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La Maraîchine Normande
29 mars 2014

OBSERVATIONS MÉDICO-LÉGALES SUR LA MORT DE M. DE BEAUREPAIRE, COMMANDANT DU 1ER BATAILLON DE MAINE-ET-LOIRE

OBSERVATIONS MÉDICO-LÉGALES
SUR LA MORT DE M. DE BEAUREPAIRE
Commandant du premier bataillon des volontaires de Maine-et-Loire

Toute ma vie j'ai entendu parler de la prise de Verdun par le roi de Prusse, en 1792 ; car toute ma vie j'ai eu des rapports plus ou moins fréquents, plus ou moins intimes avec d'anciens volontaires du 1er bataillon du Maine et Loire, bataillon qui faisait partie de la garnison de la ville assiégée. Longtemps, en recueillant les récits de nos compatriotes, j'ai espéré savoir la vérité sur la mort de M. le lieutenant-colonel de Beaurepaire  ; mais loin de là, plus je questionnais, plus j'écoutais, plus l'incertitude devenait grande dans mon esprit sur les principales circonstances de cet évènement qui a eu un si grand retentissement en France. L'opinion généralement admise me semblait ne reposer que sur des allégations plus ou moins déclamatoires, plus ou moins erronées, et j'entrepris de recueillir tous les documents à l'aide desquels je pourrais m'en former une plus satisfaisante. Je commençait alors une espèce d'enquête médico-légale sur cette question : Comment est mort M. de Beaurepaire dans la nuit du 1er au 2 septembre 1792 ? S'est-il brûlé la cervelle ainsi qu'on le dit depuis 67 ans, ou n'a-t-il pas plutôt été assassiné ? ...
C'est avec cette intention que je me suis servi du terme d'enquête médico-légale ; j'ai voulu de suite faire comprendre que toute considération, toute discussion politique serait entièrement écartée de mon travail.

DE BEAUREPAIRE STATUEC'est le 6 septembre, d'après le Moniteur, qu'on parla pour la première fois à l'Assemblée nationale du suicide de M. de Beaurepaire. - "A la suite de ces délibérations, dit le représentant Laporte qui venait de donner lecture des différentes pièces de la capitulation de Verdun, M. de Beaurepaire, commandant, voyant que les habitants exigeaient impérieusement la reddition de la place, s'est brûlé la cervelle". C'est le simple énoncé d'un fait, rien de plus.
Quelques jours après, le mercredi 12 septembre, M. Delaunay aîné, l'un des représentants de notre ville, en demandant pour M. de Beaurepaire les honneurs du Panthéon, s'exprime ainsi : "Il s'est donné la mort en présence des fonctionnaires publics lâches et parjures qui ont livré le poste confié à son courage." Il est certain, d'après ces paroles, que le commandant s'est brûlé la cervelle en présence du conseil de guerre, et c'est encore aujourd'hui l'opinion la plus populaire. Cependant elle repose sur une erreur matérielle, qui fut rectifiée de la manière la plus formelle le 9 février 1793 par le représentant Cavaignac, chargé par le Comité de sûreté générale et de surveillance de faire un rapport sur la reddition de Verdun. Après la plus minutieuse enquête, M. Cavaignac affirme "que le conseil de guerre se sépara à sept heures du soir, après avoir accepté une suspension d'armes ; que chacun se rendit à son poste ; que Beaurepaire se tint au sien jusqu'à deux heures et demie du matin ; qu'il se retira ensuite dans une chambre voisine, en disant aux soldats qui servaient auprès de lui qu'il allait y prendre du repos".
Cette déclaration détruit radicalement celle de M. Delaunay, et quand une semblable contradiction existe entre d'aussi graves personnages, quand l'un des deux a présenté à la tribune nationale un fait matériellement faux, tout est remis en question pour qui sait réfléchir, et on reste nécessairement dans le doute et la méfiance, jusqu'à ce que quelque circonstance imprévue fasse jaillir la lumière et paraître la vérité.

J'ai d'abord consulté les auteurs qui ont écrit sur la Révolution. Les uns, et en tête le plus grave et le plus circonspect de tous, M. Thiers, n'en parlent pas ; beaucoup citent le fait, mais sans y joindre aucune réflexion ; quelques-uns enfin, malgré les dénégations du représentant Cavaignac, ont conservé et même amplifié la version présentée dans les premiers jours par M. Delaunay ; M. de Lamartine, par exemple, s'exprime ainsi dans son déplorable ouvrage des Girondins :
"La capitulation fut décidée. Beaurepaire, rejetant la plume qu'on lui présentait et saisissant un pistolet à sa ceinture : "Messieurs, dit-il, j'ai juré de ne rendre qu'un cadavre aux ennemis de mon pays. Survivez à votre honte, si vous le pouvez ; quant à moi, fidèle à mes serments, voici mon dernier mot : je meurs libre. Je lègue mon sang en opprobre aux lâches et en exemple aux braves ! ..." En achevant ces mots, il se tire un coup de pistolet dans la poitrine et tombe dans la salle du conseil."

 

MORT DE BEAUREPAIRE 3



J'avais donc inutilement consulté ces différents écrits sans y puiser aucun renseignement utile, lorsque M. le capitaine Alfred La Tour m'apporta de Verdun, où il avait séjourné plusieurs années comme officier du Génie, un ouvrage curieux intitulé Verdun en 1792, épisode historique et militaire par M. Paul Mérat, lieutenant au 24e léger (1849). Je trouvai dans cette intéressante brochure, outre un exposé circonstancié des faits, avant et après la capitulation, deux pièces qui sont en original dans les Archives de la guerre à Berlin, et qui n'ont été jusqu'ici citées par aucun auteur français. Je crois devoir transcrire intégralement ici tout le récit de la mort de M. de Beaurepaire, c'est la pièce la plus importante de mon enquête :

"Le conseil s'ajourna au lendemain pour décider de la rédaction de la capitulation, et M. de Beaurepaire, après avoir visité les remparts et les postes, rentra chez lui, bien convaincu de l'inutilité de la défense. - Il s'enferma dans son appartement en recommandant à son domestique de ne pas le déranger et à la sentinelle de ne laisser entrer personne, prétextant qu'il avait le plus grand besoin de repos. La chambre où il s'était retiré n'était pas son logement ordinaire : il habitait avec sa femme et son enfant dans la ville haute, près de la Roche ; mais depuis qu'il était commandant de place, il avait fait disposer à la maison commune une chambre sise au premier étage, sur la rue, et dans laquelle on peut arriver également par la terrasse et par la grande salle du Conseil municipal.
Environ vers trois heures du matin, le sieur Benoît Petit, sergent au 1er bataillon de la Meuse, et de planton à la mairie, se promenant dans la cour avec un officier municipal, entendit une détonation d'armes à feu. Comme aucun autre appartement n'était éclairé, ils montèrent chez M. de Beaurepaire, et comme nul ne répondit à l'invitation d'ouvrir, le municipal prit sur lui de faire enfoncer la porte. C'est alors qu'ils trouvèrent le cadavre de M. de Beaurepaire gisant à terre et la chambre remplie de fumée de poudre. On fit mettre à la porte de la chambre deux soldats et un caporal tirés du corps de garde de la mairie, fourni ce jour-là par les volontaires d'Eure-et-Loir, et il leur fut interdit de laisser entrer personne avant l'arrivée des magistrats.
Louis Perrin, juge de paix du canton de la ville basse de Verdun, accourant aussitôt à la requête de M. Pichon, le commissaire des guerres, rédigea un procès-verbal de l'évènement qui mettait toute la ville en émoi pour ne pas dire en révolution.
M. de Beaurepaire fut trouvé  vêtu d'un habit de garde national, d'une veste de basin blanc, culotté de peau et botté ; il portait la croix de Saint-Louis sur la poitrine et l'épée au côté ; deux pistolets étaient à côté de lui.
Le juge de paix, qui était assisté de deux officiers municipaux, MM. Collard et Cauyette, trouva sur lui un portefeuille contenant deux assignats de 50 livres, trois billets de confiance de 5 sous et un billet de confiance de 10 sous, des papiers de famille qui furent transmis au juge de paix du canton de la ville haute pour être remis à Mme de Beaurepaire, et quelques papiers concernant la place qui furent envoyés au sieur Devaux, greffier-secrétaire de la place. - Dans une bourse de soie étaient neuf assignats de 5 livres ployés ensemble, deux doubles louis d'or et 28 livres 5 sous en argent blanc ; plus, dans la poche du gilet, une montre à boîte-d'or et une clef ; toutes choses qui furent remises à Mme de Beaurepaire.
M. Charles l'Espine, maître en chirurgie, domicilié à Verdun, après avoir visité et examiné ledit corps, nous a dit et rapporté qu'il avait trouvé le menton, les deux mâchoires tant supérieure qu'inférieure, la moitié du front, tout le côté droit de la tête, enlevés ; le crâne ouvert et la moitié de la tête emportée, dont on a trouvé plusieurs morceaux de chair et d'os épars en la chambre ; que cette mort a été occasionnée par deux coups de pistolets que l'on a trouvés déchargés à côté de lui. - Qu'il n'y a pas de doute que ce soit ledit sieur Beaurepaire qui se soit donné la mort, ayant trouvé une quantité prodigieuse de sang répandu à côté de lui, qui a jailli jusqu'au plafond et après la boiserie de ladite chambre et sur le matelas qui s'y trouve.
Les témoins signèrent avec MM. Perrin, Collard et Cauyette furent : Petit, sergent au 1er bataillon de la Meuse, Bohef, sergent à la 6e compagnie de l'Allier ; Langlois, caporal à la 1ère de Seine-et-Marne, tous de planton à l'Hôtel-de-Ville, et qui déclarèrent que personne n'avait paru ni remué dans la maison commune depuis huit heures du soir, moment de la rentrée de M. de Beaurepaire, jusqu'à l'instant où le bruit du coup de pistolet était parvenu à leurs oreilles."

Ainsi que je l'ai dit, ce procès-verbal, revêtu de toutes les formalités légales, est déposé en original aux Archives de la guerre à Berlin ; il en existe une copie aux manuscrits du Dépôt de la guerre à Paris, et cependant il n'a été mentionné par personne. Il aurait dû trancher la question qui nous occupe ; mais il est rédigé de telle façon, qu'il ne peut fournir le moindre argument tant soit peu concluant pour démontrer qu'il y a eu suicide.
En médecine légale, on ne doit jamais dire qu'un fait est certain, si cette certitude n'est pas démontrée par des preuves irrécusables, et on ne trouve aucune de ces preuves dans les documents que je viens de citer. M. le juge de paix Perrin donne les détails les plus précis sur les habits du commandant, sur l'argent et les billets qu'il avait dans ses poches ; mais il ne dit pas un mot de la position du cadavre, et il ne dit rien non plus sur la position exacte des pistolets. Ils étaient à côté de lui ; mais l'un était-il à droite, l'autre à gauche du cadavre, ou étaient-ils tous les deux du même côté, ainsi que le procès-verbal pourrait le faire croire ? Avaient-ils récemment fait feu tous les deux ou un seul avait-il été tiré ? Toutes ces indications étaient indispensables et on n'en dit pas un mot.
Dans le procès-verbal de M. Charles l'Espine, maître en chirurgie, non seulement il y a aussi des omissions qu'il n'est jamais permis de faire en pareil cas, mais on trouve à la fin une affirmation aussi téméraire qu'injustifiable. "Il n'y a pas de doute, dit le médecin expert, que ce ne soit le sieur Beaurepaire qui se soit donné la mort, ayant trouvé une quantité prodigieuse de sang répandu autour de lui, qui a jailli jusqu'au plafond, après la boiserie de ladite chambre, et sur le matelas qui s'y trouve."

Pendant plus de dix ans, j'ai été chargé de la pénible mission de constater les morts violentes qui avaient lieu dans l'arrondissement d'Angers, de rechercher si elles étaient le résultat d'un acte volontaire, d'un crime ou d'un accident, et jamais je n'aurais osé émettre même un soupçon, si je n'avais eu pour le justifier que des faits aussi peu probants que ceux présentés à l'appui de son affirmation par M. le chirurgien de Verdun. Un de ces faits cependant aurait pu démontrer le suicide, si on l'avait constaté dans toutes ses particularités au lieu de l'indiquer par un seul mot : c'est la présence du sang au plafond, où il avait jailli, prétend-on. S'il y avait réellement des taches au plafond, il eût d'abord fallu démontrer que ces taches étaient bien des taches de sang. Il est impossible d'admettre que le sang ait jailli jusqu'au plafond, ainsi qu'on le dit : il n'aurait pu y être porté que par le projectile, et c'est le passage, la direction de ce projectile qu'il aurait fallu surtout indiquer. Si, en effet, on avait trouvé près de ces taches, directement au-dessus de la tête du cadavre, la trace d'une ou de plusieurs balles, le suicide était plus que probable ; je pourrais citer à l'appui de mon opinion plusieurs faits que j'ai observés et qui sont aussi démonstratifs que possible.
En omettant ces diverses et nécessaires indications, M. le juge de paix et surtout M. l'Espine ont enlevé à leurs procès-verbaux toute espèce de valeur médico-légale. M. le chirurgien a eu de plus le grand tort de déclarer vrai un fait très grave, alors qu'il ne basait cette assertion que sur des allégations qui ne prouvent nullement qu'il y a eu suicide.
Même avec les documents si précieux que nous a fait connaître M. le lieutenant Mérat, il est donc impossible de trouver jusqu'à ce jour une seule preuve physique qui permette d'affirmer que M. de Beaurepaire s'est suicidé. Nous ne pouvons donc obtenir qu'une conviction morale basée sur l'interprétation tout à fait hypothétique des faits constatés ; voici l'explication donnée par M. Mérat :

"Rentré chez lui, seul, livré à ses pensées, au milieu de la nuit, il se sentit effrayé de la responsabilité qui allait peser sur lui ; il n'osa pas lutter contre le sort fatal qui lui avait fait écheoir le commandement d'une place abandonnée, peut-être même livrée à l'ennemi avant qu'elle fût attaquée ; il vit que le conseil défensif voulait la capitulation ... Sa tête se perdit, son exaltation l'égara ; il se comprit déshonoré, traîné à l'échafaud, et le désespoir s'emparant de son âme, il résolut de prouver que s'il ne pouvait pas vaincre, tout au moins il savait mourir. Ce qui me porterait surtout à croire cela, continue M. Mérat, c'est cette lettre qui nous est restée de l'écriture, dit-on, de Beaurepaire, mais sans signature, et sur laquelle, à coup sûr, il médita lontgtemps avant d'en finir avec l'existence :

"Du 1er septembre 1792 à trois heures du soir.
Le commandant de la place aura l'honneur de faire parvenir demain à M. le duc de Brunswick, avant l'expiration des vingt-quatre heures, sa réponse définitive aux conditions qui lui sont proposées ; mais il a l'honneur d'observer que deux corps de troupes de la garnison sont entrés avec chacun deux pièces de campagne faisant partie de leur armement, et qu'ils espèrent qu'on voudra bien les leur accorder comme une des conditions intégrantes de la capitulation proposée.
Le commandant militaire de Verdun."

Cette version est certainement acceptable, et il est possible que les faits se soient passés ainsi. Tout autour du commandant était trahison et mort. S'il acceptait la capitulation avant un assaut, il lui fallait fuir la France ou livrer sa tête au hideux couperet de la guillotine ; s'il persistait à ne pas vouloir la signer malgré l'avis des corps administratif et judiciaire, malgré les démonstrations énergiques de la population et de la garde nationale, il s'exposait aussi à la mort dont le menaçait l'émeute, et on conçoit que, dans une positions semblable, une espèce de désespoir fasse accepter par un homme faible de caractère ou surexcité par les passions politiques, les résolutions les plus extrêmes.

Mais tel n'était pas M. de Beaurepaire. Celles de ses lettres qui ont été publiées donnent à penser qu'il traversait avec un grand calme les évènements extraordinaires au milieu desquels il se trouvait lancé. Né le 7 janvier 1740, il avait plus de cinquante-deux ans au moment de sa mort. Entré au service comme soldat en 1760, il était, en 1768, officier et porte-étendard dans le magnifique régiment des Carabiniers de MONSIEUR, et en 1789 capitaine et chevalier de Saint-Louis. Dans ces conditions, avec de tels états de service, un militaire se préoccupe fort peu de ressembler à Caton ou à Brutus ; mais il est inflexible sur le devoir, et il sait que l'honneur du soldat est avant tout de défendre, tant qu'il a un souffle de vie, le poste que la Patrie lui a confié. M. de Beaurepaire le savait mieux que personne, et il était décidé, j'en suis convaincu, à mourir l'épée haute et le commandement à la bouche, lorsqu'après avoir parcouru tous les postes, il rentra dans sa chambre et y trouva la mort.

Si les contradictions qui ont existé dans les détails donnés dès les premiers temps à la tribune nationale ; si les incertitudes maintes fois signalées dans les récits de nos compatriotes, anciens volontaires du 1er bataillon ; si l'absence, dans les procès-verbaux officiels de juge de paix et de médecin, des renseignements les plus nécessaires sur la position du cadavre et des pistolets, l'état des pistolets, le trajet et la direction du ou des projectiles (car il est impossible de dire si un seul coup de pistolet a été tiré ou s'il y en a eu deux), si l'ensemble de toutes ces circonstances doit faire regarder comme très douteux le suicide de M. de Beaurepaire, il a de plus pour conséquence immédiate, forcée, de faire penser que si le commandant ne s'est pas donné la mort, il l'a reçue d'une main étrangère ; et c'est ici le cas de parler d'un document presqu'aussi intéressant et tout aussi peu connu que le travail de M. Mérat.

En 1836, le roi Louis-Philippe demanda au général Lemoine, qui avait assisté au siège de Verdun comme commandant en second du bataillon de Maine-et-Loire, de rédiger ses souvenirs sur le sujet. Le général envoya un mémoire qui fut ensuite, par les ordres du roi, porté aux manuscrits du Dépôt de la guerre.
Nous y trouvons une nouvelle explication de la mort de M. de Beaurepaire, la voici :

"Le lendemain 2 septembre, à cinq heures du matin, dit le général Lemoine, lorsque le pont-levis de la citadelle fut baissé, on vint me prévenir que le commandant Beaurepaire s'était brûlé la cervelle dans sa chambre à coucher. Je courus à la maison de ville où je trouvai le corps du commandant sans vie, horriblement mutilé et baignant dans son sang par l'effet d'un de ses pistolets qui se trouva déchargé et qui parut avoir été tiré du côté de la face, ce qui lui enleva une partie de la tête. J'interrogeai le secrétaire, le domestique qui était à sa porte au moment de la détonation du pistolet ; ce dernier me déclara avoir entendu marcher sur la terrasse et ouvrir la porte de la chambre où reposait le commandant, et après la détonation, il entendit encore fermer cette porte et marcher sur la terrasse avec précipitation en se dirigeant vers l'appartement où étaient en permanence les membres de la municipalité.
Cet appartement avait également une porte par laquelle on communiquait sur cette terrasse, et par conséquent avec l'appartement du commandant Beaurepaire. Nous fîmes aussitôt des recherches dans ses papiers pour nous assurer s'il avait laissé quelques notes pour sa famille, pour moi ou pour quelqu'autre personne. Mais nous ne trouvâmes rien, absolument rien qui pût faire penser qu'il s'était préparé à cette catastrophe. Aussi je déclare hautement que je n'ai jamais pu ployer ma raison jusqu'à croire que cette mort fût l'effet d'un suicide."

Tout dans ce récit me semble l'expression de la vérité, de la part de l'homme qui mieux que personne devait connaître les plus intimes pensées de son commandant. M. de Beaurepaire, je le crois comme M. le général Lemoine, aimait trop tendrement sa femme et son fils, qui l'avaient suivi dans sa périlleuse campagne, pour ne pas leur écrire quelques mots d'adieu avant de se donner la mort ; il était trop bon militaire pour ne pas transmettre avant de mourir, à celui qui devait immédiatement le remplacer à la tête du bataillon, ses dernières volontés, ses dernières instructions, ses ordres suprêmes. J'admets donc de tous points l'explication donnée par le général Lemoine, et je crois d'autant mieux que cette opinion est la véritable qu'elle a formellement été émise et énergiquement soutenue par M. Gosselin, colonel du génie, dans un écrit que je n'ai malheureusement pas pu me procurer, mais dont on m'a fait connaître le sens et l'esprit. Après avoir questionné souvent à Verdun les hommes qui, par leur âge, par leur position, étaient le mieux en mesure de connaître la vérité ; après avoir causé avec eux de la manière la plus intime, le colonel, qui est lui-même de Verdun, est persuadé qu'à l'issue de la séance du conseil de défense, à sept heures du soir, plusieurs officiers municipaux étaient restés à la maison commune ; on attendait avec anxiété la réponse que devait donner M. de Beaurepaire, et vers la fin de la nuit, comme tout devait faire croire que le commandant persisterait dans sa résolution de ne pas capituler, un personnage inconnu, porteur de la lettre au duc de Brunswick qu'on a trouvée non signée auprès du cadavre, a pénétré dans la chambre du commandant par la terrasse, lui a demandé s'il voulait signer, et sur son refus a fait feu, puis s'est retiré précipitamment par la même terrasse. L'explosion est entendue du sergent et de l'officier municipal qui se promenait dans la cour ; ils heurtent chez le commandant, enfoncent la porte, et placent des factionnaires avec consigne de ne laisser entrer personne. M. le juge de paix Perrin, M. le maître en chirurgie l'Epine, rédigent leur procès-verbal, et à cinq heures, lorsque le pont-levis est baissé, les volontaires du 1er bataillon, qui tous avaient passé la nuit dans la citadelle, apprennent que leur commandant est mort et qu'on a constaté qu'il s'était suicidé. Au même instant le conseil de défense se réunit de nouveau, accepte la capitulation avec des expressions presqu'identiques à celles de la lettre trouvée près de M. de Beaurepaire, et avant midi, Marceau, comme le plus jeune officier supérieur de la place, la remettait au roi de Prusse.

 

NICOLAS DE BEAUREPAIRE



Tel est, je n'en doute pas, la vérité sur la mort du commandant du 1er bataillon de Maine-et-Loire, et sur la reddition de Verdun.
Si cette vérité a été si longtemps méconnue, c'est qu'elle a été tout d'abord couverte d'un voile épais par des gens intéressés à le faire, qui ont présenté à sa place, comme un acte d'héroïsme, ce qui n'était réellement qu'un prudent et adroit mensonge. On ne se vante jamais d'avoir tué un homme par surprise, même quand, en se portant à cette extrémité, on a pour but d'apargner à une ville les horreurs d'un bombardement et d'un assaut ; on tâche au contraire, par tous les moyens possibles, de rejeter bien loin de soi la terrible responsabilité d'un tel acte. C'est ce qu'ont fait ceux qui, comme je le suppose, ont tué M. de Beaurepaire. Ils ont immédiatement déclaré que le commandant s'était suicidé ; ils l'ont fait constater avec toutes les formalités légales, et ils ont ainsi échappé à toute crainte d'enquête postérieure, d'instruction judiciaire, de représailles. En relisant même avec attention le post-scriptum qui termine le procès-verbal, on se demande si en constatant que personne n'avait paru ni remué dans la maison commune depuis huit heures du soir, moment de la rentrée de M. de Beaurepaire, jusqu'à l'instant où on a entendu le coup de pistolet, on n'a pas voulu, dès le premier moment, détruire autant que possible un fait qui mieux qu'aucun autre pouvait conduire à la découverte de la vérité.
De son côté, le gouvernement d'alors trouva dans le suicide de M. de Beaurepaire, un puissant moyen d'action sur les masses armées qu'il précipitait au-devant de la coalition qui envahissait la France. "Beaurepaire, disait M. Delaunay, n'est pas mort en homme faible et désespéré ; son trépas n'a été que le refus de revoir la lumière après qu'elle a éclairé des trahisons et des perfidies ; il a jugé que sa mort nous serait plus utile que sa vie, qu'il fallait que cette grande et terrible leçon encourageât les timides, raffermît les chancelants ; qu'elle devînt le premier supplice des coeurs lâches qui ont abjuré la liberté, et qu'enfin elle apprît aux satellites de la Prusse et de l'Autriche, qu'on n'asservit point un pays tant qu'il y existe des hommes qui n'ont pas vraiment juré de vivre libres ou mourir."
Beaurepaire fut le héros populaire ; on joua sur plusieurs théâtres des pièces qui finissaient, aux grands applaudissements de la foule, par le suicide et l'apothéose du commandant angevin, et dans presque toutes les villes, on donna à l'une des rues les plus fréquentées le nom du chef de notre premier bataillon.

Il était donc du plus haut intérêt pour un certain nombre d'habitants de Verdun de faire croire au suicide de M. de Beaurepaire, et personne n'avait intérêt à prouver le contraire ; il était utile au gouvernement d'assimiler cette mort volontaire aux actes les plus fameux dans l'histoire de la vieille Rome et de la vieille Grèce, pour surexciter dans la nation un enthousiasme qui lui était plus que jamais nécessaire : un seul individu devait en souffrir si ce n'est dans sa personne, au moins dans le respect qu'on devait à sa mémoire, et cet individu était M. de Beaurepaire lui-même. Tout l'enthousiasme dont je parlais tout à l'heure ne dura pas longtemps, car dans son fameux rapport, le représentant Cavaignac prononçait, cinq mois après la prise de Verdun, cette phrase sévère : "Je ne ferai aucune réflexion sur la mort de Beaurepaire, je laisse à l'histoire le soin d'apprécier une action qui lui a mérité les honneurs de l'apothéose. Je me contenterai d'observer qu'il est à regretter que cet officier, au lieu de se donner la mort, ne l'ait pas reçue de la main d'un ennemi sur la brèche ou dans la citadelle : c'est là que son sang pouvait couler utilement pour la patrie." Quel démenti donné aux phrases ampoulées du rapport du mois de septembre ! ..."
Bien souvent, pendant cinquante ans, la mort de M. de Beaurepaire a été jugée comme elle l'avait été en pleine Convention ; bien souvent elle a été stigmatisée, d'une manière plus cruelle encore, au nom de la morale et de la religion, mais jamais dans une circonstance plus grave qu'en 1842, à Angers même, dans le sein du Conseil municipal, où l'on agitait la question de savoir si une statue serait élevée au commandant du 1er bataillon. Un militaire aussi brave que distingué, officier supérieur comme M. de Beaurepaire, comme lui chevalier de Saint-Louis (M. La Tour, commandant du génie), déclara formellement qu'il voterait contre un semblable projet : "Je ne consentirai jamais, dit-il, à honorer la mémoire d'un officier qui, chargé d'un commandement, aurait abandonné son poste, et se brûler la cervelle quand on est en face de l'ennemi, c'est la plus honteuse manière de déserter."

Eh bien ! c'est pour détourner de M. de Beaurepaire une pareille note d'infamie, c'est pour augmenter et rendre plus irréprochable aux yeux de tous le prestige qui entoure encore aujourd'hui son nom ; c'est par respect pour la mémoire de son fils qui m'honora souvent du titre d'ami ; c'est par affection pour plusieurs de ses parents qui jouissent dans notre ville d'une haute et juste considération, que je voudrais porter dans tous les esprits la conviction qui s'est formée dans le mien, et faire admettre, contrairement à ce qui a été dit et écrit jusqu'à ce jour, les conclusions suivantes :

M. de Beaurepaire ne s'est point volontairement donné la mort à Verdun dans la nuit du 1er septembre 1792 ;
Décidé à rejeter une capitulation qu'il ne pouvait, sans se déshonorer, accepter dans les conditions où on la lui présentait, il a été tué par ceux qui voulaient éviter à la ville les horreurs d'un bombardement et d'un assaut ;
M. de Beaurepaire est mort à son poste ; il l'a défendu jusqu'à son dernier soupir, comme doit le faire tout brave et loyal officier.

ADOLPHE LACHESE
Revue de l'Anjou et de Maine et Loire
Tome sixième
1860

Nicolas de Beaurepaire
né à Coulommiers, le 7 janvier 1740
Mort à Verdun, le 2 septembre 1792
Marié le 19 août 1776 à Joué-Etiau
à dame Marie-Anne-Charlotte Banchereau-Durail
Un fils : Stanislas-Joseph, né le 11 juin 1777, à Joué.

 

mariage de Nicolas de Beaurepaire et naiss

décès de Nicolas de Beaurepaire

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