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La Maraîchine Normande
27 avril 2016

SAINT-BENOÎT-LA-FORÊT (37) - 1793 - FRÈRE URBAIN ROBIN, DERNIER ERMITE DE TOURAINE

Au coeur de la grande forêt, près de St-Benoît-du-Lac-Mort, il y avait autrefois une chapelle, près d'un hameau appelé Les Ermites ou Les Caves des Ermites. On trouve le hameau, les caves, mais nul ne se souvient de la chapelle, ni des saints qui ont prié dans ce lieu désert. Aucune trace, l'oubli, l'humaine ingratitude. Ils méritaient mieux.

ST BENOIT LA FORET CAVE DES ERMITES

De ces ermites de Saint-Benoît-du-Lac-Mort, on aimerait pouvoir faire une romantique évocation. Ce serait trop demander aux rares documents qui ont gardé leur nom et leur pensée.

Le 20 août 1760, le curé de Saint-Benoît inscrit la sépulture de Frère Julien Le Fèvre, âgé de 27 ans, décédé la veille à l'hôpital de Chinon, en odeur de sainteté ...

Très petite société, c'est bien dire. L'acte ne mentionne qu'un autre ermite : "Frère Urbain Robin son confrère". On dirait que cet Urbain Robin serait le fondateur. Tout au moins Julien Le Fèvre, beaucoup plus jeune, semble-t-il être son disciple autant que son confrère. Et de le voir mourir si jeune, même en odeur de sainteté, dut attrister beaucoup son coeur d'aîné.

Par les actes suivants, nous voyons qu'ils suivaient la règle du Tiers-Ordre de Saint-François. Cela permettrait au besoin de se faire une idée exacte de leur vie austère et paisible : la prière, la pénitence, la pauvreté volontaire. A l'estime que leur accorde le curé de la paroisse, on peut juger qu'ils pratiquaient bien leur règle. Autrement, les critiques ne leur auraient pas été ménagées, d'autant plus qu'ils quêtaient.

La pauvreté franciscaine n'excluait pas le travail, mais elle prescrivait de vivre d'aumônes et de faire l'aumône. On ne devait rien garder en plus du nécessaire et distribuer tout le reste à plus pauvre que soi. Les ermites de Saint-Benoît quêtaient. Ils devaient être estimés, car on leur donnait beaucoup, comme nous le verrons. Cette générosité du public a de quoi étonner en un siècle si sceptique, si hostile aux ordres religieux, où les ermites en particulier sont si cruellement persiflés. Elle nous induit à penser que pour les nôtres la prière n'était pas une feinte, ni leur pénitence, ni leur pauvreté.

En 1762, Frère Urbain Robin vit arriver un nouveau disciple. Le 15 novembre, l'habit d'ermite du Tiers-Ordre de St-François fut donné, solennellement semble-t-il, par le Curé Gaudrée, à Louis-Yvon Nicier, âgé de 34 ans, fils de François Nicier, laboureur, et de Jeanne Mouard, de la paroisse de la Chapelle-Blanche, diocèse d'Angers (La Chapelle-sur-Loire). "Il a pris le nom de François, et promis de rester dans l'ermitage de cette paroisse".

On ne voit pas de voeu d'obéissance, par conséquent pas de communauté proprement dite, mais une simple promesse de stabilité, et qui semble faite au curé de la paroisse, comme si le lieu de l'ermitage appartenait au curé de la paroisse.

L'année suivante, 1763, un troisième ermite se joint aux deux premiers. L'habit est remis par le curé Gaudrée à Mathurin Gougeaux, fils de Louis Gougeaux, coutelier et de Renée Fleury, de la paroisse de St-Jacques de Châtellerault. Il prend le nom d'Antoine "en présence des Frères Urbain et François, ermites".
Le bon Urbain Robin espéra-t-il voir ses disciples ou confrères se multiplier ? Ou au contraire l'ermitage, très petit, ne pouvait-il en recevoir d'autres ? On ne sait. Mais il n'en vint pas d'autres. Ils vécurent tous les trois, Urbain, François et Antoine, pendant 22 ans. On a tout lieu de supposer que ce fut dans le silence et la prière et l'humilité, au milieu du siècle le plus dissipé qui fut jamais.

Au bout de 22 ans, les épreuves commencèrent.

Le 17 janvier 1785, François Nicier mourut, âgé de 57 ans et fut enseveli à St-Benoît "en présence de Frère Urbain Robin, son confrère". Le frère Antoine n'est pas mentionné. Cependant nous le retrouverons huit ans plus tard.

La grande tempête de 1790 qui déferla contre les ordres religieux pouvait-elle atteindre les ermites ? Ils ne possédaient rien. Pas même, semble-t-il, leur oratoire et leurs grottes. De fait, elle ne paraît pas les avoir atteints, même dans leurs quêtes, qu'ils continuent silencieusement, malgré la défense des lois nouvelles, avec la tolérance des autorités et l'assentiment des fidèles ; le curé Auger prêta le serment. Furent-ils pour lui ? C'est douteux. S'ils l'avaient prouvé, c'eut été une défense très sérieuse contre l'imminente persécution.

Pour les ermites de la forêt de Chinon, voici l'aventure la plus inattendue, la plus invraisemblable : la guerre à leur porte, et une grande guerre avec de grandes batailles, LA GUERRE DE VENDÉE.

Et cette guerre est une espèce de croisade. Et voici que de leur ermitage, on entend le canon, le canon de Saumur. Et la grande route toute proche se couvre de fuyards. Et voici passer avec leurs charrettes, leurs papiers et leur garde fidèle, les autorités du District de Chinon qui fuient, elles aussi, sans savoir où elles s'arrêteront. Et enfin le 12 juin 1793 à trois heures du soir, nouvelle foudroyante : l'armée catholique et royale est entrée à Chinon sans combat. Elle célébrera demain une messe solennelle d'action de grâces. Le drapeau blanc flotte sur les tours du château.

Frère Antoine, malgré ses 50 ans bien sonnés, sentit une ardeur de jeunesse lui monter à la tête ; on s'exalte facilement dans la solitude ! Frère Urbain l'aurait suivi peut-être s'il n'avait eu la soixantaine. Il le laissa partir avec une larme d'amitié et d'admiration. Frère Antoine s'enrôla dans l'armée catholique et royale.

On doit penser que les jours suivants Frère Urbain guetta sur la route le passage de la croisade, qui devait logiquement marcher de Chinon à Tours, et de Tours sur Paris. Dix jours il écouta, dix jours il attendit et la croisade ne passa point.

Le onzième jour, à sa grande surprise, un paysan lui dit : "Les Vendéens sont repartis à Saumur". Et au lieu de soldats de la croisade, ce furent des sans-culottes parisiens qui passèrent par la grand'route, refluant de Tours vers Chinon, le 23 juin 1793 à deux heures du soir.

Après cette secousse, Frère Urbain resta relativement tranquille du 23 juin au 27 novembre. Cinq mois de retraite, de prière et d'attente. Que pouvait-il attendre ? Rien de bon sans doute ... Cependant l'épopée des Vendéens continuait et Frère Antoine en était un des héros. Reviendraient-ils à Chinon ? Il n'étaient même plus à Saumur. On les disait très loin, en Bretagne, en Normandie.

Et voici qu'un jour la police saisissait une lettre adressée au Frère Urbain par le trop confiant Frère Antoine : "Priez Dieu, lui disait-il, pour le succès de nos armées". Du coup la foudre allait tomber, tomber d'autant plus rapide et plus violente que les autorités du district de Chinon, honteuses d'avoir fui, réagissaient avec une espèce de fureur et appelaient à leur aide le chef de la Terreur de Poitiers, le terrible Planier. Avec le Tourangeau Vaulivert, notaire à Nouâtre, délégué par les conventionnels Levasseur et Gimberteau, Vaulivert au tempérament de dictateur, Planier s'entendit parfaitement.

C'est alors que le 27 novembre 1793, la paix de l'ermitage est troublée brusquement par une visite domiciliaire : le maire de St-Benoît, le procureur de la commune. Frère Urbain les connaît bien. Ce sont des amis. Pourquoi cette mine glaciale et indifférente ? C'est qu'ils sont escortés par deux inconnus, deux commissaires délégués par le dictateur de Chinon, le sinistre Vaulivert. Ils cherchent du blé. Ils prennent à la mairie la feuille des déclarations, ils vont dans les greniers. Les déclarations sont exactes. Pourquoi vont-ils chez l'ermite ? Il n'est pas producteur. Il n'a pas à faire de déclaration de récolte. C'est qu'ils ont l'ordre d'aller chez lui et le trouver en faute. Il a fait sa quête comme d'habitude. Il a serré son blé comme d'habitude. Alors les commissaires vont à coup sûr. Ils mesurent son blé : cinq setiers. Sa farine : dix boisseaux. Le setier contenait douze boisseaux et le boisseau pesait 15 livres. L'ermite a donc neuf sacs de blé de 50 kilos et environ 75 kilos de farine. Comme provisions de toute une année ce n'est pas extraordinaire. Mais il n'a pas fait de déclaration. Il est en faute. Confisqué. C'est tout ce que les commissaires emporteront de la commune de St. Benoît pour ravitailler la ville de Tours : le blé de l'ermite !

Ils emportèrent autre chose : l'ermite lui-même ; c'est un gibier qui convient trop à leur commettant.

Dès le surlendemain le 29 novembre, Vaulivert prenait un arrêté spécial contre l'ermite :

"Considérant que conformément à la loi du 26 juillet dernier, ce cas particulier n'ayant pas fait de déclaration, a encouru une autre peine que celle de la confiscation ;

Considérant qu'il a continué à quêter, quoique la loi le défende formellement ;

Considérant que cette quête ne doit avoir pour but que de propager le fanatisme et l'erreur et d'ôter à la circulation des grains utiles à la vie des citoyens ;

Considérant que son confrère a quitté l'ermitage qu'ils habitaient ensemble à l'époque où les brigands se sont emparés de Chinon et qu'il s'est en allé avec eux (sic) qu'il a entretenu depuis une correspondance avec le dit Robin, notamment par une lettre qui a été décachetée et dans laquelle cet associé lui écrivait de prier Dieu pour la prospérité des armes de l'armée catholique dans laquelle il était incorporé ;

Considérant que, partageant les sentiments de ces brigands, il est plus que probable qu'il ait eu l'envie de seconder leurs efforts par tous les moyens, et principalement en cachant des blés qu'il avait sans doute destinés à leur faire passer ;

Considérant que ce n'est pas la nécessité qui l'a fait quêter parce que ses facultés sont notoires ;

Nous arrêtons qu'il sera arrêté dans les maisons d'arrêt de Chinon, et de là conduit dans celles de Tours pour être livré à la Commission militaire pour être jugé révolutionnairement".

La finale est tragique. Plus encore le billet d'accompagnement de cet arrêté, envoyé au Directoire Départemental :

"Je vous envoie un bon Père ermite que j'ai fait arrêter aujourd'hui. Ce scélérat, malgré la loi qui défend de faire des quêtes au nom de la religion, n'a pas laissé que d'oster (sic) aux citoyens crédules sept septiers de blé qu'il cachait à la circulation. Mon procès-verbal vous instruira de sa conduite. Si cet hypocrite met la tête à la fenêtre nationale (guillotine), il faut qu'on ait bien l'attention de l'interroger pour savoir l'argent qu'il a et qu'on dit être considérable ..."

Frère Urbain, enfermé à Chinon avec les suspects du District ne se doutait pas du sort spécial et rapide auquel le destinait cette attention particulière. S'il y échappa, ce fut par son obscurité. Une affaire de toute importance s'imposait dès lors à l'attention de Vaulivert. Il en parlait dans le rapport même où il annonçait l'ermite :

"Un plan de conspiration, écrit-il, paraissait avoir été formé dans ce département

Il semblait que la ville de Chinon devait lever la première l'étendard de la révolte. Planier commissaire du représentant du peuple Ingrand, a été envoyé pour déjouer le complot. Nous avons travaillé d'accord et une centaine d'aristocrates que nous avons fait arrêté, mais j'espère qu'il n'en échappera aucun, et que leur coup est encore manqué pour cette fois. Cette circonstance m'empêche de vous envoyer les deux particuliers dont je vous parle ..."

Ainsi l'ermite reste à Chinon. Pas trop en sûreté ; heureusement au 1er décembre, coup de théâtre. Ordre arrive de transférer les détenus à Poitiers et Angoulême. Ils partent le 2 décembre, juste à temps : le 4 c'est le massacre des prisonniers de Saumur sous les murs du château de Chinon par la fameuse colonne Le Petit.

A Tours, on s'affole. Les Vendéens, repoussés de Granville et de Rennes, se dirigent vers Tours pour passer la Loire. Ils sont à La Flèche ; l'exaltation, l'affolement, sont aussi graves qu'à l'époque de la bataille de Saumur. L'administration du département avait fait preuve de sagesse et de sang-froid en expédiant si loin les suspects. Dans la bagarre on faillit même les perdre ou les oublier.

Le 18 décembre, quinze jours après, la Commission militaire faisait chercher le délinquant Urbain Robin pour le juger. Son huissier s'en fut à la prison de Chinon. Pas d'ermite. Écroué le 9 frimaire, il était censé parti le 12. Le registre portait : "transféré à Tours par nous gendarme, ce jourd'hui 12 frimaire. Signé Caucheron". Le concierge ne savait rien de plus. Stupeur de l'huissier ! Il eut l'heureuse idée de consulter le Comité de surveillance : "Urbain Robin, lui dit-on, a bien été extrait de la prison de Chinon pour être transféré à Tours, mais un arrêté du département, pour plus de sûreté l'a fait expédier avec les autres détenus à Angoulême". L'huissier revint à Tours les mains vides.

La Commission militaire lui signa un nouveau pouvoir pour extraire Urbain Robin de la maison d'arrêt où il pouvait être détenu, et le ramener à Tours. Angoulême était trop loin. L'huissier ne voulut pas se déranger pour si peu. L'ermite ne comparut jamais devant la Commission ; quand il revint, elle n'existait plus.

Il revint pourtant. A quelle date, on ne sait, mais il revint à Tours et en prison. Il y traîna longtemps. Il était bien vieux, bien las. On le mit en réclusion à l'hôpital de la Charité. Il y était encore 18 mois plus tard. Le 6 juillet 1795, le Bureau de l'hôpital demandait son élargissement. Et c'est la dernière mention qui soit faite de lui. On ne sait encore comment mourut le dernier ermite de Touraine.

Chanoine E. AUDARD


Extrait : Bulletin de la Société des Amis du Vieux Chinon - 1986 (T8, N10)

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