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La Maraîchine Normande
21 août 2012

DEUX CHOUANS ♣ LE CHEVALIER DE MONTMAUR ET LE BARON DE COMMARQUE

 

A la limite du canton de Vayrac, en bordure de la route de Martel à Saint-Denis, non loin de la station des Quatre-Routes, se dresse le petit château de la Tulle. C'est une construction rectangulaire que flanque une tour ronde, véritable tour de guetteur, d'une forme élancée. De loin, on dirait une personne vivante qui, au-dessus de la route et derrière le rideau de peupliers, fixe attentivement la ruine de Cazillac.

Là vivait, en 1789, un ancien garde du corps du Roi, M. Jean de Montmaur, qualifié seigneur de la Tulle, avocat au parlement, notable de la ville de Martel, âgé d'environ soixante-cinq ans, époux de dame Anne de Marquessac de Croze. De leur union étaient nés plusieurs enfants : trois fils et des filles.

L'aîné des fils, Tiburce, à l'âge de 18 ans, était entré comme garde du corps à la compagnie écossaise (La compagnie écossaise, dont l'origine remontait à Louis XI, avait le pas sur les trois autres compagnies de gardes), sur la présentation de M. de Lagrange, gentilhomme du Quercy, sous-lieutenant à cette compagnie, dont le capitaine était M. le duc d'Ayen. On retrouve Tiburce de Montmaur mentionné aux pièces du procès de Louis XVI comme figurant parmi les gardes du corps, aux appointements de 610 livres, lors du licenciement opéré en 1791. Emigré en septembre 1791, il fit à l'armée de Condé toutes les campagnes jusqu'en 1800. Il se distingué notamment à l'affaire de Kramlach. Lors du licenciement en mai 1801, il servait encore au régiment d'Angoulême-Cavalerie, lequel avait pour colonel un Périgourdin, M. de Mellet, et pour lieutenant-colonel un Limousin, le maréchal-de-camp vicomte de Brachet. Une première fois, le 22 septembre 1788, il avait épousé Madeleine-Marie Vidal de Lapize, d'une famille distinguée du Quercy. Après  le divorce prononcé le 25 pluviose an II, il l'épousa une seconde fois le 2 novembre 1812. En 1815, le roi Louis XVIII le nomma chef d'escadron de cavalerie et l'admit à la retraite.

Un autre fils fut l'abbé Jean-Jacques-Philippe-Suzanne de Montmaur, chevalier de Malte et du Phénix de Hohenlohe, dont il sera question un peu plus loin.

Un troisième fils, le chevalier Joseph-François-Etienne de Montmaur, dit Montmaur Lagilardie, joua un rôle des plus actifs dans les mouvements royalistes qui suivirent la réaction thermidorienne.

Entré aux gardes du corps, compagnie écossaise, le 30 mars 1787, à l'âge de 18 ans, comme son frère et sur la présentation de ce dernier, il était parti pour l'émigration en septembre 1791.

En 1792, il sert dans la cavalerie de l'armée des Princes, et prend part au siège de Thionville.

Après la retraite des émigrés sur les pays-bas autrichiens, en avril 1793, il rejoint le corps de Condé et prend part à toutes les campagnes, jusqu'en 1797.

En 1798, il rentre en France, malgré la loi qui punissait de mort les émigrés ; il y revient avec des pouvoirs spéciaux ; il accompagne le marquis de Surville, chargé par Louis XVIII "d'organiser le Midi".

C'est une figure bien curieuse que celle de ce marquis de Surville et, à son sujet, on peut ouvrir ici une parenthèse.

La Terreur était alors terminée. Mais, suivant un mot bien connu, les morts parlaient. Un vent de représailles, de vengeances parfois atroces et de rébellion, soufflait sur le Midi. Sous un gouvernement méprisé et sans autorité, le Directoire, les anciennes provinces du Languedoc et de la Provence, la région du Vivarais, du Velay et du Forez, voyaient passer leurs masques sombres, leurs cadenettes et leurs triques redoutables, ces bandes qu'on appelait les Compagnons du Soleil, les Ganses Noires, les Chouans du Gard, les Vengeurs de la Nature outragée, les Compagnons de Jéhu.

On s'attaquait aux caisses publiques, aux acquéreurs de biens nationaux. Des rives de la Méditerranée au Plateau central régnait une grave effervescence. Quelques royalistes s'offrirent au prétendant pour chouanner sur les escarpements des Cévennes. Parmi eux il ne s'en trouva pas de plus séduisant, ni de plus audacieux que Jean-Louis-Armand Tallard, marquis de Surville : ce fut un vrai personnage de roman.

Né à l'Ile-de-France vers 1760, d'une famille originaire du diocèse de Viviers, il avait été capitaine au régiment de Pondichéry. Une première fois, au lendemain du 9 thermidor, il était rentré en France, et, par Lyon, avait gagné son pays d'origine, le Vivarais. Créole comme Saint-Georges, il en avait la souplesse et, comme lui, c'était une épée dangereuse. A ses heures perdues, il rimait sans en faire la confidence à personne. C'était une tête folle, dont se défiaient les hauts conseillers de l'émigration, tels que Précy qui, de Vérone, devait le diriger. Louis XVIII et le prince de Condé se renvoyaient ses offres de services, qu'ils encourageaient sans les accepter nettement.

Dans son étude remarquablement documentée, Le Prologue du 18 fructidor, à laquelle nous empruntons les détails concernant Surville, M. Ernest Daudet exprime l'avis que ce dernier n'aurait jamais reçu, comme il l'a prétendu, le brevet de commandant suprême dans la Haute-Auvergne, le Vivarais et le Velay. Le contraire paraît ressortir du dossier militaire du chevalier de Montmaur qui fut l'un des lieutenants de Surville et dont les déclarations sont certifiées par plusieurs émigrés, le vicomte de Montchal, le marquis du Boscage, le vicomte de Lafaye et le comte Louis de Clermont-Tonnerre.

C'est à la fin de 1797 ou au commencement de 1798 que le marquis de Surville et le chevalier de Montmaur revinrent en France, sans qu'il soit possible de mieux préciser.

Montmaur avait commission pour commander une région déterminée du Forez et du Vivarais, mais il était sous les ordres de Surville qui se qualifiait, d'après ses papiers, "colonel légionnaire et commissaire départi par Sa Majesté très chrétienne dans l'intérieur du royaume, près des Français amis du trône et de l'autel".

La situation des royalistes dans les montagnes de la Haute-Loire était alors bien mauvaise. Ils avaient éprouvé plusieurs échecs. La gendarmerie et les corps d'infanterie légère les traquaient de toutes parts. Un de leurs meilleurs officiers, le chevalier de Lamothe, après s'être emparé de Pont-Saint-Esprit, avait été arrêté, écroué à la prison du Puy, où on l'avait trouvé égorgé le 6 octobre 1797.

Surville et Montmaur, dans les gorges et les forêts de cette région, menèrent pendant quelques mois une existence mystérieuse, et vraisemblablement des plus misérables.

Ce fut une femme, Marie Thiouleyre, veuve de Jean-Pierre Brun, une "Messaline", a-t-on dit, qui livra le premier.

Voici le récit de son arrestation d'après le rapport du général de brigade Colomb, commandant la 1re subdivision de la 19me division militaire :

"Le 15 fructidor, à 8 heures du soir, la gendarmerie de Craponne s'est mise en marche pour se rendre dans la commune de Saint-Pol, avec quarante chasseurs de la 16me demi-brigade d'infanterie légère, en cantonnement à Craponne, commandée par le lieutenant Meusnier, se dirigeant sur une maison située dans des gorges indiquées comme repaire de prêtres insermentés. A 4 heures du matin, la troupe investit la maison en silence. Au moment où la porte s'ouvre au jour, comme à l'ordinaire, par une femme de l'intérieur qui ne se doutait de rien, la troupe entre et trouve tout le monde au lit. Elle entend du bruit sur sa tête et un mouvement précipité. L'officier demande de la lumière qu'il n'obtient qu'après beaucoup de menaces.

Dans cet intervalle, le citoyen Delaigue, brigadier de la gendarmerie, aperçoit par une ouverture la clarté d'une lampe qui est éteinte sur-le-champ, et, regardant vers l'endroit où il l'avait aperçue, il remarque un trou par lequel un homme peut passer à peine. Le brave Delaigue entre et se trouve dans une caverne où, aussitôt qu'il a pénétré, un des brigands - l'ex-marquis de Surville - le prend par les cheveux et, lui tenant une espingole sur la poitrine, lui dit :

"J... f.... tu es mort si tu parles !"

Le brigadier s'écrie :

"Chasseurs, je suis perdu ; mais faites rôtir tous les gueux qui sont ici."

Dans cette caverne, à l'instant, l'officier Meusnier fait braquer toutes les armes sur l'ouverture et ordonne aux brigands de lâcher le brigadier s'ils ne veulent tous périr. Enfin, sur sa promesse et celle de Delaigue de leur ménager la vie, ils sortent, quoique avec beaucoup de peine, un à un, de leur caverne, au nombre de quatre, et sont enchaînés de même, et amenés à Craponne, d'où le lendemain ils prennent la route du Puy, escortés par le même détachement et vingt-cinq hussards du 9me régiment."

Telle est la version officielle sur cette affaire, suivant le rapport qui figure au dossier Surville aux Archives nationales. Mais, comme l'a remarqué M. Ernest Daudet, en réalité, les royalistes épuisés et pris au traquenard s'étaient rendus sans combattre.

Dans les papiers de Surville, on trouva des manifestes, des appels aux armes adressés "à la brillante Jeunesse". Transféré à la prison du Puy, il s'y concilia, par sa bonne humeur et sa belle attitude, toutes les sympathies. Il reconnut tout ce qu'on lui reprochait, se bornant à affirmer qu'il était étranger à tout acte de brigandage, à toute fabrication de fausse monnaie et qu'il s'appelait tout simplement Tallard. Le 17 octobre 1798, il comparut devant une commission militaire comme prévenu d'émigration. Il suffisait de constater son identité pour lui appliquer la peine capitale aux termes de la loi du 19 fructidor an V. Dix témoins, sur onze, le reconnurent. Il avait en effet une physionnomie charmante, "une figure qu'on n'oublie pas quand on l'a vue". D'après une tradition, il se rendit sur le terrain d'exécution "rose et poudré, son mouchoir à la main, saluant du geste la foule accourue sur son passage". A 11 heures du matin, on le fusilla sur une place de la ville que domine le rocher Corneille, en présence de la garnison et de la population.

Avant de mourir il avait écrit à sa femme, lui recommandant les poésies d'une personne de sa famille qui aurait vécu au temps passé, et qu'il appelait Clotilde de Surville, oeuvre immortelle, disait-il, qu'il avait confiée à des mains amies et qu'il voulait donner au public.

C'était un manuscrit de vers dans la manière ancienne, non sans grâce, mais tout entier de sa composition, comme on le reconnut plus tard.

A la directrice du journal littéraire de Lausanne, il avait écrit : "Il est des circonstances, Madame, où l'on ne peut écrire que des billets. Je vais, sous peu d'instants, me faire casser la tête. Il ne me sera plus possible d'avoir quelque légère part à la confection de votre journal intéressant ..."

Plus heureux que Surville, le chevalier de Montmaur, après la mort de son chef, parvint à se dérober à la police du Directoire. Jusqu'en 1800, il erra dans les montagnes du Forez et du Vivarais. On ignore s'il prit part à l'agression dirigée peu de temps avant la bataille de Marengo, contre la Manufacture d'armes de Saint-Etienne.

En 1800, le comte de Noyant, venu en France au nom de Louis XVIII, lui donna une mission d'inspecteur dans l'Agence royaliste de Lyon dirigée précédemment par Imbert Colomès, puis par le général Willot. Il y demeura jusqu'en 1801. L'Agence royaliste fut alors dissoute. L'amnistie des émigrés allait intervenir. Montmaur accepta néanmoins plusieurs missions. Mais une nuit, sur les quais du Rhône, il se trouva en face d'agents qui lui mirent la main au collet. Il se débattit, réussit à prendre la fuite. Dans l'obscurité, on tira sur lui. Il reçut une balle dans la jambe, put néanmoins échapper à la patrouille qui le poursuivait. Recueilli par des personnes charitables, il entra sous un nom supposé à l'Hôtel-Dieu de Lyon et y resta plus de quarante jours pour se faire guérir. Mais la police était sur sa trace et sa tête avait été mise à prix, suivant les pratiques inaugurées par Fouché.

L'amnistie survint heureusement pour lui. Après dix ans d'absence, il regagna le limousin. Ses biens de Martel, où son père lui avait légué une maison, avaient été vendus comme biens d'émigré. Il se fixa à Meymac, où il avait épousé, le 6 mai 1790, Mlle de Segonzac.

Là, pendant toute la durée de l'Empire, il fut l'objet d'une surveillance attentive.

En 1814, il "rejoignit le corps", le régiment des gardes licencié vingt-trois ans auparavant. Chevalier de Saint-Louis du 9 août 1814, il fut incorporé de nouveau à Versailles dans la compagnie écossaise placée sous le commandement de M. le duc d'Havré et de Croy. Il fut même nommé garde de la Manche. Ces derniers, au nombre de vingt-quatre, étaient les plus rapprochés du roi dans les cérémonies.

Mais, dans sa vie aventureuse, l'ancien chouan du Forez avait vieilli. Il avait désappris le métier militaire. Sur la proposition du duc d'Havré et de Croy, il fut admis à la retraite le 1er novembre 1815, avec rang de capitaine de cavalerie.

La devise des siens était : Dieu et le Roi. La vérité oblige à dire qu'il y était resté aveuglément et désespérément fidèle.

L'abbé Jean-Jacques-Philippe-Suzanne de Montmaur, troisième fils de Jean de Montmaur, seigneur de la Tulle, et frère du chevalier de Montmaur, était né à Martel le 1er mai 1764. Dans sa correspondance, il rappelle qu'il avait étudié la théologie avec un jeune séminariste du nom de Joachim Murat. Vers 1787, ce dernier quitta l'habit religieux et s'engagea à Toulouse dans un régiment de cavalerie, Ardennes-Chasseurs.

On sait ce qu'il devint : époux de Caroline Bonaparte, commandant en chef la cavalerie de la Grande-Armée, il eut en partage le royaume de Naples.

L'abbé de Montmaur, en une existence moins brillante, mais également accidentée, quitta la France, fuyant les lois qui frappaient les prêtres insermentés. Il arriva à Worms au mois de Juin 1791. En novembre de la même année, il fut attaché, comme aumônier, au quartier général de l'armée de Condé. Là, il fut adjoint au grand aumônier, Mgr de Conzie, évêque d'Arras et l'un des conseillers les plus écoutés du prince. De 1791 à 1801, date du licenciement de l'armée Condéenne, il fit toutes les campagnes auprès de ce dernier, supportant, malgré sa santé délicate, comme les combattants, toutes les intempéries des saisons et la vie pénible des camps. "L'honneur de servir le Roi, écrivait-il, sera pour moi la plus belle récompense ; je n'en demande pas d'autre." Sur les champs de batailles, dans les hôpitaux militaires, il donnait ses soins, écrivait-il encore, aux patriotes comme aux royalistes. Après les évènements de 1815, il exerça, de 1822 à 1830, les fonctions d'aumônier au 1er régiment de Grenadiers à cheval de la garde royale. Le colonel marquis Oudinot, fils du maréchal Oudinot, l'avait en haute estime. Il connut la veuve de Lescure, la marquise de la Rochejaquelein, qui lui fit part des souvenirs de sa vie aventureuse en Vendée. Enfin, il fut lié avec le personnage auquel s'applique la seconde partie de cette étude, le baron de Commarque, qui, parti de la Corrèze, devint l'un des chefs de la chouannerie normande.

Le 23 avril 1800, il écrivait d'Augsbourg à Munich, à son correspondant, l'abbé de Lespine, qui fut plus tard bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque nationale : "On dit que l'état-major de Monsieur est nommé et que ce prince doit se rendre en Bretagne avec Mgr le duc de Bourbon pour y réorganiser l'armée royale. La mort de Frotté, loin d'intimider, y a exaspéré les esprits. Le baron de Commarque, notre voisin et mon intime ami, a été fusillé avec lui. Je le regrette sincèrement."

M. de Commarque (Armand-Joseph), l'intime ami de l'abbé de Montmaur, était d'une famille originaire de la Dordogne. Mqais il s'était marié à Beaulieu, où il avait épousé sa cousine, Mlle Massoulié, fille de Jean-Pierre Massoulié, écuyer, seigneur de la Veillane, subdélégué de l'intendant à Beaulieu, et de dame Anne de Commarque. Il ne semble pas qu'il en ait eu des enfants. Sur la liste des émigrés de l'an II, on trouve : "Commarque (Armand-Joseph), domicilié à Beaulieu." D'autre part, le 31 juillet 1792, l'agent du domaine, séquestre, affermait, au prix de 1525 livres par an, les biens de M. Commarque, à Beaulieu.

D'après la savante étude de M. de la Sicotière sur Louis de Frotté, ouvrage où se trouvent rapportés presque tous les documents ci-après utilisés, M. de Commarque aurait été, avant la Révolution, capitaine au régiment de Beauce. Il ne figure cependant pas sur les anciens contrôles de ce régiment.

D'après d'autres sources, qui paraissent exactes, il sortait des gardes du corps.

En 1792, on le trouve servant dans les rangs des Condéens.

Il revient ensuite de l'émigration, désabusé sur cette dernière comme Frotté. Plus tard il apparaît en Vendée.

En 1799, il est devenu le premier aide de camp du comte Louis de Frotté, lieutenant général, commandant en chef l'armée royale de la Basse-Normandie. Ce dernier, qui persista à combattre, lorsque Bourmont, d'Autichamp, Cadoudal et les autres chefs angevins ou bretons avaient déposé les armes, fut l'âme entêtée jusqu'à la mort de la chouannerie normande.

Dans un article du journal normand, La Foudre, du 30 octobre 1821, signé Urbain Guilbert, on semble placer Commarque au-dessus de son chef, Louis de Frotté. Le 3 septembre 1799, il commande une importante division qui opère dans l'arrondissement de Falaise et qui comprend 1425 chouans. C'était, dit M. de la Sicotière, un homme d'une rare intrépidité. Un soir, caché au château du Tertre avec d'Oilliamson et de la Pivardière, et prévenus qu'une visite domiciliaire aurait lieu dans la nuit, à trois heures du matin, ils se couchèrent en disant : Dormons jusqu'à deux heures, et alors nous irons faire un tour dans les bois. Au bout d'un certain temps, l'un d'eux touche sa montre : elle sonne trois heures. Ces messieurs se hâtent de sortir et de se sauver dans les bois. Mais le temps était froid, la nuit toujours sombre. On interroge de nouveau la montre qui, cette fois, sonne minuit. Ils s'étaient trompés lors du premier appel. "Rentrons au château, se disent-ils, nous nous chaufferons pendant deux heures, puis nous reviendrons ici." Et les voilà qui regagnent le château du Tertre. Ils en étaient tout proches, lorsqu'ils virent à l'entour les feux de bivouac de la troupe qui, ayant devancé l'heure annoncée, cernait l'habitation et avait commencé de la fouiller. Ils purent heureusement se replier.

Au début de l'an VIII, en l'absence de Frotté auquel il servait de chef d'état-major, Commarque prend le commandement des quatre divisions de l'armée de la Basse-Normandie. Son quartier général est au château de Flers. Sa vie d'aventures allait se terminer.

Le 22 pluviôse an VIII, le premier Consul lui-même, pour en finir avec cette poignée de factieux, écrit au général Gardanne, chargé d'opérer contre elle, une lettre par laquelle il met à prix à mille louis la tête de Frotté. Celle de Commarque était cotée cent louis.

Ces procédés rappelaient, il faut le reconnaître, les moeurs de la Corse et les principes du maquis.

Quoi qu'il en soit, les volontés du premier Consul ne tardèrent pas à être exécutées.

Quelques jours après, Frotté, Commarque et cinq autres officiers royalistes, munis d'un sauf-conduit en bonne forme, s'étaient rendus à Alençon pour conférer au sujet d'un armistice avec le général Guidal, commandant le département de l'Orne, le même qui fut arrêté en 1812 avec le général Malet, et fusillé avec lui dans la plaine de Grenelle. En pleine nuit, après quelques pourparlers, à l'improviste et sans explications, les officiers Chouans furent arrêtés. On les transféra immédiatement à Verneuil, avec ordre de les traduire devant une commission militaire. Dans cette affaire, comme à la suite de l'arrestation du duc d'Enghien, les pièces de la procédure et la sentence elle-même ont disparu. Frotté et Commarque, a-t-on dit, invoquèrent en vain la parole donnée et le bénéfice du sauf-conduit. Il n'y eut, ni témoins, ni défenseurs. D'après la tradition, Louis Bonaparte, le futur roi de Hollande, alors colonel du 5me dragons en garnison à Verneuil, refusa de présider la commission militaire. On lui prête ces paroles : "Je ne suis soldat que depuis peu de temps. Mais j'en sais assez sur l'honneur militaire pour ne pas compromettre mon nom dans une pareille iniquité." Pendant la délibération du conseil, les accusés, sans illusion sur leur sort, demandèrent une bouteille de vin qu'ils burent à la santé du Roi. Par application de la loi sur l'émigration, ils furent condamnés à être passés par les armes.

L'exécution eut lieu à Verneuil, le 29 pluviôse an VIII (18 février 1800), à cinq heures du soir, sur un tertre aux environs de la ville, en un lieu qu'on appelle encore le Clos-Frotté. Les condamnés s'y rendirent à pied. Ils marchaient deux par deux, encadrés par la troupe. Les fenêtres, sur leur passage s'étaient fermées en signe de deuil, car la population était royaliste. Une musique militaire jouait le ça ira. Frotté, dans la marche, vint à perdre le pas. Commarque, ou un autre, lui en fit la réflexion : "C'est ce maudit air qui en est cause", répondit-il en souriant. Devant le peloton d'exécution, les sept officiers se prirent par la main et, avec une calme intrépidité qu'ont reconnu leurs adversaires, tombèrent au cri de : "Vive le Roi !"

Voici ce que contient le petit portefeuille en maroquin rouge de Commarque, tout éraillé et usé, tel qu'il fut saisi sur le "brigand" et tel qu'il a été conservé aux Archives nationales :

Passe-port en blanc de la municipalité d'Alençon, lettre de sa soeur lui donnant des détails sur ses nièces, et particulièrement sur Angélique, sa filleule, "la plus jolie des trois petites."

Chiffon de gros papier renfermant une mèche de cheveux blonds, fins et soyeux, avec ces lignes qui semblent avoir été renvoyées à leur auteur : "Madame, je n'ai pu vous voir sans éprouver pour vous les sentiments les plus tendres. Je sais qu'il est impardonnable de vous en avoir fait part. Mais je n'ai pu résister au désir de vous apprendre que je n'aime et n'estime que vous. Si l'amour respectueux, fidèle, et surtout discret, peut ne pas vous déplaire, je jure de vous adorer toute ma vie."

Notes d'auberge, recette de cirage, liste de sobriquets chouanniques ; billet d'Auguste, secrétaire de Frotté, mandant Commarque auprès du général en chef ; deux chansons, l'une "J'aimons que l'on chante gaiement comme faisaient nos pères", l'autre, sur le vin et l'amour : "Las ! je sais borner mes désirs".

On voit combien était léger le bagage de ces hommes d'action. Au milieu de dangers incessants, non seulement ils restaient plein de confiance, mais il trouvaient encore à se distraire avec les sous-entendus de la joyeuse chanson des départements : "Heureux enfin qui te découvre, O département du Mont-Blanc !"

 

Frotté, Commarque et leurs compagnons ont, dans la vieille église de la Madeleine, à Verneuil, un monument en marbre blanc qui leur a été consacré par la Restauration, avec un remarquable bas-relief de David d'Angers. On y lit l'inscription : 

Sicut Machaboei, perierunt hac in urbe anno

1800 die XVIII februar Ludovicus Comes de Frotté,

Dux primarius regii per Neustriam exercitus

ejusque commilitones B° de Comarc, B° d'Hugon,

Saint Florent, du Verdun, Cavalier Duhum,

Paschal

Pro Deo et rege.

La maquette du bas-relief est, avec les oeuvres de David, au musée d'Angers. Il représente les sept officiers royalistes devant le peloton d'exécution. Le génie du grand statutaire s'y révèle dans sa beauté simple et dans tout son éclat. Les attitudes sont pleines de noblesse. Les têtes, où les yeux semblent agrandis, sont admirablement expressives. Commarque est à la droite de Frotté, qui est placé au centre.

 

Rappelons en terminant que, du rocher de Sainte-Hélène, Napoléon lui-même, après avoir subi à son tour les injures de la Fortune et reconnu le prix de la fidélité, a écrit, rendant hommage à ces braves qu'il avait envoyés au dernier supplice : "La France donna la mort à leurs actions et des larmes à leur courage. Tout dévouement est héroïque."

 

J. DE SAINT-GERMAIN

Bulletin de la Société scientifique

historique et archéologique

de la Corrèze

1908

 

Noms des compagnons de Marie Pierre Louis de Frotté, surnommé « Blondel »

Le baron de Commarque

Le baron d'Hugon

DE VERDUN, ou DUVERDUN DE LAMBERVILLE. Véritable nom : Isaac-Gabriel-Auguste DUMONT DE BOSTAQUET DE LAMBERVILLE

Pascal SEGUIRAL. Véritable nom : SECHIUROLI.

Saint-Florent. Véritable nom : Florent-Martin HUDELINE d'HAURICOURT ou D'AUDICOURT

Casimir. En réalité s'appellerait : CAVELIER

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