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La Maraîchine Normande
6 septembre 2012

LA MORT DE D'ELBEE ♣ NOIRMOUTIER JANVIER 1794 ♣ LA COMMISSION MILITAIRE ♣ L'EXECUTION

 

 

Les représentants du peuple, agents désignés par le Comité de Salut public, pour procéder à l'anéantissement systématique de la Vendée, avaient opéré des le lendemain de la prise de Noirmoutier, sans désemparer.

Les massacres duraient depuis trois jours. La garnison, trompée par la promesse de la vie sauve, avait été expédiée la première ; les dénonciations, les visites domiciliaires, la "battue aux lapins", avaient fait sortir des maisons, des bois, et des rochers de l'île, "un déluge de prêtres et de femmes émigrées", dont le sort était fixé d'avance. Leurs cadavres encombraient le bois de la Chaise, le faubourg de Banzeau, les dunes de la Claire ; le sang innocent arrosait le pied de l'arbre de la liberté.

L'exécution du généralissime des Vendéens devait "terminer la fête".

La commission "soi-disant militaire" détachée de l'état-major de Dutruy avait été installée le 14 nivôse (3janvier), et commençait à fonctionner dès la matinée du 15 nivôse (4 janvier).

Sa mission était nettement définie.

Carrier écrivait le 21 frimaire (11 décembre 1793) au Comité de Salut public. "Aussitôt que la nouvelle de la prise de Noirmoutier me sera parvenue, j'enverrai sur-le-champ un ordre impératif aux généraux Dutruy et Haxo, de mettre à mort, dans tous les pays insurgés, tous les individus de tout sexe qui s'y trouveront indistinctement et d'achever de tout incendier."

Dutruy, dont la brigade n'opérait pas contre Noirmoutier s'était rendu à Nantes pour conférer avec Carrier ; il en avait reçu l'autorisation de suivre l'expédition en amateur, "on ne sait trop pour quel motif" dit Aubertin. Il était revenu de Nantes avec des instructions particulières et traînant à sa suite la commission militaire chargée d'opérer à Noirmoutier, selon la formule de Carrier.

La Commission procédait rapidement et par fournées, ne retenant que quelques chefs dans l'espoir d'en obtenir des renseignements utiles. Leurs noms, prénoms et quelques indications d'état-civil étaient notés, et cette courte formalité judiciaire remplie, les condamnés étaient livrés sans délai au hussard Félix, ordonnance d'un des généraux, brute sanguinaire, bon ouvrier de révolution, qui s'était spontanément offert pour l'office de bourreau. C'est lui qui organisait les pelotons d'exécution et achevait de sa main les victimes manquées.

Les noms des membres de cette commission sont restés jusqu'ici inconnus.

Exécuteurs serviles ou collaborateurs convaincus des égorgeurs, leurs noms mériteraient de venir s'ajouter à la liste des bourreaux de la Vendée. Ni l'adjudant général Aubertin, ni l'aide de camp de Dutruy, Piet, ne les ont donnés. A peine si ce dernier dans ses mémoires signale l'existence et mentionne la terrible et sinistre besogne de la Commission militaire du 14 nivôse (3 janvier).

Lorsque l'adjudant général Aubertin quitte l'île avec sa colonne le 17 nivôse (6 janvier) les massacres ne sont pas terminés, la Commission fonctionne encore et le généralissime doit y comparaître le dernier. Mais rien dans le récit cependant très circonstancié de Piet ne vient établir cette comparution ; au contraire, il en ressort nettement que d'Elbée et ses compagnons ont été envoyés à la mort sans jugement et par ordre verbal des représentants. Ces derniers n'auraient même pas condescendu au simulacre judiciaire qu'apportait le tribunal militaire.

Cependant la note ajoutée à la copie de l'interrogatoire est formelle, et ne paraît laisser aucun doute ; elle est ainsi conçue. "Ledit d'Elbée a été condamné à mort par la Commission militaire et a été exécuté sur la place de l'île de la Montagne avec Boisy, Duhoux et Wieland."

Turreau écrivait de Nantes : "C'est ici que j'ai appris que d'Elbée avait été fusillé, en vertu d'un jugement de la Commission militaire qui nous suit."

Sans aller plus loin, ces deux principaux témoignages suffisent pour établir, sinon le jugement tout au moins la comparution du généralissime devant la Commission militaire.

Dans sa simplicité brutale et véridique, la note de l'interrogatoire ne parle que de condamnation et d'exécution, et se tait sur le jugement.

Les missionnaires de 1793 avaient imposé à tous la passivité par la peur et se vautraient dans l'arbitraire ; seuls ils étaient arbitres de la vie et de la mort ; le tribunal de parade recevait des ordres et ne rendait pas de jugements.

La mort sans phrases, sans grimace juridique, des vaincus peut encore se comprendre, il n'en est pas de même de cet acte de fantaisie barbare qui fit périr, à côté des chefs vendéens et sous les balles républicaines, l'officier républicain, manifestement innocent, Wieland.

Les représentants étaient logés dans la maison de Lebreton aîné, bon patriote de Noirmoutier, qu'ils avaient ramené à la suite de l'armée et nommé président de la municipalité.

La veille de l'exécution, ils y soupaient avec l'état-major et, comme de coutume, l'on avait beaucoup bu. L'entretien s'animait sur les préparatifs du lendemain et la solennité qu'exigeait le supplice des dernières victimes. "Il fallait un grand exemple". D'Elbée, de Boisy et Duhoux d'Hauterive devaient tous trois être fusillés au pied de l'arbre de la liberté, devant l'armée entière.

Ce chiffre impair déplut à l'un des conventionnels et comme l'ivresse réveillait la brute, il regrettait que la partie ne fut pas carrée.

Des 1 500 victimes massacrées en trois jours, il ne restait pas un royaliste oublié, et déjà les regards se portaient sur Lebreton, leur hôte, qui tremblait.

Eh ! s. n. d. D, dit Bourbotte, n'avons-nous pas ce traître de Wieland.

Wieland était ce chef de bataillon des chasseurs de la Manche, commandant de la place de Noirmoutier, qui surpris par Charette, avait rendu l'île le 12 octobre 1793.

Charette avait envoyé à Pajot 180 volontaires de la Manche, exécuteurs des représailles de Machecoul et fusillés pour ce motif, mais il avait ménagé leur chef. Traité avec égards, Wieland avait refusé de prendre parti pour la cause royaliste et Noirmoutier était devenu pour lui une prison très douce.

Dès leur arrivée, les représentants avaient fait mettre Wieland au cachot et saisi sa correspondance. Des lettres l'invitant à venir passer la soirée en petit comité auxquelles il répondait en termes courtois suffirent pour confirmer les soupçons de trahison qui pesaient sur lui.

Son arrêt de mort fut prononcé.

Il serait fusillé le lendemain avec les trois généraux vendéens, "comme traître et agent de d'Elbée."

Les historiens ont fixé au 20 nivôse an II (9 janvier 1794) la date de l'exécution du généralissime d'Elbée et de ses compagnons de supplice. Ils ont adopté la date portée sur la copie de l'interrogatoire transmis par Piet, avec la mention post-ajoutée de la condamnation et de l'exécution.

L'interrogatoire et l'exécution ne sont pas du même jour et aucun de ces évènements n'a eu lieu à la date du 20 nivôse an II.

Jusqu'ici, il n'y a pas un document ni une déduction qui soient venus confirmer cette date, au contraire, un certain nombre de témoignages se rencontrent pour l'infirmer.

Il faut compter en première ligne la preuve qu'apporte la lettre des représentants datée du jour de leur départ de Noirmoutier le 19 nivôse (8 janvier) annonçant au Comité de Salut public que tout est terminé, ce qui fixe l'exécution au plus tard au 19 nivôse (8 janvier).

Le général en chef Turreau avait quitté Noirmoutier le 16 nivôse (5 janvier). Il écrivait de Nantes à son ami de Saint-B. que l'exécution de d'Elbée avait eu lieu deux jours après son départ de l'île, ce qui, par déduction, fixerait la date au 18 nivôse (7 janvier).

D'un autre côté l'adjudant général Aubertin quitta l'île le 17 nivôse (6 janvier) et n'apprit que plus tard le supplice de d'Elbée qui devait être fusillé le dernier.

Ces témoignages permettent de circonscrire la date de l'exécution entre le 17 et le 19 nivôse. Mais, sans conteste, d'Elbée et ses compagnons n'ont pas été fusillés le 20 nivôse (9 janvier) comme l'a fait croire jusqu'ici la date fausse transmise par le document de Piet.

Une lettre de Nantes lue par le citoyen Minier à la Séance du Conseil général de la commune de Paris du 19 nivôse (8 janvier), donnait des détails sur la prise de Noirmoutier et se terminait ainsi : "D'Elbée à l'agonie, le temps presse, je ne peux t'en dire davantage".

Le mot était juste, les dernières heures ne donnèrent pas le repos à l'agonisant, obsédé de la grossière curiosité de ses bourreaux. Le lion mourant était livré aux outrages, à d'odieuses plaisanteries qui ne cessaient point. Enfin las de cette agonie, d'Elbée, rassemblant un reste de forces, s'écrie : "De grâce, Messieurs, faites-moi mourir, il est temps que cette tragédie finisse !"

 

 

Le généralissime gisait sur son lit de douleur, et Mme d'Elbée n'avait pas un instant, pendant ces journées d'angoisse, quitté son chevet. L'heure de la séparation était venue ; un officier républicain, pris de pitié devant cette grande infortune, veut éviter à l'épouse le déchirement des suprêmes adieux, il a l'idée d'entraîner Mme d'Elbée au bureau du commandant d'armes, sous le prétexte d'une entrevue avec son frère Duhoux d'Hauterive.

Est-ce à ce moment que le généralissime comparut devant la commission militaire ? Celle-ci siégeait encore au moment même des préparatifs de l'exécution ; le lieu de ses séances était le grand salon de la maison Jacobsen, d'où les condamnés devaient être conduits sur la place d'Armes, lieu désigné pour l'exécution.

L'armée entière, sous les armes, formait le carré autour de l'arbre de la liberté, peuplier énorme transplanté des bois de la Blanche sur la place d'Armes. Au pied de l'arbre étaient plantés quatre poteaux destinés aux quatre victimes. Les représentants Bourbotte et L. Turreau avaient pris place au balcon de la maison Jacobsen.

Triste et solennel cortège que celui du glorieux vaincu dont la souffrance physique et la torture morale ont affaibli les forces, de ce mourant qu'il faut porter au supplice pour achever, sous les balles républicaines le peu de vie qui lui reste. C'est dans un des fauteuils du grand salon où siège la Commission que d'Elbée est transporté au pied de l'arbre de la liberté :

 

On dit qu'au moment où les rangs des soldats allaient s'ouvrir sur son passage, un prêtre, vêtu en paysan s'avança et lui présenta un crucifix tenu caché sous ses vêtements, et que l'on vit le front du martyr s'incliner devant le signe et la promesse du salut.

Mme d'Elbée, inquiète, avertie par cette divination du coeur qui ne trompe pas, se rend compte du malheur qui va la frapper. Elle a vu le rassemblement des troupes et surpris les propos de ceux qui se préparent à fusiller "le généralissime des brigands".

Elle s'échappe, court à la place d'Armes, mais c'est en vain qu'elle essaie de parvenir jusqu'à son mari. "On m'a trompée, crie-t-elle, je veux mourir avec lui !" Les soldats la repoussent violemment et les représentants, importunés par ses cris, se répandent en menaces et en blasphèmes et donnent l'ordre de l'éloigner de leur présence.

Les apprêts sont terminés. MM. de Boisy et Duhoux d'Hauterive sont attachés au poteau qui leur est destiné, il en reste un vacant et le destinataire, l'officier républicain Wieland, se fait attendre.

Wieland comparaît en ce moment devant la commission militaire et essaie de gagner du temps. Il s'est muni d'un mémoire justificatif qu'il veut lire et réclame un sursis de vingt-quatre heures pour répondre à ses accusateurs.

Un des membres en réfère aux représentants, mais il revient aussitôt avec l'ordre de couper court à tout délai et de conduire le condamné au supplice.

Wieland débouche sur la place d'Armes, il tient encore son mémoire à la main. A l'instant il est saisi, ses vêtements sont arrachés, on le garrotte, on le lie au poteau vacant. Effaré, l'infortuné essaie de protester, un roulement de tambours se fait entendre pour la lecture de la sentence.

Un homme à cheval lit les noms des condamnés, et énumère les crimes dont on les accuse "ils ont allumé la guerre civile, et sont responsables de ses horreurs." Wieland est désigné comme "le complice et l'agent de d'Elbée, le traître qui a vendu Noirmoutier aux rebelles."

Wieland, sous cette flétrissure, se débat dans ses liens, ébranle le poteau auquel il est garrotté, et, dans un appel désespéré s'écrie ... "Cela est faux, je n'ai jamais été traître !"

A ce cri de protestation, nulle voix parmi les compagnons d'armes du républicain ne s'élève pour parler de justice et de pitié ; seuls vont y répondre, sous l'inspiration de l'honneur de la conscience et de la foi, de cette foi pour laquelle ils donnent leur vie, les trois royalistes, ses compagnons de supplice.

Le généralissime se soulève pour protester contre l'injustice par un dernier élan du coeur. "Non ! M. Wieland n'est pas de notre parti, vous faites périr un innocent !" En même temps de Boisy et Duhoux d'Hauterive attestent hautement que Wieland n'est pas un traître.

Le feu du peloton d'exécution les surprend dans cette suprême expression de générosité et de pardon chrétien.

 

Les grands chefs vendéens sont morts, les uns sur le champ de bataille, les autres sur l'échafaud ou sous les balles du parti qui a triomphé ; le généralissime de toutes les armées catholiques et royalistes ne pouvait envier une mort plus glorieuse. Aucun de ces drames de l'histoire n'a mis d'ailleurs plus nettement en contraste et la grandeur d'âme des victimes et l'infamie des bourreaux. 

Et pour ajouter le mensonge à la férocité les représentants écrivaient à la Convention ce récit calomniateur que Couthon le paralytique venait lire à la tribune de sa voix douce.

"En présence de l'armée entière, tous ces nobles chevaliers, ces fiers vengeurs de la Couronne et de l'Eglise, ayant à leur tête d'Elbée leur généralissime, qui nous priaient à genoux de leur laisser la vie, ont été frappés du glaive exterminateur aux cris mille fois répétés de : Vive la République et ses défenseurs !"

Ce n'était pas assez d'ôter la vie, il fallait encore déshonorer.

Mais ces fourberies sont restées impuissantes à rayer de l'histoire les actes et les paroles des victimes.

L'héroïsme des Vendéens, artisans, paysans, bourgeois, nobles et prêtres, de tout ce peuple levé pour disputer la France à la Révolution, a survécu aux mensonges, aux sophismes sans cesse renouvelés pour le dénaturer et le flétrir.

"Ah ! Français, que vous êtes ! Que d'héroïsme perdu !" dit mélancoliquement Hoche à Charette. A quoi, le Vendéen répond, "Rien ne se perd, Monsieur !"

Il n'y a pas de sang infécond ni de sacrifices stériles. L'incomparable page de notre histoire où la Vendée a inscrit tant de noble vaillance et de pur dévouement, est à jamais fixée. Dans l'ordre des résultats, son courage religieux a imposé à la République victorieuse le respect dû aux consciences et le champ de bataille est resté au vaincu. L'insurrection catholique, ce devoir sacré, a conservé au pays la religion, cette dernière et solide barrière, qui subit les plus rudes attaques des instincts brutaux et des appétits déchaînés par la Révolution.

Aujourd'hui que les masques de grossière égalité et de fraternité douteuse tombent, que les programmes imposteurs de philanthropie, de société nouvelle, d'émancipation de l'humanité, ont menti à leurs promesses, que les légendes gonflées par les intéressés crèvent et que le "bloc" s'effrite ; aujourd'hui que les mots nouveaux de faillite de la Révolution, de révision de son histoire, se font entendre et écouter, le temps est venu de dresser le bilan des conquêtes de 1789. Il n'est plus besoin d'insister davantage sur l'honneur et la fidélité des Vendéens, ni d'attester une fois de plus leur héroïsme ; c'est maintenant de leur patriotisme qu'il faut parler, car ces Français aimaient véritablement la France et d'un amour sans convoitise, désintéressé, clairvoyant.

Marquis D'ELBEE - Revue du Bas-Poitou - 1898 (3ème livraison)

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