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La Maraîchine Normande
9 avril 2015

UNE INSURRECTION A L'ÎLE D'YEU (85) - LES TRIBULATIONS D'UN CURÉ JUREUR, AMABLE CADOU

UNE INSURRECTION A L'ÎLE D'YEU
LES TRIBULATIONS D'UN CURÉ JUREUR

 

île d'Yeu carte

 

Les idées de la Révolution avaient tout d'abord été acceptées, sinon avec enthousiasme, du moins sans trop d'opposition, par les habitants de l'Île d'Yeu, et les documents officiels de l'époque établissent que c'était surtout grâce à l'influence de leur curé, Amable Cadou, que les insulaires s'étaient inclinés devant les innovations des législateurs révolutionnaires.

L'abbé Amable Cadou, né dans l'île même en 1739, en était devenu le curé en 1780, après avoir tout d'abord exercé le ministère dans la petite paroisse de la Chaize-Giraud. Très faible de caractère, et, disait-on, de moeurs quelque peu légères, il s'était empressé de prêter serment à la fameuse Constitution civile du clergé. Il avait même accepté, dans son zèle pour les institutions nouvelles, de cumuler ses fonctions sacerdotales avec celles de Procureur de la commune, lors de l'établissement d'une municipalité dans l'île.

 

signature A

 

Mettant au service des pouvoirs révolutionnaires l'influence que sa qualité de prêtre lui donnait sur ses paroissiens, il s'était efforcé de montrer à ceux-ci, en prêchant d'exemple, que la Constitution nouvelle n'avait rien d'inconciliable avec la religion catholique, et il paraît bien qu'il y avait réussi sans peine. Il convient d'ajouter que sa tâche avait été facilitée par l'impopularité du gouverneur de l'île, le sieur de Verteuil, - impopularité qui, en rejaillissant sur l'ancien Régime, devait contribuer tout naturellement à faire accepter le régime nouveau.

Mais quand, une fois débarrassés du gouverneur, - que le curé-procureur, de concert avec la municipalité, était parvenu à faire expulser définitivement de l'île au mois de juillet 1791, - les insulaires, le premier mouvement de satisfaction passé, s'aperçurent qu'on se disposait à leur réclamer, en vertu de la législation nouvelle, des impôts beaucoup plus lourds que sous l'ancien gouvernement, la désillusion commença pour faire bientôt place aux récriminations, puis à la colère, et ce fut le curé - celui, disait-on, qui "avait trompé le monde", - qui devait en éprouver les premiers effets.

Pour comble de malheur, ce curé avait un vicaire, l'abbé Jacques Barbeau, qui, lui aussi, avait bien prêté tout d'abord serment à la Constitution civile du clergé, mais s'était presque aussitôt rétracté. Or la municipalité ayant eu la mauvaise idée d'expulser le réfractaire, ce fut une nouvelle cause de mécontentement, et un beau jour, voyant que ses réclamations demeuraient inutiles, la population se fâcha pour de bon.

Le matin du 1er janvier 1792, au sortir de la messe, il se fit un rassemblement de femmes devant la porte de l'église ; les têtes s'échauffèrent peu à peu, et il fut résolu qu'il était temps de passer des paroles aux actes, de refuser l'impôt, de réclamer par la force le "retour à l'ancienne coutume", et d'amener le curé, bon gré mal gré, à prendre la direction du mouvement. Le soir même, à la veillée, quelques femmes décidées vont donner, dans chaque maison, le mot d'ordre pour le lendemain, et les hommes ayant bientôt suivi les femmes, voilà la petite île en pleine insurrection !

Ce fut alors, pour le curé Cadou, une série de tribulations au cours desquelles le pauvre intrus, il faut en convenir, faisait une assez piteuse figure. Chacun l'accusait de vouloir ménager la chèvre et le chou, et comme il arrive presque toujours, en pareil cas, à ceux qui n'ont pas le courage de prendre carrément parti, il était devenu suspect à tout le monde sans contenter personne.

D'un côté, en effet, la municipalité ne pouvait lui pardonner d'avoir pris la défense de son vicaire réfractaire au mois de septembre précédent et d'avoir adressé à cette époque aux membres du district des Sables, en même temps que sa démission de procureur, une plainte dont voici les passages les plus saillants :

"Si l'altération de ma santé et les besoins de ma paroisse ne me retenaient ici, vous m'entendriez moi-même vous adresser de vive voix les plaintes que contient ce récit. Je suis curé constitutionnel. Je suis en correspondance avec l'évêque du département. Depuis longtemps, les avantages de la Constitution ont été un des principaux objets de mes instructions publiques. Mais je ne suis point persécuteur, je n'ai pu applaudir aux barbaries exercées la semaine dernière contre mon vicaire. J'ai soutenu son innocence. Ennemi de tous les procédés violents, j'ai mieux aimé abandonner la place de procureur de la commune que de paraître les conseiller en la conservant.
Voilà mon crime aux yeux de notre municipalité. Elle en a conclu que j'étais complice de mon vicaire ... Là-dessus, deux officiers municipaux et deux notables sont envoyés avec une escouade de matelots soi disant gardes nationales, pour inventorier ma maison à mon insu et en mon absence. Les inquisiteurs pénètrent partout et cherchent jusque dans mon cabinet, parmi mes papiers, des preuves de ma prétendue intelligence avec les ennemis de l'État. La recherche fut longue et laborieuse. Quelques bouteilles de mon meilleur vin en firent supporter l'ennui et consolèrent ces messieurs de son inutilité. Je vous prie d'observer qu'ils agirent ainsi par ordre de leur corps ..." Venait ensuite le récit quelque peu comique d'un baptême auquel bien que malade, il avait dû procéder sans délai sur l'ordre de la municipalité, puis la plainte se terminait ainsi :
"On m'ôte jusqu'à la triste liberté d'être malade. Mes persécuteurs ont autour de moi des espions qui leur rapportent journellement si je suis debout ou couché, coloré ou pâle ... Je vous supplie de mettre fin à tous ces attentats de notre municipalité contre moi ... Je demande, en second lieu, que vous lui défendiez de se mêler de ma santé et que vous lui enjoigniez de me croire pratiquement malade quand je dirai être tel."

Telle était la plainte qui avait contribué à tout gâter entre le curé constitutionnel et la municipalité.

D'un autre côté, les insulaires accusaient leur curé d'être un lâcheur, un homme à double face, et déclaraient qu'ils ne lui rendraient leur confiance qu'à la condition qu'il rédigerait et signerait leurs réclamations, présiderait leurs réunions insurrectionnelles et prendrait, en un mot, la direction effective de la révolte.

Pendant quinze jours, les insurgés furent maîtres de l'île. Le maire, Luc Moizeau, le chirurgien-juge de paix, Jean-Nicolas Laurent, ainsi que les officiers municipaux, étaient bel et bien les prisonniers de leurs administrés. Ceux-ci, hommes et femmes, se réunissaient tous les jours dans la chapelle du port, obligeant le pauvre curé à rédiger en leur nom des réclamations toutes plus anti-constitutionnelles les unes que les autres, au bas desquelles maire, juge de paix et municipaux étaient eux-mêmes contraints d'apposer leurs signatures. - Il faut avouer, d'ailleurs, que tous ces fiers patriotes, qui devaient plus tard se vanter bien haut, auprès du District des Sables, d'avoir toujours été prêts à mourir plutôt que de trahir la Constitution, signaient alors des deux mains tout ce qu'on voulait et tremblaient comme des moutons, bien que personne n'en voulût à leur peau !

L'infortuné curé avait beau parlementer, tergiverser, faire le malade, - ce qui était sa grande ressource, - et se retrancher derrière une foule de prétextes, il lui fallait marcher droit. Parfois, cependant, le rusé bonhomme parvenait à rouler ses naïfs paroissiens, ainsi qu'on peut en juger par ce passage de la déposition qu'il fit plus tard, lors de l'information judiciaire :

"Le 5, veille de l'Épiphanie, quatre femmes se présentèrent à l'église, où j'étais de service ... Elles me dirent que les femmes étaient allées au port en grand nombre, et viendraient chez moi dans la soirée me demander un Mémoire expositif de leur misère et de leur position. La teneur de ce mémoire m'était strictement dictée par ces paroles : Nous demandons les anciennes coutumes ! paroles qui renfermaient non seulement l'exemption de toute imposition directe ou indirecte, mais encore l'abolition du nouveau Régime et le rétablissement de l'Ancien. Sachant cependant que ce dernier article ne tenait pas à beaucoup près autant au coeur de la foule que celui de l'exemption, et qu'il y avait là-dessus diversité d'avis, j'osai prendre sur moi de l'omettre dans mon mémoire, et l'on a paru ne pas s'en apercevoir. Deux heures après, la femme Billet dit qu'on allait au port, et qu'au retour on passerait à la cure, pour demander au curé la rétractation de son serment, et qu'à défaut de ce, on verrait beau tapage !
Le même jour, sur les trois heures et demie du soir, quarante ou cinquante femmes vinrent effectivement chez moi. Pour éviter d'entrer en discussion avec elles par rapport au serment, que je savais être une des demandes qui devaient m'être faites, je m'étais absenté, après avoir chargé ma servante de leur dire que je les satisferais par rapport au Mémoire, que c'était pour y songer à loisir que j'avais été me promener sur le bord de la mer. Il y eut entres elles une contestation courte sur le serment ; cependant elles partirent assez satisfaites, sur l'observation que fit une d'elles que la promesse de faire leur mémoire équivalait à la rétractation du serment."

Après quinze jours de cette vie d'émotions de toute nature, le maire, le juge de paix et l'officier municipal François Turbé, trompant enfin la surveillance de leurs administrés, - qui avaient pris la précaution de consigner toutes les chaloupes de l'île, - parvinrent à s'échapper sur une barque et abordèrent aux Sables. Sur leurs instances, le District de cette ville obtint l'envoi d'un détachement de troupes dans l'île révoltée, et, grâce à de belles paroles et à des promesses, l'ordre se rétablit sans effusion de sang.

Le curé Cadou, qui avait passé un bien mauvais quart d'heure ... de quinze jours reprit alors peu à peu son petit train-train de jureur à double face, et cela sans trop de difficultés. A mesure que la révolution devenait de plus en plus violente, le prudent bonhomme devenait lui-même de plus en plus patriote, et un beau jour, le 17 novembre 1793, voulant donner un gage non équivoque de son civisme, il se maria, à l'âge de cinquante-quatre ans, avec la fille Thérèse Rabaland, âgée elle-même de vingt-huit ans. Il mourut dans l'île en 1810 [le 10 mars]. Entre temps, il s'était repenti, et avait été admis à la communion laïque après avoir solennellement rétracté son serment schismatique.

 

acte décès curé Cadou

 

Quant au vicaire, l'abbé Jacques Barbeau, il s'était exilé en Espagne, d'où il revint sous le Consulat, et fut nommé curé de l'île d'Yeu après le Concordat. Il y mourut en 1818. Sa plus grande consolation avait été d'amener son ancien curé au repentir.

Henri Bourgeois
La Vendée Historique - 1897

AD85

 Acte de mariage :

acte mariage curé Cadou première p

acte de mariage curé Cadou deuxième p

 

île d'Yeu loi

île d'Yeu loi deuxième

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