ANGERS (49) - RAPPORT TROTOUIN SUR LA SITUATION DE LA MAISON DU CALVAIRE
Rapport à l'Assemblée Nationale sur la situation de la prison pour femmes dite maison du Calvaire, à Angers, rendu par Joseph Trotouin, un de ses administrateurs.
Il y dénonce la terreur que faisait peser les représentants du peuple et la commission militaire sur la ville au moment du siège d'Angers, les abus d'incarcération et les exécutions sommaires, 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794).
MAISON D'ARREST DU CALVAIRE
ANGERS
15 VENDEMIAIRE 2' ANNÉE DE LA REP. FRAN. UNE & IND.
LIBERTÉ OU LA MORT
VÉRITÉ ET JUSTICE
CITOYENS
L'Assemblée nationalle a depuis longtemps proclamé la justice et la probité à l'ordre du jour. Les habitants de cette commune tardifs à en ressentir les effets ont attendus avec patience le moment où ils pourroient dire la vérité et faire connaître les charlatans en patriotisme, les hommes immoraux qui ont causer leurs malheurs.
L'homme juste, l'homme sensible croira difficilement ce qui s'est passé. Peut-on, sans frémir d'horreur, retracer le spectacles de jeunes filles âgées de 13 à 14 ans arrachées de leurs habitations paisibles, devenues ensuite la victime de la brutalité du soldat, et à peine échappées à leurs coups meurtriers, mises en détentions ou elles périssent de misère, et du mal dont elles sont atteintes. Croira-t-on que des ordres barbares ayent été donnés de tuer femmes et enfants, hélas citoyens n'en doutez point les enfants de 2 et 3 ans ayant encor les cicatrices meurtriers de coups de sabre et de bayonette existent dans ces murs. Des âmes sensibles se sont chargés de panser leurs blessures, et promettent les rendre un jour citoyens utiles à la société.
Employé depuis un an en qualité d'administrateur de la Maison D'arrest du Calvaire, j'avais accepté cette place ne soupçonnant que ma sensibilité dut être a ... d'aussi pénibles épreuves, les injustices, les horreurs dont j'ai été témoin étoient bien loin de ma pensée. Il en coûte à mon coeur de les rappeller à mon souvenir, des femmes tranquilles prises dans leurs foyers, arrêtées et détenues par mesure de sûreté généralle, devoient-elles, être considérées comme criminelles. Des opinions religieuses, un rang supérieur, ont pu rendre quelques unes suspectes, mais aucune loi en prescrivant la détentention dans ce cas n'a ordonné la mort.
L'époque du siège d'Angers par les Brigands, fut le prélude du sistême de sang mis en usage pour troubler les esprits. Le feu mi sans nécessité à diverses maisons de particuliers étoit fait pour occasionner de la division et des haines particulières. Le feu fut aussi mis à des édifices nationaux situés à une longue distance de la ville, et en cela on doit pas prétendre que c'étoit en légitimer les motifs.
Des Représentants siégeoient dans nos murs, et tout se faisait, ... (?), par leurs ordres, ainsi que tout ce qui a suivi. Ces désordres eurent lieu même après la Retraite des Brigands. On chercha envain à familliariser le peuple au sang, il y eut des ordres pour couper toutes les testes de Brigand, les porter au bout des piques et les placer ensuite sur les remparts. Les habitants d'Angers qui ne savent point insulter à des cadavres préfèreront creuser eux-mêmes des fosses pour y cacher les Restes de ces Victimes du fanatisme.
Ces mesures déplurent sans doute aux auteurs de ces ordres qui traittèrent de modérés tous ceux qui ne pensoient pas comme eux. Envain l'assemblée nationalle décréta que la ville d'Angers avait bien mérité de la patrie, elle ne put obtenir la bienveillance des Représentants, et encourut leurs indignations. Fayau parut dans ces murs, le discours qu'il prononça donna aux angevins une idée de la haine qu'il leur portait, non content de les injurier en disant que cette ville était d'un modérantisme et d'une aristocratie dont les exalaisons se faisoient sentir à plus de dix lieux, il crut pour mieux assurer sa perte devoir inviter tous les sans culottes à habits déchirés à prendre chez les Marchands sans payer l'étoffe dont ils avoient besoin pour se vêtir, et dans les caves le vin qui leur était agréable. Il employa toute son éloquence pour prouver à ces Malheureux qu'il devoient mettre cette ville au pillage, et qu'il attendoit d'eux cette marque de patriotisme. Pour leur en procurer l'occasion, il ordonna, à dix heures du soir, des visites domiciliaires pour obtenir des souliers pour l'armée de Mayance, ces mesures lui déplurent autant qu'aux habitants.
Vers la fin de frimaire, Girard Retureau et Bremaud, tous deux membres du Comité Révolutionnaire se présentèrent à la Maison D'arrest du Calvaire pour prendre les noms des femmes présumées avoir suivis les armées des Brigands de la Vendée. Bremaud y joignit les noms de deux Dévotes, prises dans leurs foyers, connues sous la désignation de filles de charité, c'étoit disait-il des fanatiques. Quelques jours après, obrumier vint pour faire l'appel de ces femmes, les femmes Jacquet et Beauvais de Rable s'étant présentés à lui, avoient réclamés son humanité et sa bienveillance en reconnaissance des services qu'elles lui avoient rendus, cela le décida à les appeler avec les autres, pour subir la peine de Mort quoiqu'elles ne fussent pas sur la liste. Cette manière d'opérer en jugement me parut étrange, je demandai en vertu de quels ordres ils en agissoient ainsi, ils me répondirent qu'ils avoient déjà fait fusilier près les ponts de Céez plus de trois milles hommes, et qu'ils n'usoient pas de plus de précautions pour tous ceux que les communes leurs amenoient journellement. J'insistai pour scavoir si c'était par les ordres de Francastel, ils me dirent qu'ils leurs avait ordonné d'agir révolutionnairement, et qu'il n'ignorait pas comment tout se passait.
Environs un mois après la commission Militaire envoya dans toutes les Maisons de Détention des commissaires pour interroger Morin et Vacheron, deux hommes avides de sang se chargèrent de cette mission. En deux jours ils interrogent dans cette Maison plus de 600 individus et se contentèrent pour les malades de la liste que je leur donnait, quel fut ma surprise lors de l'appel qui eut lieu, d'entendre appeller dans le nombre des victimes destinées à la mort une quantité de femmes dont j'avais seulement donné les noms. Toutes celles qui n'étoient pas désignées enceintes ; ex-nobles, hospitalières, ou femmes de Brigands, furent par eux condamnées. La femme Suy (?) liées avec les soeurs Guillebault, et Delion de Chollet ayant été conseillée de se supposer grosse évita le sort qu'il l'attendait. Deux jours après elle obtint un billet de liberté. Elle avait comme ses soeurs fui à l'approche de nos armées, et si elles étoient coupables elle devait l'estre aussi, ayant commis la même faute. Cependant elle jouit de la liberté parce qu'elle est présumée innocente.
Les jugements rendus par la Commission Militaire présentent plusieurs contradictions de ce genre dont il est impossible de se rendre compte. Des Municipaux, des parents de fusiliers viennent demander des instructions sur les causes qui ont déterminés la peine de mort envers ceux pour qui ils s'intéressent, que leurs répondre, la soeur, la voisine qui habitait avec elle n'en a rien appris et s'en retournent les yeux baignés de larmes et laissent ceux qui les entendent profondément affligés de leurs peines.
La Commission Militaire a mis si peu d'ordre dans son travail, que plusieurs fois elle a fait demander au Calvaire, des femmes pour les interroger, fusiliées un mois auparavant.
La fusiliade du 13 pluviôse se présente un contraste de sentiments divers. Ce Vacheron est pour moi un estre indéfinissable : dur avec les unes, complaisant [avec] les autres, ayant quelquefois l'air de désirer sauver l'innocence, et dans d'autres moments vous diriez qu'il veult qu'elles soient toutes présumées coupables. Lors de l'appel qui eut lieu dont 103 femmes la plus part prises dans leurs foyers subirent la peine de mort, on l'entendait crier, menacer, de faire partir toutes les détenues si elles ne paroissoient promptement dans le jardin. Et il avait poussé les caresses jusqu'à l'indécence, avait annoncé quelques sentiments d'humanité en distribuant environs 80 # en menus assignats. La conduite de ses confrères dans les autres Maisons de détention fut ce jour-là celle de scélérats indignes de voir le jour. Les horreurs qu'ils ont commis ont peine à se concevoir, absorbé, ... (?), pour ainsi dire dans les réflexions les plus tristes, les plus désagréables. Croyant à peine cette opération de sang finie, je vis arriver à la Maison D'arrest du Calvaire une affluence considérable de soldats sans armes, je leurs en demandai la cause, ils venoient, ... (?), pour sauver la vie à ces intéressantes victimes destinées à la mort, si elles ne s'empressoient d'épouser de bons républicains, ils me sollicitaient de guider leurs choix, ils m'assuroient tous avec serment que si les fosses commandées avoient été prêtes, que presque toutes les détenues auroient subis la même peine. Je fu étonné de leurs demandes, et du grand nombre venu avec les mêmes intentions, je les ai invité à se tourner (?) vers la Commission Militaire pour lui adresser leurs demandes et de suite ai fait part au commandant de la place de ce qui se passait, en lui demandant un renfort de la garde, crainte d'évènements, qui me fut accordé. Ce jour-là Francastel avait ruiné dans un dîner une nombreuse assemblée, Francastel, depuis plus de était invisible à tous les étrangers pour cause de maladie, Carrier observait à Nantes la même conduite.
Le récit de ces soldats me rappelle ce que m'avoient dit Vacheron et Morin, membres de la Commission Militaire, monstres ardent à la destruction de la race présente et sans intérest pour la race future, ils m'avoient dit que sous huitaine ils espéroient balayer toutes les prisons, j'avais recommandé les enfants à leur humanité, je leurs avais témoigné ma surprise de ce que la Commission Militaire ne s'était point occupée de la demande que je lui avais adressé, lorsque par autorisation du District, aux conditions de la prévenir, j'avais déposé chez la nourrice des enfants de la patrie, 5 enfants, dont les mères avoient été fusiliés le 28 nivôse, il y en avait deux de 6 à 7 ans. La réponse que j'en ai reçu est bien affligeante pour un ami de l'humanité, il fault l'avoie entendu pour la croire. L'intérêt que je prenais à ces enfants étoit suivant eux indigne d'un républicain, je leurs donnais des regrets de ne pas faire périr les enfants avec la mère.
Tout contribuait à m'attrister, les administrateurs mes confrères, les directrices, les concierges étoient dans une consternation difficile à peindre. Tous ont été dangereusement malades, les deux concierges et un administrateur en sont morts. Les détenues furent émues d'une manière si violente, qu'il mourut onze femmes dans le jour, il en périt 156 de maladie en moins de deux mois. J'ignore si le Représentant Francastel qui fut instruit de ce qui se passait, ordonna de mettre fin à ces scènes de douleur, à ces jugements trop rigoureux, ce que je puis assurer, c'est que Roussel accompagné de deux confrères recommença les interrogatoires. La manière dont il s'y prit lui gagna la confiance, il se mit à la portée de tous les individus qu'il interrogea, les esprits peu à peu se calmèrent. La liberté fut accordée à une cinquantaine, et s'il se fut représenté pour la même cause, les détenues ne se seroient pas évanouis comme auparavant au seul nom de la Commission Militaire.
La conduite étudiée de ce commissaire et de ses confrères prouvait aisément qu'ils ne se croyoient pas en sûreté après les scènes d'horreurs dont les soldats avoient connaissance. Vacheron désirant détruire l'impression qu'il avait donné de sa moralité, proclama la liberté de quelques détenus de la Citadelle, et se fit accompagner par eux dans toute la ville au son de la musique. Cela ne servit qu'à le faire connaître pour un des principaux autheurs de la mort des victimes innocentes sacrifiées par la Commission Militaire. Les esprits fermentoient, Philipe Baudin nommé par le pouvoir exécutif pour régler les indemnités à accorder aux habitant lézés par la guerre de la Vendée, parut dans cette ville dont il connut bien vite la situation. Les discours qu'il prononça réveillèrent le courage abbatu, et firent sortir les habitants d'Angers de l'état de malaise et d'oppression dans lequel ils vivent depuis quelque temps, il combattit avec courage les oppresseurs, les malveillants, les désorganisateurs en invitant toujours le peuple a rester constamment attaché à la Convention, parce que c'était là ou résidoient les pères du peuple, le centre des lumières, les objets de notre estime, et de notre parfaitte confiance.
Hudoux et Loizillon cherchoient envain à perpétuer le sisteme de terreur qu'ils avoient contribué à établir ou défaut que les 1.500 habitants d'Angers, signataires de l'adresse du 31 May payroient de leurs testes, l'ignorance ou ils avoient été des principes de la Montagne, ainsi que toutes les administrations qui étoient suivant eux la Basse cour de la guillotine. Pour parvenir à leurs fin, ils députèrent leur confrère Roussel vers Francastel, Hentz et Garreau qui étoient attendus à Angers, c'étoit sur la fin du mois pluviôse, les Représentant, sitôt leur arrivée paroissent à la société populaire, la colère était peinte dans tous leurs mouvements, le peuple leurs porta des plaintes, ils furent sourds à la voix. Le Républicain Proust leurs porta accusation contre Morin et Vacheron qui usurpant les noms de Représentants avoient commis des sottises sous ce titre. La société m'interpella aussi sur les causes de mon incarcération par ordre de la Commission Militaire, ils furent instruit que j'avais dit que la Commission faisait fusilier des femmes prises dans leurs foyers sans les interroger, que sans doute elle y était autorisée, que j'avais constaté ce fait par écrit à la Commission même, que le Comité m'avait mis en liberté parce que le fait que j'avais avancé était d'une vérité notoire. Les injustices dont j'avais été témoin, étoient déjà connues du Comité Révolutionnaire, je l'avais invité à prendre des mesures pour empêcher qu'elles ne se continuent. En conséquence, ayant délibéré, il fit passer à toutes les Maisons de détention son arrêté portant défense à tous les concierges de ces Maisons de donner entrée à aucun individu sans autorisation adhoc du Comité Révolutionnaire.
Cet arrêté était attentatoire aux Droits de la Commission et mérita à ses autheurs l'indignation des Représentants, on crut que d'accord avec la société populaire, ils vouloient démasquer les scélérats en patriotisme et les traitres, en conséquence, le Comité fut renouvellé à l'entier ; la société populaire dissoute, et le commissaire Baudin qui avait osé parler devant les Représentants, d'humanité et de justice, qui par des discours hardiment véridiques avait montré les abus, désigné les coupables, fut incarcéré et conduit à la citadelle d'Amboise, ou il a gémi pendant sept mois non seulement de l'injustice de sa détention, mais plus encore des malheurs qui nous opprimoient.
L'agent national provisoire de la commune, notifia à toutes les Maisons de détention l'ordre des Représentants de recevoir tous les Membres de la Commission Militaire pour y exercer leurs authorités comme auparavant.
Ils crurent prudents de donner relâche aux interrogatoires secrets, aux jugements occultes, ne pouvant plus résister au défi de recommencer leurs opérations dans les prisons ; ils décidèrent vers le milieu du mois Germinal de nommer des Commissaires à cet effet, pour toutes les Maisons de détention. Le 18 germinal, 2 Membres du nouveau Comité, deux de la Commission Militaire se présentèrent à la Maison D'arrest du Calvaire, et le secrétaire Petit qui auparavant l'avait été de Francastel, Goupil et Obrumier étaient les deux juges, ce dernier s'était déjà fait connaître dans la Maison, en envoyant à la mort, sans avoir été intérerrogées, les femmes Jacquet et Beauvais de Rable à qui il devait de la reconnaissance, et que la présence inportunait. Goupil arrivait de Nantes et avait condui les prêtres infirmes à la noyade, Petit avait signalé son patriotisme en faisant égorger par mesure de Sûreté, lors du siège d'Angers, sur la route de Chinon, les prisonniers de Saumur qu'il était chargé de conduire à Amboise. Ces trois antropophages ne cessoient de parler de leurs forfaits, j'ignore si à force de parler de sang, ils avoient espéré m'en rendre altéré. Dans ce cas leurs espérances furent trompées, je les ai en horreur et tous ceux qui leurs ressemblent.
Le 20 germinal au matin les interrogatoires étant finis, le secrétaire donna, en ma présence, lecture de ce travail, et apostilla environs une soixantaine de noms ou plus, des femmes qu'il destinait à la mort. Les quatre commissaires arrêtèrent cette opération en signant avec lui. D'après l'idée que je m'étais faite de la moralité des nouveaux Membres du Comité, j'ai fu bien étonné, je leurs fis part de ma surprise, je puis dire de mon indignation, de voir porter par eux un jugement de mort pour des peccadilles, ou des réponses insignifiantes. J'annoncai que je préviendrais Félix et Laporte président et vice-président de la Commission qui m'avoient parlé plusieurs fois de leurs sentiments de justice et d'humanité, j'ai tenu ma parole et obtenu l'assurance que ce travail seroit révisé, qu'aucune ne périrait si elle n'était coupable et reconnue pour telle. Je ne leurs avais pas caché l'intention ou j'étais de faire connaître à la République entière les injustices qui se commettoient et leurs autheurs.
Le président pour satisfaire à sa promesse arrêta de concert avec ses confrères que sur les cinq à six cents individus de toutes les Maisons de détention destinés à la mort, un cent seulement subiroit ce jugement, il y eut neuf femmes de la maison du Calvaire de condamnées, le reste fut fourni par les autres Maisons. Jugez combien ils étoient criminels. Le 22 germinal au moment ou tout le cortège arrivait près le champs destiné à recevoir ces victimes, un citoyen obtint la liberté, parce qu'il n'était condamné à mort que pour avoir été arrêté sans passeport, et que la Municipalité entière venu exprès pour le réclamer, certifiait que c'était un bon Républicain et que sa conduite avait toujours été celle d'un zélé patriote.
Je certifie cet exposé véritable en tout son contenu l'appuirai des preuves en cas de besoin.
Archives Départementales de Vendée
1 J 1880