M. de Bizien. Il y mêle des discours de distribution, des détails d'économat, des récriminations contre la turbulence de ses élèves, ou l'indifférence de collègues qui ne répondaient pas toujours suffisamment à son zèle.

Alors, il s'adonne définitivement à l'histoire qui fut en réalité le charme de sa vie. Son ouvrage principal est l'Histoire de la Petite Bretagne ou Bretagne Armorique, en deux volumes, qui traitent, le premier, de l'Armorique sous les Gaulois et les Romains ; le second, de l'Armorique sous les Grands Bretons et les Français. Citons également l'Innocence reconnue ou la vie admirable de Sainte-Geneviève des Bois, princesse de Brabant. Notice intéressante sur le fatal incendie de Saint-Malo, en 1661 et sur la statue réputée miraculeuse de la Très-Sainte-Vierge, érigée deux ans plus tard, au-dessus de la porte principale de la cité. Chants religieux avec les airs en musique, à la gloire de la Très-Sainte-Vierge, patronne des marins. Vie du Bienheureux Jean de Châtillon, dit autrement Saint-Jean de la Grille, 1840, Imprimerie Macé, Saint-Malo. Biographie des Malouins célèbres. Essai topographique, historique et statistique sur la ville de Rennes.

Une mention spéciale est due à son ouvrage de l'Etat ancien et de l'Etat actuel de la baie du Mont Saint-Michel et de Cancale. C'est dans cet ouvrage, d'ailleurs honoré d'une médaille de quatre cents francs, par la Société royale et géographique de France, dans son assemblée solennelle du 28 mars 1828, que le docte abbé relate, avec une amusante précision de détails, la fameuse marée de 709 qui aurait englouti les forêts de Cancaven, de Scissy et de Chausey. Et, c'est le récit coloré de ce déluge breton, relégué aujourd'hui par la science, au rang des jolies et séduisantes légendes, qui a tant contribué à donner au docte abbé Manet, le surnom vraiment exagéré de Père des erreurs malouines. Ce surnom malicieux est d'origine canadienne, ce qui n'empêche pas du reste les érudits de "l'autre France", d'apprécier à sa juste valeur, un des historiens les plus autorisés du vieux Clos-Poulet.

Aux archives municipales de Saint-Malo, se trouvent aussi de nombreux manuscrits du docte abbé. Le plus connu, intitulé les Grandes Recherches, est le récit, au jour le jour, de la Révolution dans notre pays. Maints historiens y ont puisé à pleines mains, et divers chapitres qui, paraît-il, étaient quelque peu compromettants pour le chauvinisme de plusieurs familles du Clos-Poulet, brillent aujourd'hui par leur absence.

Un des gros chagrins du bon abbé fut de n'avoir pas les ressources suffisantes, pour faire éditer toutes ses oeuvres, et notamment ses Grandes Recherches.

Ajoutons qu'il conserva à Saint-Malo une très grande popularité et demeura, jusqu'à ses derniers jours, le confesseur à la mode. Je me souviens, dans mes plus lointains souvenirs d'enfance, d'une bonne vieille parente, contemporaine de l'abbé Manet, qui toutes les fois qu'elle allait à confesse, ne manquait jamais de nous dire : "Parlez-moi de l'abbé Manet ! en voilà un qui était un confesseur agréable, surtout dans les derniers temps de sa vie ! Il n'y voyait plus du tout et était sourd comme "un pot".

L'abbé Manet, d'une simplicité qui, certes, aujourd'hui, ne serait plus de mise, recevait, paraît-il, en bonnet de lingerie, orné de jolis tuyautés. Causeur très aimable, il aimait à parler des vieilles traditions du pays, des émouvants souvenirs de la Révolution, au Clos-Poulet. Par exemple ! il était un champion enthousiaste du célibat - je dois dire, il est vrai, que c'est une vieille fille qui m'a donné ce dernier renseignement. - D'après elle, toutes les fois qu'avec ses soeurs, elle allait voir l'abbé Manet : "Surtout, mes petites filles, ne manquait-il jamais de leur dire : surtout, ne vous mariez pas !"

EUGENE HERPIN

Annales de la Société historique et archéologique de l'arrondissement de Saint-Malo

1907

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