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La Maraîchine Normande
14 novembre 2012

LE PRINCE DE CONTI ET SA RELÉGATION A AUTUN 1795-1796

 

 

 

On sait, par quelques mots des Mémoires du duc de Montpensier et des Mémoires de famille de l'abbé Lambert, que le prince de Conti, à sa sortie des prisons de Marseille, en 1795, avait été relégué à Autun. Les circonstances et la durée de cette relégation étant peu connues, il a paru à propos de recueillir les documents relatifs au séjour du prince dans notre ville.

 

 

Arrêté à son château de la Lande à la fin d'avril 1793, Louis-François-Joseph de Bourbon, prince de Conti, avait été détenu au fort Saint-Jean, à Marseille, où il passa 27 mois. Bien qu'après le 9 thermidor les prisons se fussent en quelque sorte ouvertes d'elles-mêmes, sous la pression irrésistible d'un souffle de justice et d'humanité, le prince avait vu sa captivité se prolonger au-delà des limites communes à la captivité se prolonger au-delà des limites communes à la plupart des détenus. Ce n'est pas qu'il fut pour le gouvernement un ennemi bien redoutable. Éloigné de tout esprit d'intrigue, porté à la retraite et à l'effacement, il n'aspirait au contraire qu'à vivre dans la paix et dans l'oubli. Mais si ses goûts ne faisaient pas de lui un hôte dangereux, sa qualité de prince du sang donnait à sa personne un prix susceptible de former quelque appoint dans les traités et les échanges que la Convention négociait alors avec les puissances étrangères. Aussi fut-il retenu en prison pendant plus d'une année encore. Cependant, sous l'influence combinée du climat et de la réclusion, la santé du prince s'était altérée assez gravement pour que sa vie parût menacée et que sa mort pût être attribuée à la cruauté et regardée comme un nouveau crime. C'est alors que, dans la crainte d'une issue fatale, et sans vouloir se dessaisir de son gage, le comité de Sûreté général décida, par son arrêté du 28 thermidor an III (15 août 1795), que le prince de Conti serait relégué à Autun, afin de se trouver à portée des eaux minérales nécessaires au rétablissement de sa santé :

Extrait du registre des arrêtés du Comité de salut public

de la Convention nationale.

Du 28 thermidor, l'an IIIe de la République une et indivisible.

Les comités de Salut public et de Sûreté générale :

Vu la pétition de Louis-François-Joseph Bourbon Conty, présentement détenu depuis vingt-sept mois au fort Jean, à Marseille, tendante :

1° A ce qu'il soit enfin mis en liberté et à ce qu'il lui soit permis de revenir fixer son séjour, sous la surveillance de la commune de Villiers-sur-Marne, département de Seine-et-Oise, dans sa maison rurale de la Lande qu'il habitoit avant sa détention ;

2° A ce que les séquestres apposés sur ses biens soient levés et qu'il rentre enfin dans la jouissance paisible de ses propriétés ;

Considérant que Louis-François-Joseph Bourbon Conty n'a été privé de sa liberté et de la jouissance de ses biens que par simple mesure de sûreté générale et par un effet inévitable des circonstances révolutionnaires qui ont provoqué sa détention ; qu'il n'a jamais existé aucune accusation contre ses principes, ses sentiments et sa conduite, qui ont toujours été conformes à ce qu'on devoit attendre d'un François soumis aux lois de son pays ;

Considérant que le terme où la révolution est parvenue et l'instant de pouvoir soumettre bientôt à l'acceptation libre du peuple françois une constitution destinée à faire son bonheur, doivent disposer le gouvernement à tous les actes de justice et d'humanité qui peuvent se concilier avec la sûreté, la tranquilité publique et le maintien des principes républicains ;

Considérant que cette tranquilité ne sauroit être troublée, ni la solidité de ses principes ébranlée par la mise en liberté d'un vieillard valétudinaire, accablé d'infirmités notoirement reconnues et résultantes principalement de sa longue détention dans un lieu insalubre et dans un climat contraire à son tempérament et dont l'influence a visiblement altéré sa santé ;

Considérant enfin que le décret du 12 messidor dernier a fait prévoir l'époque prochaine où les membres de la famille des Bourbons qui sont détenus à Marseille pourroient voir cesser leur détention, et que le terme où est parvenue la négociation relative à l'échange de la fille du dernier roi des François donne lieu de penser que aucunes convenances politiques ne sauroient être blessées par l'acte de justice sollicité par le pétitionnaire ;

Arrêtent quant à présent :

1° Que Louis-François-Joseph Bourbon Conty sera sur le champ mis en liberté ;

2° Qu'il se retirera dans la commune d'Autun pour y rester provisoirement sous la surveillance de la municipalité et y donner au rétablissement de sa santé tous les soins convenables par l'usage des eaux minérales et autres moyens curatifs ;

Arrêtent aussi quant à présent :

Que Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d'Orléans, femme Bourbon, également détenue pour les mêmes causes et depuis la même époque au fort Jean, à Marseille, et en faveur de laquelle militent toutes les considérations cy-dessus énoncées, sera sur le champ mise en liberté, à la charge de se retirer dans la commune de Moulins pour y rester provisoirement sous la surveillance de la municipalité ;

Chargent le procureur de la commune de Marseille de l'exécution du présent arrêté, auquel effet luy en sera adressé expédition en forme.

Les membres des comités de Salut public et de Sûreté général réunis, MARET, DOULCET, MARIETTE, LOMONT, DEFERMON, ROVERE, MERLIN DE DOUAI, LOUVET, JEAN DEBRY, BAILLY, ISABEAU, PIERRET, BOISSY, LESAGE, LETOURNEUR, RABAUD, VERNIER, BAILLEUL, HENRI LARIVIERE, PEMMERTIN, KERTELEGAN.

Pour expédition délivrée le 5 fructidor, an IIIe de la République française une et indivisible, MERLIN DE DOUAI, président, DOULCET, secrétaire.

La détention se trouvait ainsi commuée en une sorte d'exil à l'intérieur, suivant une forme qui semblait empruntée aux lettres de cachet de l'ancien régime. Conformément à cet arrêté, le prince de Conti put enfin quitter la prison du fort Saint-Jean et se mettre en route pour Autun où il arriva le 26 fructidor suivant (12 septembre 1795). Aussitôt arrivé, le prince s'empressa, dès le lendemain, de se présenter à la municipalité pour faire constater sa présence :

Vu l'arrêté des comités de Salut public et de Sûreté générale du 28 thermidor, année troisième républicaine, portant que Louis-François-Joseph Bourbon Conty se retirera dans la commune d'Autun pour y rester provisoirement sous la surveillance de la municipalité et y donner au rétablissement de sa santé tous les soins convenables par l'usage des eaux minérales et autres moyens curatifs ;

Le procureur de la commune entendu ;

Le conseil général donne acte à Louis-François-Joseph Bourbon Conty de la déclaration qu'il fait qu'il est arrivé à Autun le jour d'hier et de la représentation qu'il fait présentement sur le bureau de l'arrêté des comités de Salut public et de Sûreté générale susdatté ; en conséquence dit que ledit arrêté sera transcrit sur le registre et qu'extrait tant dudit arrêté du comité de Salut public et de Sûreté générale que du présent arrêté seront envoyés au département de Saône-et-Loire et au district d'Autun.

Quelle fut l'existence du prince pendant son séjour à Autun ? Aucun document ne nous la fait connaître. Nous savons seulement qu'il était accompagné par le fidèle Jaquelin, son valet de chambre, qui, après avoir suivi son maître en prison, avait obtenu la faveur de partager son exil, rappelant ainsi ces serviteurs dont la constance, en face des supplices, a été louée par Tacite : Contumas etiam adversus tormenta servorum fidex.

Les Mémoire de famille de l'abbé Lambert jettent cependant quelque lueur parmi cette obscurité. Chargé d'une mission de confiance auprès du prince de Conti, l'abbé Lambert avait quitté Lons-le-Saulnier dans le courant de l'hiver de 1795 à 1796 et, après trois jours de marche à pied, était arrivé, non sans peine, à Autun. Son premier soin avait été de prendre gîte chez une dame Smidth, ancienne gouvernante de l'abbé René Barrier qui, après avoir été successivement vicaire de l'évêque constitutionnel de Saône-et-Loire, en 1791, puis curé assermenté de la paroisse de Chaudenay-la-Ville (Côte-d'Or), en 1793, exerçait alors le métier de marchand apothicaire à Pontarlier, par suite de l'extrême confusion que les évènements avaient introduite dans les situations et les fortunes. Mme Smidth, qui s'était établie maîtresse d'école à Autun, fit bon accueil à l'abbé Lambert, qui lui était recommandé par son ancien maître, et s'engagea à le mettre en rapport avec le valet de chambre du prince, mais non avec le prince lui-même, ce qui lui eût semblé le comble de l'imprudence et de la témérité : tant la terreur, quoique bannie des lois, subsistait encore dans les esprits qui avaient subi ses effets. Mais écoutons sur ce point la relation que l'abbé Lambert à faite de son voyage à Autun :

"Le prince était alors confiné à Autun. Je prévis toutes les difficultés que j'aurais à vaincre pour arriver auprès d'un Bourbon sortant de Marseille, dans une ville d'une réputation aussi révolutionnaire ; mais je ne me laissai pas effrayer et, après trois jours de marche à pied, j'allai descendre chez l'ancienne gouvernante de mon ami de Pontarlier, Mme Smidth, qui s'était établie maîtresse d'école : je lui donnai le change sur le but de mon voyage et parvins à lui persuader que je ne voulais voir que M. Jacquelin, le valet de chambre du prince. Une demi-heure avant la nuit, je m'acheminai vers l'habitation du prince. Mme Smidth me précédait de quinze à vingt pas, une cruche à la main, ayant l'air d'aller chercher de l'eau à la fontaine ; à peu de distance de notre point de départ, elle se baissa comme pour prendre quelque chose, et me désigna une maison au fond du cul-de-sac. Je sonnai ; une religieuse vint ouvrir, elle m'invita à m'asseoir en attendant l'arrivée de M. Jacquelin, qui se promenoit tous les soirs jusqu'à huit heures avec le prince. Je la laissai continuer son bréviaire et j'allai l'attendre dans le jardin.

"M. Jacquelin rentra ; je lui dis qui j'étais et bientôt fus introduit ; je traversai la cuisine, où je ne vis que de très minces préparatifs de souper. L'appartement était loin d'être magnifique ; deux chandelles l'éclairaient modestement dans toute sa longueur.

"Le prince me présenta le bon Jacquelin avec une vive effusion de sensibilité, comme l'homme dévoué qui avait voulu partager avec lui l'horreur des cachots. Quand nous fûmes seuls, je lui parlai de la triste situation de la princesse, son épouse, et de sa confiance en lui ... La pluie me retint le lendemain, et ce ne fut que le surlendemain que je repris la route de Lons-le-Saunier."

De ce récit, on peut conclure que le prince de Conti habitait une maison située à l'extrémité d'une des impasses du quartier de la cathédrale : de l'impasse de l'Évêché ou de celle de la rue Blanche, à l'entrée desquelles existait autrefois une fontaine jaillissante, et plus probablement de la première dont l'extrémité était visible depuis la fontaine. C'est dans ce modeste asile que le prince passa, dans la retraite et une profonde obscurité, les onze mois de son séjour à Autun. Étrange spectacle que celui de ce prince inoffensif, appartenant à la plus ancienne et la plus illustre maison royale d'Europe, confiné dans une petite maison de notre ville, visité à la dérobée, la nuit, à la lueur d'une chandelle, ballotté de prison en exils successifs, incertain de son sort et sans autres garanties que celle d'un bon plaisir intermittent et soumis à tous les hasards d'une politique flottant à tous les vents !

L'année suivante, le prince de Conti éprouva quelque adoucissement à sa position. Un arrêté du Directoire, en date du 6 thermidor, an IV (24 juillet 1796) l'autorisa à se fixer à Melun, ainsi qu'il résulte de la lettre suivante que le ministre de la police adressa, le 18 du même mois (5 août), au commissaire du pouvoir exécutif près l'administration municipale d'Autun :

Paris, le 18 thermidor, l'an IVe de la République.

Le ministre de la police générale de la République au commissaire du pouvoir exécutif près l'administration municipale d'Autun, département de Saône-et-Loire.

Je vous préviens, citoyen, que le citoyen Bourbon-Conty a obtenu du Directoire exécutif, le 6 de ce mois, la permission de se retirer à Melun, département de Seine-et-Marne, pour y rester sous la surveillance des autorités constituées. Vous voudrez bien, en conséquence, en faire part à l'administration municipale d'Autun pour qu'elle n'apporte aucun obstacle au déplacement de ce citoyen ainsi que des personnes attachées à son service.

Salut et fraternité.

COCHON.

Cette lettre parvint à Autun le 22 thermidor (9 août), et dès le lendemain, 10 août, le prince put se mettre en route et se rendre à la nouvelle résidence qui lui était assignée, comme nous l'apprend la délibération prise à ce sujet par les officiers municipaux :

Le citoyen Thevenot, commissaire du Directoire exécutif, a représenté à l'administration une lettre qu'il a reçu hier du ministre de la police générale, en datte du 18 de ce mois, par laquelle le ministre le prévient que le citoyen Bourbon-Conty a obtenu du Directoire exécutif, le 6 de ce mois, la permission de se retirer à Melun, et l'invite à en faire part à l'administration pour qu'elle n'apporte aucun obstacle au déplacement tant de ce citoyen que des personnes attachées à son service ; que comme l'administration n'étoit point hier assemblée et que le citoyen Bourbon-Conty désiroit partir cejourd'huy, il a pris le parti de faire parvenir la lettre du ministre à chaque administrateur avec les passeports des citoyens Bourbon-Conty et autres attachés à son service, qui a signé lesdits passeports à la datte du 22 de ce mois, mais comme il est essentiel que la lettre du ministre soit consignée sur le registre, il requiert qu'elle soit enregistrée.

Sur quoi l'administration municipale, considérant qu'elle a eu hier connoissance de cette lettre du ministre, et qu'en conséquence elle a signé le passeport non seulement du citoyen Bourbon-Conty, mais encore des personnes attachées à son service ;  que ledit citoyen Bourbon-Conty et toute sa maison sont partis cejourd'huy pour Melun, il a été arrêté que cette lettre ayant eu son exécution, elle sera seulement enregistrée au bas des présentes et remise au citoyen Thevenot, commissaire, à qui elle a été adressée.

Cet adoucissement apporté aux mesures de rigueur devait être de courte durée. Le coup d'État accompli, le 18 fructidor 1797, contre la représentation nationale, eut pour effet de rendre l'autorité au parti jacobin et d'imprimer à la politique le caractère de violence et d'oppression qu'elle avait perdu. La loi du 19 fructidor obligea les princes de la maison de Bourbon, qui n'avaient pas émigré, à quitter le territoire français. A la suite de cette loi, le prince de Conti se retira à Barcelone où il mourut dans l'exil le 10 mars 1814, sans avoir marqué dans l'histoire autrement que par sa naissance et ses malheurs.

A. DE CHARMASSE

Mémoires de la Société éduenne (1872)

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