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La Maraîchine Normande
31 mai 2013

LANDISACQ (61) PENDANT LA RÉVOLUTION - 1794

LANDISACQ
PENDANT LA RÉVOLUTION  -  1794

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1er Janvier - Vérification, par la municipalité, des assignats démonétisés, contenus en la caisse du citoyen Julien Dufay-Lamare, percepteur et maire, demeurant au village de la Besnerie. Vérification faite, il ne s'est point trouvé d'assignats au-dessus de 100 livres, par conséquent point de démonétisés.

13 Janvier - Conformément au décret du 23 juillet dernier, la municipalité envoie au district de Domfront une des cloches. Plus, à la demande des administrateurs, qui requièrent des lits pour les troupes, elle en envoie deux ayant appartenu à Pierre Montembault, ci-devant curé, confisqués au profit de la Nation, suivant le décret relatif aux biens des prêtres déportés ; lesquels lits consistent en deux matelas, 2 couvertures de laine, un traversin, 4 draps et deux paillasses.

17 Janvier - Les citoyens Dufay-Lamare, maire ; Jean Morin, Pierre Aubine, Julien Bourdon, Pierre Aubine, de la Flaudière, officiers municipaux ; Thomas Mousset et Michel Bourdon, notables ; Jean Avice, procureur de la commune : tous en même temps membres du Comité de surveillance, sont obligés d'opter pour l'une ou l'autre de leurs fonctions, le cumul étant interdit. A l'unanimité, ils déclarent s'en tenir à leur place dans la municipalité.
Signé J. Dufay-Lamare, maire et ci-devant président du Comité ; Jean Morin ; J. Bourdon, officier ; P. Aubinne ; P. Aubine, officier.

Même jour - Affiches convoquant pour le Dimanche 19 janvier tous les citoyens de la commune, pour compléter le Comité de surveillance, et décider si le procureur de la commune sera maintenu agent national.

19 Janvier - Les citoyens électeurs, réunis sous la présidence du cit. Quellier, off. municipal et curé, pour adjoindre aux 4 membres du Comité restants, savoir : Pierre Dufay, Jean Avice, Guillaume Bouvet et Jean Gaucher, élisent huit membres en remplacement des 8 précités, qui ont donné leur démission. Elus : François Mousset ; Jean Avice ; Jean Leprince fils Jean ; J.-B. Leprince fils aîné ; François Soinard ; Michel Mousset ; Jean Dupont et Julien Avice père, comme ayant réuni le plus de suffrages. Le bureau invite le nouveau Comité de surveillance à s'organiser incessamment et à tenir ses séances dans la salle de dessous la maison commune.
Ensuite, il est procédé à la nomination d'un agent national. D'une voix unanime, Jean Avice, ci-devant procureur de la commune, est nommé agent national.

26 Janvier - La municipalité fait notifier aux citoyens de la première réquisition de se rendre, dans la prochaine décade, soit à Saint-Denis ou à Domfront, pour savoir leur destination. Faute auxdits citoyens d'obtempérer à cet ordre, ils seront considérés comme émigrés et punis comme tels, eux et leurs parents. Passé la décade, la municipalité dressera la liste des refusants, conformément au décret du 2 frimaire précédent.

1er Février - Crainte que la notification précédente soit trouvée insuffisante, la municipalité revient à la charge, en ordonnant à Pierre Dufay, capitaine, de la faire à nouveau, en invitant les jeunes gens à se trouver à la maison commune le lendemain, à huit heures du matin, pour aller à Domfront se faire enrégimenter.

2 Février - Répondent à l'appel ci-dessus : Pierre Leconte, Pierre Dufay, Charles Andrin, Jean Dufay, Etienne Hardouin, Louis Bazin, Thomas Avice, Jacques Avice, Nicolas Bourdon, Etienne et Nicolas Lebrun. La municipalité, voyant, dit-elle, avec douleur que les autres ne se présentent point, parce que, probablement, ils cherchent à se soustraire à la loi, arrête : 1° que quiconque les connaissant, les logerait, serait lui-même arrêté et traité comme rebelle, s'il n'avertissait pas la municipalité ou ne les lui amenait à la maison commune ; 2° qu'injonction est faite à la garde nationale de les rechercher partout où ils seront et de les arrêter, sous sa responsabilité ; 3° que tous les bons citoyens devront l'avertir quand ils auront connaissance de quelques-uns des réfractaires ; 4° que la garde nationale partira dans le moment pour rechercher à leur domicile ou ailleurs tous les garçons fuyards.
Signé J. Dufay-Lamare, maire ; Quellier, off. munic. ; Jean Morin, officier ; J. Bourdonn, officier.

16 Février - La municipalité, considérant que plusieurs fois la municipalité de Tinchebray a demandé des grains pour, soi-disant, approvisionner la halle, et que autant de fois il lui en a été envoyé ; considérant d'ailleurs que plusieurs fois des citoyens pauvres et sans grain de Landisacq se sont présentés à lad. halle pour acheter du grain et que le comité de subsistance de Tinchebray, ou ses commissaires, a refusé de donner la part proportionnelle des grains de la halle aux demandants ; que quelqu'un de la commission dudit comité a dit que si Landisacq n'avait plus de grain, la population mangerait de l'avoine ; considérant encore qu'il n'est pas juste que Tinchebray vienne prendre le froment, le seigne et le sarrasin, c'est-à-dire tout le bon grain, et que la population de Landisacq ne mange que de l'avoine ; voyant que la commune sera bientôt vide de grain ; arrête : ouï l'agent national, que si la municipalité de Tinchebray exige encore du peu de grain qui reste, pour approvisionner qui bon lui semble, il sera envoyé une députation de deux hommes (Pierre Aubine et Jean Morin) aux administrateurs du district, pour les consulter sur ce qui précède et savoir si Landisacq doit encore envoyer du peu de grain qui reste à Tinchebray, et ne manger que de l'avoine. S'il le fallait d'après la loi, les administrateurs sont invités d'arrêter : 1° que si quelques habitants de Landisacq se présentent à lad. halle pour avoir du grain, il leur en sera délivré proportionnellement ; 2° que Tinchebray ne pourra non plus exiger à Landisacq que proportionnellement de toutes les sortes de grains.
(Signé) J. Dufay-Lamare, maire ; Quellier, off. ; Jean Morin, off. ; P. Aubinne, off. munic. ; J. Avice, agent national.

18 Mars - Suivant un ordre du district, il est fait savoir à tous les individus créanciers des émigrés ou des prêtres déportés, habitant la commune, de se trouver le 21 mars courant, au directoire du district, munis de leurs titres de créances, pour former un état d'union entre lesdits créanciers.

Même jour - Accusé de réception du jugement rendu par le tribunal criminel du département de l'Orne, le 27 septembre 1793, contre Pierre Frémont, prêtre insermenté. Par lequel jugement ledit Frémont est condamné à être renfermé dans la maison des ci-devant Saintes-Claires d'Alençon, lieu fixé par le département pour les prêtres insermentés, infirmes ou sexagénaires.

13 Avril - Le maire étant en société chez Thomas Mousset, s'est présenté Guillaume Morel, ayant servi dans l'armée de la Côte d'Or, qui a tenu maints propos contre les lois, insultant le maire de la manière la plus injurieuse, lui disant notamment qu'il se foutait de lui, qu'il n'avait pas le droit de l'arrêter et de le mettre en arrestation. Ce que voyant, le maire a requis Guillaume Avice et Gabriel Oblin de se saisir dudit Morel et de le conduire au corps de garde. Y étant arrivé, Morel a tenu les propos les plus indignes et les plus déshonnêtes, disant au maire qu'il n'était pas fait pour le faire rejoindre ; qu'il n'était qu'un gredin, un gueux et un jean-foutre. En conséquence, le maire demande que Morel soit poursuivi pour injures et comme déserteur. Guillaume Avice et Gabriel Oblin refusant de signer le procès-verbal du maire, celui-ci est obligé de faire conduire son prisonnier à Domfront pour y être gardé jusqu'à ce que les administrateurs en aient décidé.

20 Avril - Pierre Leconte, fils Etienne, âgé de 24 ans, ayant déjà eu plusieurs retards, est prorogé de nouveau pour trois décades par l'agent militaire de Domfront, Dupuy.

22 Avril - Charles Leconte, fils Charles, âgé de 23 ans, est pourvu d'un congé absolu, pour cause d'infirmités, par l'agent Dupuy.

Même jour - La citoyenne Renée Quellier, soeur du curé constitutionnel, se présente à la maison commune pour être inscrite comme aspirante à l'instruction des jeunes gens de la commune. Mais le départ de son frère, qui eut lieu peu de jours après, l'empêcha de donner suite à son projet. Aussi, le 31 mai suivant, la municipalité recherche-t-elle un instituteur et une institutrice.

23 Avril - Le maire et les officiers municipaux reconnaissent que le citoyen Quellier, curé de la commune, leur a remis entre les mains : 1° le calice, la patène, le saint Ciboire, l'ostensoir, et une petite custode d'argent ; 2° 15 chasubles ; 3° 6 grands chandeliers et 4 petits, les croix, l'encensoir, la lampe, les livres, une aube, les cordons, toutes les chapes, le bénitier, et les clefs qui les renferment. Le tout comme on le lui avait confié, sauf à lui à tenir compte des autres petits détails qu'on aurait pu lui confier et portés dans le procès-verbal fait au temps de sa prise de possession.
P.-S. Les ustensiles susdénommés sont demeurés dans les crédences ou commodes de la sacristie et sous des clefs qui sont restées renfermées dans la commode de la maison commune.
(Signé) J. Dufay-Lamare, maire ; Quellier ; J. Morin, officier ; P. Aubinne, officier.

Même jour - Pierre Aubine, fils Pierre, voyant la malsanté et indisposition auxquelles il est tombé par une maladie terrible, ne pouvant plus faire les fonctions de greffier, invite la municipalité à lui trouver un successeur.

CHOUANNERIE

Nous aurions voulu poursuivre notre étude, avec la même abondance de détails ; malheureusement les documents nous manquent. Nous sommes donc obligé de condenser, dans les quelques pages suivantes, les évènements qui se produisirent dans la suite.

La compagnie des réfractaires de Landisacq, jointe à celle de Chanu, fut placée, en 1795, sous les ordres de Jean-Baptiste Fresnel (Letellier), originaire de Mathieu, près Caen, tailleur de pierre aux carrières du Mont-Crespin, âgé de 32 ans. Letellier était fort redouté. Des espions offrirent aux républicains de le faire prendre "pourvu qu'on le fusillât sur-le-champ, par la raison, disaient-ils, qu'ils ne voulaient pas déposer contre lui en justice, dans la crainte d'être assassinés."

Sous ses ordres étaient, pour Chanu, le capitaine Malherbe, et pour Landisacq, le capitaine Montembault, parent du curé émigré. Montembault était digne de son chef. Son nom figure dans la chanson dite des Chouans, où, après la relation de plusieurs atrocités, notamment la mort d'un malheureux saigné comme un porc sur une table, en présence de sa femme, on trouve ce couplet :
Après tous ces hauts faits
On doit mettre Bizet
L'un des premiers en tête,
Et le broussu Foucault,
La Ville et Montembault,
Puis le fripon d'Rainette.

Dans les notes laissées par Jules Tirard, de Condé, il est dit que Montembault se vantait d'avoir tué 7 malheureux avant le déjeuner.
Ce trait est suivi de cet autre, non moins typique : "Margerie père et fils, enrôlés dans la compagnie de Landisacq, étaient d'affreux bandits, rançonnant les habitants des campagnes pendant la nuit et leur brûlant la plante des pieds pour les forcer de livrer leur argent. Ils étaient protestants et joignaient l'hypocrisie à la férocité. Ils appelaient les écus de 6 livres qu'ils exigeaient de leurs victimes des Sit nomen Domini benedictum, et disaient volontiers : "Ah ! qu'on a de mal à rétablir la religion !"

Les compagnies de Landisacq et Chanu, avec celles de Flers, la Lande-Patry et la Chapelle-Biche, formèrent la légion dite de Flers, qui fut commandée dans la première guerre (1795-1796) par Marguerye, dit Griffon. Elle prit part à de nombreuses rencontres, notamment à l'affaire de Landisacq (2 février 1796), ainsi racontée par M. de la Sicotière (T. I, p. 389) : "Frotté était cantonné à Landisacq avec 600 hommes. Le 2 février, 250 à 300 républicains se dirigèrent sur ce bourg, sans y soupçonner sa présence. Il envoya aussitôt Moulin et quelques hommes au-devant pour simuler une attaque, et en reculant devant eux les attirer dans une embuscade. Cet ordre fut suivi de point en point ; mais quand la petite troupe de Moulin revint à l'endroit convenu, saisi d'une terreur panique, s'était sauvé en entraînant ses chefs. Surprise et indignation des arrivants, qui se dispersèrent à leur tour, non sans avoir perdu plusieurs hommes. A quelque distance de là, des fuyards rencontrent Picot et Pascal, officiers du corps principal, qui leur commandent de s'arrêter. Furieux d'avoir été abandonnés, ils n'en courent que plus vite. Picot leur envoie un coup de carabine, qui effleure les cheveux de Pelvé, sergent-major ; Pelvé se retourne et fait feu à son tour sur Picot. L'affaire allait devenir sérieuse, mais ils sont séparés par leurs camarades et par l'arrivée des bleus, qui tuent encore quelques chouans, tout en perdant 5 soldats de leur côté. Ils s'en vengèrent en massacrant deux individus tout à fait inoffensifs, Desjardins, voiturier et Madeleine-Pichardière, de Chanu. Un succès assuré pour les chouans s'était changé en défaite."

Cette rencontre fut bientôt suivie d'une nouvelle à Saint-Vigor-des-Mézerets, où 300 bleus s'étaient réfugiés dans l'église. Les compagnies de Landisacq, Saint-Jean et Truttemer, sous la conduite de Marguerye, les attaquèrent et leur tuèrent 7 hommes, qui, suivant Moulin, étaient 7 prêtres assermentés, comme la plupart de ce rassemblement.

Ce fut à Landisacq que, le 6 mai suivant, l'abbé Malherbe, de la Lande-Patry, amené de sa demeure du Hamel-Jenvrin, fut fusillé, puis déchiqueté à coups de sabre. Sa soeur ramassa les lambeaux de son corps et les porta à la Lande-Patry, où ils furent inhumés au pied de la croix.

Cette sanglante période fut suivie d'une paix relative pendant les années 1797 et 1798.

Dans la seconde guerre civile (1799-1800), la compagnie de Landisacq, forte de 100 hommes, était commandée par Durand, avec Letellier pour major ; elle faisait partie de la division de Flers, forte de 1210 hommes, sous les ordres du baron de Commarque. Letellier, avec ses seuls moyens, était arrivé à enrôler 600 hommes, qui menaçaient la lisière du Calvados et de l'Orne.

La première affaire à laquelle la compagnie de Landisacq prit part, dans cette seconde guerre, fut celle de Montsecret (4 août 1799) dans laquelle Billard de Veaux, chef de chouans, fut grièvement blessé.
Ne pouvant réduire les réfractaires, le général Gardane, nouvellement arrivé dans la contrée, mit arbitrairement des taxes sur les communes possédant des jeunes gens aux chouans. C'est ainsi que Landisacq fut requis de fournir immédiatement 1150 livres, somme relativement considérable pour l'époque à cause de la rareté du numéraire.

La chouannerie terminée avec la mort de Frotté (18 février 1800), la résistance aux réquisitions militaires n'en persiste pas moins. Landisacq ayant été taxé de fournir un homme pour la formation de la 2e compagnie franche de l'Orne, et ne s'étant pas exécuté, deux soldats sont envoyés de La Ferté-Macé, lieu de cantonnement de ladite compagnie, le 23 décembre 1800, chez Dufay-Lamare, maire, avec ordre d'y rester comme garnisaires, logés, nourris et payés un franc par jour, jusqu'à ce que la municipalité ait fourni son homme.

Lors de la conclusion du Concordat (1801), une enquête administrative fut faite sur le clergé. Celui de Landisacq y figure avec les annotations suivantes :

Montembault, ex-curé, insermenté, déporté, rentré depuis trois mois. A passé sa déclaration. Désiré de toute la commune.
Friloux, insermenté, déporté, rentré depuis trois mois. A passé sa déclaration. Mérite d'être placé.
Dufay, insermenté, sans lumières, turbulent, dangereux. S'est refusé à tout.
Sebire, insermenté, a constamment refusé toutes soumissions aux lois.

La déclaration dont il est question, fut passée dans les termes suivants par le curé Montembault :
"Aujourd'hui, 14 ventôse an XII de la République Française une et indivisible ;
Nous, Maire de la commune de Landisacq, arrondissement communal de Domfront, en conséquence de l'arrêté du Préfet de l'Orne du 3 de ce mois, qui nous délègue pour recevoir de Pierre Montembault, prêtre, ex-curé de la commune de Landisacq, que des infirmités graves empêchent de vacquer à ses affaires, le serment et la renonciation prescrite par le sénatus-consulte du 6 floréal an X, nous sommes transporté au domicile dud. sieur Montembault ; lequel, après avoir entendu la lecture du sénatus-consulte et de l'arrêté du Préfet, a déclaré qu'il s'appelle Pierre Montembault, né en la commune de Chanu, âgé de 73 ans, avant la Révolution curé de Landisacq.
Comme prévenu d'émigration et pour exécuter les dispositions dud. sénatus-consulte, il a présentement fait le serment d'être fidèle au gouvernement établi par la Constitution et de n'entretenir ni directement ni indirectement aucunes liaisons ou correspondances avec les ennemis de l'Etat. Il a déclaré et affirmé qu'il ne tient des puissances étrangères aucune place, titre et décorations, et qu'il ne touche d'elles aucun traitement ou pension. Ce qu'il a signé après lecture faite. A Landisacq, cedit jour et an que dessus.
(Signé) Montembault, Dufay-Lamare, maire."

Les autres déclarations, conçues dans les mêmes termes, étaient faites, en présence du sous-préfet, dans l'église Saint-Julien de Domfront.

Nombre des jeunes gens de Landisacq, compromis dans la chouannerie, vécurent de longues années après la Révolution. Parmi ceux-ci plusieurs obtinrent des récompenses en 1810, notamment Pierre Bouvet, cultivateur, ancien sous-lieutenant, qui reçut un titre de pension de 50 francs ; et Jean-Baptiste Houel, ancien secrétaire du général de Frotté, devenu professeur au collège de Domfront, qui reçut une lettre de remerciement, pour avoir servi avec bravoure et dévouement. Ce M. Houel était frère de J. Houel, qui devint curé de Ronfeugeray.

LE CURÉ CONSTITUTIONNEL

L'abbé André Quellier qui, comme on l'a vu, joua un rôle prépondérant dans l'histoire révolutionnaire de Landisacq, était originaire de Sainte-Marie-du-Bois, au diocèse du Mans, commune attribuée à la Mayenne par une loi du 30 mars 1831. Il était vicaire de la Haute-Chapelle lorsque éclata la Révolution. A l'exemple de son curé, l'abbé Thierry, il s'empressa de prêter serment à la Constitution civile du Clergé. L'arrivée d'un second vicaire, désigné pour suppléer le curé, vieux et infirme, fut le signal d'une scène scandaleuse, dans laquelle le sieur Quellier compromit gravement son caractère sacré.

Le Dimanche 16 janvier 1791, sur les 10 heures du matin, l'abbé Nicolas Chasle, originaire de Saint-Roch, arriva à la Haute-Chapelle pour dire la grand'messe. Il venait d'être nommé second vicaire par M. Gonssans, évêque du Mans, à la demande du curé Thierry, alors souffrant et dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Prévenus par le premier vicaire, André Quellier, ardent partisan des idées nouvelles, un certain nombre d'officiers municipaux et de gardes nationaux se rassemblèrent au corps de garde, armés de fusils, de pistolets, de sabres et de bâtons, et décidèrent qu'il fallait s'opposer à la célébration de la messe par un prêtre étranger. Des femmes vinrent à eux et les encouragèrent, en disant : "Le curé qui dit les messes basses, peut bien dire la grand'messe ; au surplus, s'il veut un second vicaire, c'est à lui de le payer à ses frais." Sur ces entrefaites, d'autres habitants arrivent, qui prennent la défense du curé ; l'un d'eux traite les femmes de "polissonnes" et les fait expulser du corps de garde. Cependant, les cloches ont fini de sonner ; Chasle monte à l'autel et l'office commence. Les manifestants pénètrent dans l'église, précédés d'un nommé Dupont-Foucherie, qui porte le sabre au côté et deux pistolets passés dans la ceinture. Le vicaire Quellier prend dans le choeur sa place habituelle. La messe se poursuit et tout se passe d'abord tranquillement ; mais, au prône, des murmures se font entendre quand on voit que l'officiant ne donne pas lecture des décrets sur le serment civique du clergé. Quellier s'agite dans sa stalle et donne des signes visibles de son mécontentement. La messe dite, le greffier de la municipalité sort un des premiers, et va seplacer devant la municipalité sort un des premiers, et va se placer devant la grande porte de l'église pour lire les décrets ; l'abbé Chasle, de son côté, se dirige vers la sacristie. A ce moment, Quellier ne se contient plus ; il gesticule, élève les bras en l'air, et s'adressant aux citoyens armés, qui se tiennent à l'extrémité de la nef : "Venez, leur dit-il, c'est le moment, il n'est que temps !" La foule, alors, se précipite du côté du choeur ; c'est en vain qu'un autre prêtre, l'abbé Dupont, essaie de la contenir et la supplie de respecter le temple du Seigneur. L'abbé Chasle, saisi de frayeur, quitte à la hâte la sacristie et sort dans le cimetière pour se diriger vers le presbytère. Les manifestants le suivent et l'acculent contre un des murs de l'église. Un des plus enragés le saisit au collet et lui demande de quel évêque il tient ses pouvoirs ? "De Mgr de Gonssans", répond-il en tremblant. Aussitôt des vociférations éclatent de tous côtés : "L'évêque du Mans, nous ne le connaissons pas, c'est un jean-foutre ; toi, tu n'es qu'un aristocrate ... les aristocrates à la lanterne ! ... pendons tous ces bougres-là ! ... Ta tête ne mérite pas d'être mise au bout d'un fusil ; nous allons le lanterner avec la corde de la lampe de l'église et le curé va y passer avec toi ! ..." La corde est apportée, mais l'un des manifestants se jette au-devant de l'abbé Chasles ; d'autres citoyens le suivent et parviennent à dégager le malheureux vicaire. Le presbytère est tout près ; il finit par l'atteindre, suivi de la populace, qui ne cesse de crier : "A la lanterne ! Pendons-le !" Le curé ouvre sa porte ; les clameurs continuent. Thierry parlemente et fait appel à la pitié de ses paroissiens : "Ne m'est-il donc pas permis d'avoir un prêtre pour me remplacer, puisque je suis souffrant ? - Si, mais c'est Quellier que nous voulons ; c'est lui qui portera le Saint-Sacrement et confessera comme à l'ordinaire." L'agitation s'apaise enfin, mais la foule ne se retire qu'après avoir exigé du curé la promesse qu'il en réfèrerait à l'autorité compétente au sujet de la nomination de son nouveau vicaire.

Quelques jours après, plainte fut portée au tribunal criminel de Domfront par le curé Thierry et l'abbé Chasle, contre Quellier et plusieurs autres. Le 29 janvier, une information eut lieu et quinze témoins furent entendus. L'abbé Quellier prétendit qu'il n'avait fait appel aux gardes nationaux que pour empêcher le greffier de donner lecture de la nomination du nouveau vicaire. Les choses finirent par s'arranger. L'abbé Chasle prêta serment et resta vicaire à la Haute-Chapelle. Plus tard, il expia cruellement cet acte de condescendance ; il fut en effet fusillé par une bande de chouans à Saint-Roch, dans l'avenue du château de Loraille.

Quant à l'abbé Quellier, il ne resta pas longtemps à la Haute-Chapelle. Le 18 mars 1792, il fut élu curé de Neuilly-le-Vendin, par 20 voix sur 25 votants ; mais il ne se fit point installer. Peu après, l'évêque de l'Orne, Le Fessier, le nommait à Landisacq, poste qu'il accepta, et où il remplit le rôle que l'on sait, jusqu'au 22 avril 1794, date à laquelle il se rendit à Tinchebray, où il entra dans un atelier de menuisier.

Tout en poussant la varlope, il composa des chansons, d'une versification souvent médiocre, dont voici un échantillon :

Naguère, infortuné prêtre,
L'ennemi dévorait mon coeur
Dans la demeure champêtre
Où me plaça le malheur.
L'inflexible aristocrate
Ne cessait de me honnir,
Et l'aveugle démocrate
S'apprêtait à me bannir.

Bientôt, fuyant le village,
La cure et les mécontents,
Sur un paisible rivage
J'arrête mes pas errants ;
Là, dans une humble boutique,
J'entre garçon menuisier ;
Heureux si la République
Me souffre encor ce métier.

Cette retraite chérie
M'abrite dans les revers,
Qui dépeuplent la patrie,
Et font frémir l'univers.
Si la fortune ennemie
M'a jeté du haut en bas,
Désormais je la défie :
Ma fortune est dans mes bras.

L'un court, cabale, importune
Et parvient aux grands honneurs ;
L'autre élève sa fortune
Sur les débris des grandeurs ;
Tel autre, au champ de la guerre,
Se couronne de laurier ;
Moi, point d'éclat, je préfère
Etre simple menuisier.

Loin de l'affreuse licence
Du peuple et des factieux,
Obscur dans l'indépendance,
Je jouis du calme heureux.
Je chante avec allégresse
Le printemps et les amours ;
Jamais la sombre tristesse
Ne vient obscurcir mes jours.

Jadis, dans le ministère,
Toujours morne et sérieux,
A l'aspect d'une bergère,
Il fallait baisser les yeux ;
Aujourd'hui quand une belle
S'offre devant l'atelier,
A ses charmes moins rebelle,
Je l'accoste en menuisier.

Dieux ! quel plaisir délectable
Je sens les jours de repos,
Quand tous bons garçons à table,
Le vin nous vient à pleins brocs ;
Chacun, à la ronde, entonne
Les louanges de Bacchus,
Jure de vider la tonne
Et souvent encore plus.

Je roule de ville en ville,
Témoin des évènements ;
Ouvrier simple et tranquille,
J'échappe aux fureurs du temps ;
Je dis quand on guillotine
Des prêtres ou des guerriers ;
Ils auraient fui la machine,
S'ils s'étaient mis menuisiers.

Un jour, si des sanguinaires
Triomphent pleins de fureur,
Je franchirai les frontières,
Sous l'habit d'un vieux rouleur ;
Je parcourrai l'Angleterre,
La Germanie et Moscou,
Rome, l'Afrique et l'Ibère,
L'Inde et même le Pérou.

Des plaines hyperborées
Ou du solstice brûlant,
Sur ces rives dévastées,
Mon pays que j'aime tant,
J'accourrai, baigné de larmes,
Au doux retour de la paix,
Demander tout en alarmes,
Est-il encor des Français ?

Le calme ayant succédé à la tempête, M. Quellier quitte Tinchebray pour Domfront, où il trouve plusieurs prêtres dévoyés comme lui, entre autres son ex-collègue de Flers, l'abbé Louis Boulay.

L'enquête, dont nous avons parlé, parle d'eux en bons termes : ce sont des hommes instruits et estimables, qui ont rempli des fonctions publiques pendant la Révolution. Quellier a de l'instruction, des moeurs simples et pures. Il est proposé pour un des professeurs de l'école secondaire. Boulay est un homme estimable sous tous les rapports et mérite d'être placé.

L'abbé Quellier fut professeur au collège pendant trois ans. Il quitta Domfront pour retourner au pays natal, en attendant sa mise en possession de la cure d'Essai, à laquelle il venait d'être nommé curé-doyen. Il ne trouvait plus qu'il y eût ennui et malheur à reprendre, après le danger, un habit qu'il n'eût jamais dû prendre ou quitter.
Son départ de Domfront fut l'occasion d'une nouvelle composition poétique, intitulée :

L'Ecolier qui s'en va en vacances
(Air : Jupiter, prête-moi ta foudre)

Voici le temps où la nature
Se couvre de fruits et de fleurs,
Où sa riche et belle parure
Charme les yeux, ravit les coeurs.

Sur les rives qui m'ont vu naître,
Parmi le peuple des hameaux,
Louin de l'étude, loin d'un maître,
Je vais goûter un doux repos.

Dans ces solitudes chéries,
Je verrai cueillir les moissons
Faner dans de vastes prairies,
L'herbe, les fleurs et les gazons.

Errant de bocage en bocage,
Sur le bord des sombres ruisseaux,
J'entendrai dans l'épais feuillage,
Les tendres soupirs des oiseaux.

Quand la plaintive tourterelle
Perd son amant dans les forêts,
Plus tendre que nous, plus fidèle,
On la voit mourir de regrets.

Je m'en irai dans les chaumières,
Dans les vallons, sur les coteaux,
A la voix des jeunes bergères,
Unir encor mes chalumeaux.

Oui, je reprendrai ma musette,
Et je ferai dans les vergers,
Danser, les jours de fête,
La troupe heureuse des bergers.

Cependant la sombre tristesse
Vient en secret me dévorer,
Quel coup, quel coup pour ma tendresse !
Amis, faut-il nous séparer !

Adieu, Domfront, paisible ville,
Tu me seras chère à jamais ;
Mon coeur, mon coeur n'est pas tranquille ;
Je te quitte plein de regrets.

Sans doute on doit verser des larmes,
En s'éloignant d'une cité
Où règnent les talents, les charmes,
La concorde et la loyauté.

La muse de M. Quellier, comme on le voit, ne manquait pas de grâce. L'auteur mourut septuagénaire en 1830, après avoir exercé dignement ses nouvelles fonctions sacerdotales pendant un quart de siècle.

A. SURVILLE
Le Pays Bas-Normand : Société historique, archéologique, littéraire, artistique et scientifique
Juillet - Août - Septembre 1912

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