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La Maraîchine Normande
3 janvier 2013

MESSIEURS DE ROYRAND

La Révolution, qui chez nous anéantit églises, manoirs et bourgs pittoresques, parchemins et objets précieux, enrichit pourtant ce pays qu'elle appauvrit de tout un passé. Elle a illustré à jamais ce qu'elle avait cru détruire ; tel ce nom de Royrand, emporté par la tourmente révolutionnaire, et qui vivra par elle.

Les Royrand : une de ces nombreuses familles nobles, apparues sur notre sol vers la fin du quatorzième siècle, et qui prirent la place de familles plus anciennes. Faut-il attribuer leur obscurité antérieure à la disparition des archives pendant la guerre de Cent Ans, ou bien y voir le signe d'une ascension rapide ? Il n'est pas toujours facile d'en décider. Il peut s'agir parfois de marchands enrichis. Les Royrand paraissent avoir été des hommes de loi, fonctionnaires des justices seigneuriales ; en 1410, Pierre Royrand était sénéchal de la Merlatière. la possession de fiefs, et par suite, le service aux bans et arrière-bans de la province, auraient consacré leur assimilation à la noblesse ancienne.

De rares parchemins nous font suivre les Royrand, bientôt qualifiés d'écuyers, à l'Amblardière de Saint-Denis-la-Chevasse, puis à la Pâtissière de Boufféré ; liés à leur terre, au point que leur histoire ne nous est guère connue que par l'histoire du lieu.

Saint-Fulgent la petite roussière

 

En 1627, Louis Royrand, Ecuyer, seigneur de la Pâtissière, était établi à la Petite-Roussière (Saint-Fulgent), dont les Royrand joindront désormais le nom à leur patronyme. Protestants, les noms bibliques fleurissent dans leur généalogie), ils se convertirent à la Révocation de l'édit de Nantes.

En 1688, délaissant le logis de la Petite-Roussière, Charles-Élie Royrand loue cette terre et ses dépendances à un fermier bourgeois, et va demeurer à Sainte-Pexine, dans sa terre de Launay, où il semble avoir résidé jusqu'à sa mort. Son fils, Charles-Samuel habitait encore Sainte-Pexine, lorsqu'il épousa aux Brouzils, le 16 juillet 1728, Louise-Jacquette Sajot ; peu après son mariage, il se fixait à la Petite-Roussière, où lui naquirent plusieurs enfants.

Dans cette province écartée, qui nous paraît avoir vécu davantage sur elle-même depuis le début de XVIIe siècle, l'air extérieur ; il avait soufflé avec violence au temps des guerres de religion) commence à parvenir de nouveau. Signe des temps ; imitant d'autres de ses voisins, le seigneur de la Roussière prend une maison en ville ! il est vrai que la ville n'est distante que de quatre lieues ; se rendre à cheval à sa terre est pour lui une promenade, et sans doute passe-t-il la belle saison à la Petite-Roussière. Aux jours de foire de Montaigu, ses métayers lui apportent la charrette de bûches ou de foin, les poulets et les visons, les pots de beurre, prévus par les baux ; à l'Épiphanie, il reçoit les anguilles et le gâteau bon et valable fait d'un demi-boisseau de fleur de froment, que lui doit quelque meunier. Citadin, il reste proche de la terre.

Après 1731, tous les enfants de Charles-Samuel Royrand et de Louise-Jacquette Sajot naissent à Montaigu.

Bientôt, cette nouvelle génération va quitter sa province, pour faire service dans les armées du Roi ; fidèles, toutefois, à la petite patrie où, la retraite prise, ils ne manquèrent jamais de revenir. Depuis la fin des guerres de religion, le service prolongé à l'armée nous paraît avoir été assez exceptionnel parmi les nobles bas-poitevins. Indice, croyons-nous, de conditions économiques difficiles : la pauvreté de cette noblesse l'empêchait de servir. Vers 1750, ces conditions durent changer rapidement ; presque tous les gentilshommes, et même les aînés, servirent désormais à l'armée ou sur les vaisseaux du Roi. Chez les Royrand, par exemple, les quatre fils furent officiers d'infanterie, gagnant la Croix de Saint-Louis par 30 ou 40 ans de services. Le fils unique de l'aîné fut marin, comme son aïeul maternel, l'amiral Duchaffault.

Des douze enfants de Charles-Samuel Royrand, seuls vécurent deux filles et quatre fils.

- Née à Saint-Fulgent en 1725, Bénigne Royrand épousa à Chavagnes, en 1755, Claude Landerneau, chevalier, seigneur des Coutinières, de Saint-Pierre-du-Chemin (il était veuf de Jacquette Guillemot). Elle n'en eut qu'un fils, Charles-Alexis-Benjamin de Landerneau, qui fut prêtre et chanoine de Luçon. Veuve, Madame de Landerneau semble s'être fixée à la Roussière ; elle vivait encore en 1789. J'ignore le lieu et la date de sa mort. L'abbé de Landerneau, comme prêtre insermenté, fut déporté des Sables en 1792.

- Magdeleine Royrand était en 1759, novice au couvent des couëts. J'ignore la date de sa mort.

 

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L'aîné des garçons, Charles-Louis Royrand, ou plutôt de Royrand ; car imitant d'autres familles, celle-ci prit, vers cette époque, l'habitude de placer la particule devant le nom patronymique ; ils n'affirmaient pas ainsi une noblesse que personne ne contestait, mais voulaient, croyons-nous, se faire connaître à l'armée sous un patronyme commun, plutôt que sous un nom de terre, individuel et obscur hors des limites de la petite province, était né vers 1721 à Sainte-Pexine sans doute. Il servit au régiment de Navarre ; capitaine, avec la Croix de Saint-Louis, il quitta l'armée pour se marier (il avait 44 ans). Son mariage avec Thérèse Charlotte Duchaffault (fille de l'illustre marin) fut célébré le 15 avril 1765 à Montaigu, où leurs deux enfants naquirent : Pélagie, le 29 décembre 1765, et Charles-César, le 22 janvier 1767, Madame de Royrand mourut à Montaigu trois semaines après la naissance de ce fils.

Charles-César de Royrand baptême

Veuf, Charles de Royrand se retira à la Petite-Roussière ; en 1774, il arrentait sa maison de Montaigu à M. Robineau de la Chauvinière. Mais son logis à tourelles dut lui paraître vieux et incommode, isolé aussi. Au cours de sa carrière militaire, il avait pu voir dans le nord de la France de vastes châteaux modernes, aux lignes nobles et régulières, aux larges ouvertures. D'un parent éloigné, il avait hérité vers 1750 la terre de la Brunière, à cheval sur St-André et Chavagnes, de chaque côté du Vendrenneau : le logis des Laheu, avec sa métairie, la ferme du Coin, et la borderie du Peu. C'est à proximité de la nouvelle route royale, qui passait sur les terres de la Brunière, que Royrand décida de se bâtir un véritable Château (car la Roussière ne méritait guère ce nom, qu'il se plaisait à lui donner). Des actes notariés de 1783-1784 le montrent achetant, au ténement des Favries, des parcelles englobées dans le nouveau parc. Les constructions s'élèvent, dominant un vaste horizon ; on plante une nouvelle allée. En juin 1785, M. de Royrand est à la Brunière ; il y meurt le 20 juillet de la même année.

Son fils Charles-César - il avait 18 ans - courait alors les mers sur les vaisseaux du roi ; sa fille pélagie achevait son éducation dans un couvent de Nantes. Un frère du défunt veilla désormais sur la propriété familiale.

Charles-Aimé Royrand baptême

Né à St-Fulgent le 14 mars 1726, Charles-Aimé de Royrand, officier à Navarre-Infanterie, chevalier de Saint-Louis, avait pris sa retraite en 1780, lorsque le régiment d'Armagnac, où il était capitaine, avec le rang de major, rentra de la Guadeloupe. A la mort de son frère, le conseil de famille le nomma curateur de son neveu. En décembre 1785, il est à la Brunière, et poursuit les acquisitions de parcelles aux Faveries. Sous sa direction les travaux se continuent à la Brunière ; après juin 1788, les actes que nous avons vus ne lui donnent pas d'autre résidence. La Brunière pourtant ne sera jamais achevée ; les deux ailes seulement furent construites, l'une servant d'habitation provisoire, l'autre réservée aux écuries ; le corps de logis principal était à peine commencé à la Révolution.

Charles-Augustin Royrand baptême

 

Le troisième des quatre frères, Charles-Augustin de Royrand, que l'on appelait à l'armée le chevalier de la Roussière, était né à Montaigu le 9 avril 1731. Lorsque prenant sa retraite, il vint habiter la Petite Roussière, il avait 41 ans de services, le grade de capitaine commandant (rang de lieutenant-colonel), et la Croix de Saint-Louis.

Joseph Royrand baptême

Seul Joseph de Royrand, dit le chevalier de Royrand (il avait d'abord porté le nom de Royrand du Bordage), était encore au service à l'époque de la Révolution. Capitaine de grenadiers, chevalier de St-Louis, resté célibataire comme ses frères Aimé et Augustin, il tenait garnison à Rouen avec Navarre en 1789. Né à Montaigu le 17 mars 1734, il avait alors 55 ans.

Leur nièce et leur neveu se marièrent à quelques mois d'intervalle. Pélagie de Royrand épousa, le 15 décembre 1788 à Montaigu, l'un des fils du châtelain de l'Ulière, Charles-François Guerry de Beauregard, dit le chevalier de Guerry (il avait été chevalier de Malte) ; le jeune ménage prit hôtel à Montaigu, qui faisait figure, dans la province, de petite capitale aristocratique. Charles-César de Royrand épousa aussi sa proche voisine, Emilie de Suzannet, âgée de 20 ans (il en avait 22), fille du Baron de Suzannet, capitaine des vaisseaux du Roi ; le mariage fut béni dans la chapelle de la Chardière par l'abbé de Landerneau, le 1er septembre 1789.

Au registre paroissial, l'acte de mariage n'omet aucun des titres de ces hauts et puissants seigneurs ; quelques semaines après le quatre août, la féodalité n'était point encore abolie à Chavagnes. Mais cette province écartée sera, plus que d'autres, touchée par la Révolution. Deux ans plus tard, l'émigration dispersait ces familles à travers l'Europe ; bientôt désertées, l'Ulière, la Chardière et la Brunière s'écroulaient dans les flammes, cette dernière pour toujours.

Le chevalier de Guerry émigra avec sa femme, (leur fille Olympe, âgée d'un an, restant en Vendée) ; en 1794, ils étaient à Dusseldorf où leur naquit une seconde fille, Mary. Guerry prit part à l'expédition de Quiberon, mais échappa au désastre, où périrent deux de ses frères. Rentré en France sous le Consulat, il se fixa à Nantes, rue Portail, au Cloître Notre-Dame. Veuve en 1819, Pélagie de Royrand mourut en 1834 et fut enterrée à la Bouteillerie,  près de son mari ; leurs tombes existent encore, non loin de l'entrée du cimetière, sur le bord droit de l'allée. Par leurs deux filles, leur postérité est toujours représentée, en Bretagne et en Vendée.

Lieutenant de vaisseau, Charles-César de Royrand quitta la marine pour ne point prêter serment. Il émigra vers la fin de 1791, avec sa femme et ses beaux-parents ; nous savons qu'il fit la campagne de 1792 avec les Princes, comme volontaire dans les chasseurs de la marine. Après Bruxelles, première étape en exil, ils gagnèrent la Hollande, puis l'Angleterre, devant l'armée républicaine victorieuse. Dans son interrogatoire après Quiberon, Charles-César dit qu'en Angleterre il travailla de ses mains pour vivre. L'expédition qui se formait vers la Bretagne semblait alors le salut. Volontaire dans le régiment d'Hector composé d'anciens marins, sous-lieutenant dans ce même corps lors des combats de la presqu'île, il fut fait prisonnier comme la plupart de ses camarades. La commission Dinne, séant à Quiberon, le condamna à mort le 12 thermidor, après un bref interrogatoire, et le même jour il tombait sous les balles républicaines ; il avait 28 ans. Au monument de la chartreuse d'Auray, son nom a été orthographié "de Rogrand".

Son domestique, Jean-Louis Rechin, 32 ans, originaire de Montaigu, fut condamné à mort par le même jugement collectif, et fusillé avec lui.

La veuve de Charles-César de Royrand se remaria en 1802 à Jean-Marie Nouail de la Villegille. Elle est morte en 1830, au bourg de Chavagnes chez sa mère, la baronne de Suzannet. Aucune pierre ne marquait sa tombe ; mais ses restes, identifiés par une alliance, ont été retrouvés en 1934 dans l'ancien cimetière de cette commune. Madame du Montet, qui la connut à Paris sous le Consulat, donne sur elle quelques détails dans ses Souvenirs. Elle n'avait point eu d'enfants de son premier mari.

Charles-Augustin de Royrand, dont on a le plus souvent, depuis Théodore Muret, prêté l'état civil au général vendéen, habitait encore la Roussière en août 1791. Malgré son âge (il avait 61 ans), il fit la campagne de 1792 dans l'infanterie émigrée, exerçant même au cours de cette éphémère campagne le commandement d'une compagnie plus éphémère encore. On ne sait rien de lui pour les années suivantes ; mais en juin 1795, vétéran dans Loyal-Emigrant, il débarque à Quiberon. Prisonnier, interrogé à Vannes par la commission Bouillon, le 14 thermidor, condamné à mort par jugement collectif, il était fusillé le 15.

Joseph de Royrand, dit le chevalier, le plus jeune des quatre frères, avait quitté son corps à la révolution, et participé avec son frère et son neveu, aux brèves opérations de 1792. Rentré en Vendée, il aurait figuré dans l'armée insurgée aux premiers jours de la guerre. Il existe à cet égard un document suffisamment précis : la déposition faite à Fontenay dès le 20 mars 1793 par un tisserand de Tiffauges ; on trouvera cette pièce dans la collection Dugast-Matifeux (volume I, 44). Jean Auvinet, qui avait échappé de peu aux insurgés de sa paroisse et essayait de gagner Fontenay (il s'était compromis avec les républicains) tomba sur un poste à Vendrennes le 16 mars. On le conduisit à St-Fulgent, et 3 jours plus tard, avec d'autres prisonniers (qu'il nomme), on le plaçait en tête de la colonne marchant contre Verteuil ... Parmi les chefs insurgés qu'il reconnut (ou qu'il se fit nommer) dans cette journée du 19 mars, il désigne du Roiron aîné et du Roiron jeune.

Nous n'avons retrouvé aucun autre document contemporain mentionnant la présence d'un second Royrand en Vendée. Si la Boutelière, à la page 25 de son "Chevalier de Sapinaud", nomme Royrand et son neveu (il a cru que ce Royrand jeune était Charles-César), il se sert ici sans en indiquer la source, des renseignements donnés par Auvinet : les deux listes coïncident.

Par contre, "Les Souvenirs Vendéens" d'Amédée de Béjarry (on sait que ce ne sont pas des Mémoires à proprement parler, mais des récits oraux, rédigés beaucoup plus tard par le fils de l'officier vendéen), nomment également, parmi les premiers chefs réunis à l'Oie, un autre Royrand, frère du général, et précisent : "Le second Royrand, officier supérieur du génie, avait perdu un bras. Les paysans l'appelaient le Maingot". De son côté, l'abbé Deniau, utilisant sans doute des traditions recueillies à St-Fulgent par Alexis des Nouhes, parle d'un frère cadet de Royrand, officier de marine, qui avait perdu un bras à Ouessant, et relate avec précision la mort de ce Royrand-Bras-Coupé au premier combat de la Guérinière (15 mars 1793) ; Béjarry ne parlait point de cette mort. Enfin, Constant Gourraud, dans ses notes sur Chavagnes (il avait connu des survivants de la guerre de Vendée, et été à même de recueillir des traditions) assure que le propriétaire de la Brunière (qu'il nomme Charles-César de Royrand, lieutenant de vaisseau) "devint un des premiers chefs royalistes, mais ne tarda pas à être tué dans un combat vers St-Vincent Sterlange ou le Pont-Charron".

Ces diverses traditions orales (on ignore toutefois jusqu'à quel point elles peuvent découles les unes des autres) semblent concorder, malgré leurs divergences évidentes. Observons qu'aucun Royrand n'était officier du génie : on peut le vérifier par les états-militaires (il n'y avait que deux bas-poitevins dans cette arme en 1789). Quand au seul Royrand officier de marine, il avait onze ans à l'époque du combat d'Ouessant ; et nous savons qu'il est mort à Quiberon, après avoir fait les campagnes de l'émigration. Observons aussi qu'Auvinet a vu Royrand jeune quatre jours après ce combat, où selon Deniau, il aurait été tué.

Pour la mort de Royrand au combat du 15 mars, il y a eu sans doute confusion avec un Chevigné, proche parent des Royrand il est vrai (sa grand-mère et leur mère étaient soeurs). Isaac-Joseph de Chevigné de la Grassière, né à Chavagnes le 22 août 1755, ne paraît point avoir servi avant la Révolution, alors que ses trois frères étaient officiers (l'un d'eux, officier du génie, d'une haute valeur, fut tué à la fameuse sortie de Menin, 29 avril 1794). Jusqu'à la mort de son père il habitait à la Grassière (Chavagnes-en-Paillers) ; en 1792, laissant à son frère aîné la demeure familiale, il s'établit avec sa soeur Françoise-Claire (tous deux étaient célibataires) dans une maison que les Chevigné possédaient depuis longtemps au bourg de Chavagnes : en souvenir de l'origine de leur branche, ils avaient appelé cette maison la Cicaudais.

Par une note de Sorin, tuteur des mineurs Chevigné, on sait qu'Isaac-Joseph de Chevigné fut tué au premier combat de la Guérinière. Cette mort est mentionnée du reste à la page 58 des Souvenirs Vendéens de Béjarry ; il s'agit du combat du 15 mars 1793. Chevigné fut donc l'un des tout premiers chefs insurgés. Est-ce lui le Maingot de la tradition ? Du moins c'est à lui certainement que se rapporte le récit de Deniau : "Dès les premiers instants, la fusillade devient vive et le canon tonne ; mais le bruis du canon, qu'ils n'avaient jamais entendu, épouvante les paysans. Pour les rassuré, Royrand-Bras-Coupé s'avance à cheval sur la route. Placé trop en évidence, un boulet le renverse avec son cheval, et le tue. Sa mort déconcerte les paysans" (15 mars 1793). Soixante ans plus tard, des récits recueillis dans le pays en faisaient un Royrand, frère ou neveu du général.

La déposition d'Auvinet, corroborant les notes de Béjarry, on admettra la présence en Vendée en 1793 d'un second Royrand, qui ne peut être que Joseph. On est surpris, toutefois, de perdre ensuite sa trace. Les Tables Générales de Chassin le font reparaître "à Belleville avec Charette en avril 1795" ; mais en se rapportant au passage correspondant des Pacifications (I, 242), on verra que cette note si précise résulte d'une distraction de l'historien, qui a écrit : "Royrand et Fleuriot avaient rejoint Charette à Belleville", alors qu'il voulait dire : "Sapinaud et Fleuriot ..." (Menacés par l'avance de Stofflet, ils avaient quitté Beaurepaire, leur quartier général, et gagné Bellevilles.)

Selon Chassin également, Royrand jeune aurait été tué plus tard au combat de la Guérinière : en 1796, précise la Table Générale.

Tant de confusion nous aurait laissé incertain sur le sort de Joseph de Royrand, sans un document authentique que nous avons rencontré parmi les minutes de l'étude notariale de Chavagnes. C'est un certificat du curé de Stammona, en Westphalie, qui constate son décès dans cette ville le 23 novembre 1800 ; il y est mort tuberculeux, thisi exhaustus... Le texte de ce document, déposé entre les mains du notaire Bouron par Charles-François Guerry-Beauregard, le 12 pluviôse an XI, est en latin ; il est conservé en original aux Archives de la Vendée.

 ♣♣♣

Quant au doyen de la famille, il n'avait point quitté la France à la Révolution. Le nom de Charles-Aimé de Royrand est absent des contrôles de l'armée émigrée ; divers documents confirment sa présence en Vendée à cette époque. Le 31 mars 1792, il prête 2.000 livres à Madame du Tertre, née de Hillerin. Le 29 mai 1792, Charles-Aimé de Royrand, chevalier de St-Louis, demeurant à la Brunière, paroisse de Chavagnes, afferme aux Bretin la borderie du Peu. Le 23 juillet 1792, Madame du Tertre donne à Mademoiselle de Surgères, demeurant au bourg de Chavagnes, procuration pour passer un titre de rente de 100 livres au profit du Sieur Charles-Aimé de Royrand, demeurant à la Brunière. Le 5 mai 1792, Charles-Aimé de Royrand, Croix de St-Louis, demeurant à la Brunière, signait à Chavagnes ce contrat de constitution, qui régularisait le précédent prêt de 2.000 livres.

Est-ce à la Brunière que vinrent le chercher, à la mi-mars 1793, les insurgés de Chavagnes et de St-Fulgent ? On peut le croire, puisqu'il y résidait ; toutefois aucun document précis ne nous renseigne à cet égard. Ce qu'on en a dit a été écrit longtemps après les évènements. Peut-être est-ce lors du retour offensif des républicains que l'on fit appel à l'expérience et au prestige de ce vétéran ; pour la bataille à livrer, il fallait un général aux chefs locaux de la première heure. On sait quelle victoire complète le nouveau général remporta à la Guérinière ; la défaite des troupes régulières mit la Vendée en vedette à Paris, parmi toutes les régions insurgées.

De la figure du général, il nous est parvenu peu de choses ; le respect qui l'entourait, sa modestie. Seules, deux lignes du républicain Savary, qui le connut certainement en Vendée avant la guerre, nous rendent un peu présente la silhouette de cet ancien officier, fort silencieux de son naturel, qui s'amusait pourtant quelquefois à raconter quelques vieilles histoires de guerre ou d'anciennes traditions du pays ...

Les circonstances mêmes de sa mort sont incertaines. On l'a dit blessé grièvement à Entrammes (Crétineau-Joly, des Nouhes) ou à Dol, au cours d'un combat de nuit (Béjarry), ou encore à Laval le 25 octobre, suivant une note manuscrite du chevalier de Bruc. Transporté sur une charrette à la suite de l'armée, il serait mort vers Baugé le 5 décembre ; cependant Beauchamp dit qu'il fut achevé près de Craon, par une sergent républicain ; donc aux environs du 15 décembre. Sa Croix de St-Louis aurait été portée à la Convention.

Un acte de notoriété constatant la mort en France de Charles-Aimé Royrand de Chavagnes fut délivré le 12 pluviôse an XI, à la requête de Charles-François Guerry-Beauregard ; les témoins étaient Vaugiraud, Mandin et Fonteneau, de St-André-Goule-d'Oie, le premier étant un officier de l'armée du Centre, échappé au désastre d'Outre-Loire. Malheureusement cet acte du notaire Bouron a été délivré en brevet : mentionné au répertoire de ce notaire, il ne se retrouve donc pas parmi ses minutes. Peut-être ce document dort-il encore dans quelque carton des Archives nationales ? Il nous renseignerait avec précision sur la mort du chef vendéen.

En octobre 1793, les Mayençais avaient pillé et incendié la Brunière. Vers le 20 novembre, un détachement républicain vint fouiller les alentours du château, et trouva, on ne sait sur quelles indications, une cache contenant du linge. Prenant ce prétexte pour incendier la métairie voisine, les soldats firent charger tout le blé qui s'y trouvait, sur une charrette que le métayer, Jean Bolleteau, âgé de 64 ans, dut conduire lui-même ; arrêté à Chantonnay, à l'arrivée du détachement, il fut conduit à Fontenay, et guillotiné dès le 22, après avoir subi deux interrogatoires.

Après la Pacification, tous les biens des Royrand furent mis en vente nationalement, Cavoleau, et François Gillaizeau de Boufféré, se partagèrent l'amenage de la Roussière ; la Brunière fut adjugée à Lévêque et Chollet, de Fontenay, tandis que les métairies de la Javaudonnière et de la Chausseloire étaient rachetées par les fermiers, Jacques Champain et Pierre Boisson, pour le compte des propriétaires légitimes. La borderie du Peu fut achetée par Jean Bordron de Saint-André.

En 1830, Pélagie de Royrand put racheter la Brunière, que son petit-fils revendit à M. Trastour.

Après la guerre civile, autour des ruines noircies de la Brunière, flottait une légende. En longeant sur la grand-route la propriété déserte, on chuchotait que Royrand avait fait enterrer un trésor avant l'arrivée des Mayençais ... Ces légendes de trésors enfouis sont tenaces ; et si un voisin, gueux hier, s'achète une maison, on a vite fait de dire qu'il s'est approprié le trésor. Pareille mésaventure arriva à Jacques Meunier, maire de Saint-Fulgent, et à Pierre Roturier, de la même commune, l'un pour avoir acheté une maison en ruines, l'autre, pour s'être porté adjucicataire de la poste aux chevaux. L'après-midi d'un dimanche d'octobre 1802, au cabaret Morlière, au cours d'une partie de cartes, Louis Tricoire (la chopine aidant) confiait au sellier Ménard, son partenaire, que Meunier et Roturier avaient payé avec des louis terreux ... Confidence assez bruyante pour que chacun dans le cabaret en ait eu sa part : Meunier et Roturier avaient trouver 40.000 francs à la Brunière.

La supposition était-elle fondée ? Elle donna lieu à procès en diffamation devant le juge de paix de Saint-Fulgent. A l'origine, il y avait bien une confidence de Meunier, faite à François Recotillon, capitaine de cavalerie de l'armée du Centre, devenu aubergiste à Saint-Fulgent. Un jour que ces anciens adversaires rentraient ensemble de Montaigu, Meunier prétendit (c'est la version de Recotillon) être venu de nuit à la Brunière pour déterrer le trésor enfoui auprès du tremble ; il était arrivé trop tard, il ne restait qu'une caisse vide, Meunier accusait Bonaventure et un autre, et jurait qu'il en aurait sa part. Ce Pierre Bonaventure, beau-frère des abbés Remaud, avait été boulanger, puis marchand, au bourg de Chavagnes ; deux ans plus tôt, il avait acheté une ferme à Saligny ... Qu'y avait-il au fond de cela ? Devant le juge de paix, Recotillon maintint formellement ses dires.

Le trésor des Royrand repose-t-il encore en quelque cachette ignorée ? Le tremble de la Brunière a disparu ; le château ruiné s'en est allé pierre à pierre ; seul subsiste un pan de mur, vestige de la clôture du jardin.

On souhaiterait qu'un jour, par une plaque apposée sur cette ruine ultime, le Souvenir Vendéen perpétuât en ce lieu de mémoire de Charles-Aimé de Royrand, général en chef de l'armée du Centre.

L'Ulière, 29 septembre 1959

AMBLARD DE GUERRY DE BEAUREGARD

Revue du Bas-Poitou

1961 - 2e livraison

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Commentaires
J
Suite:<br /> <br /> Cette information montre qu'il existait bel et bien un Royrand bras coupé et que celui-ci était l'aîné de la famille, Charles Louis de Royrand époux de Thérèse Charlotte Duchaffault. Les témoignages peu précis recueillis après la guerre de Vendée sont sans doute responsables de la confusion qui a régné jusqu'à présent au sujet d'un Royrand, manchot ou non, éventuellement tué à la bataille de la Guérinière le 19 mars 1793.<br /> <br /> Compte tenu de cette découverte il apparait donc qu'aucun des frères Royrand n' a été tué à la première bataille de la guerre de Vendée (Charles Louis étant décédé depuis 1785 et Joseph en 1800 seulement). Cela conforte du même coup l'hypothèse faite par Amblard de Guerry, à savoir que l'officier vendéen tué au premier combat en 1793 pourrait être Isaac Joseph de Chevigné de la Grassière.
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