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La Maraîchine Normande
11 juillet 2013

HISTOIRE DE BANDITS : STREITMATTER

HISTOIRE DE BANDITS : STREITMATTER

BANDITFrançois-Joseph Streitmatter, connu sous les noms de Frey, Schweizer Muller, Boebicher Muller, enfin Weiller, dut le jour à un riche meunier de Boébikon, arrondissement de Zurzach, canton d'Arau, en Suisse, et se maria, à l'âge de seize ans, à une Suisse, aussi belle qu'aimable. Les premiers mois de ce mariage, qu'un moine avait arrangé, furent une suite non interrompue de jours heureux.

Un livre, soigneusement fermé par des sceaux mystérieux, que ce jeune homme trouva chez lui, fut la première source de tous ses malheurs. Il ouvrit, piqué par la curiosité, cette espèce de boîte de Pandore, et il lut, en un style barbare, entremêlé de latin, une méthode complète pour évoquer les esprits, déterrer les trésors, faire de l'or, préparer la panacée universelle, pénétrer dans les mystères du ciel et de l'enfer, apprendre enfin les magies blanche et noire.

Elevé dans le sein de la superstition, et convaincu de l'existence des esprits, des sorciers et des enchanteurs, il fut séduit par l'idée de se rendre maître des génies et des trésors en étudiant la magie blanche. Les charmes même de sa jeune épouse ne purent l'arracher à cette ténébreuse étude.

L'observation des astres à l'heure de minuit, des prières mystérieuses au premier coup de cloche qui annonçait cette heure, une réserve silencieuse à l'égard de tout le monde, une sévère privation de tous les plaisirs de l'amour, telles étaient les conditions principales et exclusives pour pénétrer dans l'empire des génies. Streitmatter, dans son exaltation, remplit exactement toutes ces conditions ; il renonça à tous ses plaisirs, négligea ses affaires, et encore plus sa jeune épouse, qui, de son côté, attribua le silence et la froideur de son mari, et surtout ses sorties nocturnes, à un motif plus outrageant pour elle qu'il ne l'était effectivement.

Streitmatter fut encore fortifié, dans sa crédulité et son exaltation, par un voisin dont le cerveau ne valait pas mieux que le sien, et qui l'assista dans ses veilles cabalistiques. Son épouse alors chercha des conseils et des consolations auprès de l'auteur de leur mariage, dont elle attendait le retour de la paix domestique.

Celui-ci, méchamment et avec intention, déclara : "que la cabale et les gens mal intentionnés étaient cause de tout le désordre, et que le lit conjugal se trouvant ensorcelé, il avait besoin d'être exorcisé ; qu'il s'offrait à venir, lorsque son mari recommencerait ses courses nocturnes, pour tâcher d'arrêter, par ses saintes prières, les effets de la magie et des mauvais génies."

Dès ce moment, le pire des démons s'empara du paisible mariage. Le moine, effectivement, bénit la couche nuptiale ; mais sa prière se changea en malédiction pour les malheureux jeunes gens. Streitmatter était alors trop peu versé dans les mystères de la perversité humaine, pour soupçonner qu'avant peu il ne serait plus le seul à se reprocher les troubles du ménage. Le négociateur trouva trop bien ses avantages dans cet état de choses pour songer sérieusement à le changer.

C'est dans cette conjoncture critique que Streitmatter, ne trouvant plus chez lui ni repos ni plaisir, fut les chercher au cabaret, et que, d'un autre côté, sa femme, mécontente de cette conduite, garda les clefs de la cassette, et commença à contrôler ses dépenses ; alors un juif d'Etmingen vint au secours du malheureux époux, et lui fit des avances de cinquante et cent florins, contre quittance double de la somme prêtée. Enfin les deux époux ne tardèrent pas à se séparer.

Le désordre s'étant mis dans les finances de la maison, l'épouse de Streitmatter voulut sauver son bien et celui de ses enfans. Le juif, qui avait prêté de l'argent à son mari, devint le plus impatient et le plus impitoyable des créanciers. Il mit en oeuvre toutes les rubriques de la chicane, et parvint en fort peu de temps à ruiner entièrement Streitmatter, et à le réduire à la plus profonde misère.

En proie au désespoir et à la rage, Streitmatter abandonna sa maison, et, suivant de fausses idées sur la destination de l'homme et sur le droit naturel, il se crut désormais autorisé à reprendre sur autrui ce qui lui avait été injustement enlevé. Il devint espion ; et, comme on ne lui tint pas certaines promesses contractées avant l'exécution d'une entreprise hasardée, il se fit voleur et brigand ; il avança dès-lors à pas de géant dans cette carrière.

Arrêté pour la première fois à Zurzack, il força son cachot ; retenu ensuite à Schaffouse, il s'échappa de la manière la plus hardie et la plus adroite ; arrêté de nouveau, par la suite, il reçut un léger coup de feu du bailli de Hanenstein, fut transporté à Arau, où il s'évada de la plus forte prison avec une audace incroyable. Les vols, les sacrilèges, les attaques nocturnes dans les moulins et les fermes, se multiplièrent de jour en jour, et son nom devint la terreur de toute la contrée. Personne ne lui était comparable pour l'adresse, la ruse et la présence d'esprit. Point de serrures assez solides pour lui, point de boutiques assez bien gardées ; le plus habile serrurier pouvait apprendre de lui son métier. Il s'échappa de plus de 12 des plus fortes prisons, d'une manière aussi hardie qu'ingénieuse.

A Lonwy, dans la nuit du 19 au 20 décembre 1805, il escalada, avec ses camarades, au moyen d'échelles et de pieux attachés ensemble, les remparts de la ville à dix pas d'une sentinelle.

Streitmatter, toujours le plus actif de sa bande, pendant l'exécution d'une entreprise, abandonnait à ses camarades le soin d'empaqueter et de transporter le butin. S'il avait de l'argent, tous ses compagnons en avaient aussi : aimant à jouir du présent, il dissipait l'or, acquis aux prix de tant de dangers, aux eaux minérales, dans les tripots, les maisons de plaisirs, ou les cabarets.

Après sa fuite d'Arau, blessé, et n'ayant pour toute provision qu'un petit morceau de pain et quelques mûres sauvages, il erra pendant trois jours à l'aventure, dans un batelet, sur une petite rivière remplie d'écueils.

Emprisonné à Genève, avec quelques autres brigands, il obtint de quelques juifs de Carouge vingt-cinq pièces d'or, ainsi que des limes et des ressorts de montre qu'aucune recherche ne put leur enlever. Enfermés dans une grotte pendant leur transport à Lyon, ils s'étaient déjà débarrassés de leurs fers, et commençaient à forcer leur prison, lorsqu'ils furent découverts et arrêtés. On leur ôta une partie de leur or et de leurs instrumens, mais le plus important ou le plus nécessaire resta caché dans leur fondement.

Deux fois ce brigand eut dessein d'abandonner son genre de vie, et chaque fois un malheureux incident l'y engagea de nouveau. La première fois, un Bohémien lui coupa sa ceinture, et la lui enleva avec cent louis qu'elle renfermait ; la seconde fois, en France, où il avait résolu de s'établir dans une fabrique, son mauvais génie le conduisit sur sa route dans une auberge où un ouragan le força de s'arrêter. Là, il trouva le chef de bande Muller avec sa concubine, lesquels lui gagnèrent son argent au jeu, et, après l'avoir enivré, l'engagèrent à un nouveau vol.

On employait envain contre Streitmatter les artifices les plus ingénieux pour se saisir de lui. Semblable à un nouveau Protée, il échappait à toutes les recherches, à toutes les ruses et à tous les pièges qu'on lui tendait, et, si on parvenait à l'arrêter ou à l'enfermer dans une prison ou un cachot, il était rare qu'il ne rompît pas ses fers, en surmontant les plus grands obstacles. Un jour il s'abandonna, avec la plus grande témérité, d'une hauteur de cent pieds, à une corde faite de morceaux de couverture, et ne quitta son entreprise que lorsqu'il entendit siffler à ses oreilles les balles de la garde qui était accourue. Découvert et arrêté, il s'assit tranquillement sur une pierre, en disant : C'est ajourné.

Cependant, plein de dépit et de colère de ne pouvoir sortir de sa misérable prison, tandis qu'il s'était évadé des plus forts cachots de la France et de la Suisse, il se crut perdu pour tout de bon, et commença à confesser quelques faits contre lui-même ; il était persuadé qu'il fallait absolument séquestrer du monde un homme aussi dangereux que lui. Mais il s'écriait toujours avec l'accent de la vérité : "Mes mains n'ont jamais versé le sang ; si j'entendais un enfant pleurer, ou un petit chien japper, j'abandonnais de suite les plus belles entreprises, parce que j'entrevoyais la possibilité de me trouver, par une résistance imprévue, forcé, malgré moi, à sacrifier un homme. Il doit sembler étrange d'entendre un voleur de profession parler de moralité ; mais, croyez-moi, ajoutait-il, j'ai aussi la mienne, et c'est du moins un sentiment bien rassurant pour moi que la certitude de n'avoir jamais commis de violence, et peut-être même d'en avoir empêché un grand nombre. Un voleur adroit, disait-il, doit savoir où les gens couchent, et s'ils sont vieux ou jeunes ; car les vieillards se réveillent facilement et souvent après minuit ; au lieu que les jeunes mariés, une heure après leur coucher, peuvent être visités sans crainte."

Ce fut devant la cour de justice de Mayence que Streitmatter parut, et qu'il fut condamné le 29 septembre 1810, avec plusieurs autres brigands ; lui, avec Damien Hessel et Schmaye Nathan, à la peine de mort, et les autres à seize, dix-huit et vingt-quatre ans de fer.

Extrait
Histoire des bandits et des brigands
les plus célèbres des quatre parties du monde
Tome premier - 1836
par Jacques Albin - Simon Collin de Plancy

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