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La Maraîchine Normande
8 novembre 2015

CASTELNAUD-LA-CHAPELLE (24) - LA LÉGENDE DE CASTELNAU

LA LÉGENDE DE CASTELNAU

(1854)


Entre Domme et Saint-Cyprien, on trouve un point de la vallée de la Dordogne qui s'élargit et s'encadre dans une suite de rochers très-élevés, perpendiculaires, lacérés par de longues incisions, et ressemblant à d'innombrables tuyaux d'orgues fantastiques. Leurs deux plus hautes pointes, distantes d'environ trois kilomètres l'une de l'autre, et séparées par la rivière, portent le château de Castelnau et celui de Baynac, monuments de la féodalité la plus reculée.

Le voyageur est saisi du plus grand étonnement en voyant grandir cette masse à mesure qu'il gravit la rue qui y conduit. Ce qui lui paraissait une insignifiante et mesquine construction devient un vaste et magnifique manoir.

 

château de Castelnaud 3

 

Castelnau n'est qu'une ruine aux deux tiers démolie, mais attestant encore la puissance d'un des suzerains les plus redoutés du moyen-âge. Une énorme tour de seize mètres de diamètre et d'autant de hauteur, de sa base au rez-de-chaussée seulement de l'édifice où elle est rasée, indique encore son ancienne et extrême élévation. Un escalier tournant dans l'épaisseur du mur, une forte voûte, des meurtrières de pierre attestent les nombreux combats qui ont dû s'y livrer.

Cette place forte, défendue par un vide effrayant, n'est accessible que du côté de la montagne, dont une large et profonde tranchée la sépare. On voit encore quelques vestiges du pont-levis qui la franchissait. Une étroite cour triangulaire divise des corps de logis dont on ne peut préciser le plan et la distribution ; seulement, une tour carrée, beaucoup plus élevée que le reste des bâtiments, paraît en avoir été le donjon. Les décombres en obstruent les ouvertures inférieures. On y pénètre au moyen d'une échelle à main, que l'heure avancée de la journée ne me permit pas de me procurer.

En voyant tous ces débris encore imposants, on s'afflige de leur complet abandon. Une famille de cultivateurs très-peu nombreuse y habite. Pendant longtemps, je n'y distinguai aucune trace de pas humains. Au moment de me retirer, j'aperçus un enfant qui courut avertir sa mère. Celle-ci ne put me donner aucun des renseignements que je désirais ; je compris seulement que son mari avait acheté pour quatre cents francs de masures où il avait pratiqué, régularisé et couvert un logement ; que le bourg de Castelnau avait démoli une partie de la tour pour construire un fort beau quai. Je lui demandai où conduisait une porte que je voyais soigneusement fermée et donnant accès à l'intérieur du château. Elle me répondit qu'elle y gardait sa provision de foin et de paille, parce que, ajouta-t-elle, il vient ici un si grand nombre d'étrangers, que je crains qu'ils emportent quelque chose.

J'eus beaucoup de peine à lui faire comprendre qu'aucun de ces visiteurs n'en voulait à ses greniers, et que si son mari et elle tenaient des échelles à leur disposition, s'offraient à leur faire parcourir ces ruines, ils en retireraient des gratifications proportionnées à la complaisance et à la bonne grâce qu'ils y mettraient. Enfin, je lui promis un petit manuscrit où seraient consignées les découvertes que je pourrais faire concernant ces ruines. C'est pour accomplir ma promesse à cette famille pauvre et désintéressée que j'entreprends ce récit.

La même femme parlait souvent, dans son langage, del Du, sans que je pusse soupçonner ce qu'elle voulait dire. Je compris, enfin, que le château de Castelnau appartenait à un duc qui ignore, sans doute, qu'on en vend et démolit les débris pièce à pièce. Personne ne put me donner la moindre notion sur ce propriétaire éloigné, tout-à-fait inconnu dans la contrée.

 

château de Castelnaud

 

Parmi le grand nombre de familles qui ont possédé des terres de ce nom, nous devons nous arrêter à celle qui est la plus rapprochée du Sarladais. Ainsi, nous voyons Guillaume, premier du nom, faire hommage au roi Louis VIII de ses terres de Caumont et de Castelnau. Charles, seigneur de Castelnau, de Berbiguières et de Caumont, épousa mademoiselle de Baynac. De cette union naquit Hélène de Castelnau, unique héritière, au XIVème siècle, de ces deux puissantes familles décimées aux batailles d'Azincourt et de Poitiers. Sa mère était morte jeune ; son père était prisonnier. Dès l'âge de seize ans, Hélène, confiée aux soins de sa nourrice, habitait seule le château de Castelnau ; il ne manquait à cette enfant que des années pour devenir un des plus riches partis de la Guienne.

Jean d'Arpajon, renommé par les désordres de sa vie et la férocité de son caractère, vivait de violences et de rapines. Mademoiselle de Castelnau était une proie qui tentait son avidité ; s'il parvenait à l'enlever, à la faire élever à son gré et à l'épouser, il devenait haut et puissant seigneur de magnifiques terres. Du projet à l'exécution l'intervalle fut court.

Par une belle matinée d'été, la nourrice, descendue avec son élève dans la vallée, suivait paisiblement les bords de la Dordogne, lorsque, au détour d'un chemin, elle se sent saisir par deux hommes qui la bâillonnent, l'attachent par une forte corde à un arbre, et emportent la petite fille effrayée. Jean ôte son masque, cherche à l'adoucir par des caresses et à lui procurer les amusements et les distractions de son âge. Pendant le trajet, une invincible horreur glace l'enfant d'effroi ; l'impression que produisit sur elle la première vue de son ravisseur fut ineffaçable. Rien ne put calmer la terreur qu'il lui inspirait. A chaque occasion, elle détournait ses regards et versait d'abondantes larmes. On espérait que l'âge corrigerait ce qu'on croyait n'être que des caprices et des bouderies d'enfant. Chaque jour, elle demandait à Dieu la force de résister aux dangers qui la menaçaient et la délivrance de son père.

Sa seizième année était arrivée ; l'enfant fit place à la jeune fille. Une taille souple, noble et élevée ; des traits charmants, une physionomie ravissante, un beau teint, de belles formes en faisaient une beauté accomplie ; joignez-y un esprit supérieur, bienveillant et cultivé, de la sensibilité, un coeur excellent, une grande douceur de caractère et une âme forte.

La réputation de tant de brillantes qualités ne pouvait long-temps se renfermer dans ces murs où s'écoulaient si tristement les premiers moments de la jeunesse d'Hélène. Le dégoût que lui inspirait la vue de son persécuteur grandissait avec le sentiment de sa dignité personnelle. Sa fierté repoussait avec horreur des vues dont elle se croyait l'objet. Arpajon ne l'ignorait pas ; mais que lui importait l'amour de celle qu'il voulait épouser. Hélène n'était pour lui qu'une riche capture dont il était en possession, et qui ne pouvait lui échapper.

Cependant, la justice divine, qui avait choisi Géraud de Labarre pour accomplir ses desseins, en avait disposé autrement. Ce jeune cavalier, déjà célèbre par ses hauts faits, sa valeur et sa générosité, allait de Toulouse à Orléans à la tête de quelques hommes d'armes. Il s'arrêta dans une hôtellerie, près du château d'Arpajon ; là, on lui parla de la belle captive et du jour fixé pour son mariage avec son oppresseur. On la plaignait, on exaltait sa résistance, on parlait de scènes violentes, on en craignait de nouvelles, et la victime était l'objet de la pitié générale.

Géraud s'en émut et ne songea plus qu'à s'assurer de la vérité et des moyens de délivrer Hélène. Il sortit déguisé, rencontra un homme du château qui lui confirma les bruits de l'hôtellerie. De ce moment, sa résolution fut arrêtée ; il s'approcha de la place, en examina avec soin les abords, et forma son plan d'agression. Le lendemain matin, sa petite troupe était à cheval, brûlant du généreux désir qui animait son chef.

L'attaque fut prompte, la résistance vive. Une mèche enflammée lancée dans le magasin à fourrage produisit un incendie général. A la faveur de ce désordre, Géraud, suivi des siens, monte à l'assaut, va droit au donjon, en brise la porte, supplie mademoiselle de Castelnau de le suivre, la met au milieu de sa petite troupe, sort de ce lieu désolé, et revient à l'hôtellerie au milieu des acclamations et des bénédictions générales. Il avait délivré le pays de son tyran et détruit son odieux repaire.

Peu de jours après, Hélène avait repris possession du château de Castelnau, où elle s'empressa de ramasser la rançon de son père que Géraud s'offrit d'aller racheter. Un mois après, cette localité célébrait, par des réjouissances publiques, le retour de son seigneur bien-aimé et du libérateur de sa fille.

La légende ne nous dit pas si un sentiment plus tendre que celui de la reconnaissance fit battre le coeur de la jeune fille, et si Géraud de Labarre fut sensible à tant d'innocentes séductions.


Comte du L.
Le Chroniqueur du Périgord et du Limousin - deuxième année - Périgueux - 1854

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