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La Maraîchine Normande
14 novembre 2017

CLERMONT-FERRAND (63) - UN REGISTRE D'ÉTAT-CIVIL DE L'ANNÉE 1793

UN REGISTRE D'ÉTAT-CIVIL DE L'ANNÉE 1793

 

état civil, Clermont F z

 

Si on faisait un recueil des excentricités de l'histoire de France, des faits singuliers, bizarres, extraordinaires qu'on peut y signaler, on y verrait certainement figurer la campagne menée sur la fin de l'année 1793 contre les noms et les prénoms.


La Constituante avait supprimé les titres, les armoiries, les livrées. Elle avait interdit aux citoyens de prendre d'autres noms que leur nom patronymique. Il semblait que ces prescriptions démocratiques dussent satisfaire les révolutionnaires les plus exigeants, même sous la Convention. Il n'en fut rien. D'autres appellations subsistaient, qui choquaient leurs oreilles en rappelant par leur signification ou leur origine l'époque de la tyrannie des rois, de la puissance de la noblesse, de la superstition religieuse et des inégalités sociales. On déclara la guerre à ces appellations, et on voulut soumettre à une épuration sévère tous les noms, noms de lieux et noms de personnes.

Mise en demeure de s'expliquer sur cette croisade d'un nouveau genre, la Convention, au lieu de rendre un décret en forme, se borna à donner son adhésion, en quelque sorte incidemment, par un ordre du jour. A la séance du 24 brumaire an II (14 novembre 1793), une ci-devant religieuse mariée à un prêtre ayant sollicité l'autorisation d'ajouter à son nom celui de Liberté, Merlin demanda qu'il fût passé à l'ordre du jour, disant que la liberté et l'égalité appartiennent à toute la République, que tous les Français doivent les aimer, mais que personne n'en doit prendre le nom. Tout en réclamant aussi l'ordre du jour, c'est-à-dire en proposant à la Convention de ne pas légiférer sur une pétition de cette nature, le représentant auvergnat Romme, l'un des pères du calendrier adopté, fit valoir d'autres motifs. "Je pense, dit-il, que chacun est libre de prendre le nom qui lui plaît le mieux. Si la Convention consacrait des exceptions motivées selon l'avis de Merlin, il faudrait mettre à l'index la liste des vertus civiles et morales, ce qui serait une violation de la liberté." Et la Convention, se laissant convaincre, adopta l'ordre du jour de Romme et reconnut que "chaque citoyen a la faculté de se nommer comme il lui plaît, en se conformant aux formalités prescrites par la loi".

Quelles étaient ces formalités ? La Convention ne les indiqua pas et pour cause. La faculté reconnue aux citoyens étant absolument nouvelle, les lois et les édits anciens ne pouvaient fournir de précédents pour un cas qu'ils n'avaient pas prévu.

Ne trouvant pas sur ce point dans l'ordre du jour de la Convention des dispositions précises, chaque révolutionnaire procéda à sa guise.

En remplacement des prénoms inscrits sur les actes de baptêmes ou naissances, on s'affubla de noms de prétendus républicains grecs, romains ou français, ou de nom de personnages connus par quelque acte hostile à la tyrannie. Et ces prénoms nouveaux, les uns vinrent les déclarer soit à la commune, soit au district ou au département, soit moins officiellement au sein de la société populaire ; les autres, sans se préoccuper d'une déclaration quelconque, les accolèrent purement et simplement, sans autre formalité, à leur nom de famille. Quelques-uns, des outranciers, ne se bornèrent même pas aux prénoms. Leur nom de famille se trouvant avoir une couleur aristocratique ou religieuse, ils se hâtèrent de s'en débarrasser comme d'un insigne honteux et compromettant, ou bien ils le défigurèrent par des mutilations ou par un badigeon plus en harmonie avec leur foi révolutionnaire.

On a dit que tous ces changements de noms étaient le résultat d' "un mouvement parti des couches profondes de la nation". L'affirmation n'est pas exacte. Autrement, comment expliquer que ce mouvement n'ait point gagné les populations rurales c'est-à-dire la majorité de la nation ? Comment expliquer que dans les villes même, il ait été très restreint ? Comment expliquer enfin que sa durée ait été aussi éphémère ?

Ce mouvement ne fut pas davantage le résultat d'un mot d'ordre, d'un plan général concerté d'avance. Personne à proprement parler n'en fut l'initiateur. Il éclata en quelque sorte spontanément et simultanément dans la plupart des villes de France. Au milieu des circonstances identiques, sous l'action des mêmes causes, des mêmes précédents, il n'est pas étonnant que les mêmes effets se produisent.

La royauté avait disparu. Le culte catholique était aboli, la féodalité anéantie. Dans toutes les provinces on avait fait table rase des institutions établies ; on avait fermé et dépouillé les églises, brûlé les titres et jeté bas les emblèmes qui se rapportaient à la noblesse ou à la religion. Et cependant les démolisseurs, les destructeurs n'étaient pas pleinement tranquillisés. Ils regardaient autour d'eux, et, en vigies prudentes et circonspectes, ils cherchaient à s'assurer si, plus ou moins prochainement, leur sécurité ne serait pas menacée, si leur marche ne risquait pas d'être entravée par quelque écueil ignoré, par quelque épave, si mince qu'elle fût, échappée au naufrage de l'ancien régime.

Le rapport que Romme présenta à la Convention le 20 septembre pour la suppression du calendrier grégorien fut, comme la révélation d'une de ces épaves, d'un de ces vestiges dangereux dont il était indispensable de se débarrasser si l'on voulait ne pas retomber sous le joug de la superstition et de la royauté. Mais ce n'était pas assez que de chasser du calendrier les noms des saints et d'empêcher les nouveau-nés d'être placés comme auparavant sous le patronage de ces canonisés. Il parut à ces fanatiques qu'on devait proscrire l'usage de ces appellations maudites non-seulement pour l'avenir mais même dans le présent, et qu'il fallait de toute nécessité leur substituer d'autres noms capables d'inspirer à tous l'amour de la patrie, l'horreur des prêtres et la haine de la tyrannie, des noms s'accordant mieux en un mot à l'orthodoxie révolutionnaire.

Des changements, des additions de noms ou prénoms avaient eu lieu antérieurement sous l'influence de la peur ou de l'exaltation [Dans le deuxième bataillon des volontaires du Puy-de-Dôme formé en 1793, le capitaine d'une compagnie avait pris le nom d'Eleuthérophile et un de ses lieutenants, celui de Misobusile]. Mais c'est certainement à cette date que l'on peut placer le principal point de départ de la campagne antinominale.

Depuis quelque temps déjà diverses publications avaient d'ailleurs préparé les esprits à la possibilité d'une modification dans la nomenclature des saints du calendrier.

Sylvain Maréchal z

Sur la fin de l'année 1787, un athée, un libre-penseur, Sylvain Maréchal, voulant sans doute porter coup à un usage de la religion catholique, avait imaginé de publier un "Almanach des honnêtes gens" dans lequel il remplaçait les noms de saints catholiques par ceux de personnages illustres pris dans tous les pays et dans toutes les religions [voici par exemple quelques-uns des noms que Sylvain Maréchal place dans le mois d'avril : Le 1, Bayard ; le 3, Jésus-Christ ; le 6, Socrate ; le 7, Platon ; le 12, Bossuet ; le 15, Pindate ou Le Tasse ; le 20, Michel Cervantès ; le 21, Numa Pompilius ; le 24, Vincent de Paule ; le 25, Louis IX ; le 26, Marc Aurèle ; le 28, Shakespeare, etc.]. Ce livre bizarre aurait probablement passé tout-à-fait inaperçu ; mais un arrêt du Parlement du 7 janvier 1788 l'ayant condamné à être lacéré et brûlé par le bourreau, la curiosité publique fut naturellement éveillée. On lut la nouvelle nomenclature à Paris, on la lut dans les provinces. Ce fut une première impression.

Les années suivantes d'autres almanachs parurent, les uns visant à une réforme réelle du calendrier, d'autres purement satiriques et pleins de critiques, de jeux de mots et de plaisanteries plus ou moins spirituelles sur les noms des députés, mais les unes et les autres portant une main profane sur une nomenclature considérée jusque-là comme à l'abri de toute réforme.

Le "Calendrier du peuple franc pour servir à l'instruction publique, rédigé par une Société de philanthropes pour l'an II de la République" (Angers, an II), paraît avoir été l'oeuvre de gens sérieux et convaincus. Il ne se contentait pas de détrôner les noms des saints catholiques pour les remplacer par des noms de personnages célèbres, il changeait aussi le nom des mois et des jours, devançant ainsi le calendrier de la Convention auquel sur quelques point il servit probablement de modèle ; et il n'inscrivait dans chaque mois que des noms de personnages appartenant à une même catégorie. Ainsi Janvier devait s'appeler le mois des frimas et il ne devait figurer sous chacun de ses jours que des noms de législateurs, homme d'Etat, politiques, orateurs (ainsi : Lyeurgue, Solon, Charondas, Platon, Cicéron, Lhospital, Sully, Bossuet, Rousseau, Penn, Turgot, etc.). Février, le mois civique ou du serment ne devait avoir que des noms d'hommes vertueux (par exemple : Cincinnatus, Aristide, Phocion, Agis, Caton, Vauban, Dassas, etc.). Mars ou mois de la liberté, des noms de tyrannicides et amis de la liberté (ainsi entre autres : Brutus, Pelopidas, Sceaevola, Gracchus, Agrippa, Tell, Milton, Francklin, Lepelletier, etc.). Avril ou mois des fleurs des noms de femmes illustres, etc.

Cette même année 1793, à peu près au moment où la Convention accueillait la proposition de Romme sur la suppression du calendrier grégorien, Sylvain Maréchal reparut avec un almanach intitulé : Almanach des républicains pour servir à l'instruction publique. Dans cet almanach, comme dans celui des "Honnêtes gens" tous les saints du calendrier étaient supprimés et remplacés par des hommes plus ou moins célèbres. Dans le mois de Mars par exemple, le mois des pères, on voyait nommer côte à côte, Moïse, Virgile, le poète persan Saadi, Anacharsis, le Tasse, Lhospital, Thémistocle, Turgot, Phocion, Roland, Aristote, Jésus-Christ martyr (sic), Lyeurgue, Miltiade, Aristide, etc.

Tous ces remplacements avaient sans doute paru au premier abord ridicules ou tout au moins singuliers et beaucoup n'y avaient vu qu'une sorte de parodie, de bouffonnerie anti-religieuse. Mais à la fin de 1793, le fanatisme ou la terreur aidant, il se trouva des gens pour applaudir aux propositions de Sylvain Maréchal et de ses imitateurs, et pour en faire l'application.

Dans le département du Puy-de-Dôme, l'agitation onomastique, si l'on peut l'appeler ainsi, se produisit comme dans les autres départements. On y opéra des modifications dans les noms des lieux et dans les noms des personnes ; et, après l'adoption de la nomenclature pittoresque imaginée par Fabre d'Eglantine, les nouveau-nés y reçurent des prénoms tirés du nouveau calendrier officiel. Toutefois, cette agitation ne s'étendit guère.

Parmi les populations rurales où les visées sont essentiellement positives, où l'on ne se paie point de mots, où l'on a d'ailleurs le culte de la tradition et où l'on est réfractaire aux nouveautés, on se soucia fort peu de modifications qui semblaient parfois plaisantes ou grotesques et dont on ne saisissait ni la portée ni l'utilité. A part de rarissimes exceptions, il est avéré qu'aucun paysan, aucun campagnard ne s'avisa d'échanger son prénom contre un autre.

Dans les petites villes, dans les chefs-lieux de district, là où parvenaient les journaux, là où il y avait des centres d'excitation, des foyers d'exaltation mutuelle comme les clubs, les sociétés populaires, les comités de surveillance, les rassemblements militaires, là où les représentants en mission, souverains itinérants, s'arrêtèrent pour tenir leurs assises, il se rencontra un plus grand nombre de ces troqueurs de noms.

Ainsi, à Billom, à Riom, à Besse, à Issoire, à Montaigut, quelques-uns des révolutionnaires les plus attitrés, subissant l'entraînement, s'empressèrent de chercher, le plus souvent dans les listes des almanachs, des noms plus significatifs que ceux inscrits dans leur acte de naissance et surtout plus en harmonie avec les passions dominantes.

Mais dans la plupart des cas, comme aucun règlement n'avait été édicté à ce sujet, ces substitutions de noms ne furent pas constatées officiellement. L'enthousiasme, même lorsqu'il est de commande, dédaigne les formes administratives. Dans les réunions, on se rebaptisait mutuellement, par acclamation. D'autrefois, les citoyens faisaient leur choix isolément et sans solliciter aucune espèce d'investiture. Ainsi firent entr'autres les officiers du cinquième bataillon des volontaires du Puy-de-Dôme qui se décorèrent des prénoms de Cassius, Caton, Horatius, Calas, Lepelletier, Marcius, Châlier, Scaevla, Decius.

Ainsi, à Riom, un des membres du conseil général de la commune, craignant sans doute d'être compromis par son nom de famille, Montroy, ne voulut plus s'appeler que Montlibre. A Billom, un des administrateurs du district remplaça son prénom et son nom patronymique par les noms plus accentués de "Marat la Montagne". A Vic-sur-Allier, ci-devant Vic-le-Vicomte, le secrétaire de la commune, Lachenal, s'octroya le prénom de Platon. A Issoire, le 26 brumaire, dans une réunion de la société populaire présidée par Couthon, un certain nombre de citoyens, l'un excitant l'autre, abdiquèrent le nom de saint qu'ils portaient pour prendre ceux de Curtius, Marat, Lepelletier et autres, et, ajoute l'auteur de la lettre où est racontée cette séance : "Moi qui étais présent à la séance, j'abdiquerai celui d'Antoine pour prendre celui de Brutus.

Quelques-uns des troqueurs cependant, plus fanatiques ou plus méthodiques et plus scrupuleux, voulurent l'intervention d'une autorité constituée pour consacrer les nouveaux noms qu'ils s'étaient attribués.

Ainsi à Issoire, un sieur Bayle "qui voyait", disait-il, "avec la plus douce satisfaction la vérité succéder à l'erreur et le culte de la raison au fanatisme religieux", vint requérir le district d'avoir à prendre note de l'intention où il était de changer le nom de "Pierre" qui lui avait été donné au baptême pour celui de "Châlier, l'un des martyrs de la liberté". A Montaigut-en-Combrailles, un citoyen André Chevalier, se disant "vrai sans-culottes", obtint du district un arrêt l'autorisant à se dépouiller de noms qui rappellent la tyrannie féodale. "Vu la pétition, disait cet arrêté, l'assemblée jalouse de saisir toutes les occasions qui lui présentent l'heureux avantage de contribuer à faire oublier jusqu'au nom de ces monstres qui ont privé pendant dix-huit siècles les humains de la douce jouissance de la liberté et de l'égalité, et voulant donner au citoyen Chevalier, vrai sans-culottes, une preuve non équivoque de son affection, ouï le procureur syndic, ARRÊTE que le citoyen André Chevalier qui a jusqu'à ce jour porté ces noms et prénoms, s'appellera désormais Fervidor Valier, qu'il demeure en conséquence autorisé à signer ainsi tous les actes qui exigeront sa signature ; que pour prévenir toutes erreurs et préjudices que pourrait occasionner ce changement, il lui sera permis de faire imprimer le présent arrêté jusqu'à concurrence de cent exemplaires. Fait et délibéré en conseil général du district de Montaigut, le 7 frimaire de la 2e année de la République française".

A Clermont, dès le 10 brumaire, les administrateurs du district, statuant sur la demande à eux présentée par leur secrétaire Etienne Dartois, ancien secrtaire de l'assemblée d'Election de Clermont, lui accordèrent la permission de prendre le nom d'Etienne Botte. Sous ce nom très roturier, le citoyen Dartois espérait évidemment avoir moins de chance d'être suspect qu'en continuant à s'appeler comme le second frère du roi Louis XVI. Le fanatisme n'était pour rien dans sa détermination.

Si les districts se prêtaient volontiers à enregistrer les changements demandés, ils n'avaient, à vrai dire, aucune qualité pour le faire, leurs attributions ordinaires n'ayant aucun rapport avec l'état civil des citoyens. Seules, les administrations municipales, auxquelles la loi de 1792 venait de confier la tenue des registres de naissances, mariages et décès, pouvaient se croire fondées à jouer un rôle dans la circonstance. Aussi quelques-unes, celle de Clermont notamment, ne négligèrent-elles pas de s'attribuer ce qu'elles considéraient comme leur droit exclusif.

On était à la fin de brumaire an II. Les représentants Couthon et Maignet venant de Lyon étaient rentrés à Clermont, et, avant de retourner à Paris, s'occupaient à perfectionner l'oeuvre de réforme révolutionnaire qu'ils avaient commencée dans le département du Puy-de-Dôme.

Couthon n'était pas l'ami des cérémonies catholiques non plus que celui des saints du calendrier ; il l'avait montré en ordonnant l'impression et la distribution de certains couplets satiriques intitulés : Litanies des convertis en monnaie, dont il avait en communication Ambert. Il l'avait montré plus encore en faisant analyser la relique du Précieux Sang conservée à Billom et en présidant les réunions iconoclastes d'Issoire. Il n'est donc pas étonnait qu'il ait abandonné alors son prénom de Georges pour adopter celui d'Aristide que les sociétés populaires lui avait conféré.

Couthon z

Toutefois, il est à croire que si Couthon avait attaché une importance capitale et immédiate à la déchéance du patronage des saints, il aurait, étant présent à Clermont, réclamé en tête du nouveau registre de l'état-civil. S'il avait considéré comme un article de foi patriotique l'expurgation obligatoire des noms des citoyens, il aurait certainement pris un arrêté analogue à celui qu'Alexis Monteil met sous la plume d'un représentant en mission, en ces termes : "A. Chambre, représentant ... ARRÊTE : Tout citoyen portant un nom de tyran, tel que le roi, l'empereur, le prince ; ou de noble, tel que le duc, le marquis, le comte, le baron, le chevalier, l'écuyer ; ou de féodalité, tel que château, du châtel, latour ; ou de modéré, tel que le doux, la rose, la violette, le gentil, petit-pas ; ou rappelant la superstition, tel que Martin, Bernard, Benoît, pourra en changer et en prendre un de républicain grec, romain ou français, ou d'époque révolutionnaire, ou de production minérale, végétale, animale, ou d'instrument d'agriculture, ou enfin de meuble, à la charge toutefois d'en faire la déclaration à la municipalité".

Au lieu de cela, dans son arrêté du 24 brumaire relatif aux cultes, Couthon se contenta d'ordonner d'une manière générale "la destruction de tous les signes extérieurs des cultes" sans rien spécifier pour les noms des saints catholiques. Enfin, il ne conserva son nouveau nom d'Aristide que pendant quelques semaines.

Mais si les changements de prénoms ne lui paraissaient pas comme absolument indispensables, il n'avait garde cependant de leur montrer de l'hostilité. Membre de la Montagne conventionnelle, entouré de sectaires soupçonneux, il était fatalement condamné à ne pas se laisser dépasser en faveur révolutionnaire, à faire bon visage à toutes les utopies et à souscrire à toutes les mesures imaginées par le fanatisme et l'intolérance.

Il avait laissé modifier son prénom ; il ne pouvait qu'être favorable aux dispositions ayant pour but d'encourager les citoyens à adopter des modifications de même nature. C'est donc certainement avec son approbation, sinon sur son initiative, que le 25 brumaire an II (15 novembre 1793), avant même de connaître l'ordre du jour motivé voté la veille par la Convention, la municipalité de Clermont se fit autoriser par le conseil général de la commune à ouvrir un nouveau registres d'état-civil. Ce registre, destiné à recevoir les déclarations de changements de prénoms, avait pour but de régulariser ainsi, en leur donnant une apparence officielle, les modifications apportées aux actes antérieurs.

La mesure était louable sans doute en ce qu'elle devait parer aux inconvénients qu'un défaut de constatation ne pouvait manquer de produire dans l'avenir. Mais elle n'était pas en rapport avec la réalité des choses. Là où il n'y avait qu'une agitation superficielle très circonscrite et sans durée possible, les officiers municipaux de Clermont, trompés par leur ferveur révolutionnaire, avaient cru voir comme une sorte de grand courant qui, sorti des profondeurs de la nation, allait, en vulgarisant le nom des héros du patriotisme, aider à la propagation des idées nouvelles que la Révolution avait fait éclore. Et ils étaient persuadés que peu à peu ce courant ne pouvait manquer d'entraîner toutes les classes des citoyens.

Ils ne tardèrent pas à être désabusés.

Le dépouillement du registre ouvert d'après leurs vues, dans le chef-lieu du département, c'est-à-dire dans la ville la plus populeuse de la région, celle qui comptait le plus de sans-culottes, le plus de fanatiques, ce dépouillement sera la meilleure démonstration du caractère factice de ce prétendu courant national et du peu d'étendue de son action dans le département du Puy-de-Dôme.

En tête de ce registre d'état-civil de nouvelle sorte, se lit la mention suivante : "Le présent registre composé de deux cents feuillets et destiné à recevoir les déclarations des citoyens qui voudront changer leurs noms et prénoms, conformément à l'arrêté du conseil général de la commune, du 25 brumaire de l'an second de la République française une et indivisible, a été coté et paraphé à chaque feuillet par moi soussigné premier officier municipal de la commune de Clermont-Ferrand le 27 brumaire de l'an second de la République française une et indivisible. Signé : VERDIER-LATOUR, officier municipal."

Sur les deux cents feuillets, ou 400 pages, dont ce registre se composait à l'origine, dix-neuf pages seulement ont été utilisées. Ces dix-neuf pages contiennent soixante-quatre déclarations, dont sept de changements de noms et prénoms, et cinquante-sept de renonciation à prêtrise sans autre modification.

Sauf une fois où interviennent des témoins pour corroborer la demande d'une jeune fille de sept ans qui veux substituer le nom de Clélie à celui de Marie, les déclarations sont uniquement signées par ceux qui changent de noms et contresignées par un ou plusieurs officiers municipaux. En majeure partie, ces déclarations sont conçues en termes administratifs, sans réflexions ni récriminations. Elles mentionnent simplement que le déclarant entend porter désormais le nom de ... au lieu de celui qui lui avait été donné à l'époque de sa naissance. Il n'y en a que huit où les comparants indiquent, plus ou moins brièvement le mobile auquel ils ont obéi, la raison qui a motivé leur démarche. L'un dit qu'il renonce au prénom "que le fanatisme religieux lui avait donné à l'époque de sa naissance". Un autre déclare, "qu'en vrai sans-culottes et en bon républicain, il veut prendre et porter désormais le prénom de Rousseau au lieu et place de Blaise qui lui avait été donné lors de sa naissance, ajoutant que le prénom de Rousseau est analogue à son caractère". D'autres, qui changent à la fois de noms et de prénoms ne veulent plus de ces dénominations "qui leur avaient été données à l'époque de leur naissance et qui rappelant des idées de fanatisme et de féodalité ne peuvent plus convenir à un bon républicain". Un autre, le fils d'un notaire, craignant sans doute qu'on n'interprète mal son inscription tardive sur le registre, déclare qu'il veut porter et "s'est donné depuis un moi le prénom de Diogène".

Des soixante-quatre déclarations que contient le registre, quarante-quatre ont été faites dans les cinq ou six premiers jours (les 27, 29 et 30 brumaire, 1 et 3 frimaire). Puis le mouvement se ralentit, pour cesser bientôt complètement. La première déclaration inscrite porte la date du 27 brumaire an II (17 novembre 1793), et la dernière celle du 3 nivôse an II (2 janvier 1794). L'agitation onomastique n'a donc eu d'effet constaté à Clermont que pendant un mois et demi.

Si l'on décompose le personnel des déclarant, on trouve que sur soixante-quatre, dont trente-six seulement sont originaires de Clermont, il y a six fonctionnaires civils, juges, juges de paix ou greffiers ; - cinq militaires, officiers de la garde nationale ou vétérans ; - sept officiers municipaux, notables ou membres du conseil général de la commune ; - un homme de loi ; - sept employés du département ou de la municipalité ; - deux professeurs ou instituteurs ; - sept marchands ; - huit anciens prêtres ou religieux (sans compter ceux qui renoncent simplement à la prêtrise ; - neuf enfants ou jeunes gens (dont 3 jeunes filles) de moins de vingt-cinq ans ; - et douze individus non spécialement qualifiés.

Presque tous ces déclarants appartiennent à la bourgeoisie. Il n'y en a que trois tenant à la noblesse : l'ancien colonel de la garde nationale de Clermont, le général comte de Chazot, qui choisit le prénom de Thémistocle ; - Claude-Alexis Mabru, anobli par l'exercice d'une charge de trésorier de France à Riom, qui échange ses prénoms contre celui de "Châlier" ; - et enfin le neveu de M. Guerrier de Besance, premier président de la Cour des Aides, qui vient répudier ses noms de Joseph-Edouard du Mazet pour prendre ceux de Phocion Mazet.

En revanche, aucun véritable ouvrier, aucun journalier ou cultivateur ne figure parmi ces 64 débaptisés. Chose singulière aussi, l'administration départementale, composée de Jacobins purs, triés par Couthon, et qui devrait ce semble donner l'exemple en cette circonstance, n'est représentée que par son secrétaire général. Abraham. Manquent également la plupart des juges du tribunal, des membres du district et de ceux du conseil général de la commune. Les officiers municipaux, promoteurs de la création du nouveau registre ne sont même pas tous parmi les troqueurs de noms. Bien plus, si parmi ceux dont la signature est au registre pour certifier les déclarations, quelques-uns comme Verdier-Latour (Bias Verdier), comme du Mazet (Phocion Mazet), comme Truchon (Eusope Truchon), comme Montaloi (Fabricius Montaloi), n'ont pas voulu être les derniers à se débaptiser, d'autres comme les citoyens Habriac, Imbert, Leymery, n'ont pas jugé à propos de faire des déclarations personnelles et de se débarrasser à leur tour de leur nom de baptême.

Peut-être faut-il attribuer en partie ces abstention au respect humain ! Beaucoup, même parmi les sans-culottes connaissent, sinon le texte, au moins la signification du dicton latin : verba volant, scripta manent. Or, tenir des propos virulents, intolérants, enfler la voix, renier ses paroles, ses opinions, ses croyances passées, changer de nom, s'affubler dans les réunions d'une dénomination grecque ou romaine, tout cela n'est ni bien difficile, ni bien dommageable. Il ne doit point en rester de traces. Mais, faire dresser acte de ce changement dans un registre destiné à survivre et à être conservé, se vouer peut-être ainsi, soi et les siens, au ridicule pour de longues années ! Il y a là de quoi inspirer de fortes réflexions à ceux que le fanatisme et l'esprit de secte n'a pas tout à fait aveuglés, de quoi arrêter ceux qui n'ont pas une conviction bien affermie.

Est-ce bien d'ailleurs une conviction véritable qui a amené à la Maison commune les soixante-quatre troqueurs de noms mentionnés dans le registre ? Quelques-uns sont sincères, cela n'est pas douteux. Mais parmi les autres, il y a dix enfants ou jeunes gens dont cinq ayant moins de treize ans. Est-ce qu'on peu les croire conscients de la démarche qu'ils viennent de faire ? Mais sur les huit prêtres ou religieux déclarants, il y en a quatre ou cinq dont le sans-culottisme ne semble vraiment pas de bon aloi, à en juger par les noms qu'ils ont choisis. Ce sont des noms d'une signification bien inoffensive, bien terne, bien peu tapageuse pour l'époque. Ainsi, un ancien chanoine de Montferrand veut s'appeler Juvénal ; un autre, un religieux bernardin, prend le nom d'Arsène ; un troisième, celui d'Agricola ; un ci-devant bénédictin, celui de Démocrite ; un autre enfin celui de Miton. Peut-on voir dans ces changements-là de véritables manifestations antireligieuses et antimonarchiques ? Que dire aussi d'une jeune fille de 24 ans qui se décerne le nom d'Eléonore en remplacement de celui d'Antoinette, lequel, dit la déclaration, rappelant des idées de fanatisme ne plus convenir à une bonne républicaine ? Cette déclaration n'est-elle pas évidemment dictée par le désir d'échapper aux risques que pouvait occasionner un prénom porté par la femme du tyran Louis XVI ?

Si le nombre restreint des mutations enregistrées à Clermont indique le peu de popularité du travestissement prénominal imaginé par le fanatisme, la nature des prénoms choisis prouve également, ce qui du reste a été maintes fois contesté, qu'en Auvergne les innovations politiques ou autres sont d'ordinaire assez froidement accueillies par le plus grand nombre, et que, parmi ceux-là même qui s'y soumettent, il ne se rencontre que fort peu d'exaltés.

Ainsi pour quelques prénoms à allure ou signification violente : - 2 Marat, - 1 Châlier, - 1 Brutus, - auxquels on peut ajouter 7 Tell, bien que Guillaume Tell personnifie moins la haine des rois que l'amour de l'indépendance, on trouve dans le registre de la municipalité de Clermont : 15 noms de philosophes ou écrivains grecs, 15 noms de personnage plus ou moins marquants de l'histoire romaine, 6 Rousseau, 2 Emile, 3 Franklin, 2 Libre, 1 Penn, 1 Equaire (mis pour Equerre, sans doute, et emprunté au formulaire maçonnique), 4 appellations abstraites : Egalité, l'Unité, la Raison, Montagne et 4 prénoms - Miton, Arsène, Dassas, Eléonore - sans aucun rapport apparent avec les intentions révolutionnaires des promoteurs de la réforme.

A quel moment disparut la mode des nouveaux noms ? Il serait difficile de formuler une indication précise à cet égard. Les modes, les usages prennent fin par désuétude, insensiblement et non pas subitement, brusquement, à un signal donné. A en juger par la date de la dernière déclaration insérée dans le registre d'état-civil dont nous avons fait le dépouillement, par la date aussi de la lettre où Couthon se reprenait à signer Couthon tout court, sans adjonction d'Aristide, on peut dire qu'à partir du mois de pluviôse an II (février 1794), il ne se produisit, en Auvergne du moins, presque plus de changements. La plupart des rebaptisés négligèrent dès lors l'emploi des désignations dont ils s'étaient affublés et revinrent peu à peu à leurs anciens noms.

Postérieurement à cette date nous avons cependant à mentionner un changement, le dernier probablement qui se produisit dans le département du Puy-de-Dôme. C'est celui qui fut effectué après le 9 thermidor par le frère et le fils du conventionnel Couthon. Le 30 thermidor an II, Pierre Couthon, notaire à Orcet près Clermont-Ferrand, vint déclarer au conseil général de sa commune "que les circonstances ne lui permettant point de conserver plus longtemps le nom propre sous lequel il a été connu jusqu'à présent", il est dans l'intention de l'abdiquer et de signer désormais du nom de sa mère, "Lafon", les actes qu'ils recevra comme notaire. Et aussitôt, le conseil de la commune "ne trouvant aucun inconvénient à ce changement de nom, autorise la substitution de Pierre Lafon à Pierre Couthon. Le même jour, le sieur Brunel, beau-père de Couthon et maire d'Orcet, vient faire pareille abdication au nom d'Antoine Couthon, son petit-fils mineur qui s'appellera à l'avenir Antoine Brunel du nom de sa mère.

La Convention ne tarda pas d'ailleurs à se prononcer formellement contre la réforme avortée. Le 4 fructidor an II (21 août 1794), Bréard, député de la Charente-Inférieure fit adopter en principe une proposition défendant à tout Français de porter d'autre nom que le nom de son père. "Croyez-vous, dit-il, que les gens qui sont venus à notre barre en se parant du nom de Socrate eussent bu la ciguë si on la leur eût présentée ? Non, non. Ils l'eussent rejetée bien loin, et vous n'auriez plus aperçu en eux que l'intrigant et l'imposteur. Ce n'est pas les noms des hommes illustres de l'antiquité qu'il faut usurper ; ce sont leurs vertus qu'il faut imiter, qu'il faut surpasser s'il est possible". Et, deux jours après, le 6 fructidor, sur le rapport de Cambacérès, la Convention adopta un décret ainsi conçu :

Article 1. - Aucun citoyen ne pourra porter de noms ni de prénoms autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. Ceux qui les auront quittés seront tenus de les reprendre.

Art. 2. - Il est également défendu d'ajouter aucun surnom à son nom propre à moins qu'il n'ait servi jusqu'ici à distinguer les membres d'une même famille, sans rappeler des qualifications féodales ou nobiliaires.

Art. 3. - Ceux qui enfreindront les dispositions des deux articles précédents seront condamnés à six mois d'emprisonnement et à une amende égale au quart de leurs revenus. La récidive sera punie de la dégradation civique.

Ce décret n'éprouva guère d'opposition parmi les représentants. Éclairée par une expérience de plusieurs mois, la Convention comprenait qu'elle avait fait fausse route en votant son ordre du jour du 24 brumaire, c'est-à-dire en autorisant les sectaires à pousser à la révision des noms et prénoms, autrement dit à la destruction d'actes publics parfaitement réguliers ; et en laissant, d'autre part, à chacun la liberté d'accepter ou de refuser toute modification, ce qui établissait deux catégories, contrairement au principe de l'égalité devant la loi. Elle avait pu apprécier aussi combien un tel remaniement était mal accueilli ; combien il avait peu de chance d'être adopté par la majorité de la nation, s'il était laissé facultatif ; et enfin quelle profonde perturbation il apporterait dans les traditions et les habitudes aussi bien que dans les relations des diverses classes de citoyens, s'il était rendu obligatoire.

Libre z

Un registre d'état-civil de l'année 1793 par Francisque Mège - 1891

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