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La Maraîchine Normande
19 avril 2016

DÉCEMBRE 1831 - INTERROGATOIRE DE MGR SOYER, ÉVÊQUE DE LUÇON, SUITE AU "COMPLOT DE LANDEBAUDIÈRE"

DÉCEMBRE 1831 

L'Ami de l'Ordre, de Nantes, contient un interrogatoire de M. l'évêque de Luçon devant le juge d'instruction de Fontenay.


Le prélat a été assigné pour comparaître le 12 de ce mois ; c'est la seconde assignation de ce genre qu'il reçoit. On l'a interrogé sur ses rapports avec madame de La Rochejaquelein, sur une lettre de lui, qui a à peu près neuf ans de date, et sur ses relations avec d'autres personnes du pays.

Les réponses ont été dignes et fermes, telles qu'on devoit les attendre d'un évêque ; elles ont dû dissiper tous les soupçons d'une police ombrageuse.

Mais comment ne pas s'étonner que, sur des soupçons vagues, on assigne un évêque, qu'on lui fasse faire un voyage, qu'on le menace d'amende et de contrainte par corps, s'il ne se rends pas l'assignation ? Est-ce ainsi qu'on procède envers un prélat dont on connaît d'ailleurs la prudence, l'excellent esprit et la conduite toujours mesurée ?

En pareil cas, autrefois, le juge d'instruction se serait transporté chez M. l'évêque et auroit reçu là sa déposition ; on ne l'aurait pas assigné avec menace, et forcé d'aller au Palais-de-Justice.

En tout cas, M. de Soyer a fait entendre dans ses réponses des vérités dont il est à souhaiter que l'on profite.

L'Ami de l'Ordre, auquel nous empruntons cet interrogatoire, n'explique point une chose qui paraît impliquer contradiction, ou qui du moins pourrait être une énigme pour beaucoup de lecteurs.

M. l'évêque, dans sa réponse à la première question du juge d'instruction, dit qu'il n'a pas écrit à madame de La Rochejaquelein depuis son épiscopat, et dans sa réponse à la troisième question, il déclare qu'il a écrit plusieurs fois cette année à madame de La Rochejaquelein.

C'est que, dans les deux questions, il ne s'agissait pas de la même personne. Il paraît que, d'abord, le juge entendait parler de madame la marquise de La Rochejaquelein, née de Donnissan, auteur des Mémoires sur la Vendée, et veuve d'abord de M. de Lescure, mort en 1793, au milieu de la guerre de la Vendée, et ensuite de M. Louis de La Rochejaquelein, tué dans la Vendée en 1815 ; et qu'ensuite les autres questions du juge roulaient sur madame la comtesse de La Rochejaquelein, née de Duras, veuve en premières noces du prince de Talmont, et mariée ensuite à M. Auguste de La Rochejaquelein, frère puîné des deux généraux vendéens de ce nom.

Ainsi M. l'évêque de Luçon a pu dire qu'il n'avait point écrit à la première depuis dix ans, et qu'il avait écrit plusieurs fois à la seconde.

Cette distinction était nécessaire pour bien entendre l'interrogatoire, qui se trouve dans l'Ami de l'Ordre, du 17 décembre :

SOYER évêque de Luçon

 

Le 10 de ce mois, M. l'évêque de Luçon a été assigné par ordre de M. Arnaudet, juge d'instruction au tribunal de Fontenay-le-Comte, pour y être enquis relativement à l'objet d'une commission adressée à ce magistrat, et faute par lui, évêque de Luçon, de comparoître le 12 du même mois dans le cabinet du susdit juge, y être condamné par amende et contraint par corps. C'est la seconde assignation de ce genre que le même juge a adressée à ce prélat, qui, bien qu'indisposé depuis trois semaines, s'est empressé de se rendre à l'injonction de la justice.

A l'arrivée à Fontenay de M. l'évêque de Luçon, plusieurs libéraux dirent qu'il étoit cité comme prévenu, et qu'il alloit être écroué dans la prison dudit lieu. Monseigneur se rendit aussitôt au Palais-de-Justice, et dit à M. Arnaudet : "Me voici, Monsieur, disposé à répondre aux questions de la justice, dont vous êtes l'organe ; mais veuillez me dire si je comparois ici comme témoin ou comme prévenu. Dans le premier cas, je n'aurai à parler que des autres ; dans le second, je me bornerai à ma défense personnelle".

- Le juge : M. l'évêque, vous paroissez ici comme témoin. Veuillez prêter serment de dire la vérité et toute la vérité.

- Avant de passer au serment que vous me demandez, Monsieur, il est essentiel que vous sachiez dans quel sens je le prêterai. Je dirai la vérité, quand elle me sera connue ; mais, en bonne logique, connoître, c'est savoir avec certitude et par exclusion de toute espèce de doute. Ainsi, Monsieur, si vous m'interrogez sur les bruits qui circulent dans les foires, sur les nouvelles des journaux et même sur les discours de salons, je répondrai affirmativement que je ne sais rien.

- Mais, M. l'évêque, vous pourriez déposer affirmativement sur les faits dont vous seriez certain, et d'une manière dubitative sur ceux que vous ne sauriez que par des bruits publics.

- Cette manière paroîtroit assez naturelle en toute autre conjoncture ; mais vous savez, M. le juge d'instruction, qu'il y a aujourd'hui des magistrats qui, sur de simples soupçons, font arrêter, charger de fers, lier comme des criminels, et écrouer dans les prisons des personnes calomniées qu'on élargit plus tard, parce qu'on est forcé de reconnoître leur innocence. Je ne me consolerois pas si, par suite d'une déclaration faite avec légèreté, je causois de semblables disgrâces au moindre de mes diocésains.

Mais, M. l'évêque, la justice sait toujours discerner les innocens des coupables.

- Quelquefois, M. ; mais souvent trop tard. M. de Bricqueville en est une triste preuve. Vous l'avez fait arrêter à Luçon, conduire à Bordeaux, ainsi que le sieur Aulneau, les fers aux mains, chargés de cordes, en butte aux injures d'une populace effrénée, dans les lieux où ils ont passé. Ils ont subi, en outre, une captivité de cinq mois et quatre jours, dans les privations les plus humiliantes, loin de leurs affaires et de leurs familles. Cependant, malgré les commissions rogatoires, les enquêtes, les recherches de la police et de ses séductions, il ne s'est trouvé qu'un témoin à charge ; mais ce témoin, qui avoit été mis dans la même prison, attaqué d'une maladie scrofuleuse, couvert d'ulcères, craignant la mort et effrayé des jugemens de Dieu, a appelé M. de Bricqueville, dont il étoit précédemment domestique, et s'est rétracté : "Monsieur, a-t-il dit, je vous prie de me pardonner. Je vous ai calomnié en vous dénonçant comme conspirateur. On m'avait attiré chez M***, à Luçon, où l'on m'avoit fait boire et manger. On m'avoit promis de l'argent, une belle place dans la police, si je vous dénonçois comme un conjuré. Je croyais servir ma patrie en vous faisant arrêter. J'étois bien sûr, moi, d'être mis en liberté ; on me l'avoit promis. Maintenant, je me rétracte, et déclare faux tout ce que j'ai dit contre vous." Cela ne suffit pas, répondit M. de Bricqueville, il faut retirer votre déposition et en faire une conforme à la vérité. Le juge d'instruction de Bordeaux est appelé. Le malheureux domestique demande qu'on lui remette sa première déclaration. Le juge s'y refuse ; mais il reçoit la seconde, et presque aussitôt M. de Bricqueville et le sieur Aulneau sont mis en liberté.

Qui dédommagera maintenant ce citoyen des rigueurs et des humiliations qu'il a subies, lorsqu'on l'a traîné de Fontenay à Bordeaux, les menottes aux mains, escorté par des gendarmes, et après cinq mois de la plus dure captivité ? Et le sieur Aulneau, ce vertueux jeune homme, qui jouit de l'estime générale, qui se concilie tous les coeurs par son obligeance, et contre lequel aucune voix n'a pu s'élever ? Il n'a pu soutenir tant de rigueurs et de chagrins ; sa santé est détruite, sa famille n'a plus l'espérance de la conserver ; bientôt cet homme estimable descendra dans la tombe. Quelle compensation peuvent lui offrir maintenant messieurs les gens du Roi pour la perte de son état, de sa liberté et de la vie ? Est-ce là le règne de la liberté promise ? Non, M. le juge d'instruction, je ne dirai que les vérités dont je serai bien sûr ; j'en prends l'engagement. Si ce langage vous étonne, je dois bien plus m'étonner moi-même de me voir ici, et devant vous.

Alors, M. Arnaudet passe aux questions qui sont l'objet de sa commission.

1° - Est-il vrai, M. l'évêque, que vous ayez accordé votre protection à M. de Bricqueville, auprès d'une marquise, dans une lettre saisie au mois de juillet dernier au domicile de celui-ci ? Quelle étoit la dame à laquelle vous le recommandiez ? N'étoit-ce pas madame de La Rochejaquelein ? Dans quel but le recommandiez-vous ?

- La lettre dont il s'agit à peu près, comme vous avez dû vous en convaincre, NEUF ANS DE DATE ; il ne pouvoit alors être question de politique. La dame à laquelle étoit adressée cette recommandation étoit la grand'mère de mademoiselle de Férolles, aujourd'hui madame de Bricqueville. Cette dame prenoit le titre de marquise, et il est d'usage de le donner en tête des lettres en pareil cas : cette dame n'étoit pas madame La Rochejaquelein. Je n'ai pas eu l'honneur d'écrire à cette dernière depuis le commencement de mon pontificat ; je lui ai seulement rendu visite à Paris. Le but de la lettre que l'on me demanda pour la grand'mère de mademoiselle de Férolles étoit de persuader cette dame des bons sentimens et des principes religieux de M. de Bricqueville, afin qu'elle se prêtât de bonne grâce à l'union des futurs époux.

- Le juge : Quelle étoit le nom de cette marquise ?

Je ne me le rappelle pas. A la mort de cette dame, mademoiselle de Férolles, devenue madame de Bricqueville, trouva cette lettre dans les papiers de sa grand'mère. Elle l'apporta chez elle, comme un témoignage honorable pour son mari.

2° - Avez-vous connoissance, M. l'évêque, de quelques faits relatifs à l'inculpation dirigée contre madame la comtesse de La Rochejaquelein, et les autres personnes compromises avec elle, dans l'instruction qui se suit à Bourbon ?

- Je ne connois pas les motifs de l'arrestation de madame la comtesse La Rochejaquelein, ni ce qu'on lui reproche.

3° - N'avez-vous pas été en correspondance avec elle ?

- Oui, plusieurs fois, même cette année. Lorsque je fis mes visites diocésaines, l'été dernier, madame la Comtesse La Rochejaquelein me fit l'honneur de m'écrire de Paris, pour mettre son château de Landebaudière à ma disposition pendant le séjour que je devois faire à La Gaubretière. Je refusai cette offre, parce que madame la comtesse de La Rochejaquelein étoit absente. Je pris mon logement au presbytère ; mais madame la comtesse avoit ordonné à ses gens d'y faire le service pendant mon séjour. Elle eut l'extrême bonté de pourvoir aux dépenses qui y furent faites, même à celles du dîner que je donnai à l'état-major du corps qui étoit en garnison dans cet endroit, à raison de ce que les officiers m'avoient fait visite, et avoient placé une sentinelle à ma porte, conformément aux usages prescrits. A mon départ de La Gaubretière, j'écrivis à madame la comtesse de La Rochejaquelein uniquement pour lui exprimer ma reconnoissance et mon regret de ne l'avoir pas rencontrée. J'avois l'espérance de la voir au service de madame la princesse de Talmont, sa belle-mère, où je devois officier, si elle fût arrivée avant mon départ. Lorsque j'ai fait mes dernières visites diocésaines dans les cantons de Saint-Fulgent et de Mouchamps, je me suis privé de faire visite au château de Landebaudière, par discrétion, parce que je crus remarquer que la police, que je ne crains pas, du reste, suivoit tous mes pas.

4° Connoissez-vous mademoiselle de Fauveau ?

- Avant l'affaire de madame de La Rochejaquelein, je ne savois pas même qu'il existât une demoiselle de Fauveau.

5° - Connoissez-vous MM. de la Tour-du-Pin - Gouvernet ?

- Non, je n'ai pas cet honneur.

6° - Connoissez-vous M. Tancrède de Beauregard ?

- Oui, et depuis son enfance, époque où il vouloit être prêtre ; je lui ai voué une tendre affection. Encore qu'il ait changé de dispositions, comme il m'a inspiré beaucoup d'estime, je lui porte toujours le même intérêt.

- Le juge : Telles sont, M. l'évêque, les questions que j'avois à vous proposer. On va vous en donner lecture, et de vos réponses ; si vous y persévérez, vous voudrez bien signer le procès-verbal.

- Je regrette, Monsieur, que vos questions ne me mettent pas à même de vous dire combien les nombreuses arrestations que vous faites faire dans le Bocage, et l'opposition que met la magistrature à ce que les conscrits soient amnistiés, font de mal dans ce pays. Si vous étiez habitant du Bocage, vous seriez bien forcé, vous-même, de donner des vivres aux déserteurs, et vous auriez sans doute un vif désir de voir cesser ce triste état de choses. Cependant les conscrits, qui ne peuvent plus se soumettre sans être condamnés à mort, ne se rendront pas ; personne n'oseroit en donner le conseil. MM. les généraux et les préfets ont des vues plus indulgentes ; tout le monde le sait : ceux qui s'y opposent répondront au jugement de Dieu des brigandages et des assassinats qui résulteront inévitablement de tant de rigueurs. Le service qu'on exige des troupes, les patrouilles commandées aux soldats le jour et la nuit, remplissent les hôpitaux de malades, et les exhalaisons de nos marais font mourir un grand nombre de ces militaires. Avec un peu de calme et de douceur, on épargneroit ces malheurs à notre pays, et à l'état de grandes dépenses. Le gouvernement actuel n'est pas plus puissant que la république, ni plus fort que Napoléon, qui accordèrent des amnisties. On regrettera sans doute un jour de n'avoir pas mis fin plus tôt à un état de choses qui occasionne tant de calamités.

- Mais, a répliqué M. le juge d'instruction, vous savez, M. l'évêque, qu'il y a des crimes qui doivent être punis.

- Oui, Monsieur ; mais quand il s'agit d'en prévenir un grand nombre d'autres, et que le mal est trop étendu, le mieux sans doute est de tout pacifier.

- Vous parlez, M. l'évêque, le langage de l'Évangile.

- C'est mon devoir ; si tout le monde en faisoit autant, chacun rempliroit le sien.

Nous n'avons pas besoin de faire remarquer tout l'avantage que le prélat a ici sur le juge, non-seulement par la bonté de sa cause, mais par la précision, la netteté, le tact et la dignité de ses réponses, et par la sagesse de ses observations sur l'état de la Vendée.

 

Extraits : L'Ami de la Religion et du Roi - n° 1883 - Jeudi 22 décembre 1831 / n° 1884 - Samedi 24 décembre 1831

 

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