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La Maraîchine Normande
12 mars 2014

LE FAUX DU DUC DE FELTRE ET DU GOUVERNEUR DE PARIS CONTRE LE DUC DE ROVIGO

LE FAUX DU DUC DE FELTRE ET DU GOUVERNEUR DE PARIS CONTRE LE DUC DE ROVIGO

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Un ministre de la guerre usant de documents faux pour perdre un ennemi personnel, il faut arriver à l'année 1816 pour assister à ce crime. Malheureusement pour son auteur, il y eu sur ces faits des débats judiciaires, à Paris même. Où ? devant le 2e conseil de guerre réuni par ordre du ministre en fonctions, le duc de Feltre pour 1816 et le marquis de Latour-Maubourg en 1819 pour le procès définitif. Mais on observera que les pièces de la procédure sont datées de 1816, d'où il suit que le ministre de Latour-Maubourg n'a pu encourir aucune responsabilité pour un dossier qu'il a ignoré et dont la collection appartient à l'ancien ministre de l'Empire et de la Cour de Gand.

 

Savary_peinture


Quel était le passé de l'inculpé, Savary, duc de Rovigo ?
Engagé volontaire au 18e de cavalerie en 1774, sous-lieutenant en 91, commandant en 97, chef de brigade par Kléber, en Egypte, aide de camp de Dexaix à Marengo, puis du Premier Consul avec Rapp, général en 1803, divisionnaire en 1805, ministre à Pétersbourg en 1807, il avait prit part à toutes les campagnes de la Révolution et de l'Empire, même en Espagne. N'oublions pas son titre d'honneur comme général en chef. Le 16 février 1807, il gagna la bataille d'Ostrolenka à la tête du 5e corps qu'il commandait en l'absence du maréchal Lannes, il prit aux coalisés 2 drapeaux et les obligea par cette victoire à rester désormais sur la défensive.
Enfin, il était devenu ministre de la police. C'est ce dernier titre qui a porté à le mal juger, autant que l'affaire de l'infortuné duc d'Enghien où il aurait rempli un rôle qu'il a toujours contesté et dont la principale responsabilité incombe au prince de Talleyrand, son premier inspirateur.


Ce qu'offre de curieux ce procès, c'est que sa première cause n'y est pas mentionnée. Il n'y est jamais fait d'allusion, même apparente, au drame compliqué de Vincennes. Mais on a le droit d'avancer que les juges, le président surtout, ont été informés secrètement du but poursuivi. Ne vit-on pas, en effet, le gouverneur de Paris en fait, général Despinois, dicter ouvertement la sentence que devra prononcer le conseil de guerre ? On s'y prit mal dans la rédaction du faux qui constituait la preuve principale et c'est ce qui devait perdre la cause elle-même.


Examinons maintenant les phases du procès.
Porté sur la liste du 24 juillet par Fouché (à son insu) pendant qu'il défendait la liberté de Napoléon, fidélité haute à son maître et bienfaiteur, le général Savary s'était rendu à bord du Bellérophon. Parvenu à Plymouth, il fut considéré comme prisonnier et envoyé à Malte à ce titre. A la mi-avril 1816, il put s'évader, se rendit à Smyrne, passa à Trieste puis à Gratz, retourna à Smyrne et fit voile pour Londres où il résolut de rentrer en France afin de purger sa contumace. Il se constitua prisonnier en décembre 1819 après les péripéties que l'on vient de constater.
La procédure de la contumace restant la même, le dossier organisé en 1816 fut mis au jour cette fois pour y être discuté et détruit quant à la pièce principale.
On observa que le premier conseil de guerre fut présidé par le lieutenant-général duc de Gramont, émigré, et que le second le fut par son collègue le comte de Damas, également émigré. En voulant éviter les suspicions apparentes, le ministre avait cherché la condamnation à tout prix de l'inculpé ; ceci ressort du texte de la dépêche écrite par le gouverneur de fait de Paris appelant "monument incontestable" la lettre sur laquelle reposait la poursuite exercée et qui constituait un faux.


Cet acte, le voici en son entier pour les deux procès.
"J'avais nommé le docteur Renoult médecin des prisons d'Etat. Il a été renvoyé et c'est lui qui, dans l'année qui vient de s'écouler, a été le colporteur et l'entremetteur entre l'île d'Elbe et nous. Il est connu du ministère et fera bien ce qu'on demandera de lui. Il a fait les guerres d'Italie et de Pologne."
Le lecteur n'aura pas de peine à saisir la perfidie des termes de cette accusation.


Le 27 août 1816, le général Despinois écrivait au duc de Feltre à titre de commandant la 1ère division militaire sur la prétendue trahison du duc de Rovigo. Cet acte est de première importance dans la question. Il devait entraîner, en effet, la condamnation à mort de l'inculpé par contumace, le 24 décembre suivant :
"Monseigneur, j'ai reçu avec la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser aujourd'hui celle écrite de la main du Duc de Rovigo pour recommander au duc d'Otrante le docteur Renoult, agent de correspondance entre l'île d'Elbe et le parti de l'usurpateur." Il promettait, en terminant, de faire remarquer au rapporteur du conseil combien cette pièce était propre à établir la culpabilité du prévenu et à éclairer la justice.
Donc, la lettre était envoyée par le Duc de Feltre ; le même jour, il avait informé le général Despinois de la culpabilité évidente de son ancien collègue par la pièce qu'il lui expédiait en vue de prouver les correspondances coupables qui avaient eu lieu avant le 20 mars avec l'île d'Elbe.
Voilà, par un document inédit des archives de la guerre, la source d'où émanait la fameuse lettre qu'on démontrera fausse en 1819 et dont le défenseur Dupin déclarait qu'on ne pouvait découvrir l'auteur. Cet acte fut fabriqué pour les besoins de la procédure, on ignore par qui, mais il est acquis par l'envoi du 27 août que le Duc de Feltre acceptait d'en couvrir l'authenticité.
Le président du 2e conseil de guerre de Paris en tira le droit de condamnation pour intelligences criminelles avec l'usurpateur : Duc de Gramont, capitaine des gardes du Roi.
Le faux émanant du cabinet du ministre de la guerre se compliquait de la lettre introduite dans la procédure, signée du comte Despinois, et qui diffère de celle que nous venons de publier. Enfin, le faux signé Rovigo n'avait ni date ni adresse.


Pourquoi Savary était-il poursuivi ?
Ce n'était ni comme général, ni comme ambassadeur intérimaire à Pétersbourg en 1807, ni comme général en chef à cette date en Espagne, ni comme ministre de la police impériale, mais pour la part qu'il avait prise à l'arrestation du Duc d'Enghien. On n'a pas à discuter ici ce fait dont il s'est fort défendu et dont un Mémoire justificatif original fut envoyé au Ministre de la guerre condamnant l'initiative du prince de Talleyrand. Il n'en fut rien argué dans les deux procès ; l'histoire a le devoir d'être clairvoyante et d'attester que ce qui fut passé sous silence explique l'accusation empreinte d'un esprit de représailles secrètes.


Le prince de Talleyrand et le Duc de Feltre étaient des complices en trahison faits pour s'entendre depuis la Cour de Gand. Quelques services qu'eût rendu le premier en 1814 et au Congrès de Vienne en 1815, voulut à tout prix anéantir son initiative dans l'arrestation du duc d'Enghien.
De là, première entente avec Fouché pour perdre le duc de Vicence qui avait été porté sur la lettre de proscription du 24 juillet, acte que l'intervention du czar avait annulé.
Seconde entente contre Réal, l'ancien préfet de police de 1804, bannissement pour ce dernier que l'on rappela en 1818 afin d'acheter son silence sur les émigrés.
Troisième entente, avec le ministre de la guerre cette fois, afin de rejeter sur le duc de Rovigo l'ensemble du drame de Vincennes. Ici, on trouva à qui parler.


Pour y parvenir, on créa une pièce fausse, démasquée par le prévenu et par les experts en écriture. Nous passons sous silence la démonstration de ces derniers et que Dupin a raconté dans sa plaidoirie ; la réponse du général à l'interrogatoire du rapporteur suffit pour prononcer :
"L'auteur de cet écrit, dit-il, a assez bien imité mon écriture. Si l'on me présentait un billet à ordre ainsi écrit et signé, je paierais probablement ; mais cette lettre se rattacherait à des faits d'une telle importance qu'il serait impossible qu'ils fussent sortis de ma mémoire et je suis bien sûr de ne l'avoir ni écrite ni signée. Je sais que pendant que j'ai été ministre, on a plusieurs fois falsifié ma signature, que l'on a principalement apposée sur des permis de revenir d'Angleterre en France."


Le récipiendaire de la lettre fut entendu, voici son témoignage :
"Je ne crois pas qu'elle soit du duc de Rovigo ; je n'y ai pas reconnu les caractères de son écriture. Les faits qu'elle énonce sont absolument faux et M. le duc de Rovigo ne peut pas être la personne qui les a supposés."


Attaché à la préfecture de police le docteur Renoult n'avait pu voyager de Paris à l'île d'Elbe puisqu'il donnait tous les jours sa signature pour le service dont il était chargé.
Vainement, les experts persistèrent-ils dans leur accusation : la lettre signée duc de Rovigo est de la main du duc, le rapporteur déclara malgré leurs assertions, qu'il révoquait en doute l'authenticité de la lettre. De son avis, c'était donc une pièce fabriquée pour les besoins de la cause. Il alla plus loin dans sa contestation, il la donna comme impuissante à fournir la preuve que le duc se fût rendu coupable de trahison. Son auteur devenait un imposteur et un imposteur aussi maladroit que coupable.
Peut-on croire qu'un employé quelconque des bureaux de la guerre ait écrit cette pièce de lui-même ? Non. L'ordre est venu du ministre, ennemi personnel de l'accusé, sa haine l'a mal conseillé et l'a mal servi.


Dupin attaqua personnellement le général Despinois : "de qui tenait-il cette lettre ?" On ne l'a jamais appris ; or, c'est lui qui l'avait versée dans la procédure. Il était donc le complice du faussaire. Il ne faut pas grandes conjectures pour comprendre, en 1816 surtout, qu'une explication orale dut se produire entre lui et son ministre afin de perdre le confident de Napoléon mêlée à tant de secrets d'Etat comme à de justes répressions contre les émigrés, durant l'Empire. La Restauration de 1814 en avait remis en liberté, 3.000 incarcérés encore à cette date, et quelques-uns d'entre eux ont dû demander au cabinet du roi, bienveillant pour les représailles, une poursuite entraînant la peine capitale.
Par une imputation de haute trahison, on y parviendrait. De là le procès sur pièce fabriquée. Toutes les vengeances seraient ainsi satisfaites, duc d'Enghien, émigrés, réfractaires et traîtres.
Le duc d'Otrante, enfin, ne pouvait avoir rédigé le faux dans ses bureaux s'écriait Dupin. Avouer que Renoult a été le colporteur de communications entre l'île d'Elbe et nous ! mais ce dernier mot aurait compromis le ministre de la police autant que le duc de Rovigo. Le duc d'Otrante l'eût supprimé soit dans les Cent-Jours soit depuis et particulièrement au 24 juillet 1815 puisqu'il en contresigna l'Ordonnance.
Ce faux, qui l'a mis dans le dossier de 1816 ? qui l'a rédigé ?
A ces questions nul n'a répondu, parce que le Duc de Feltre ne pouvait s'accuser lui-même.
Le conseil de guerre lui infligea l'acquittement le plus sanglant des démentis, et il le lui infligea avec cette aggravation à retenir : à l'unanimité des voix. Pour que sa défaite fût complète, il ne lui manquait qu'un dernier malheur, voir le Rapporteur renoncer à en appeler de la sentence rendue ; ce désastre, il en éprouva la honte, mais il restait maréchal de France.


Dans un conseil de ministres tenu à la fin du mois de janvier 1809, Napoléon interpella Talleyrand en ces termes :
"Et vous osez prétendre, Monsieur, que vous avez été étranger à la mort du Duc d'Enghien ? Et vous osez prétendre que vous avez été étranger à la Guerre d'Espagne !
Etranger, répétait Napoléon, à la mort du Duc d'Enghien ! mais oubliez-vous donc que vous me l'avez conseillée par écrit ? Etranger à la Guerre d'Espagne ! mais oubliez-vous donc que vous m'avez conseillé dans vos lettres de recommencer la politique de Louis XIV ? Oubliez-vous que vous avez été l'intermédiaire de toutes les négociations qui ont abouti à la guerre actuelle ?"

Extrait
Les royalistes contre l'armée (1815-1820)
par Ed. Bonnal
Tome premier
1906

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