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La Maraîchine Normande
17 mai 2016

LASSAY-LES-CHÂTEAUX (53) - LE CHÂTEAU DE BOIS-THIBAULT - LA FAMILLE DE TOURNÉLY SOUS LA RÉVOLUTION

LE CHÂTEAU DE BOIS-THIBAULT.

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La construction du château de Bois-Thibaut remonte au XIIe siècle. Il fut autrefois le fief le plus important de Lassay. 

 

Le Bois-Thibault vue du ciel

 

Il se compose d'une enceinte à peu près rectangulaire entourée de murailles et flanquée de quatre tours défendues par des fossés en partie comblés. Au Sud-Ouest et au Nord-Ouest, deux corps de logis sont reliés par un porche d'entrée.

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Le pont-levis a été remplacé par une chaussée de pierre élevée dans les fossés. Le porche d'entrée présente encore sa vieille porte de chêne à deux vantaux garnie de gros clous. Dans la cour intérieure le corps de logis qui s'élève à gauche est de beaucoup le plus important. Il est constitué par deux bâtiments perpendiculaires, l'un à l'autre.

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Dans leur angle intérieur se dresse une tour de forme octogonale qui renferme l'escalier. Cet escalier, d'une hauteur de trente mètres, est formé de larges dalles de pierre et sa pente est si douce qu'on raconte qu'un cheval pouvait le monter jusqu'au grenier, notamment pour y transporter le blé. Il n'en reste plus que quelques marches. Ce corps de logis est flanqué à ses deux extrémités de deux grosses tours rondes.

 

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Sous les deux ailes de ce corps de logis s'étendent de magnifiques caves voûtées. Leur entrée se trouve sous le pignon Est. Elles sont formées d'une double rangée d'arcades reposant sur de gros piliers trapus sans aucune ornementation.

A droite du porche d'entrée s'élève un autre corps de logis moins important. Il est séparé du porche par une haute tour à pans coupés qui contient un escalier de pierre.

En bas se trouvaient les cuisines avec une cheminée et le four à pain. Au premier étage, ce bâtiment est relié à la tour de l'escalier par un balcon de pierre au grâcieux accoudoir. Derrière lui s'ouvre une large baie divisée en deux parties par un pilier de pierre. 

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Dans le coin Sud-Est, se trouve une autre grosse tour.

Les toitures non entretenues se sont effondrées, entraînant les planchers dans leur chute et les hautes cheminées à hotte restent accrochées aux murailles où les embrasures sans fenêtres font comme des blessures béantes. A remarquer la monumentale cheminée de ce qui fut la salle des gardes et sans doute aussi la cuisine du château, cheminée assez vaste pour cuire les repas de l'importante troupe armée qui y tint garnison sous Charles VII.

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Armes famille de Logé

Le plus ancien seigneur du Bois-Thibault dont l'existence nous soit connue est HERBERT DE LOGÉ, qui vivait à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, et était sénéchal de Juhel II de Mayenne. Les de Logé portaient pour armes "d'azur à la quintefeuille d'argent". Ils étaient, semble-t-il, originaires de la paroisse de la Lande de Longé, près de Briouze, en Normandie. Il mourut peu d'année après 1225 ; mais avant sa mort, il avait fondé dans son manoir du Bois-Thibault une chapelle placée sous l'invocation de Sainte-Catherine. Son fils aîné, Hamelin devint alors seigneur de Bois-Thibault, puis Herbert II - Hamelot -  Herbert III - puis ce fut Geoffroy de Logé et enfin, Jehan Ier de Logé, Jean II (vers 1370), Jean III, Jean IV.

Vers 1423, une Compagnie d'Écossais au service du roi de France en délogea les Anglais, mais en fut chassée à son tour par le duc d'Alençon qui voulait les punir d'être devenus par leurs déprédations le fléau du pays.

Les héritières abandonnèrent Bois Thibault pour se réfugier en Anjou ou l’aînée fit la connaissance d’un Seigneur du Pays : Jehan III du Bellay qu’elle épousa bien qu’elle n’eut que douze ans en 1429 et à qui elle apporta les terres de Bois Thibault.

Non loin du château se trouvait la chapelle Sainte-Catherine où furent inhumés des membres de la puissante famille des du Bellay, qui par le mariage de Jean du Bellay avec Jeanne de Logé en 1429, succédèrent dans la possession du fief de Bois-Thibault aux seigneurs de Logé dont il était l'apanage depuis le XIIe siècle.

Le château fut alors détruit puis reconstruit en 1450 par Jehan du Bellay. Il n'en reste que ce que l'on voit à droite de la porte d'entrée. La partie gauche fut édifiée au XVIe siècle par Louis du Bellay, grand architecte de Paris et conseiller du Parlement. 

Ce Jean du Bellay, qui mourut en 1482, est réputé fondateur du château actuel. Louis du Bellay, archidiacre de Paris, mort en 1541, construisit le grand corps du logis Nord-Ouest. Il fut cousin de l'évêque du Mans et conseiller au parlement de Paris.

 

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Louis du Bellay avait commandé à un des meilleurs enlumineurs du temps un missel destiné à celle-ci et orné en tête d'une superbe image coloriée le représentant lui-même en robe de conseiller du Parlement, présenté par saint Louis, son patron, à sainte Catherine qui était à la fois la patronne de sa mère, Catherine de Beaumont, et celle de la chapelle du Bois-Thibault. Le missel en question avait été achevé en l'année 1531, comme nous l'apprend la légende inscrite au bas de l'image qui figure à son frontispice : "Ce présent livre a esté donné à la chapelle de Madame Sainte-Catherine par Noble et discrète personne Monsieur Maiste Loys du Bellay, conseiller du Roy, nostre sire, en la court de Parlement, grand archidiacre de Paris et seigneur du Bois-Thibault. Achevé l'an mil Ve XXXI. Priez Dieu pour luy".

Tombée aux mains des ligueurs, le château fut assiégé en 1590 par L'Estelle, gouverneur de Mayenne qui, malgré ses canons dut se retirer.

Le 15 juin 1598, Hurault de Villeluisent, gouverneur du château de Lassay, seigneur de Bois-Froult et qui était du parti de Henri IV, entendant la messe dans la chapelle du château de Lassay, fut assassiné avec quatre de ses soldats par Charles du Bellay, seigneur de Bois-Thibault et sa troupe.

Les seigneurs du Bois-Thibault eurent de nombreux et retentissants procès à soutenir contre leurs suzerains, les seigneurs de Lassay.

La jeune Marie du Bellay, morte en 1663, fut la dernière "Dame du Bois-Thibault". Sa mère, Renée de la Marzelière, après avoir été tutrice de ses biens, eut la terre du Bois-Thibault en paiement de sa dot et de ses reprises, ce qui eut pour effet de faire passer le château entre des mains étrangères.

Les petits-neveux de la nouvelle châtelaine, les deux frères du Matz du Brossay, eux-mêmes arrière petit-fils par leur mère, de Bertrand du Guesclin, devaient, en dépit d'une saisie du domaine, prendre le titre de seigneurs de Bois-Thibault comme héritiers de Renée de la Marzelière, sans que la loi les eussent reconnus comme tels.

Enfin le 6 juillet 1762 une sentence des Requêtes de l'hôtel adjugea Bois-Thibault à Léonor-François de Tournély, chevalier, seigneur des Aulnais.

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FAMILLE DE TOURNÉLY

Les Tournély, gentilshommes confirmés dans leur ancienne noblesse par un arrêt de la cour des aides du 2 mars 1764, étaient originaires de Mieuxée, dans les environs d'Alençon, où ils possédaient depuis le milieu du XVIIe siècle la terre des Aulnais.

Fils de Léonor-Augustin de Tournély, écuyer, sieur des Aulnais, et de Marthe-Suzanne Thouars, le nouvel acquéreur de la terre du Bois-Thibault avait longtemps servi dans la deuxième compagnie des mousquetaires du roi ; en 1754, il s'était marié avec Catherine-Gabrielle de Villiers, fille de René de Villiers, seigneur de Heslou, la Bunache, et autres lieux, et de Marie-Marguerite des Moulins ; devenu veuf, il avait épousé en secondes noces, par contrat du 22 juin 1761, Jeanne-Mathurine du Plessis, fille de Messire François-Paul du Plessis, écuyer, sieur de Mongenard, et de Jeanne Le Clerc de la Provosterie, descendante du fameux Guillaume Le Clerc, sieur de Crannes, annobli à la fin du XVIe siècle pour avoir remis la ville de Laval sous l'autorité du roi Henri IV.

Pendant les deux premières années qui suivirent leur acquisition de la terre du Bois-Thibault, Léonor-François de Tournély et sa femme, qui avaient alors leur principale résidence dans la ville de Laval, paroisse de la Trinité, ne semblent pas avoir habité le manoir qui nous intéresse. C'est que celui-ci, ... avait besoin d'importants travaux de réparation, et c'étaient évidemment ces travaux qui avaient retardé l'installation des nouveaux seigneurs. Tout le grand corps du bâtiment était, sinon en ruine, du moins très dégradé et presqu'à découvert par suite du mauvais état de ses toitures. Assurément Léonor-François de Tournély ne pouvait songer à le restaurer tout entier ; cela eût été trop coûteux. Laissant donc l'aile du nord tomber de plus en plus en ruine, il se contenta de refaire la toiture de l'aile de l'ouest en l'abaissant un peu, ce qui l'obligea de couper une partie des pignons et de substituer aux anciennes lucarnes en pierre du XVIe siècle les lucarnes en bois, sentant bien leur XVIIIe siècle, qui déparent l'ensemble de l'édifice.

A l'intérieur de l'aile ainsi recouverte par lui, il sépara la grande salle du rez-de-chaussée en deux pièces au moyen d'une cloison et il opéra sans doute la même séparation dans la grande salle du premier étage. Ce ne fut pas tout. C'est lui encore qui dans la muraille extérieure du château, entre le porche d'entrée et la tour carrée, fit ouvrir la malencontreuse fenêtre à balcon en fer qui choque de ce côté tous les archéologues et les gens de goût. Il dut enfin remettre en état selon le goût de son époque l'antique chapelle Sainte-Catherine.

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Telles furent incontestablement les travaux de restauration accomplis au Bois-Thibault, avant de s'y installer, par l'acquéreur de 1762 ; puis vers la fin de l'été de 1764, il y transféra, semble-t-il sa résidence. Ce qui est certain, c'est que le 19 février 1765, nous voyons Léonor-François de Tournély et dame Jeanne du Plessis tenir sur les fonts de l'église Saint-Fraimbault-de-Lassay l'un des fils jumeaux de Jacques Marcadé, "garde au Bois-Thibault", et de Julienne-Marie Beschet ; l'autre jumeau avait pour parrain Messire Pierre du PLessis, écuyer, et pour marraine Renée Bourdais.

Le seigneur et la dame de Bois-Thibault habitaient donc à cette époque leur manoir nouvellement restauré. Ce fut également dans ce manoir que Jeanne-Mathurine du Plessis de Mongenard accoucha, le 5 novembre 1765, de son troisième fils (elle en avait déjà eu deux ; François de Paule et Léonor-François) ; ce dernier fils, baptisé le même jour en l'église de Saint-Fraimbault-de-Lassay, reçut les noms de Fidèle-Armand et eut pour parrain et marraine, Daniel-Jean Marcadé et Renée Bourdais. Le père de l'enfant était qualifié sur le registre paroissial : "chevalier, seigneur du Bois-Thibault, du Hazay, Sainte-Marie-du-Bois et Thuboeuf" ...

L'année suivante, le seigneur du Bois-Thibault qui venait, évidemment, de restaurer la chapelle Sainte-Catherine, présenta une requête à Charles-Louis de Froullay, alors évêque du Mans, par laquelle il sollicitait la réduction des "messes dont la chapelle Sainte-Catherine, fondée et desservie au château de Bois-Thibault", pouvait "être chargée", demandant que celles-ci fussent commuées et fixées "pour être dites et célébrées tous les jours de dimanches et fêtes dans la dite chapelle par le chapelain qui en sera pourvu à l'intention des fondateurs d'icelle", et aussi qu'il fût permis "d'inhumer, dans la dite chapelle, et dans le petit cimetière adjacent, les seigneurs propriétaires du dit château, leurs enfants et domestiques, par le sieur curé de Saint-Fraimbault, ou autre prêtre qu'ils commettront". Cette requête ayant été prise en considération par l'autorité épiscopale, celle-ci commit le sieur Ponthault, curé de Saint-Loup-du-Gast, pour se transporter sur les lieux et faire une enquête. Il apparut par le procès-verbal de cette enquête que "la dite chapelle était en bonne et suffisante réparation, bien décorée, suffisamment munie de toutes les choses nécessaires pour la célébration des saints mystères : que "le cimetière était clos de murs" et contenait "une grande croix de pierre avec deux marches" ; que l'on n'avait point "représenté le titre de fondation de la dite chapelle, n'ayant pu le rencontrer" : que l'on avait "seulement représenté trois anciens aveux rendus aux seigneurs suzerains par les seigneurs de Bois-Thibault", lesquels "déclarent que la dite chapelle est d'ancienneté scituée au lieu du Bois-Thibault, fondée et dédiée d'ancienneté à Sainte-Catherine" ; qu'elle avait "Corpus domini et services à toutes les bonnes fêtes" ; que l'on avait "coutume d'y enterrer les seigneurs, dames et enfants du dit lieu du Bois-Thibault et les serviteurs et métayers des environs" ; que "le revenu de la dite chapelle consistait dans une rente seigneuriale de neuf livres et sur le lieu de la Prêtrie affermé dix livres, dont le titulaire" était "tenu de faire les réparations et réfections ainsi que de la dite chapelle" ; que "le seigneur du Bois-Thibault, pour sa commodité et celle de sa famille, en profitant de la fondation de la dite chapelle, vu l'éloignement de la paroisse et la difficulté des chemins, désirait que les messes fondées fussent réduites aux seuls jours de dimanches et de fêtes, et célébrées dans la dite chapelle par les titulaires ou autres prêtres, sçavoir le dimanche à l'intention des fondateurs, et les fêtes à l'intention du titulaire, vu la modicité du bénéfice" ; que le dit seigneur désirait "aussi que le dit cimetière fût béni et qu'il fût permis de faire inhumer dans la dite chapelle au cimetière les seigneurs et dames du dit château, enfans et domestiques, par les sieurs curés de Saint-Fraimbault ou leurs représentants".

Dès qu'il eut pris connaissance du procès-verbal relatant le résultat de l'enquête, Charles-Louis de Froullay s'était empressé d'accorder à Léonor-François de Tournély la faveur qu'il demandait, puis quelques jours après, sur la présentation qui lui avait été faite, par ce même seigneur, de Me Jacques Le Marchand, "prêtre du diocèse du Mans, demeurant à Lassay", comme chapelain de la chapelle Sainte-Catherine vacante par la mort de Me J.-B. Bignon, il avait conféré le bénéfice en question au dit Me Jacques Le Marchand.

La chapelle Sainte Catherine du Bois-Thibault ne tarda pas, hélas ! à servir de lieu de sépulture, conformément à la permission accordée par l'évêque du Mans. Dès le 11 février 1767, le vicaire de Lassay y enterrait le corps d'Armand-Victor-Gabriel, fils de Laurent-Jacques Marcadé, garde de chasse de M. de Tournély, et de Julienne-Marie Bescher, décédé du même jour, âgé de deux ans ou environ ; et le 15 juin suivant, c'était un des enfants du seigneur du Bois-Thibault, ce Fidèle-Armand né le 5 novembre 1765 qui y était enterré à son tour ...

L'année suivante, à la date du 24 août, une cérémonie plus gaie pour le seigneur et la dame du Bois-Thibault avait lieu dans l'église de Saint-Fraimbault-de-Lassay : Jeanne-Mathurine du Plessis de Mongenard était accouchée dans son manoir d'un fils, et ce jour-là les cloches de l'église paroissiale sonnaient joyeusement en l'honneur du baptême de l'enfant qui reçut les prénoms de Jean-Pierre et eut pour parrain le garde Marcadé et pour marraine la femme de celui-ci.

Un projet d'aveu rédigé par Léonor-François de Tournély dit ceci, à propos de la chapelle Sainte-Catherine : Sous l'une des croix peintes sur le mur de l'intérieur, on lisait : "Indulgences plénières accordées à ceux qui visiteront et donneront de leurs biens à la dite chapelle, approuvées par le cardinal de Bourbon, évêque du Mans. Ces indulgences ont été accordées à Louis du Bellay, grand archidiacre de Paris, conseiller au parlement, seigneur de Bois-Thibault". On voyait également dans cette chapelle, au côté droit de l'autel, un mausolée dont la statue, brisée en plusieurs morceaux, représentait l'archidiacre du Bellay. Dans le fond de ce mausolée, on lisait : "Ici gît le coeur", etc. A la tête du même mausolée était écrit : "Les hérétiques, après avoir brisé les figures des saints qui étaient dans cette église, brisèrent en même temps la statue de Louis du Bellay, qui le représentait à genoux sur ce monument". Au pied de ce monument était la figure d'un coeur. Dans la nef étaient huit tombes, avec des croix de Malte, des bustes et des épées.

 

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Léonor-François de Tournély mourut vers l'année 1775. "Gentilhomme autrefois débauché et brutal", il avait été "converti par l'infatigable patience de son admirable femme, Jeanne-Mathurine du Plessis de Mongenard", et il avait depuis "étonné le monde par quinze ans d'une vie d'anachorète couronnée par la mort d'un prédestiné". Il laissait à sa veuve trois fils :

1° François de Paule, né le 10 mai 1764, et baptisé ledit jour dans l'église paroissiale de la Trinité de la ville de Laval ;
2° Léonor-François, né dans cette ville en 1767 ;
3° Jean-Pierre,  né le 23 août 1768, et baptisé le lendemain dans l'église paroissiale de St-Fraimbault-de-Lassay ;
et deux filles : Marie-Madeleine et Marie-Élisabeth.

Aussitôt après la mort de son mari, la dame du Bois-Thibault, se consacrant plus que jamais à ses devoirs de mère, et préoccupée uniquement d'élever ses enfants dans les voies de la religion, de la vertu et de l'honneur, ne crut pouvoir faire mieux que de les confier à Jean Le Riche, "prêtre, demeurant à Laval", qui lui offrait sous ce triple rapport, comme précepteur, toutes les garanties désirables ...

En 1784, l'aîné de ses fils, François-de-Paule, ayant atteint l'âge d'homme, prit du service comme sous-lieutenant de remplacement au régiment d'Anjou, où il devait devenir deux ans après sous-lieutenant en titre, grade qu'il conservera jusqu'à la révolution.

Vers la même époque Léonor-François, qui se destinait à la carrière ecclésiastique, allait terminer ses études au collège de Laval, afin de pouvoir entrer ensuite au séminaire de Saint-Sulpice. Quand à Jean-Pierre, il avait comme son aîné le goût des armes ; aussi quand il en aura l'âge, se fera-t-il attacher, comme sous-lieutenant à la suite, au régiment de Bretagne ...

Cependant la fin du régime féodal approchait à grands pas ; déjà les électeurs des trois ordres avaient été convoqués dans toute la France aux chefs-lieux de leurs provinces respectives pour les élections des États-généraux. Dans la liste des électeurs nobles qui se réunirent au Mans, en 1789, pour désigner leurs députés, on voit figurer : "Dame Jeanne-Mathurine du Plessis de Mongenard, veuve de Léonor-François de Tournély, dame du Bois-Thibault".

On sait quels furent les évènements de cette mémorable année, évènements qui eurent leur répercussion jusque dans les campagnes. A la fin de Juillet, dans ces jours d'anarchie effrayante qui suivirent la prise de la Bastille, on s'occupa dans tous les centres un peu importants de créer une milice bourgeoise chargée de veiller à la sécurité des personnes et des propriétés. A cette époque, les honnêtes gens, qu'ils fussent nobles ou roturiers, n'étaient pas encore suspects à nos populations, et à Lassay les habitants n'hésitèrent pas à nommer "Messire Jean-Pierre de Tournély, François-de-Paule étant toujours en activité de service à son régiment, colonel de la milice bourgeoise de cette ville".

Mais malgré les bonnes dispositions de la population de Lassay, ce n'était pas une sinécure que d'être en ce temps-là chargé de maintenir le bon ordre dans le pays environnant. C'était en effet le moment où, dans tout le Passais normand, les paysans, dirigés par des meneurs inconnus, se réunissaient en bandes pour aller mettre le siège devant les châteaux et brûler les chartriers.

Déjà les châteaux de Couterne, de la Bermondière, de la Motte-Madré, de Vaugeois et de Hauteville avaient eu la sinistre visite de ces incendiaires, quand le 3 août devant le Bois-Thibault, Jean-Pierre de Tournély avait-il eu le temps d'organiser quelque peu dans les jours précédents la milice bourgeoise dont on lui avait donné le commandement ? Nous l'ignorons.

En tous cas et par bonheur, à la nouvelle des désordres dont le pays avait été récemment le théâtre, le lieutenant de la prévôté, Moulay de la Raitrie, était précisément parti pour Lassay, accompagné de quatre de ses cavaliers de maréchaussée et de six autres cavaliers du régiment du Royal-Roussillon empruntés à la garnison de Mayenne et commandés par leur lieutenant Mignot. Cette petite troupe arriva juste à temps pour rallier les citoyens de Lassay, très hostiles aux brûleurs de chartriers et peut-être aussi déjà en partie groupés autour de leur nouveau colonel, et les conduisit au secours de Bois-Thibault. Accueillis à coups de fusils, les cavaliers et leurs auxiliaires réussirent néanmoins à disperser la foule qui assiégeait le vieux manoir.

Toutefois, en dépit de l'insuccès de cette tentative, la dame du Bois-Thibault avait été tellement effrayée du danger qu'elle venait de courir et qu'elle croyait seulement ajourné, qu'elle abandonna le pays et alla se réfugier dans sa maison de la rue Renaise à Laval.

Quant à Jean-Pierre de Tournély, après les preuves manifestes d'hostilité dont sa famille venait d'être l'objet de la part d'une foule qui comprenait beaucoup des anciens vassaux de ses parents, il ne se crut sans doute plus l'autorité nécessaire pour s'acquitter avec succès de la difficile mission qu'on lui avait confiée, et il donna sa démission de colonel de la milice bourgeoise avant le 20 août, époque où nous voyons les habitants de Lassay offrir ce même commandement au duc de Brancas-Lauraguais, bien qu'absent du pays.

Il continua toutefois à habiter le Bois-Thibault et à lutter à Lassay pour la cause de l'ordre public chaque fois que l'occasion s'en présentait. C'est ainsi que nous le retrouvons, à la fin de cette même année 1789, à la tête de la partie la plus saine de ses concitoyens dans la circonstance suivante. Il s'agissait de préparer l'élection d'un député supplémentaire qui devait avoir pour mission d'accompagner à Paris le sieur Garnier de la Gonnerie afin de présenter, conjointement avec ce dernier, au garde des sceaux et à Messieur des États-généraux, des mémoires tendant à établir pour la ville de Lassay un district et un siège royal.

Or dans l'assemblée générale des habitants réunis dans la chambre commune afin de prendre un parti à cet effet. "Messire de Tournély, seigneur du Bois-Thibault" joua, d'après les registres de délibérations de la municipalité, un rôle des plus actifs. C'est à son instigation, comme à celle de deux ou trois autres de ses amis politiques, que les électeurs refusèrent d'approuver le choix de Me Joseph-François Maillard comme député, ce qui entraîna la nomination de Me François Thoumin pour le poste dont il s'agissait.

A cette époque, l'Assemblée constituante venait de faire paraître un décret aux termes duquel tous les détenteurs de biens et de revenus ecclésiastiques devaient, dans un certain délai, faire devant les officiers de leur municipalité la déclaration de ce qu'ils possédaient en cette qualité. L'abbé JULIEN LE RICHE, qui était toujours chapelain du Bois-Thibault, comparut en conséquence le 27 février 1790 devant les officiers municipaux de la ville de Lassay et leur fit la déclaration des "biens et revenus de la prestimonie et bénéfice de Sainte-Catherine du Bois-Thibault, ainsi que des charges dont le dit bénéfice" était "grevé".

Si l'Assemblée nationale faisaint ainsi procéder à ces déclarations, c'était, on le sait, pour préparer la confiscation des biens du clergé. Mais cette confiscation elle-même, si inquiétante qu'elle fût pour les catholiques, n'était rien en comparaison de la fameuse constitution civile du clergé qui, l'année suivante, devait mettre tous les prêtres français dans une situation vraiment intolérable, en les plaçant entre le devoir civique et leur conscience religieuse. Beaucoup préférèrent les tristesses de l'exil à ce qu'ils regardaient à bon droit comme une apostasie.

De ce nombre fut l'abbé LÉONOR-FRANÇOIS DE TOURNÉLY qui, promu récemment au sacerdoce, avait dû, sur le conseil de son ancien supérieur à Saint-Sulpice, l'abbé Emery, quitter la France au mois de juillet 1791 avec l'abbé de Broglie et se réfugier dans le grand-duché de Luxembourg, chez le curé d'Osterst.

Du reste, vers la fin de cette même année 1791, la situation des officiers nobles dans les régiments travaillés par l'esprit révolutionnaire devint non moins intolérable que celle des prêtres non assermentés dans les paroisses. La plupart de ces officiers, menacés autant qu'écoeurés, en arrivèrent à croire que leur véritable place était dans cette armée des Princes qui était alors en train de se constituer de l'autre côté du Rhin, hélas ! sur le sol étranger. C'est ainsi sans doute que l'aîné des Tournély fut amené à quitter le 36e régiment d'infanterie, ci-devant d'Anjou, en garnison à Saint-Servan, et à aller rejoindre au delà de la frontière ses camarades émigrés. Jean-Pierre ne tarda pas, lui non plus, à quitter le Bas-Maine et à prendre le chemin de l'émigration ...

 

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A Lassay, la municipalité, convoquée le 18 novembre, inscrivit, sur le tableau qu'elle devait présenter à l'administration supérieure, quatre émigrés : c'étaient, avec Jacques-René Dufay, "les trois garçons de la veuve Tournélie, habitant la maison du Bois-Thibault dans l'étendue de cette commune, dont l'aîné était lieutenant dans le régiment cy-devant d'Anjou-infanterie ; le cadet, portant le titre impropre de chevalier, sous-lieutenant à la suite du régiment de Bretagne ; le troisième, surnommé Sainte-Marie, clerc tonsuré, fait prêtre par le cy-devant évêque du Mans Gonssans, depuis qu'il a été nommé un évêque constitutionnel de la Sarthe".

Ainsi les trois fils de Jeanne-Mathurine du Plessis de Mongenard étaient désormais inscrits sur la fatale liste. Heureusement pour eux, ils étaient à l'abri dans leur exil volontaire. Mais il n'en était pas de même de leur infortunée mère qui, en sa qualité de mère d'émigrés, allait être victime l'année suivante de la terrible loi des suspects. C'est alors qu'après avoir été en butte à toutes sortes de vexations, elle se vit traînée en prison avec ses deux filles au couvent des Bénédictines de Laval, devenu pendant la Terreur maison de détention. Elle retrouva, ainsi que celles-ci, la liberté après la chute de Robespierre, mais fut de nouveau emprisonnée sous le Directoire, sans doute après le 18 fructidor ; sortie encore une fois de prison, elle resta sous la surveillance de la police jusqu'à l'avènement de Bonaparte au 18 brumaire.

Qu'étaient devenus pendant ce temps-là ses fils émigrés ?

FRANÇOIS-DE-PAULE, rentré en France après la Terreur, s'était joint aux Chouans de la Mayenne et avait guerroyé avec eux à chacune de leurs prises d'armes pendant le Directoire ; c'est probablement ce qui avait été cause du second emprisonnement de sa mère.

 

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LÉONOR-FRANÇOIS avait en 1793 quitté Osterst pour aller, toujours avec l'abbé de Broglie, s'établir à Anvers où ils jetèrent les premiers fondements de la Compagnie de Jésus. Ils s'installèrent le 8 mai 1794 à Notre-Dame de Hall, dans une ancienne résidence des Jésuites, près de Louvain. Là, JEAN-PIERRE DE TOURNÉLY et Pierre Leblanc, normand, vinrent se joindre à eux. Les quatre associés durent après se réfugier successivement à Vanloo, à Francfort, à Leitershofen, à Gogguigen près d'Augsbourg, enfin dans une maison de chanoines réguliers à Hagenbrunn, à trois lieues de Vienne (18 avril 1797). Ils avaient recruté le Père Varin, futur successeur du Père de Tournély, et fondateur des dames du Sacré-Coeur.

Léonor-François de Tournély était destiné à mourir jeune sur la terre étrangère, avant que la fin de la Révolution lui permit de retourner dans sa patrie. Il ne vécut que trois mois dans la résidence d'Hagenbrunn, et y rendit le dernier soupir le 9 décembre 1796, à peine âgé de trente ans. Son acte de décès contient cet éloge : "Le R.P. Léonor-François de Tournély, prêtre, et pour le moment supérieur des prêtres émigrés de France au temps de la Révolution, ecclésiastique vraiment pieux et d'une patience que rien ne pouvait troubler, repose au cimetière de Saint-Vitt, entre la croix de pierre et l'enceinte murée. Il a été enterré par moi, Père Léandre Mayr, curé de cette paroisse, cette année 1797, le 9 juillet, à 7 heures du soir". Ses restes ont été transférés à Vienne le 20 novembre 1869, dans la chapelle que lui avaient fait élever les religieuses du Sacré-Coeur. Son portrait a été retrouvé à Leitershofen dans la maison qu'il avait occupée. Sa vie a été écrite en allemand par une religieuse du Sacré-Coeur de Vienne, et quelques pages lui sont consacrées dans l'Histoire de la Vénérable Mère Barat par l'abbé Baunard.

Ainsi, Jeanne-Mathurine du Plessis de Mongenard n'avait pu avoir la suprême consolation d'assister aux derniers moments de ce fils que, dans sa grande piété et son inaltérable soumission à la volonté de Dieu, elle avait tout jeune façonné à son image et dont elle avait lieu d'être fière.

Elle lui survécut encore plusieurs années, vit l'avènement de Bonaparte et mourut comme une sainte le 17 novembre 1804.

Sur ses cinq enfants, deux seulement, François-de-Paule et Marie-Élisabeth furent ses héritiers, les autres étant déjà morts.

De toute la terre du Bois-Thibault, telle qu'elle était composée avant la Révolution, il ne leur échut de la succession de leur mère que le château avec une pièce de terre, l'étang de Livonnière, le pré de la Garenne, le taillis de la Croix-Couverte, et une rente de cent francs sur le moulin de Moulineau ; tout le reste avait été vendu nationalement en 1793.

MLLE DE TOURNÉLY revint alors habiter une des chambres du vieux manoir où elle vécut de longues années ; quant à son frère qui avait épousé Mlle Hélène de Pierrepont, il en eut une fille unique, mariée au comte de Saint-Paul Lingeard. Celle-ci, après la mort de sa tante rentra en possession des ruines du Bois-Thibault et les transmit à son fils Charles-Marie-Eugène de Saint-Paul Lingeard, mort en août 1905 ...

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En 1925, les vestiges du château sont classés au rang des "Monuments Historiques".

En 1988, la commune de Lassay-les-Châteaux se porte acquéreur du château. Dès lors, des chantiers de bénévoles sont entrepris ...

 

Sources :

Annuaire des cinq départements de la Normandie, publié par l'Association Normande - 102e année - 1935.

Revue Historique et Archéologique du Maine - Deuxième série - Tome Douzième - 1932.

Bulletin Historique et Archéologique de la Mayenne - Tome vingt-sixième (1910) - Tome vingt-septième (1911) - Article du Marquis de Beauchesne.

Informations recueillies sur place et photos des lieux par M. Ludovic Leclair ; je l'en remercie beaucoup.

 

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