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La Maraîchine Normande
17 novembre 2012

LE BOULEDOGUE DE ROBESPIERRE - 1ère partie

 

 

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Dès qu'on aborde l'étude du petit drame de la Révolution, on y trouve l'influence, toujours pernicieuse, du Comité de Sûreté générale et du Comité de salut public. Il n'est peut-être pas inutile de jeter un coup d'oeil rapide sur l'organisation de ces deux bureaux et sur leurs pouvoirs respectifs.

Le décret rendu par la Convention nationale le 14 frimaire an II (5 décembre 1793) définit ainsi leurs attributions :

"Tous les corps constitués et les fonctionnaires publics sont mis sous l'inspection immédiate du Comité de Salut public, pour les mesures de gouvernement et de salut public, conformément au décret du 19 vendémiaire ; et pour tout ce qui est relatif aux personnes et à la police générale et intérieure, cette inspection appartient au Comité de sûreté générale de la Convention, conformément au décret du 7 septembre dernier.

" La surveillance active, relativement aux lois et mesures militaires, aux lois administratives, civiles et criminelles est déléguée au conseil exécutif, qui en rendra compte par écrit tous les dix jours, au Comité de salut public, pour lui dénoncer les retards et les négligences dans l'exécution des lois ... ainsi que les violations de ces lois et de ces mesures et les agents qui se rendront coupables de ces négligences et de ces infractions.

"Chaque ministre est, en outre, personnellement tenu de rendre un compte particulier et sommaire des opérations de son département, tous les dix jours, au Comité de salut public et de dénoncer tous les agens qu'il emploie et qui n'auraient pas exactement rempli leurs obligations.

"A Paris, afin que l'action de la police n'éprouve aucune entrave, les comités révolutionnaires continueront à correspondre directement et sans aucun intermédiaire avec le Comité de sûreté générale de la Convention. Le droit d'ordonner l'élargissement des citoyens arrêtés appartient exclusivement à la Convention nationale, aux Comités de salut public et de sûreté générale.

"Le Comité de salut public est particulièrement chargé des opérations majeures en diplomatie. La Convention se réserve la nomination des généraux en chef des armées de terre et de mer ; quant aux autres officiers généraux, les ministres de la guerre et de la marine ne pourront faire aucune promotion sans en avoir présenté la liste ou la nomination motivée au Comité de salut public, pour être par lui acceptée ou rejetée."

Le pouvoir des comités était, comme on le voit, à peu près illimité. Ses membres se trouvaient maîtres absolus de l'esprit public et de la force publique. Par la délation, l'intimidation, l'oppression, ils pouvaient donner libre cours à leurs instincts ambitieux, à leur soif de dominer.

Le Comité de sûreté générale datait de l'origine même de la Révolution. Dès juillet 1789, l'Assemblée constituante créait un comité d'information ou de surveillance auquel, le 30 mai 1792, l'Assemblée législative donna le nom de Comité de sûreté générale. Il se composait de vingt-quatre membres, réduits, le 21 janvier 1793, à douze : Bazire, Lamarque, Chabot, Ruamps, Maribou-Montaut, Tallien, Legendre, Bernard, Rovère, Ingrand, Jean Debry, Duhem. Le 9 avril, entrèrent Cavaignac, Brival, Lanot, Carrier, Legris et Maure.

Après le 31 mai, la composition du Comité subit de fréquents changements, jusqu'au 14 septembre 1793, où la Convention décréta que ses membres seraient élus sur une liste présentée par le Comité de salut public, afin d'éviter entre les deux bureaux des luttes de rivalité qui n'en furent point, pour cela, diminuées.

Le Comité de sûreté générale était particulièrement chargé :

1° De surveiller à Paris les ennemis de la chose publique et de les interroger lorsqu'ils étaient arrêtés, pour découvrir les complots, leurs chefs et leurs agents ;

2° De rechercher et de poursuivre partout les fabricateurs de faux assignats ;

3° De faire arrêter ceux qui lui étaient dénoncés comme agents des cours étrangères et tous ceux qui troublaient, de quelque manière que ce fût, l'ordre public ;

4° Enfin, de surveiller également ceux qui se trouvaient compris dans la liste civil, c'est-à-dire dans la liste des hommes vendus au ci-devant Roi".

Au surplus, un décret du 2 octobre 1792 autorisait le comité à se faire rendre compte des arrestations opérées après le 10 août, à se faire représenter la correspondance des personnes arrêtées et généralement toutes les pièces tendant à prouver soit leur innocence, soit leur culpabilité.

Au début de 1794, le Comité de sûreté générale siégeait au ci-devant hôtel de Brienne et se composait des citoyens Guffroy, Vadier, Vouland, Panis, La Vicomterie, Moïse Bayle, David, amar, Barbeau-Dubarran, Jagot, Louis (du Bas-Rhin), Ruhl, - noms qu'il faudrait écrire en caractères de sang dans l'histoire de la Révolution.

Sous prétexte, en effet, de veiller à la sûreté de l'État, ces misérables n'avaient d'autre souci que de molester les honnêtes gens, d'envoyer à l'échafaud ceux qu'ils appelaient "les riches", afin de s'emparer impunément de leurs dépouilles et de servir leurs haines personnelles. La Convention fut elle-même victime de la fureur des comités, qu'elle avait créés, et qui la décimèrent, après l'avoir tyrannisée de leur zèle farouche. A chaque page, quand on feuillette les Annales de la sanglante Terreur, on découvre quelque nouveau crime de ces pourvoyeurs de la guillotine.

Entre tous, le plus acharné peut-être à imposer son néfaste despotisme et à poursuivre l'accomplissement de cette oeuvre destructive fut le citoyen Héron, surnommé le Bouledogue de Robespierre.

Ce Héron avait été fort riche. Né le 15 mars 1746, à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) il était, depuis 1764, officier de marine, quand en 1785, il fit voile, à bord du Sartines, pour Cuba où les banquiers Vandeniver l'avaient chargé de recouvrer une créance d'un million de piastres, prêtées par eux, deux ans plus tôt, au gouvernement de la Havane. Héron revint sans la traite et sans les fonds. Devant l'étonnement bien naturel des banquiers, il fut pris d'une sorte de folie furieuse, que les évènements révolutionnaires rendirent réelle et chronique. Avait-il volé ? peut-être. Il accusera plus tard sa femme, coquette et frivole, de lui avoir fait dérober par de mystérieux ennemis, - pendant qu'il la surprenait en flagrant délit d'adultère, - toute sa fortune : 800 000 frcs, en effets de la Caisse d'Escompte, et les titres de propriété de sa métairie du Bas-Marais. Il en gardait à son épouse une inaltérable rancune.

Héron trouva dans la Révolution un moyen de rétablir ses affaires, et de fait, le massacre des prisonniers amenés d'Orléans à Versailles, ceux des prisons de Paris, les 2 et 3 septembre 1792, lui fournirent un appréciable butin. Il était alors le lieutenant de Maillart, dit Tape-dur et de Lescur, dit Tête-ronde, qui devaient bientôt le reconnaître pour leur maître incontesté.

Héron atteignit le faîte des honneurs et le suprême degré de sa puissance quand, au début de 1793, les membres du comité de sûreté générale le nommèrent leur agent général, avec mission de surveiller, à leur profit, Robespierre et le comité de salut public. Le choix pouvait être bon : Héron possédait l'âme d'un mouchard. Par malheur, il professait une admiration sans borne pour le génie du sensible Maximilien. Il trahit à son profit ses patrons ; c'est-à-dire qu'il fit céder le devoir devant ses sentiments et son intérêt ; mais il agit avec assez d'adresse pour ne point donner de soupçons à qui le payait et nous verrons même que son attachement de bouledogue n'allait point au delà des limites imposées par la prudence.

Si donc, notre fieffé coquin, fourbe comme un valet sans pudeur, mérita le surnom de Bouledogue de Robespierre, - moins poétique que celui de Barère, l'Anacrëon de la guillotine, et qui fait pendant à celui de Hanriot, cet autre fervent de Maximilien, que les blanchisseuses du Faubourg Marceau appelaient aimablement la Bourrique à Robespierre, - ce fut plutôt pour l'appétit de ses terribles mâchoires que pour sa fidélité canine. Au surplus, ses instincts naturels étaient davantage d'un limier que d'un chien de garde. Il suffisait que Robespierre jetât dans la Convention le nom d'un ennemi, pour qu'aussitôt Héron prît la voie, se lançât sur la piste, qu'il ne lâchait plus jusqu'à l'heure de sonner l'hallali du suspect, transformé en coupable puis en victime par un tour de sa façon.

Officiellement, Héron s'appelait "le Chef", tout simplement. Il avait sous ses ordres tout une armée, non point de guerriers en vérité, mais d'espions et de tire-laines. C'était d'abord, un trio de sacripants, que Héron hébergeait dans son propre logis de la rue Saint-Florentin : Baptiste Mallet, son domestique, Pillet, son secrétaire et Duchesne, son exécuteur des basses oeuvres et coupe-jarret émérite ; c'était encore Maillart et Lesueur, rue de la Verrerie 98 ; Coulongeon, qui tenait boutique d'écrivain public proche le comité de sûreté générale ; l'imprimeur Martin ; un nommé Schmitz, placé par Héron comme concierge à la maison d'arrêt Talaru, et qui s'ingéniait consciencieusement à tourmenter ses pensionnaires ; un huissier nommé Toutin ; le citoyen Bonjour ; d'autres aigrefins de moindre envergure.

Chacun de ces lieutenants avait à son tour, sous ses ordres, une troupe de bandits, répandus dans tout Paris, espionnant, dénonçant, rançonnant ; de sorte que, pareil à Cerbère aux trois têtes et aux six prunelles, Héron avait l'oeil partout.

Des trois membres de son état-major, Mallet, le domestique, dénonçait ; Pillet, le secrétaire, rédigeait, et Duchesne exécutait.

Héron, - le Chef, - s'était composé une manière d'uniforme. Avant de se rendre au Comité de sûreté générale, toujours accompagné de deux séïdes, il s'affublait d'un ceinturon de cuir blanc, où pendait un couteau de chasse ; il plaçait deux pistolets dans les poches de sa redingote, deux autres plus petits à sa ceinture, avec un poignard respectable et un stylet plus modeste. Il est remarquable que ces brutes ont fort rarement le sentiment du ridicule. Héron, d'ailleurs, n'était point brave et peut-être que la couardise se mêlait chez lui à la forfanterie pour le décider à transporter un arsenal.

C'était, au reste, si j'ose dire, sa tenue d'apparat. Il en prenait une plus effacée, - et le coutelas disparaissait alors sous l'habit, - pour se rendre aux conciliabules quotidiens qu'il avait avec Robespierre, dans un appartement secret du pavillon de l'Égalité (ci-devant pavillon de Flore), aux Tuileries, où le Comité de salut public tenait ses séances nocturnes. Rien ne transpirait de leurs entretiens ; mais, en quittant son maître, le Bouledogue retrouvait, rue Saint-Florentin vers deux heures du matin, quelqu'un de ses lieutenants à qui il transmettait des ordres brefs et saisis à demi-mot. Le lieutenant, que ce fût Martin, Bonjour ou Coulongeon, partait alors pour telle section, ou pour tel département : le plus souvent pour la province, avec une bonne lettre destinée à l'accréditer auprès des autorités, et les commissions militaires ou les tribunaux faisaient le reste. L'affaire s'expédiait plus aisément dans les départements qu'à Paris ; il y fallait moins de formalités : Carrier et les autres représentants en missions simplifiaient singulièrement la procédure ; mais Héron ne s'arrêtait point devant les difficultés, dès qu'il s'agissait de servir du même coup Robespierre et ses propres intérêts. C'était, au demeurant, des difficultés très relatives : la situation de Héron auprès du Comité de sûreté générale lui donnait du crédit et ses patrons ne poussaient pas la délicatesse jusqu'à refuser une tête à l'échafaud. Enfin, Héron était l'intime ami, le compère de Fouquier-Tinville, ce qui, je pense, ne surprendra personne. A eux deux, ils s'entendaient pour peupler la Salpêtrière et surtout la Conciergerie, fief particulier de Fouquier ; faute de quoi, il leur restait encore, comme suprême ressource, les cabanons discrets de Bicètre.

... à suivre ...

2ème partie ICI

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