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La Maraîchine Normande
18 juin 2013

LA DÉFROQUE DES DÉCAPITÉS

guillotine

 

LA DÉFROQUE DES DÉCAPITÉS.

Si l'on continue l'examen des documents autographes qui nous restent sur cette époque, on rencontre l'inventaire des effets laissés par les guillotinés. Ce n'est pas sans émotion que l'on découvre la liste des objets qui appartenaient à tel ou tel individu fameux, quelques puérils que paraissent ces inventaires de meubles et de hardes au premier aspect.

Guiard, ancien concierge de la prison du Luxembourg, changea de rôle un jour lui-même, et de geôlier devint prisonnier. Il fut incarcéré à la Conciergerie. Les effets des prisonniers, lorsqu'il était à la tête de la prison du Luxembourg, étaient déposés dans le logement qu'il occupait dans cette maison d'arrêt. On n'avait pas fait d'inventaire. Alors que le prévenu était relâché, il réclamait ses effets, et l'on ne savait retrouver ceux qui lui appartenaient, Guiard, qui seul pouvait mettre sur la voie, fut extrait de la Conciergerie. Il conduisit les commissaires chargés par la Convention nationale, ainsi que le confirme leur rapport, dans une petite chambre à côté du greffe, éclairée par une croisée sur la cour, soleil du midi ; et le 26 thermidor de l'an II de la République française, une et indivisible, il fut dressé un procès-verbal dont nous extrayons les passages suivants.

A Dom Guerle, ex-chartreux :
Un petit paquet renfermant deux pièces d'argent à l'effigie de Capet, de 12 livres.

A Boisgelin, tombé sous le glaive de la loi :
Un étui de basane rouge, renfermant un gobelet de cristal ; un étui idem ; une petite pendule dans un étui de galuchat, à charnière et agrafe ; un flambeau à deux bobèches de cuivre argenté, avec un garde-vue peint en vert.

A Maluisy, tombé sous le glaive de la loi :
Deux étuis renfermant deux gobelets de cristal ; plus une boîte rouge en écaille, avec un portrait de femme ; plus enfin une lunette d'approche.

A Chambon d'Arbouville, tombé sous le glaive de la loi :
Une lunette d'approche ; plus du galon en or, propre à être brûlé.

A Dubuisson, tombé sous le glaive de la loi :
Trois montres, un violon et une clarinette.

A Lurienne, tombé sous le glaive de la loi :
Une montre en or.

A La Rivière, tombé sous le glaive de la loi :
Deux petites montres en or ; plus une bague avec chiffres sous verre ; plus une paire de boucles d'argent et les tirans en cuivre.

A Dathier, tombé sous le glaive de la loi :
Deux petites cuillères d'argent à café.

A Perrot, tombé sous le glaive de la loi :
Un étui en chagrin vert, renfermant une petite cuillère et une fourchette d'argent doré, et un petit couteau en forme de lancette.

A Charbonnière, tombé sous le glaive de la loi :
Une lorgnette.

A Nicolaï, tombé sous le glaive de la loi :
Un étui de basane rouge, dans lequel est un gobelet et deux lunettes d'approche, etc., etc.

Les commissaires relevèrent dans les appartements du deuxième étage, dans les vacations du 25 thermidor au 18 fructidor, à la prison du Luxembourg, les objets qui suivent. Ici, nous allons trouver des noms célèbres dans les fastes révolutionnaires, tels que ceux de Danton, de Fabre-d'Eglantine, et de Camille Desmoulins.

A Danton :
Un lit de sangle, un sommier de crin, deux matelas, un pot à l'eau avec sa cuvette de faïence, trois bouteilles vides, une cafetière de ferblanc, un petit miroir à chapitaux, un plat à barbe, un petit couteau de nacre de perle, lame d'argent, une bergère de damas à fleurs, une chaise de paille ordinaire, une petite table à écrire, une pelle et une pincette, deux petits flambeaux de cuivre doré.

A Fabre d'Eglantine, condamné :
Deux couverts d'argent à filet, une paire de draps, un gros manchon, une lunette d'approche en ivoire, 50 volumes reliés, 39 encyclopédies, 6 volumes des oeuvres de Molière, deux cahiers, histoire de la Révolution, une lampe à quinquet, trois matelas, un fauteuil de paille à dos de lyre, un pot à eau, un carafon contenant quelques prunes, une demi-bouteille d'eau-de-vie, un cachet de bureau, une paire de boucles de jarretières en acier, 17 sous en numéraire, un petit orgue, 10 grandes bouteilles, cent cinq sous en assignats, 30 bouteilles vides, trois bougies, un bocal à cornichons, une bouteille à tabac, deux petites bouteilles à crème, une salière de cristal, une carafe d'huilier et une cassée, une cuvette, un petit poëlon de terre brune, 4 assiettes et un petit plat, une table à écrire.

A Camille Desmoulins, condamné :
Un mauvais chandelier de cuivre, une cafetière de ferblanc, un pot à eau en faïence, trois bouteilles, un petit poëlon, une marmite en terre, etc., etc.

Un fait digne de remarque, c'est que parmi le détail des objets qui appartenaient aux divers prisonniers, on rencontre une grande quantité de lunettes d'approche. Je me demande à quoi pouvait servir cet instrument d'optique. Si les prévenus montaient sur quelque plate-forme, à l'heure où on leur permettait de prendre l'air, avaient-ils l'espoir, à l'aide de ces lorgnettes, de découvrir le toit de leur domicile, ou les signes que leur faisaient de là leurs parents et amis ? Nous ne voyons pas d'autre motif à la présence de ces instruments. L'inventaire des effets nous signale le caractère et la profession des individus qui les possédaient. Le violon et la clarinette de Dubuisson nous indiquent que ce dernier était musicien. Nous ne pouvons voir dans Camille, qui brode de la tapisserie en prison, qu'un efféminé grand seigneur formé à l'école de la régence. Fabre d'Eglantine, avec ses six volumes de Molière et ses quatre-vingt-sept autres volumes de l'Encyclopédie, de l'histoire de la Révolution et autre matière, montre le goût passionné de ce dramaturge célèbre pour la culture des lettres. Le prévenu n'étouffe pas l'écrivain. Son mobilier est le plus considérable. Fabre menait bonne vie en prison et buvait assez largement. Tandis que Camille Desmoulins, Danton et autres révolutionnaires n'ont que de misérables objets en leur possession, les ci-devants trahissent leur ancienne opulence par des bijoux précieux qu'ils gardent jusque dans ces lieux, d'où l'on ne sort que pour monter sur l'échafaud.

J'ignore le crime qui avait fait suspendre Guiard de ses fonctions de concierge à la prison du Luxembourg, et qui avait motivé son incarcération à la Conciergerie ; mais toujours est-il que sa probité était exemplaire. Une note sur cet inventaire donna la preuve de son honnêteté. Il remit aux commissaires 1,859 livres qu'il avait trouvées dans les effets de Camille après son jugement. De ces faits, nous tirons encore la conclusion que les habits des décapités revenaient de droit au bourreau, puisque Guiard se contente de rapporter au greffe de la prison les objets qu'il a trouvés dans les poches, et qu'il n'est fait aucune mention des habits que portait le condamné.

Au reste, dans ces temps de sanglantes représailles, la maison du bourreau devait seul fleurir en France ; et comme la tanière de la bête fauve regorge de dépouilles humaines après le carnage de la bataille, ainsi sa demeure et sa famille devaient nager dans l'abondance et la prospérité, car sa besogne était nombreuse, et chaque jour lui amenait au pied de son échafaud des charretées de victimes.

ERNEST ALBY
La Terreur
par l'abbé Pioger
1861

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