Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
17 novembre 2012

LE CHEVALIER DE ROUGEVILLE ET L'AFFAIRE DE L'OEILLET ♣ 4ème et dernière partie

 

Capture plein écran 14112012 203703

Alors commence entre Rougeville et la police un duel qui durera dix ans, duel où l'élément dramatique ne manque pas, non plus que la note comique fournie par les anciens jacobins, devenus barons ou comtes de l'Empire et fonctionnaires influents, qui se traitent entre eux sans rire de Monseigneur et d'Excellence, et malmènent avec un dédain écrasant cet intrigant de Rougeville resté fidèle à sa foi.

Rougeville arrive à Reims vers le commencement de thermidor an XII ; il se loge rue de la Poissonnerie et se tient tranquille un mois.

En fructidor, il demande à aller chez lui, "mettre ordre à ses affaires et sauver les débris de sa fortune". Pas de réponse. Le 7 frimaire, nouvelle démarche, appuyée cette fois par le sous-préfet, très touché de la bonne conduite du proscrit. Le ministre annote : "ajourné", et n'y pense plus. Un mois se passe encore ; nouvelle lettre de Rougeville, le 6 pluviôse. Cette fois, il obtient de passer deux décades à Arras ; on lui accorde même une prolongation d'un mois. Mais les délateurs veillaient. Un certain Lefébure, juge de paix du canton d'Arras-sud et mouchard à ses heures, ignorant sans doute la mesure de clémence dont Rougeville était l'objet, écrivit au conseiller d'État Réal, chargé de la police : "On a, dans le temps, tant cherché après M. G. de Rougeville sans le trouver ! Il est actuellement chez lui, près d'Arras, il est toujours armé d'un poignard ; aussi est-il surnommé le "chevalier du poignard". La gendarmerie est-elle instruite de tout cela ?"

Cette vieille formule de "chevalier du poignard" fit dresser l'oreille à l'administration. Vite, celle-ci demanda des éclaircissements au général Lachaise, préfet du Pas-de-Calais. Ce fonctionnaire, au cours de son enquête, découvrit que Rougeville s'était rendu coupable d'un crime impardonnable : il s'était vanté d'avoir dîné à la préfecture ! ... Le proscrit reçut l'ordre de partir sur-le-champ pour Reims.

Rougeville partit en effet, mais ... pour Paris - Le préfet fit son rapport : "Rougeville - y disait-il - est un homme dangereux ; il a sur sa cheminée des croix de Saint-Louis et de Cincinnatus et, sous prétexte que les opinions sont libres, il ne cache pas son attachement pour les Bourbons."

Le 13 prairial, Rougeville était arrêté à Paris et devait signer l'engagement de repartir pour Reims, ce qu'il fit ; mais un mois ne s'était pas écoulé que Lefébure signalait de nouveau sa présence à Saint-Laurent. On mobilisa les gendarmes, il réussit à leur échapper et regagna Reims au plus vite.

Une année se passe : Rougeville achète le château de Bas-Lieu près de Reims ; il mène une conduite exemplaire, grâce à quoi, vers la fin de 1805, il obtient l'autorisation de passer six semaines à Arras. Il se met en route et, le 21 janvier 1806, arrive ... à Paris, où toutes les démarches pour le découvrir restent infructueuses. Terreur du ministre de la police, qui voit déjà l'empereur assassiné, quand, les six semaines écoulées, un rapport du préfet de la Marne lui apprend que Rougeville est rentré à Reims.

En mai 1806, nouvelle supplique de Rougeville, conjurant le ministre de mettre fin à la surveillance qui pèse sur lui et menace - dit-il - de nuire à son établissement : car il va se marier.

On crut que c'était une ruse encore pour attendrir l'administration ; on classa la lettre avec les autres ; mais on apprit que, le 23 octobre, au cours d'une permission de deux jours accordée par le préfet de la Marne, Rougeville venait d'épouser, à Soissons, Mlle Boquet de Liancourt, âgée de vingt-deux ans, fille d'un juge au tribunal civil de Soissons, décédé. Du coup, Rougeville obtint une permission de quinze jours, qu'il mit à profit pour conduire sa jeune femme à Saint-Laurent.

L'année suivante, il obtint le transfert à Soissons du lieu de sa résidence.

Le 3 septembre 1807, anniversaire de la découverte du complot de l'Oeillet, un fils lui naissait. Ce fut l'occasion d'un voyage à Paris, où Rougeville passa le mois de juin 1808, faubourg Poissonnière n° 6, chez M. Boquet, aïeul de sa femme et parrain de son fils, baptisé des prénoms de Louis-Alexandre. Il profita de son voyage pour solliciter sa grâce, qu'on lui refusa.

Le 21 janvier 1809, jour anniversaire de la mort de Louis XVI, Mme de Rougeville mettait au monde un second fils, Charles-François,Alexandre, et Rougeville prenait la résolution de vivre alternativement à Bas-Lieu et à Soissons et de ne plus faire parler de lui.

Serment impossible à tenir. Rougeville avait toujours conspiré ; il n'était plus le maître de changer de vie, ni d'étouffer ses rancunes. Pour lui comme pour tous les fidèles de la monarchie légitime, l'amour de la France se confondait avec le culte des Bourbons ; Napoléon était un usurpateur ; il profitait de la Révolution ; il était aussi odieux que les jacobins de 1793. Enfin, l'empire, en 1814, voyait sa gloire décliner ; un grand nombre de Français regrettaient les Bourbons, espéraient leur retour, le souhaitaient, Napoléon n'en ignorait rien.

Pour atteindre les royalistes, il rendit, le 24 février 1814, un décret qui ne fit qu'exaspérer les haines :

"Art. 1er - Il sera dressé un état des Français ... qui, sous quelque titre que ce soit, ont accompagné les armées ennemies dans l'invasion du territoire de l'Empire depuis le 20 décembre 1813.

Art. 2 - Les individus portés sur cet état seront traduits sans délai et toute affaire cessante devant nos Cours et Tribunaux pour y être jugés et condamnés aux peines portées par la loi, et leurs propriétés confisquées au profit des domaines de l'État, conformément aux lois existantes.

Art. 3 - Tout Français qui aura porté les décorations des Ordres de l'ancienne dynastie dans les villes occupées par l'ennemi et durant son séjour sera déclaré traître, jugé comme tel par une Commission militaire et condamné à mort. Ses propriétés seront confisquées au profit des domaines de l'État.

NAPOLÉON."

C'était mettre hors la loi les émigrés à qui, naguère, il avait rouvert les portes de France ; c'était pousser les royalistes à hâter, même avec l'appui de l'étranger, le retour et l'avènement de Louis XVIII. L'exécution de M. de Gouault, fusillé à Troyes, dès la promulgation du décret, pour avoir porté la croix de Saint-Louis, mit le comble au mécontentement ; on ne se souvint plus que d'une chose : l'armée de Blücher ramenait Louis XVIII ; on fit des voeux pour son succès.

Rougeville, depuis le décret de 1814, n'avait pas quitté son château de Bas-Lieu, près de Reims. Il suivait de là les progrès des armées étrangères et savourait d'avance la chute de Napoléon, son ennemi personnel.

Reims avait été occupé, dès le 10 février, par un corps russe et était tenu un peu en dehors des opérations militaires, qui portaient principalement sur l'Aisne, avec Blücher, et sur l'Aube, avec Schwartzenberg.

Napoléon, afin de séparer les deux généraux résolut de prendre Reims.

Le 6 mars, 300 grenadiers français s'emparaient de la ville par surprise ; mais il paraissait évident que cette victoire n'était que momentanée ; en effet, des préparatifs de combat se faisaient et, le 7 janvier, les villages de Saint-Brice et Courcelles, aux portes de Reims, étaient en flammes.

Le même jour, un parti de cavalerie française, en poursuivant quelques cosaques, interceptait une correspondance adressée au prince Volkonski, chef de l'état-major général de l'armée russe. Une lettre saisie était signée de Rougeville. Celui-ci y faisait allusion aux services qu'il avait rendus : il avait, en personne, guidé deux reconnaissances, le 17 février sur Épernay et le 23 sur Villers-Cotterets. Les deux fois, il avait accompagné de son plein gré l'officier de cosaques ; aussi s'étonnait-il qu'on eût profité de son absence pour mettre sa maison au pillage et y loger le corps de garde du général Voronzof, quand la maison d'en face, désignée à cet effet, était libre. Il concluait en demandant réparation de ce dommage et la restitution de six chevaux de labour qu'on lui avait pris.

Au vu de cette lettre, Fleury de Chaboulon, qui faisait fonction de préfet, ordonna immédiatement l'arrestation du suspect, en vertu du décret du 24 février. Rougeville, qui n'avait pas quitté Bas-Lieu et ne se doutait de rien, se laissa prendre et conduire à Reims.

On l'enferma à la prison de la Bonne-Semaine, le 10 mars, vers midi. A 3 heures, il comparaissait devant une commission militaire de six membres ; à 4 heures, malgré les efforts de son avocat, Me Caffin, il était condamné à mort et on lui laissait une heure pour s'y préparer.

A 5 heures, un bataillon d'infanterie, renforcé par des gendarmes à cheval, vint chercher le condamné pour le conduire au supplice. Les abords de la prison avaient été dégagés ; mais plus loin une foule compacte se dressait, se bousculait. Il était impossible d'établir un service d'ordre. La population de la ville se trouvait plus que doublée par l'affluence des ruraux qui avaient fui devant les horreurs de la guerre. Des soldats de toutes armes, campés un peu partout, augmentaient encore l'encombrement.

Rougeville parut, impassible, les bras croisés, dédaigneux, au milieu de son escorte. Le cortège longea l'archevêché, contourna la cathédrale ; Rougeville leva lentement les yeux vers l'église. On atteignit la place Impériale, encombrée de curieux.

Rougeville, d'un pas ferme, traversa le vaste Champ de Mars. Arrivé au pied du mur, terme du voyage, il s'arrêta, choisit sa place, jeta son chapeau et sa casaque jaune. Un sergent lui tendit un mouchoir plié, qu'il refusa. Il mit un genou en terre et fit signe qu'il était prêt ... Un geste de l'officier, une détonation. Rougeville roula sur le côté, se souleva, dressa un bras. Alors deux hommes s'approchèrent et, à bout portant, firent feu sur lui. Il retomba, mort cette fois.

Son corps fut porté dans la chapelle et y resta toute la nuit. Les deux soldats qui lui avaient donné le coup de grâce se glissèrent dans le sanctuaire à la faveur des ténèbres et dépouillèrent le cadavre de ses vêtements, même de sa chemise sanglante. On retrouva, le lendemain, le corps nu sur les dalles. Une personne charitable acheta un coin de terre où l'inhumation eut lieu, sans aucune cérémonie. Douze heures après, l'armée alliée entrait dans la ville ; le gouverneur, général Corbineau, s'enfuyait, déguisé en mitron et Fleury de Chaboulon dans les sabots d'un jardinier ; moins heureux, le commissaire de police Gerbault, qui avait arrêté Rougeville, était attaché déjà à la queue d'un cheval qu'on allait lâcher, quand un émigré français intervint en sa faveur et le sauva.

Le 17 mars seulement, on dressa l'acte mortuaire de Rougeville. Le conspirateur laissait deux enfants, dont le cadet, né en 1809, se suicida le 26 mars 1845, à la suite de chagrins intimes, "quoique père et marié à une femme charmante", dit l'Indépendant rémois.

Rappelons, en terminant, que les aventures du chevalier de Rougeville inspirèrent à Alexandre Dumas son roman : "le Chevalier de Maison-Rouge".

GUSTAVE HUE

Revue antimaçonnique

Directeur : commandant Cuignet

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité