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La Maraîchine Normande
17 octobre 2013

1834 - MATHURIN MANDAR, DE BIGNAN, CONDAMNÉ AUX TRAVAUX FORCÉS A PERPÉTUITÉ

MATHURIN MANDAR, 29 ans,
habitant à Bignan, Morbihan ;
condamné aux travaux forcés à perpétuité par la cour d'assises de Rennes,
le 25 août 1834 ;
écroué à Brest sous le n° 20,367 ;
dont le dossier est à la chancellerie, sous le n° 7,542, section 9.

Avant la révolution de juillet, Mandar était caporal dans un régiment de la garde ; son intelligence et sa probité l'avaient fait estimer de ses chefs. Jeune encore, dévoué comme un Breton au principe monarchique, il se trouvait heureux de servir son roi et son pays, lorsque après 1830 tout ce bonheur s'évanouit.

La garde royale est licenciée ; Mandar se retire dans le Morbihan, et, pendant une année, il y vécut sans exciter la soupçonneuse vigilance de l'administration. Il ne sollicitait rien du nouveau gouvernement. Celui-ci lui demanda ses services ; il l'incorpora en qualité de sergent dans le 15e de ligne, alors en garnison à Saint-Brieuc.

Ce régiment reçut bientôt ordre de partir pour le midi de la France. Mandar, en traversant le Morbihan, sa patrie, pour se rendre à sa nouvelle destination, met à exécution le projet qu'il nourrit depuis qu'on l'a forcé d'arborer la cocarde tricolore. Il abandonne son drapeaux, rejoint quelques réfractaires de ses amis ou de ses parents ; puis, par l'ascendant de son courage et de ses connaissances militaires, placé à leur tête, il commence cette vie de privations et de dangers dont aujourd'hui il expie si cruellement les misères.

Mandar avait une de ces intrépidités qui ne regardent jamais en arrière. Il possédait surtout au plus haut degré la confiance des réfractaires, et l'amour des paysans, qui, dans ce paysan, comme eux, espéraient retrouver les brillantes qualités de leur Georges Cadoudal, l'énergie pleine d'habileté de l'intrépide roi du Bignan, où le jeune sergent était né, ainsi que le commandant Guillemot. Les paysans bretons, si enthousiastes, si justes appréciateurs du courage, racontaient chaque jour de nouveaux traits de bravoure et d'humanité du chouan. Dans les petites villes et dans les bourgades devenues révolutionnaires, Mandar fait bien aussi le sujet des conversations ; mais là, ce n'est pas avec amour ou justice que l'on parle de lui ; là, son courage n'est plus que de la lâcheté, son humanité se transforme en réactions sanglantes, en mille attentats contre la propriété, en crimes de toute nature, en méfaits de toute espèce.

Mandar fut le bouc émissaire de la chouannerie bretonne, la personnification de toutes les calomnies, le but de tous les mensonges qu'alors le libéralisme avait intérêt à propager contre les royalistes. Son nom acquit dans le Morbihan la célébrité qu'à la même époque l'autorité locale accordait à Diot dans les Deux-Sèvres. On lui prêta tous les forfaits dont on crut devoir accuser les chouans. Il n'est si petit délit ou si grand crime, aux dires de la crédulité publique, que Mandar n'ait été l'auteur. On le charge de toutes les accusations, on l'entoure de toutes les superstitieuses terreurs, par cette tendance si naturelle à l'ignorance de personnifier dans un seul l'oeuvre de tous. Pour Mandar, la voix publique invente des attentats dont l'honnête jeune homme ne conçut jamais la pensée. On en fait un Barbe-bleue politique, une espèce de coupe-jarret ou de Tristan-l'Ermite au service de la légitimité.

De là il est résulté ce que prévoyaient les esprits sages. A force d'être reproduite, commentée, embellie, arrangée au gré du caprice ou de la haine, la calomnie emprunta toutes les apparences de la vérité. Les gens crédules acceptèrent tout sans examen. Les patriotes eux-mêmes, séduits par les mensonges qu'ils inventaient à plaisir, n'eurent pas grand'peine un jour à se persuader qu'ils avaient dit vrai.

Aussi lorsque, après quatre années de calomnie ainsi propagées pour entretenir un effroi salutaire dans l'âme des populations libérales, Mandar, épuisé, tomba entre les mains de la force armée, qui le poursuivaient avec une infatigable persévérance, il n'y eut dans les hommes de révolution qu'un seul cri de joie, qu'un seul chant de triomphe.

La Bretagne venait d'être délivrée de son plus cruel ennemi.

Il fallut alors pourtant édifier contre lui une accusation sérieuse, et ce Mandar qui, pendant ses quatre années d'insurrection contre le pouvoir, avait bu tant de sang, violé tant de femmes, incendié tant de maisons, arrêté tant de voyageurs, dévoré tant de petits enfants, ce Mandar, l'objet de toutes les haines révolutionnaires, comparut devant la cour d'assises, en vertu de deux arrêts de mise en accusation.

Après une immense instruction, où les magistrats et le parquet remplirent leur devoir avec un scrupule de rigidité qu'il serait superflu de signaler, ce ne fut pas sans peine qu'on releva contre lui :

1° L'assassinat d'un nommé Girodoux, percepteur, l'un des plus farouches ennemis des chouans, et servant même contre eux de guide aux colonnes mobiles ;

2° Un vol des deniers de l'Etat, sur le même Girodoux, vol commis en même temps que l'assassinat ;

3° L'assassinat d'un ancien gendarme nommé Couane ;

4° Un vol accompagnant l'assassinat, au détriment de cet ancien gendarme, et de sa famille, qui l'accompagnait.

Ces deux accusations disjointes ont été vidées par Mandar.

Dans la première, sur la plaidoirie de M. Janvier, ayant à lutter contre tant de haines sans motifs accumulées sur une tête que l'on voulait, à toute force, jeter au bourreau, et défendant cette tête avec sa conscience d'honnête homme et son éloquente parole, Mandar fut condamné AVEC CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES. Il fut condamné à Rennes par un jury comme, en ce temps-là, on savait en composer dans l'Ouest.

Et ces circonstances atténuantes, mises en regard de l'exaltation du peuple, et arrachées à l'évidence que le jury n'osait pas repousser, ces circonstances atténuantes ne sont-elles pas un indice révélateur ? Ne renferment-elles pas toute la pensée des jurés qui ont bien pu vouloir envoyer un chouan aux galères, mais qui n'ont jamais osé consentir à le condamné à mort : car Mandar ne leur paraissait que relativement coupable. Aujourd'hui que nous sommes loin de ces tristes temps, n'est-ce pas une présomption d'innocence ?

A l'appui de ce verdict qui, sans aucun doute, aurait été capital, si le jury n'eût pas été convaincu de la non-culpabilité de Mandar, il est arrivé depuis cette époque, au ministère de la justice, une pièce émanée du frère même de la victime. M. Girodoux, en homme loyal, a déclaré qu'il était convaincu que Mandar n'était pas l'assassin de son frère. Et cette conviction venue après jugement, mais venue infailliblement avec des preuves à l'appui, surtout pour ceux qui connaissent l'esprit breton, cette conviction n'est-elle pas pour Mandar un acquittement ?

Dans la seconde affaire (l'assassinat du gendarme Couane), Mandar, noblement défendu par M. Guillemeteau, fut déclaré innocent du meurtre ; mais, par une étrange contradiction qu'a pu seule faire naître la violence morale imposée au jury par les vociférations d'une foule altérée de sang et hurlant la mort avant le verdict, le jury reconnut Mandar coupable du vol qui avait accompagné l'assassinat.

Pendant les débats de cette seconde affaire, il surgit un incident qui peut expliquer tous les crimes dont les chouans ont été chargés, et qui, pour Mandar en particulier, est la plus complète et la plus honorable des justifications.

Lorsque la petite voiture du gendarme Couane fut arrêtée par des inconnus, il était avec sa belle-mère et son beau-frère. Tous deux déclaraient parfaitement connaître Mandar depuis l'enfance ; Mandar était né à leur porte, dans le village de Bignan. Le lendemain du meurtre, dans leur première déposition, tous deux avouaient que le chef de la bande leur avait dit : "Je suis Mandar, me reconnaissez-vous ?"

Malgré ces paroles, la belle-mère et le beau-frère de Couane ne l'avaient pas reconnu. C'était pourtant par un beau jour d'été, à sept heures et demie de l'après-dîner, que cette affreuse scène se passait. Le nom de Mandar était prononcé : en fallait-il davantage pour un arrêt de mort ?

Les débats jetèrent un triste jour sur ces étranges circonstances. Les deux témoins avaient nommé Mandar dans l'instruction. Au procès, en face du jury, ils déclarèrent que le maire et le maréchal-des-logis de gendarmerie les avaient obsédés en leur répétant à diverses reprises :

- Pourquoi ne pas dire que c'est Mandar ?

Et dans un premier moment de douleur, les malheureux avaient cédé à cette injonction que, pendant le cours du procès de Barbès, un garde municipal faisait du doigt à un témoin mieux servi par la police que par ses souvenirs.

Maintenant voulez-vous savoir comment le nom de Mandar, qui justifiait d'un alibi parfaitement prouvé, a été prononcé au moment du meurtre ? Le voici.

Un seul témoin chargeait l'accusé ; c'était un gendarme nommé Huart. Cet Huart avait déserté pour passer aux chouans. Il était resté quinze jours parmi eux ; puis, après avoir rempli le triste rôle qui sans doute lui avait été assigné, il s'était rendu auprès de M. Lavalaine, lieutenant de gendarmerie. Huart, et c'est un aveu dû à M. Lavalaine, Huart lui servait d'espion contre les chouans. Mais cet Huart, qui n'avait passé que quinze jours dans les bandes, avait été le promoteur de plusieurs excès. On remarque même avec étonnement que c'est pendant ces quinze jours, rien que pendant ces quinze jours, qu'il y en eut de commis. La présence de cet homme expliquait les crimes de la chouannerie, et l'horrible mission qu'il s'était donnée ou qu'il avait reçue. Huart était condamné pour le meurtre de Couane, condamné seulement aux galères à perpétuité, car il avait réservé le rôle le plus cruel à Mandar. Sa peine avait été sur-le-champ commuée en dix années de réclusion. Au moment du procès, il les subissait à la maison centrale de Rennes, dans un état presque complet de liberté.

Huart accusait le chouan, Huart le dénonçait comme assassin ; mais le chouan n'était pas reconnu par les parents de la victime, qui avaient vécu avec lui, dans le même village, presque sous le même toit. Mandar n'était pas reconnu par eux ; mais Huart, le gendarme espion, l'était à sa place ; mais la belle-mère de Couane, qui ne l'avait jamais vu avant cette sanglante soirée, affirmait que c'était lui, Huart, qui était le seul assassin. Elle l'affirmait avec une énergie, avec une précision qui ne pouvait laisser aucun doute.

La faisait-on approcher de Mandar, elle regardait ce cannibale sans émotion, elle le touchait même sans terreur.

Confrontée avec le gendarme Huart, elle n'osait lever les yeux sur lui. A vingt pas de l'espion patenté, tout son corps frémissait ; elle s'écriait avec des sanglots : "Voici, voici l'assassin de mon malheureux gendre !" Amenée plus près de lui par les huissiers, elle poussait d'horribles cris, détournait le visage, et tombait dans un délire qui arrachait des larmes.

Et sous le coup de cette foudroyante accusation, Huart riait.

La peine de cet homme a été commuée. Mandar est encore aux galères !

En regard de ces deux accusations nous pourrions citer bien des traits de générosité de la part de cet infortuné. On nous soupçonnerait peut-être de nous faire son panégyriste ; nous ne voulons être que son historien. Mais il est un fait que, pour l'honneur de la chouannerie au bagne, nous ne devons pas passer sous silence. Ce fait en dira plus que toutes nos paroles.

Mandar, que les journaux et une coupable ignorance ont représenté si féroce, a eu à trente pas de lui, au bout de son fusil chargé à balle, M. Lorois, préfet du Morbihan, M. Lorois qui mettait sa tête à prix, et que l'ardeur de la chasse avait égaré. Mandar est habile tireur, et Mandar a épargné les jours de celui qui était son plus actif persécuteur.

Dans son cachot, Mandar révéla à M. Lorois cette circonstance. Sous l'impression des calomnies dont, pour nous servir d'une expression de M. Janvier, ce sublime fanatique était l'objet, le préfet du Morbihan ne voulut pas ajouter foi au récit du chouan. Il lui répugnait de croire que Mandar avait tenu sa vie au bout d'un fusil et ne s'était pas vengé. Accablé cependant par les détails les plus circonstanciés, M. Lorois se rendit à l'évidence, et, de ce jour, il dut comprendre qu'avec des haines révolutionnaires, la calomnie est une arme qui frappe plus vite et plus sûrement qu'un fusil entre des mains royalistes.

Nous avons dit tout le mal qu'a fait Mandar, et passé sous silence beaucoup de bien. Maintenant nous n'expliquerons pas par quel contre-coup de terribles évènements, par quel dévoûment à une cause plus chère encore parce qu'elle est vaincue, Mandar et ses compagnons de bagne ont pris les armes. Nous n'établirons même pas de comparaison entre les insurgés du 12 mai et les chouans de Bretagne et de Vendée. Le parallèle serait trop en faveur de ces derniers. Ce n'est pas une aggravation de peines que nous demandons pour les uns, c'est la justice seulement, l'égalité devant la loi, que nous implorons pour les autres. Nous l'implorons au nom de la Vendée, toujours monarchique ; de la Vendée, qui demain mourrait encore dans ses landes pour la défense du trône ; de la Vendée qui se lèvera toujours pour combattre les principes désorganisateurs. Est-ce un gouvernement s'efforçant de revenir à l'ordre et à la monarchie, cherchant à reconstituer les débris du passé avec des ruines récentes, qui peut refuser justice ou grâce aux humbles paysans coupables seulement d'une fidélité que toutes les royautés devraient honorer ?

La vie de Mandar a été la plus calomniée : c'est par conséquent celle que nous avons dû choisir comme point de départ et de comparaison. Maintenant au gouvernement de Louis-Philippe, à Louis-Philippe seul de prononcer, dans une question où tout dépend de lui. Nous avons été vrai ; qu'il soit juste.

Extrait :
Question vendéenne à l'occasion
de la commutation de Barbès, ou
Réflexions sur la séance du 29 juillet 1839
par Auguste Johanet.
1839

Le 22 novembre 1834, il fut exposé à Rennes, sur la place des Lices.
A l'instant de sa sortie et à sa rentrée, une foule d'autant plus grande, que c'était jour de marché, ne cessa d'environner ce misérable qui paraissait braver, par une gaieté factice, les expressions d'indignation qui s'échappaient du sein de la multitude.
"L'heure d'exposition expirée, il détacha lui-même l'écriteau indicateur du motif de sa condamnation, et le plaça soigneusement dans sa poche, voulant sans doute le conserver comme un titre ou comme un souvenir ; puis, sautant légèrement de dessus l'échafaud, il regagna sa prison d'un pas assuré ..."
Le lendemain, il partait pour le bagne de Brest, accompagné d'une forte escorte.

Bagne de BrestHistoire des Bagnes
par Pierre Zaccone
1878

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