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La Maraîchine Normande
14 novembre 2012

LA GRANDE PEUR EN ANGOUMOIS

 

Angoumois

 

Huit, dix ou douze jours après la prise de la Bastille, une effrayante rumeur se répandit sur la France entière : "Les brigands arrivent ; ils pillent les demeures, incendient les récoltes ; ils égorgent femmes et enfants."Cette alarme éclata au nord, au sud, à l'est, à l'ouest du royaume, presque dans le même moment. Le décret, que l'Assemblée nationale publia le 10 août 1789, constate, dans son préambule, la généralité et la simultanéité de la panique. "Les alarmes ont été semées dans les différentes provinces, dit l'Assemblée, à la même époque et presque le même jour."

Un messager paraissait, haletant, les yeux fous, la voix étranglée, sur un cheval blanc d'écume. Ils se penchait sur sa selle et, étendant le bras dans la direction qu'il voulait désigner : "Les brigands approchent ; ils sont là-bas, derrière le coteau ; j'ai vu luire leurs armes dans la feuillée du bois. Sur la route, les sabots de leurs chevaux soulèvent des nuées de poussière ; l'horizon est rouge des incendies qu'ils allument ; ils vont comme un ouragan !"

Puis des détails. Plusieurs femmes avaient été éventrées, des hommes avaient été branchés à l'orée de la forêt, la bande, qui s'avançait, portait de petits enfants embrochés au bout des piques.

Et, aussitôt, les portes des villes de se fermer, la population de courir aux armes, les "compagnons de l'arquebuse" d'apparaître, vaillants et tremblants, sur la crête des remparts, tandis que les familles se cachaient dans les caves, ou bien allaient s'enfouir au milieu des meules dans les champs, ou fuyaient jusqu'au fond des bois, pour s'y terrer dans des fosses profondes, recouvertes de branchages.

Le souvenir de cette alarme demeura très vif parmi les générations qui l'avaient connue. On a de nombreux témoignages de personnes qui, ayant vécu dans la première moitié du XIXè siècle, en ont pu recueillir le récit de la bouche même de ceux qui avaient assisté à l'évènement. Les relations qu'elles ont données concordent entre elles : de tous les évènements de la Révolution, ce fut celui qui, dans les campagnes, fit l'impression la plus profonde. Et bien des paysans n'en savaient conter d'autre que celui-là.

Cette dénomination, "la grande peur", fut celle qu'on lui donna dans le centre de la France. On dit aussi plus simplement et plus énergiquement encore "la peur", ou bien "l'alarme". Dans les provinces du Midi, on dit "la grande pourasse, la grando paoù, l'onnada de la paou". Ailleurs, ce fut la Journée des brigands, ou le Jeudi fou, le Vendredi fou, selon le jour où la panique se produisit. En Vendée, le souvenir de l'évènement est resté sous un nom d'une jolie poésie, les Brouilles de la Madeleine : la peur y éclata, en effet, à la fête de la Madeleine, le 22 juillet, et la tradition rapporte que de fortes brumes, venues de la mer, avaient envahi la contrée, comme pour faciliter aux bandits leur oeuvre de pillage et de sang.

Dans certaines provinces, celles de l'Ouest, que baigne la mer, ce ne fut pas l'arrivée des brigands, mais un débarquement d'Anglais qui fut annoncé. Les Anglais, disait-on, avaient subitement fait leur apparition à la cime des falaises et, comme leurs ancêtres de la guerre de Cent ans, ils s'avançaient dans le pays, pillant, saccageant, égorgeant. Ces bruits prirent une telle consistance que les députés de la région aux États Généraux firent des observations au gouvernement et que le ministre des affaires étrangères dut obtenir de l'ambassadeur anglais une déclaration publique où les dispositions pacifiques du cabinet de Londres étaient solennellement affirmées. En Lorraine et en Champagne, c'étaient des reîtres et des lansquenets d'Allemagne qui avaient franchi la frontière, féroces comme au temps des guerres de religion. En Dauphiné, on parla d'une invasion de Savoyards. Il est inutile de rappeler qu'à cette époque la Savoie ne faisait pas encore partie de notre pays, et que le Guiers-vif, affluent du Rhône, qui formait la limite entre le Dauphiné et la Savoie, y traçait également celle de la France.

... ...

La "peur" fit irruption à Angoulême le 28 juillet. Sur les trois heures de l'après-midi, le tocsin retentit. On annonçait l'approche de quinze mille bandits. C'étaient, disait-on, des brigands échappés de Paris. Les portes de la ville furent aussitôt fermées ; des gardes furent postés sur les remparts. Bientôt, on entendit des cris d'épouvante : "Les voilà ! les voilà !"

Un tourbillon de poussière roulait sur la grand'route : il s'approche, quelle angoisse ! Le tourbillon s'épaissit, il s'élève, il s'étend, se dissipe ... c'était le courrier de Bordeaux qui passait au grand galop de ses six chevaux, en faisant joyeusement claquer son fouet.

Cette déception eut pour résultat de faire tomber, dans la pensée commune, le chiffre des bandits de quinze mille à quinze cents hommes ; mais du moins sont-ils bien quinze cents qui ravagent la campagne.

A trois heures du matin, nouvelle alarme. La cloche sonne au beffroi. Les rues se remplissent de cris, de tumulte. Les bourgeois sortent en chemise, jambes nues, armés de leurs mousquets ; tandis que, par les portes de la ville, s'engouffrait la cohue effarée des campagnards. Hourvari indescriptible de femmes qui pleurent, d'enfants qui crient, de veaux qui beuglent, de chiens qui aboient, de charrettes qu'on pousse, de meubles culbutés et de vaillants miliciens, qui, vêtus d'armures gothiques, répondaient aux cris d'appel de leurs commandants. "A neuf heures, écrit un témoin oculaire, nous avions dans la ville quarante mille hommes." Tous se montraient ardents à défendre les remparts. On ne savait que faire. Chacun voulait être là, à son poste, et au premier rang. Il y avait pléthore de bravoure. La municipalité eut toutes les peines du monde à se débarrasser de ces héros.

Mais, puisque les bandits se tenaient cachés, leurs desseins n'en devaient être que plus dangereux. Cent hommes à cheval, un millier de piétons vont explorer la forêt de Braçonne. On cherche, on regarde, on scrute, on fouille ; on bat les buissons, on sonde à coups de piques fourrés et taillis, on soulève les larges feuilles des fougères ; en tremblant, on pénètre dans les petites grottes parmi des rochers. De brigands autant que de plumes sur une grenouille. La même alarme se produisit à dix lieues à la ronde, et à la même heure.

M. Georges Bussière estime qu'Angoulême fut le foyer d'où la "peur" gagna le Limousin et le Périgord, provinces où elle se répandit le 29 juillet.

... ...

En songeant à l'immensité et la spontanéité du mouvement, à l'étendue du territoire où la "peur" éclata, à la lenteur des communications vers cette époque et à leur difficulté, aux barrières qui séparaient les provinces, - on reconnaîtra que l'organisation artificielle d'un tel mouvement, se produisant simultanément sur tous les points du pays, peu de jours après la prise de la Bastille, n'était pas une oeuvre réalisable. La grande peur a été le contre-coup général et instinctif de la formidable secousse que produisit dans toute la France cet évènement, si médiocre en lui-même, mais si considérable par l'impression qu'il fit et les conséquences qu'il entraîna, la prise de la Bastille. Du jour au lendemain, les Français virent tomber tout ce qui avait fait leur existence séculaire ; tout ce qui, à ce moment même, fixait encore leur vie commune ; tout ce qui jusqu'alors avait été pour eux, dans l'État, un appui, un soutien, une protection ; tout ce qui, à leurs yeux, avait fait la patrie. Et, devant le néant subit, ce fut la "grande peur" dans les âmes simples, le grand accès de fièvre, précurseur de la terrible crise qui va secouer la nation tout entière et jusqu'au plus profond de ses entrailles.

 .. ...

FRANTZ FUNCK-BRENTANO

(Légendes et Archives de la Bastille : La grande peur (extrait).

Communiqué par Jean-Pierre DÉRIAUD,

Commis d'Inspection de l'Assistance publique de la Haute-Vienne.

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