MONTOURNAIS (85) - HISTOIRES DE LOUPS

HISTOIRES DE LOUPS

Par A. BOUCHET, curé de Nesmy (85)

Ma grand-mère paternelle, Rose Auré, née en 1847 à St-Malo-du-Bois (Vendée), et petite bergère de moutons vers 1860 à St-Malo et Chambretaud, évoquait les loups de son enfance. D'un pré à l'autre, bergers et bergères, sitôt aperçu le fauve par l'un d'entre eux, se criaient : "Au loup, au loup !". On rassemblait vite le troupeau dans un coin du pâtis, sous la garde du chien. Et les bergères, ajoutait ma grand-mère, "se défaisaient les cheveux, et les rejetaient sur leurs épaules" : cela faisait peur au loup, paraît-il !

Mon autre grand-mère, maternelle celle-là, une Marie Chatelier, née en 1859, et qui vivait à Montournais (Vendée), racontait : "Une de mes tantes était au champ. Elle vit un loup se jeter sur un agneau : elle se précipite, rattrape l'agneau par les pattes de derrière. Le loup et la bergère tiraient chacun de leur côté. La bergère hurla ("a s'est ébraillaïe"). Des hommes accoururent à son secours. Et le loup s'enfuit".
Une autre fois, un loup saisit un mouton à la gorge, et l'entraînait, en lui frappant le derrière de sa queue. On ne put lui enlever sa victime.

Enfin, un jour, c'était ma grand-mère elle-même, qui s'en allait trouver au "doué" (lavoir) sa mère. Elle lui dit : "I vin de ouère in grou chin" (je viens de voir un gros chien) ... Or "était le louc". Et la petite fille de 10-12 ans, qui devait être en ses mauvais jours, de faire tout haut devant sa mère la réflexion suivante : "Si seulement i m'avait mangé, i'ara débarrassé" (S'il m'avait mangée, j'aurais débarrassé) !

L'histoire la plus dramatique est celle de mon grand-père maternel, Auguste Nivaud, né en 1851 à Montournais (Vendée). Orphelin de mère à l'âge de 7 ans, il était resté avec son père, ainsi que son frère Félix, âgé de 5 ans, tandis que les autres frères et soeurs (ils étaient 13 en tout) étaient dispersés chez des tantes ...
Le père, forgeron, et charbonnier à ses moments libres, à Puy-Morin, de Montournais, avait un soir, vers 1860, emmené avec lui ses enfants, Auguste et Félix, dans les taillis voisins du Puy-Morin. Il les initiait là au travail du charbon de bois : meules de rondins disposés en cercle, et couvertes de mottes de terre, pour que tout brûle à l'étouffée.
C'était la belle saison. Le père et ses deux enfants avaient dîné d'un repas froid, tout en surveillant les meules. Puis le papa dut aller à la maison, proche de quelques centaines de mètres, pour y quérir un outil. Il dit aux garçonnets : "Mettez des pelins de terre, si le feu vient à sortir".
... Et voici qu'un loup surgit dans le crépuscule. Se souvenant de conseils reçus, les enfants se jetèrent au sol, et firent le mort. Le loup vint les flairer ... Le feu, non surveillé, commençait à s'échapper au sommet des meules de bois. Dans la nuit qui tombait, le père, à distance, aperçut la flamme. "Auguste mets des pelins", criait-il ... Pestant, furieux de n'être pas obéi, il se hâta ..., et il fut horrifié d'apercevoir cette bête qui rôdait d'un enfant à l'autre. D'un grand coup de pelle sur le derrière du loup, il éloigna le fauve, qui s'écarta en grondant. Les enfants se relevèrent, tremblants, on le devine. Toute la nuit, le papa dut surveiller les gamins assoupis, tandis que, dans l'ombre, la bête continuait ses rondes. Ce n'est au petit jour qu'elle disparut dans les taillis de châtaigniers ...
De mon grand-père paternel, par contre, je n'ai aucun souvenir. Je ne l'ai pas connu ; il était, m'a-t-on dit, un silencieux, peu prolixe sur son enfance.
Mais, dans la lignée paternelle, s'est transmise cette opinion que ce sont les chemins de fer, vers 1870, qui ont chassé les loups : sans doute simple coïncidence chronologique, où l'on a voulu voir une relation de cause à effet.

Aguiaine (Grandjean)
n° 97 - Mars-Avril 1980

Comments

[Jacques chauvet]

L'abbé Bouchet est un mien cousin par sa mère... je l'ai rencontré en 1981 et j'ai le recueil de généalogie qu'il a réalisé entre 1968 et 1980. Il y a de nombreuses anecdotes sur Montournais ...