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La Maraîchine Normande
25 juillet 2013

JACQUES DE LA MÉROZIERES, DIT MONSIEUR JACQUES

Brissarthe


M. Jacques, dont le nom était la Mérozières, appartenait à une famille honorable de l'Anjou. Son père avait été garde-du-corps. Sa mère, devenue veuve, habitait avec ses deux filles et son fils le bourg de Brissarthe près la petite ville de Châteauneuf. Sa fortune était peu considérable. Le jeune la Mérozières embrassa de bonne heure l'état militaire. Au commencement de la révolution, il servait dans un régiment de cavalerie qui tenait garnison à Dunkerque, et fit preuve de son dévouement à la cause royale, à l'occasion des troubles qui s'élevèrent dans cette ville. Ses sentimens bien connus le firent admettre dans la garde constitutionnelle de Louis XVI, qu'on avait réussi à composer presque entièrement de royalistes. Il fit ensuite la guerre de la Vendée sous La Rochejaquelein. Après la défaite de Savenay, il revint dans son pays et se joignit aux premiers rassemblemens royalistes dirigés par MM. de Turpin, de Dieusie, de Terves et Sarazin. Ce fut alors qu'il se fit appeler Jacques (c'était son nom de baptême), pour éviter de compromettre sa famille. Bientôt il conçut l'idée de se mettre à la tête de l'insurrection du Bas-Maine, qui se trouvait sans chef depuis que Jean Chouan avait renoncé à la diriger. Nous avons vu le succès de cette entreprise et l'influence que le jeune officier sut prendre sur les Manceaux dès son arrivée dans leur pays.

Sa résolution de ne pas se faire connaître dans le Maine sous son nom véritable n'eut point d'abord pour objet de servir à l'accomplissement de ses desseins ; il ne songeait nullement à se donner de l'importance en laissant croire que le nom de M. Jacques cachait un nom illustre qui ne devait être proclamé qu'au moment du succès. il avait voulu rester inconnu seulement pour ne point exposer sa mère et ses soeurs à la vengeance des révolutionnaires. Mais lorsqu'il vit les Manceaux se complaire dans les suppositions les plus invraisemblables à son sujet, il jugea qu'il était de l'intérêt même du parti de ne les pas désabuser, et peut-être aussi le jeune homme se trouva-t-il flatté dans son amour-propre d'avoir su faire naître de pareilles idées.

Quoi qu'il en soit, ce fut seulement vis-à-vis de nos paysans qu'il garda ce rôle de personnage mystérieux qui lui avait été en quelque sorte imposé. Jamais il ne chercha à tromper sur ce sujet ceux des royalistes auxquels il pouvait se confier. M. l'abbé Fayau, curé de Luché ; le colonel de Pierreville (Lechandelier) ; M. de Boisjourdan, député de la Mayenne, alors fort jeune, mais qui se rappelle parfaitement l'avoir vu ; tous m'ont dit que dès ce temps-là ils avaient appris de lui-même les détails qu'ils m'ont donnés sur ce qui le concerne ; ils m'ont également affirmé que ses brillantes qualités méritaient réellement tous les éloges prodigués par les Chouans et qu'en cela du moins ils ne m'avaient dit que l'exacte vérité.

Il me reste maintenant à faire connaître ce que j'ai pu apprendre des circonstances de la mort de cet intéressant jeune homme ; et je dois aussi réparer une omission que j'ai faite en rendant compte de ses dernières expéditions dans le Bas-Maine.

Quelque temps avant de quitter ce pays, et peut-être même avant l'attaque de Montsurs, il avait remporté un avantage signalé sur un corps considérable de troupes républicaines qui étaient venues camper dans la lande des Ajets, entre les bourgs de Boëssay et de St-Brice, dans les environs de Sablé. J'ai eu peu de renseignemens sur cette affaire ; j'ai su seulement qu'elle commença à la ferme de Launey-Guinard, que M. Jacques tua de sa propre main le chef des républicains, et qu'à la suite du combat, ceux-ci levèrent leur camp et quittèrent le pays, où ils avaient commencer à porter le pillage et la dévastation.

En s'éloignant du canton qui venait de reconnaître son autorité, le nouveau chef avait pour but d'aller s'aboucher avec les royalistes de l'Anjou ; car dans ce temps il était difficile de traiter les affaires autrement que de vive voix, puisque les lettres, courant toujours le risque d'être interceptées, pouvaient livrer à l'ennemi le secret des opérations. Peut-être M. Jacques avait-il voulu essayer aussi de voir sa famille et de prendre auprès d'elle un peu de repos pour rétablir sa santé depuis quelque temps affaiblie.

Quoi qu'il en soit, à peine fut-il arrivé dans les environs de Brissarthe qu'il voulut profiter de son influence sur les jeunes gens du pays, dont il était connu depuis l'enfance, et il songea de nouveau à se former une petite troupe dévouée pour s'en faire accompagner dans ses courses. Dès qu'il eut rassemblé quelques hommes, il les réunit à ceux que commandait déjà Jolicoeur, toujours resté brave et fidèle compagnon ; et pour aguerrir les nouvelles recrues, avant de  leur faire quitter le pays, il entreprit de chasser les postes républicains établis dans les bourgs du voisinage.

Il força d'abord celui de Champigné, malgré sa vive et longue résistance. Encouragé par ce premier succès, il forma le dessein plus hardi de se rendre maître du bourg de Daumeray, dont plusieurs des habitans passaient pour des patriotes exaltés. Le poste était d'ailleurs bien gardé et toutes les dispositions possibles de défense avaient été prises. M. Jacques pensa qu'il rendrait inutile une partie de ces avantages en surprenant le bourg par une brusque attaque au milieu de la nuit. Dès le premier moment, en effet, il parvint à en forcer l'entrée ; mais les républicains s'étaient retirés dans l'église et dans quelques maisons dont ils avaient crénelé les murailles, et de là ils engagèrent une vive fusillade. Alors les Chouans résolurent de mettre le feu aux bâtimens qui protégeaient l'ennemi, par le moyen de torches de paille, ainsi qu'on l'avait déjà fait plusieurs fois.

Bientôt Jolicoeur, suivi de deux autres braves, s'élança pour suspendre les torches enflammées au-dessous des toits que l'on voulait incendier. Mais il revint sans avoir pu réussir. Ses deux compagnons avaient été tués avant d'arriver au but, et lui, blessé au sommet de la tête, était aveuglé par son sang qui coulait en abondance.

Alors, les Chouans découragés parlèrent de se retirer. "Il faut encore faire un essai auparavant, s'écria M. Jacques ; c'est à mon tour de marcher !" et s'armant de plusieurs torches, il s'élança vers l'église. Mais à peine eut-il fait quelques pas, qu'une balle vint le frapper à l'épaule gauche et le jeta par terre.

Jolicoeur en ce moment avait été emmené à l'écart pour faire panser sa blessure ; épuisé par le sang qu'il perdait, il était prêt à tomber en défaillance, quand il entend dire que le chef atteint d'un coup de feu vient de tomber. A ces mots il oublie son état, ne sent plus son mal, et retrouvant toute sa force, il accourt sur les lieux, se précipite vers son maître : animé d'une vigueur surnaturelle, il l'enlève, le charge sur ses épaules, et, malgré une décharge générale que fait sur lui l'ennemi, le rapporte dans les rangs des Chouans ; alors seulement, sa force l'abandonnant, il tombe au milieu d'eux sans connaissance.

La blessure de M. Jacques, bien qu'elle fût grave, ne parut pas être de nature à donner des inquiétudes pour sa vie. Les royalistes, favorisés par la nuit, se retirèrent sans être poursuivis, et purent facilement prendre leurs précautions pour transporter leur chef dans l'asile qu'ils lui choisirent.

Les renseignemens qu'on m'a donnés ne s'accordent pas sur le lieu où il fut déposé. Les uns disent que ce fut à la métairie de Cigné, dans la paroisse de Seurdres, d'autres dans celle de Cherré ou d'Etriché. Le plus grand nombre assure qu'il est mort à Juvardeil dans un souterrain. On peut croire qu'il changea plusieurs fois d'asile, ce qui aura donné lieu aux différentes indications qu'on m'a fournies. Toujours est-il certain qu'il était resté dans le voisinage de Brissarthe, et il ne paraît pas néanmoins qu'il ait reçu des secours de sa famille : il est vraisemblable qu'elle ne fut point intruite de l'évènement, peut-être même le malheureux jeune homme craignit-il d'exposer ses parens en leur faisant connaître sa situation.

On dit que le défaut de soin, l'humidité du lieu où il lui fallut rester caché, l'ennui de la solitude, et aussi cette profonde tristesse qui depuis quelque temps s'était emparée de lui, aggravèrent son état, et tout autant que sa blessure furent cause de sa fin. Il mourut après trois semaines de souffrances ; il était âgé d'environ vingt-six ans. Il m'a été impossible de savoir l'époque précise de sa mort. Je suppose que ce put être vers la fin de janvier 1795.

Extrait
Lettres sur l'origine de la Chouannerie
et sur les Chouans du Bas-Maine
Jacques Duchemin Descepeaux
1827

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