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La Maraîchine Normande
30 octobre 2013

CRIMES DU PROCONSUL ANDRÉ-DUMONT DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME, DU PAS-DE-CALAIS, DE L'OISE

CRIMES DU PROCONSUL ANDRÉ-DUMONT,
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME, etc.

La correspondance de ce Proconsul n'a point d'imitateurs parmi ses collègues en mission. Son style sanguinaire, dévastateur, dépopulateur, nous a déterminé à lui donner une place beaucoup trop  considérable ; mais, pour appuyer nos principes ; il nous faut des exemples très-frappans ; et, pour prouver que le plan horrible de démoralisation, d'extermination, dirigé par les Comités de Salut public et de Sûreté général, sous les auspices de la Convention, n'était pas une chimère ; que le choix de ces délégués dans toute la France, prouve évidemment qu'il était arrêté par ces législateurs-bourreaux de faire disparaître de son sol une partie de ses habitans.

Lecteurs ! lisez, et vous serez convaincus de la vérité de notre assertion.

André-Dumont dit :
"J'avais à peine vingt-sept ans, quand je fus nommé à la représentation nationale du peuple français ... Je ne m'étais jusque-là occupé que fort légèrement des affaires publiques, éloigné du centre, retiré à la campagne, les plaisirs de la chasse avaient employé une partie de mon tems pendant les premières années de la révolution."

C'est ainsi que, sans autre vocation que celle des plaisirs, à la mission si grave de réformateur d'un grand empire, il ne rougit pas d'offrir pour excuse de son effronterie à en accepter la responsabilité, ce qui précisément devait le rendre plus circonspect, une jeunesse très-dissipée et une entière inexpérience des affaires. Ne croirait-on pas entendre le comte d'Artois ? Au reste, cette excuse de Dumont, si frappante par son impudence, est sur-tout précieuse par le jour qu'elle jette sur le mobile de la conduite de ce Législateur imberbe. Celui que, pendant trois années, le bruit de la foudre révolutionnaire n'avait pu distraire de ses plaisirs, ne devait pas manquer de s'en occuper encore au centre même des orages. Il était naturel d'attendre qu'appelé au sein d'une Convention déjà divisée en deux partis, il y chercherait moins à juger lequel était le plus sage, qu'à se réfugier auprès de celui qui, plus puissant par la terreur, promettrait plus de chances à son ambition, et à ses goûts frivoles plus de jouissances. A tous ces titres, la Montagne réclamait ce digne auxiliaire ; il alla s'y placer en effet, et défendit la cause de ce parti, qui faillit perdre la France entière. (Ce sont ses propres aveux.)

Il nous faut encore un 10 août, écrivait alors A. Dumont ; nous l'aurons bientôt, et tout ira bien. Cette lettre indiquait assez le 31 mai qu'elle ne précédait que de huit jours ; et si ses plaisirs, ou nous ne savons quels calculs, le tinrent étranger à l'invasion du Sénat ; il n'en prit pas moins de part à la consommation du crime, le 2 juin ; il n'en mit pas moins d'audace à célébrer les odieux triomphes de la faction, dans une proclamation qu'il fit placarder sur tous les murs d'Amiens, le 18 du même mois, ni moins d'acharnement à poursuivre ses collègues sans défense, Dévérité, Condorcet, Petit, Belin, Lecarlier et Jean-de-Bry, qu'il dénonça le 29 juin. On sait que Condorcet et Devérité furent mis hors la loi ; que le premier fut réduit à la nécessité de se tuer lui-même, et que l'autre n'échappa que par miracle à la proscription.

Tant de zèle méritait une récompense ; A. Dumont la sollicita lui-même. "Quelques mouvemens élevés", vers le milieu du mois de juillet, "à Amiens, relativement aux subsistances qu'on y avait arbitrairement taxées", lui parurent nécessiter l'envoi de Représentans ; et, sur sa demande, il fut adjoint à son collègue Chabot, "pour les aller calmer" : tels sont les termes de l'arrêter des Comités.

Missionnaires pacificateurs, ils trouvèrent à leur arrivée tout en ordre ; Dumont en convient dans son compte-rendu : et quelques troubles, provoqués par leurs imprudences anarchiques, mais aussitôt appaisés qu'excités, n'empêchèrent pas Chabot de revenir, cinq à six jours après, reprendre ses fonctions de législateur. A. Dumont resta seul ; et par cette prorogation volontaire de sa mission, qui bientôt s'embellit de toutes les attributions révolutionnaires, il demeure sans excuse en présence des souvenirs longs et horribles qu'elle a laissés par-tout dans les départemens de la Somme, du Pas-de-Calais et de l'Oise.

A Chabot succéda Lebon ; alors se multiplièrent les grandes mesures. L'administration départementale, placée par une commission, presque toute composée d'étrangers à bonnets rouges, auxquels Dumont offrait cette alternative ; "accepte ou à Bicêtre" ; les portes de la ville tout-à-coup fermées ; les arrestations des suspects (toujours avant la loi du 17 septembre), portées en une seule fois à plus de deux cents, tels étaient dans la carrière proconsulaire ses préludes, dont il paraît que la gloire appartient à lui seul, comme il fut seul aussi à en donner avis à la Convention nationale. Ce fut même à l'occasion de ces premières opérations, qu'une mésintelligence éloigna Lebon, qui, seul ensuite à Arras, se montra son digne rival de terreur ; et désespérant de l'égaler dans l'art des proscriptions, le surpassa, il faut l'avouer, dans le système de dépopulation.

Proconsul 3

Abandonné à lui-même, A. Dumont se livre à la fougue de son naturel, à l'intempérance de ses caprices despotiques. Il transforma ce peuple, si recommandable par sa douceur et sa tranquillité, en vils pillards, en lâches assassins. Arrêter, incarcérer, guillotiner, telles sont toutes ses pensées, toutes ses menaces, suivant les lettres qu'il écrivait dès-lors à la Convention nationale ; et telles sont aussi les bases de ce système affreux de démoralisation et de mort, que nous avons vu ensuite s'organiser dans toute la France, sous le nom de gouvernement révolutionnaire ; A. Dumont en fut le précurseur le plus déhonté. Voici ce que, le 9 septembre, il écrivait d'Amiens à la Convention :
"J'ai à peine le tems de vous écrire. Je crois que tous les ci-devant ducs, comtes, vicomtes, marquis et leurs familles, sont dans ce pays. D'arrestation en arrestation, j'extirperai ce chancre ; et le département, une fois mis au vif, ne demandera plus que des soins.
Soixante-quatre prêtres insermentés vivaient ensemble dans une superbe maison nationale ... Je les ai fait lier deux à deux, et traverser ainsi la ville, pour les enfermer dans une maison d'arrêt. Cette nouvelle espèce de monstres qu'on n'avait pas encore exposés à la vue du peuple, a produit ici un bon effet ... Indiquez-moi la destination que je dois donner à ces cinq douzaines d'animaux, de bêtes noires, que j'ai fait exposer à la risée publique. C'étaient des comédiens de garde, qui étaient chargés de l'escorte. Dans les nouvelles arrestations, les Mailly, les Beuvron, les Darroust, les Deligne se trouvent compris ; les titres de noblesse sont saisis ..."

Trois jours auparavant, il avait écrit :
"Les arrestations des gens suspects se continuent ; et c'est par le peuple lui-même que se font ces arrestations ... Déjà les ci-devant nobles, à six lieues à la ronde, ont pris la fuite ; par-tout on les arrête et constitue prisonniers : patience, et ça ira."

Le 13 du même mois, il ajoutait :
"Les complots se découvrent chaque jour ; et plus je fais faire d'arrestations, plus je trouve de coupables. Desbois, évêque de ce département, vient d'être suspendu publiquement, et envoyé à la maison d'arrêt. Ce qui rend la chose plaisante, c'est que ce prêtre constitutionnel est aujourd'hui réuni aux prêtres réfractaires ... J'ai encore fait arrêter huit à dix personnes suspectes ... Je tiens un fil que je ne quitte pas ... Je pars demain pour une nouvelle expédition : ça ira."

Le lendemain, en effet, il marque les détails suivans :
En quittant Amiens, hier matin, je fis encore de fort heureuses captures : il me manquait une Maréchale ; je l'ai trouvée. Arrivé à Doullens, j'ai fait battre la générale et barrer les rues, pour la réussite des visites domiciliaires ; il en est résulté l'arrestation de quarante-neuf personnes, toutes plus suspectes les unes que les autres ... J'ai découvert une nouvelle espèce de cocardes ; ce sont des cocardes noires : c'est-là, sans doute le point de ralliement des prêtres."

Enfin, le 15 du même mois, il mandait d'Abbeville :
"Cinquante personnes, plus que suspectes, ont été ramassées dans ma dernière expédition dans cette ville ... L'infâme Béthune-Charost, etc ... Je pars pour une nouvelle expédition. La joie est ici extrême."

La loi du 17 septembre est adoptée : si l'absence de Dumont ne permet pas de le ranger parmi les lâches qui n'osèrent la combattre, ses lettres l'associent aux scélérats qui la provoquèrent.
Quelques dénonciations, long-tems méprisées par Dumont, puis tout-à-coup exhumées par le désir de justifier la confiance des Comités, ces dénonciations et la rivalité de terrorisme avec le voisin Lebon, avaient ainsi mis A. Dumont en avant.
L'arbitraire venait d'être mis tout-à-fait à l'aise par la loi des suspects ; mais celui qui l'avaient si hardiment devancée, n'attendait assurément, pour travailler, ni les invitations révolutionnaires de ses collègues, ni quelques proscriptions particulières des Comités, ni l'appel fraternel des Jacobins "à son activité contre l'oppression ... du modérantisme ..." (Ce sont les termes des Jacobins dans leur lettre).

"Tous les jours (écrivait-il d'Amiens, le 20 septembre) se déchire le voile affreux des complots liberticides tramés dans ce département ; mais tous les jours aussi l'aristocratie a une leçon. Il existe en ce pays trois choses qui font trembler les traîtres : le tribunal révolutionnaire, la guillotine, et le maratiste Dumont.  Votre décret révolutionnaire du 17 septembre consterne les ennemis de la République, et fait triompher les sans-culottes."

D'obscurs agens parlaient de préparer les esprits à un grand mouvement ; A. Dumont fait mieux : il l'opère à Boulogne-sur-Mer, à Montreuil, à Abbeville, Péronne, etc. Il ne fait que passer, et déjà tout est bouleversé.

"Arrivé à Boulogne, à dix heures du soir (écrit-il de Montreuil-sur-Mer, le 29 septembre), je convoquai à l'instant District, Municipalité, Comité de Surveillance, Commandant temporaire de la garde nationale. Je requiers la clôture de la ville ; je la fais éclairer pendant la nuit ; je fais prendre les armes, et annoncer, au son du tambour, que j'ai donné l'ordre de tirer sur ceux des citoyens qui, au mépris de ma défense, voudraient s'échapper. Au même instant, je convoque le peuple dans la principale église : je l'y harangue environ pendant deux heures ; je l'instruis que ses fonctionnaires m'ont dit qu'il n'existait en la ville aucun étranger, ni personnes suspectes. Je me déchaîne contre une pareille imposture ... Je requiers ensuite des visites domiciliaires ; elles n'étaient pas commencées d'une demi-heure, qu'une quantité considérable d'Anglais furent arrêtés, et plus de trois cents ci-devants ... Le lendemain, j'apprends au peuple que je viens de suspendre les deux Autorités constituées : je propose aussitôt le nom des remplaçants ; nombreux cris d'allégresse."
"Je vous marquai, il y a deux jours, (écrit-il le surlendemain, d'Abbeville) la criminelle gestion des Autorités constituées de boulogne ; je vous en dis autant de Montreuil, où j'ai usé de mon excellent remède. Quarante-quatre charretées ont amené devant moi les personnes que j'ai fait arrêter. Le compte de mes opérations dans cette ville est de nature à mériter d'être CONNU PAR-TOUT. Environné de décombres des Administrations que j'avais suspendues aux acclamations du peuple, je reçus des sans-culottes en masse le nom des remplaçans."

Trois jours après, il marque, toujours d'Abbeville :
"Tout cela va on ne peut mieux dans ce pays : j'espère que bientôt les aristocrates, les modérés, les feuillans, y seront aussi rares que les rois. J'assomme le fanatisme, et on applaudit ici."

Il vole aussitôt à Péronne, d'où il écrit, le 9 octobre :
"J'avais gardé Péronne pour la bonne bouche, croyant que mon collègue, Delbrel l'avait électrisé ; mais, hélas ! quelle fut ma surprise de trouver un second Coblentz ! Après avoir en vain cherché à dégeler la glace que je voyais par-tout, j'annonçai que, s'il fallait, j'aurais recours à des moyens violens. Les sans-culottes n'osaient desserrer les dents ; les muscadins seuls voulaient faire contenance. Je dis alors que, la torche à la main, le poignard dans l'autre, je forcerais les ennemis de la révolution à abandonner leurs projets ... Le lendemain, après avoir fait arrêter une centaine de mauvais sujets, je dis au peuple assemblé : Votre ville va être DÉCLARÉE EN ÉTAT DE REBELLION, si, à l'instant même, on ne me dénonce tous les traîtres, et si on ne les arrête ..."

A Péronne, "quarante-quatre charretées" dans une ville peuplée au plus de 3.000 habitans ! "quarante-quatre charretées" dans un seul repas ! tigre affamé, qu'en veux-tu faire ? De telles mesures méritaient de la part du Comité de Salut public doubles éloges et surcroît de confiance. Aussi, quatre missives promptes annoncent à A. Dumont la satisfaction générale "des succès résultés de son zèle et de ses efforts" ; le choix fait de lui "pour purger Nancy" ; et sur son refus et sa demande d'un congé, la prière "d'achever dans le pays ce qu'il y a si bien commencé" ; enfin, "l'extension de sa mission sur Beauvais".
Cette extension fut même décrétée à la Convention, par qui l'on venait de faire "déclarer cette ville en insurrection ; il est vrai que Levasseur de la Sarthe n'avait vu nulle part cette insurrection imaginaire ; mais la sagacité de Dumont, qu'on lui adjoignait, suffisait pour la retrouver ; et, tout fier de cette confiance, voici comment, avant de partir, il essayait de la justifier :
"Nouvelle capture, écrivait-il le premier brumaire ; d'infâmes bigots, des prêtres réfractaires, vivaient dans des tas de foin, dans la ci-devant abbaye du Gard. Leurs barbes longues semblaient annoncer combien leur aristocratie était invétérée. Ces trois bêtes noires, ex-moines, ont été découverts cachés ; et après eux, on a trouvé un trésor en terre ..."

Ce n'est pas tout ; voici la seconde lettre du même jour :
"Pour tuer le fanatisme, JE VIENS DE REQUÉRIR l'arrestation des prêtres qui se permettaient de célébrer des fêtes ou dimanches ; JE FAIS disparaître les crucifix et les croix ; et bientôt je comprendrai dans la proscription les animaux noirs appelés prêtres. J'ai dissous hier la société populaire ; et j'ai nommé un Comité secret, chargé du scrutin épuratoire ... Je pars pour Beauvais, que je vais mettre au BOUILLON MAIGRE, avant de lui faire prendre médecine. Les départemens qui sont dans mon étendue, vont s'élever à l'envie ; et bientôt ni l'aristocratie aux abois ne saura plus où se réfugier."

Suivons-le à Beauvais, "où je vais me rendre, dit-il, parce qu'en nettoyant ce département, je n'en trouverai que plus de moyens d'extirper le chancre cadavéreux de l'aristocratie. Patience ! et j'en découvrirai bien d'autres."

LE POIGNARD D'UNE MAIN, LA TORCHE DE L'AUTRE, crie-t-il au Peuple en arrivant le premier brumaire : "Ce que vous ne pourrez poignarder, il faudra l'incendier." Le Peuple, étranger à ce langage, ne sait que se taire. Soudain, destitution et remplacement de la Municipalité, consigne générale aux portes, et convocation pour le lendemain soir à la société populaire. "Il me faut, s'écrie-t-il, huit cents coupables ; qu'ils ne croient pas m'échapper ! ... Je ferai établir une guillotine permanente ... Je ferai pendre les plus forts contribuables ... ; et lorsque vous serez las de voir guillotiner, vous nommerez les contre-révolutionnaires."

Il trouve la société populaire en bonne tenue ! mais quelle glace, la chaleur du Midi aurait pu à peine la dégeler ! ... On n'était pas fait à Beauvais aux mesures révolutionnaires. Les fonctionnaires publics ne connaissaient pas "les responsabilités capitales) aussitôt réquisition au Comité de surveillance d'indiquer et d'arrêter les personnes suspectes, le tout sous la responsabilité "capitale" de chacun des membres ; ordre à la Municipalité de désigner une église pour prison, de faire par-tout des visites domiciliaires, "de la cave au grenier", de commander des patrouilles pour arrêter dans les rues tous les citoyens "munis ou non de papiers".

Le soir même, la jonction sévère à toutes les Autorités du département de traduire au tribunal criminel tout prêtre convaincu d'avoir célébré "les Fêtes et Dimanches".

On a dû remarquer dans la lettre qui précéda l'arrivée de Dumont dans le département de l'Oise, qu'il avait déjà pris à Abbeville cette mesure : cependant il avance, qu'à Beauvais elle n'eut lieu que par suite des ordres du Comité de Salut public. Il ajoute "après avoir été si éloigné de vouloir infliger des peines, un seul prêtre détenu pour n'avoir pas voulu exécuter cet arrêté, a été de suite relâché par mes ordres : (le citoyen Pétra, curé de l'Evesmont)" Il est de fait que ce Citoyen a été conduit au tribunal révolutionnaire et guillotiné "pour cause de fanatisme".

Levasseur n'approuvait pas ce régime, Dumont avoue ses efforts pour éloigner ce collègue trop modéré, qui n'attendit pas, pour partir, le résultat de la dénonciation écrite par celui-ci au Comité de Salut public.

Jugeant du succès de ses inspirations révolutionnaires par le nombre des incarcérations, l'homme "aux huit cents coupables" quitta momentanément Beauvais. Il voltigeait d'une ville à l'autre, se livrant par-tout à ses fureurs démagogiques, fesant guerre ouverte à tous les objets du culte à peu près comme Don Quichotte aux moulins ; se battant bravement en duel avec un crucifix à Nouvion, courant à la tête des scélérats déguisés en militaire, enfoncer les églises, abattre les croix, arracher les images, décapiter les saints, fouler aux pieds les calices et les ciboires, cracher sur les hosties consacrées, et les jeter aux chevaux ; en un mot, exaspérant toutes les passions sous le prétexte de les "occuper" ; dissipant les superstitions "avec la raison des baïonnettes et des sabres" ; obtenant par la persuasion des armes, de quelques femmes timorées, de prêtres vieux et infirmes, la "libre" abjuration de leur religion.

Mais écoutons de lui-même ces détails :
On se rappelle et les "soixante-quatre prêtres traînés deux à deux d'une prison à une autre, et l'arrestation de l'évêque Desbois", et "quarante-quatre charretées" emmenées de Montreuil. C'est dans cette dernière lettre qu'au sujet de deux prêtres recommandés à sa confiance, Dumont ajoute : "Je crus l'occasion favorable pour en exiger, au milieu de plus de dix-huit cents personnes, une profession de foi. J'étais en chaire ; et après que j'eus fait sentir au Peuple combien il était dupe de ces prêtres ; que c'étaient des arlequins et des pierrots vêtus de noir, qui escamotaient les marionnettes ; que tout ce qu'ils fesaient, était des singeries pour escroquer de l'argent, il y eut alors la scène la plus plaisante : mes deux prêtres montent en chaire, annoncent au Peuple que j'ai dit les plus grandes vérités ..." Pour leur récompense, Dumont leur accorda le baiser fraternel et les fonctions d'Administrateurs républicains.

Dumont, appelé près de Paris par le cours de sa mission, annonce que "la meilleure réplique qu'il puisse faire à ceux qui l'accusent de s'être brouillé avec le Père-Éternel, c'est qu'à la première réquisition, trois à quatre cents saints d'argent viendront se présenter à la barre, et y jurer d'aider à exterminer les tyrans."

Est-ce ainsi que de sages législateurs devaient s'exprimer ? et n'était-ce pas compromettre la raison que de la travestir en bouffonne ? La Convention et les principaux agens n'ont pas même su faire le bien.
Son retour, dans chaque ville, s'annonçait par des bals où il insultait ses victimes en contraignant la douleur à feindre la joie, où les femmes et les filles des détenus se voyaient forcées à danser avec leurs bourreaux et à les embrasser. Ici la salle du spectacle était fermée par ses ordres, et il s'en ouvrait aussitôt une nouvelle dans une église ; "c'est là, écrivait-il en même tems, ce qu'on peut appeler la fête de la Purification". Ailleurs, les autels se transformaient en un théâtre immense où de vieilles religieuses étaient appelées à acheter leur liberté par des profanations : "Vous étiez dans l'enfer, leur disait-il ; vous êtes maintenant dans le purgatoire ; abjurez vos prêtres et votre religion, et vous serez dans le paradis."

Le Proconsul qui, tout émerveillé de ses succès de terreur, écrivait, le 24 brumaire :
"Je me félicite sans cesse d'avoir le premier, il y a trois mois, déchiré le voile, et fait déclarer à deux escamoteurs à Montreuil, qu'ils n'avaient été jusques-là avec leurs habits noirs que des arlequins ou des pierrots qui endormaient les hommes pour vivre à leurs dépens. J'ai, hier, assemblé le Peuple au milieu de six à sept mille citoyens ; j'ai livré bataille aux geôliers de tous les saints et à leurs gardes ..."
P.S. "Envore un prêtre que je déprêtrise : la débâcle devient générale." Et qu'on ne pense pas que, se bornant à de vaines clameurs, il se ralentit sur les mesures révolutionnaires. Dans la même lettre, il ajoute : "Je fais journellement incarcérer les aristocrates. Compiègne renfermait encore certains Feuillans ; on les ramasse ; et en passant, j'ai nettoyé l'Administration du district et la Commune.  Patience ! ça ira, et ça va."

On sait que le grand ordre du jour pour A. Dumont, c'était la destruction des prêtres, des églises, de tous les objets de culte ; c'était le catholicisme de "la raison" à établir par la terreur sur les débris sanglans de la superstition romaine.
"Le charlatanisme religieux fait nauffrage, écrit-il encore d'Amiens, le 11 frimaire, (premier décembre 1793) par-tout où je vais, on ferme les églises, on brûle les confessionaux et les saints ; on fait des gargousses avec les livres des lutrins ... Il faut néanmoins convenir Messieurs les Saints étaient des personnages bien précieux à garder ; car j'apprends à l'instant que parmi tous ceux qui se rassemblent dans les salles du département, la seule tête de Monsieur Saint-Jean vaut 150.000 liv. Ils étaient si luxueux, ces Messieurs, qu'on avait fait à leurs os de petits édifices en or et en argent ; et qu'au lieu de tuiles ou d'ardoises, on les avait couverts en pierreries."

Sans doute, la Patrie pouvait réclamer pour ses besoins ces richesses mises en réserve par le fanatisme religieux ; mais conquises par le vandalisme au profit de l'avarice, elles auraient dû, en assouvissant la cupidité du "Verrès" picard, amortir aussi ses fureurs haineuses et sanguinaires. Cette résignation de la peur, dans les prêtres, semblait leur donner quelques titres à la commisération ; mais trop au fait de la magie des complots perfides, il imagine tout-à-coup une conspiration ; il en accuse les prêtres.

Voici la lettre qu'il écrivit d'Amiens à la Convention, le 13 frimaire : "Les prêtres, avant d'expirer, ont voulu, à Amiens, tenter un mouvement. Ils ont à cet effet répandu avec profusion de l'argent ; et placés aux portes des personnes affidées, ils ont essayé, par des injures et des calomnies, à égarer l'opinion publique, et à diviser les patriotes ; ils en attendaient un mouvement violent, sur lequel ils fondaient leurs folles espérances ... Une douzaine des agens sont arrêtés ; et j'espère que bientôt, en suivant le fil de cette nouvelle machination, on découvrira le cabinet secret d'où part le coup ... C'en est fait de la vermine ecclésiastique ; le Peuple a les yeux ouverts ; et les animaux noirs aujourd'hui sont démasqués, n'ont pu trouver qu'une vingtaine de pauvres diables qu'ils ont enivrés. Il faut leur pardonner cette dernière extravagance. Qui se sent mourir, se débat ! c'est chez eux le délire de la mort ... Toutes les Autorirés constituées sont en permanence. Il faut toujours prendre le mal dans sa source, et l'extirper aussitôt qu'il est connu. Tels sont mes principes ; je n'en démordrai pas."

Tout ce bruit que fait Dumont, n'était que pour se donner de l'importance. Ce grand mouvement n'était que la demande des passeports à des hommes sortant en voiture de la ville. Dans cette voiture était A. Dumont ; le malheureux sans-culotte qui ne connaissait que sa consigne, et l'officier du poste qui l'avait donnée, apprirent aussitôt, par les grossières injures et les coups de poings du Proconsul, que les lois et les consignes ne sont faites que pour la canaille.
Cependant M. Dumont veut bien leur pardonner ; il les embrasse, part pour je ne sais quelles caravannes, et revient quelques jours après, tout fier sans doute d'avoir montré tant de modération, mais encore plus étonné d'apprendre que ce n'était pas sa modération qu'on avait louée en son absence. Furieux de cette injustice, il accourut à la société populaire, "fraternellement" en grand costume de Représentant, s'empresse de donner sur l'aventure du passeport des explications peu satisfesantes pour la multitude qui sait la vérité, entend quelques improbations et fait arrêter les interrupteurs, convoque pour le lendemain une assemblée de tous les citoyens dans la principale église, y répète ses explications mensongères que démentent les témoins qu'il invoque, s'emporte contre toute la Commune qu'il menace de faire déclarer "en état de danger", fait incarcérer tous les citoyens qui étaient de garde à la porte de Noyon lors de son indécente escapade, déclare toutes les Autorités constituées en permanence, fait nommer une commission extraordinaire pour interroger les détenus de cette affaire, et en rendre à la Convention un compte détaillé, conformément à la lettre qu'il écrivit lui-même et dont nous venons de lire un extrait.
L'orgueil du Proconsul exigeait la perte des deux hommes de garde, qui avaient eu le malheur d'entrer en lutte avec lui. Ils furent réclamés avec un intérêt courageusement soutenu par la société populaire ; mais ses longues instances n'obtinrent jamais de Dumont que des promesses vagues et éloignées.

L'affaire de la porte de Noyon avait donné à Dumont le goût et le besoin des conspirations. L'arbre de la liberté scié pendant la nuit du 18 frimaire à Amiens lui offrit une prompte occasion de les satisfaire.
"Les rebelles de la Vendée (écrit-il aussitôt) ont ici des agens. On s'est permis un attentat affreux, dont j'espère découvrir les auteurs. J'ai mis la garnison sur pied ; 7.000 hommes sont sous les armes. La générale bat ; les visites domiciliaires se font, à quelque chose malheur est bon. J'exterminerai les partisans de la Vendée."
Le Représentant du peuple, pour arrêter les progrès de cette infernale conspiration, fomentée par les prêtres et les fanatiques, arrête :
Tout homme, ci-devant connu sous le nom de prêtre, bedeau, suisse, chantre et autre de cette espèce, trouvé dans les rues, après six heures du soir, ou avant sept heures du matin, sera conduit en prison. Tout homme qui tenterait de faire improuver les mesures révolutionnaires, sera livré à une commission qui sera établie pour juger les conspirateurs. Tous les bons citoyens sont invités à exécuter eux-mêmes les premières dispositions de cet article, etc."

Dumont qui, dans son compte rendu, prétend s'être, en cette occasion, borné "à lancer la foudre de sa plume sur le papier, et de sa bouche en l'air", oublie sans doute l'envoi au tribunal révolutionnaire, de Despalemes et Dangeli, dont l'un périt de frayeur dans les prisons, et l'autre fut par hasard innocenté ; il oublie, sans doute aussi, ces autres mesures actives, consignées dans une seconde lettre qu'il adressa le même jour à la Convention. "Ce dont je vous entretenais, il y a six heures, se découvre. Ce sont des étrangers qui fomentaient le trouble ; j'ai étendu mon large filet, et j'y prends tout mon gibier de guillotine."

Ces étrangers étaient des soldats Belges, envoyés à Amiens pour s'y rétablir et s'y recruter ; il paraît que, pour cette fois, le large filet ne put retenir "ce gibier de guillotine" ; et, sans doute, il ne faut pas chercher ailleurs, que dans la honte de l'avoir laissé échapper, la cause inexplicable de l'acharnement qu'il voua par la suite à ce malheureux régiment.
"Depuis un mois (écrivit-il vers le milieu du mois de nivôse) je voyais s'élever autour de moi un nuage épais de calomnies et d'atrocités contre tous les républicains. J'ai bien senti que le coup partait de l'aristocratie terrassée et du fanatisme expirant ... Au même instant, j'attaquai tous les traîtres ... Tous, ou grande partie, sont montés en charrette ... Huit mille Belges, bien armés, sont depuis un mois à Amiens ; ils avaient à leur suite, environ 800 femmes ... Le grand émétique a balayé ce corps."
Le grand émétique", c'est l'envoi à la commission militaire d'Arras, remède infaillible d'épuration. Tous ceux qui ont été livrés à cette commission, sont sortis ... pour aller à la guillotine.

On a vu la foule de lettres révolutionnaires et d'actes despotiques, par lesquels A. Dumont avait précédé et préparé la loi "du gouvernement révolutionnaire". Elle parut enfin ; et les éloges qu'il en fit dans ses proclamations n'offrent rien que de très-naturel. Toujours placé, moins au niveau qu'au-dessus des circonstances, il apprend que Saint-Just et Lebas, en mission près l'armée du Nord, ont ordonné dans les départemens du Pas-de-Calais, du Nord et de la Somme, l'arrestation de "tous les ci-devant nobles" ; piqué de se voir ainsi devancé, et ne pouvant prétendre au mérite de l'invention, il aspire à celui de l'exagération. La mesure de Saint-Just ne frappait que sur les nobles ; il imagine "d'y comprendre leurs femmes et leurs enfans". L'ordre est aussitôt publié, il s'empresse aussi d'en demander l'insertion aux bulletins conventionnels. Soudain, dans les trois départemens soumis à ce Tyran, l'ardeur des arrestations se ranime ; toutes les passions, toutes les vengeances s'exercent avec impunité, les prisons se remplissent ... Au même instant, éclatent à grand bruit dans la France la conspiration et le supplice des Hébert, etc. Cette chute si subite, ce coup de foudre si inopiné fit trembler le plus zélé de leurs partisans, le plus effréné de leurs sectaires. Cependant la peur n'égare point sa tête, et c'est par de nouvelles atrocités qu'il songe à conquérir le pardon. Il s'empare de la nouvelle, pour se faire un mérite de l'annoncer, et un prétexte d'appel à toutes les fureurs.
"Un vaste complot a été ourdi (écrit-il sur-le-champ à tous les Comités révolutionnaires) ; il n'y a pas un instant à perdre ... Il faut arrêter tous les intrigans, tous les ennemis de la République. Ne laissez pas un seul individu en liberté. Le coup de massue est porté.  Tous les ennemis de la patrie doivent tomber." Circulaires sur circulaires, lettres sur lettres partent le même jour pour cent endroits, et portent par-tout les mêmes provocations au sang, à la mort. "Je vous l'ai déjà déclaré (répète-t-il, dans de nouvelles dépêches du même jour) ; il n'y a pas un instant à perdre ; réincarcérez ceux que vous avez pu renvoyer chez eux. Plus de considérations, plus d'exceptions. L'heure de la mort a frappé : remplissez vos devoirs."

Carrier lui-même, poussa-t-il jamais aussi loin l'activité d'extermination ; et, s'il fit couler plus de sang que Dumont, la cause n'en est-elle pas toute entière dans la différence de position ? Supposez celui-ci, dans des départemens cernés par la guerre civile, au sein de toutes les terreurs qu'elle a mises en fermentation, de toutes les fureurs qu'elle appelle, de toutes les vengeances aveugles qu'elle semble justifier Dieux ! quelle épouvantable désolation, une correspondance si pressante, des instances si répétées, si forcenées eussent organisée uniformément sur tous les points de cette terre proscrite ! quelle exécrable simultanéité de forfaits et d'exécutions sanglantes !

Heureusement ces horribles prétextes manquaient au jeune Proconsul ; ses agens, plus lâches que féroces, savaient se conformer à ses fureurs, sans les exagérer ; on leur commandait d'arrêter, ils arrêtaient. Les victimes s'amoncelèrent de nouveau ; toutes les bastilles regorgèrent mais tous les crimes d'André-Dumont sont ceux de ses électeurs. Pourquoi m'a-t-on nommé, aurait-il pu dire avec raison ? André servira du moins à l'avenir de motif aux Assemblées primaires pour de meilleurs choix. Nous avons entendu plusieurs conventionnels faire ce raisonnement, qui sous une certaine face, nous paraît sans réplique. Il s'agissait de Carrier, Lebon, Billaud, Collot, André-Dumont et trop d'autres. Après tout, nous dit-on, tous ces crimes sont ceux de la nation ; que n'élisait-elle avec plus de sagesse et de lumières ; elle n'a point à se plaindre ; pourquoi ne sait-elle pas mieux placer sa confiance ?

Histoire générale et impartiale des erreurs,
des fautes et des crimes commis pendant la Révolution -Tome 5 - 1797

Louis-Marie Prudhomme

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