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La Maraîchine Normande
9 janvier 2013

UN FAIT D'ARMES VENDÉEN EN 1800 ♣ 2ème partie

2ème partie

Mais reprenons la publication des lettres. Le sous-préfet de Paimboeuf continue à rendre compte des évènements au préfet de la Loire-Inférieure. 

Paimboeuf, le 14 messidor an VIII

Le Sous-Préfet du 5e arrondissement du département de la Loire-Inférieure au Préfet.

Citoyen préfet,

J'arrivai hier, à quatre heures du soir, à Pornic, avec le citoyen Morlet. Je vis avec plaisir les bonnes dispositions de tous les habitants, et particulièrement des fonctionnaires publics. Nous vîmes très-distinctement les vaisseaux ennemis, consistant en un vaisseau rasé, et deux frégates mouillées à l'entrée de la baie de Bourgneuf. Le vaisseau avait pavillon parlementaire.

On nous témoigna de l'inquiétude sur le sort de trois bâtiments de transport, chargés de farines pour Bordeaux, qui étaient au port du Pai, situé entre Noirmoutier et Beauvoir, parce que, dans la nuit du 12 au 13, on avait entendu, entre minuit et une heure, une forte canonnade et fusillade, et qu'on avait ensuite vu des feux. Cependant, comme on avait distingué onze chaloupes parties de l'escadre le 12, à quatre heures du soir, et, comme on n'en avait vu revenir que cinq, on espérait que les six autres avaient pu tomber en notre pouvoir ; surtout, ayant vu une chaloupe parlementaire se rendre du vaisseau rasé à Noirmoutier, et un lougre anglais, mouillé dans la baie, en avant des vaisseaux vers orient, appareiller et faire la route du nord-ouest.

Le citoyen Dessalines, maire de la Bernerie, avait pris la précaution de faire rentrer dans le port de Pornic toutes les chattes ou bateaux-pêcheurs de sa commune.

Après l'avoir autorisé à faire transporter au village même de la Bernerie un des canons de 18 qui se trouvent à l'ancien fort du Collet, et avoir chargé le maire de Pornic de lui délivrer les munitions nécessaires, nous avons visité une partie de la côte, où nous avons trouvé presque tous les habitants sans inquiétude.

J'ai pris toutes les précautions que j'ai crues convenables, et j'ai recommandé aux différents maires de me faire connaître sur-le-champ les mouvements des ennemis.

Ce matin, nous avons visité la côte de Saint-Michel et de Saint-Brévin, où nous avons trouvé les mêmes bonnes dispositions, et où nous avons appris que le lougre parti hier avait semblé voguer vers l'Angleterre, que néanmoins on avait signalé, à la pointe du jour, une division anglaise au nord-ouest, vers le Croisic.

A quatre heures du soir.

En arrivant, je trouve une lettre de l'adjoint de Pornic qui m'apprent que, dans la nuit du 12 au 13, treize chaloupes anglaises armées (celles qu'on avait signalées pour onze) s'étaient rendues à Fromentine, pour y brûler le stationnaire et le convoi de Bordeaux y réfugié ; qu'ils y ont brûlé sept bâtiments du convoi et fait prisonnier le citoyen Kermasson et son équipage ; mais que, la marée baissant, ils ne purent pousser plus loin leur expédition ; qu'ils cherchèrent à s'en retourner par le passage de la Fosse ; que le fort les obligea de rétrograder ; que leurs chaloupes touchèrent alors à l'endroit nommé le Goy ; que les habitants de Barbâtre et de Noirmoutier conduisirent à l'instant une pièce de quatre en charrette, à travers les vases, et ont forcé onze de ces chaloupes de se rendre. Il s'y est trouvé 80 hommes, dont 4 officiers, 2 aspirants ; un des officiers a eu la cuisse cassée. Il n'y a pas d'autres blessés. Le fils du comodore Waren, commandant la division, est du nombre des prisonniers.

Deux habitants de Barbâtre ont seuls fait 20 prisonniers. Le citoyen Kermasson et son équipage ont été repris.

Toutes les chaloupes étaient armées d'espingoles ; une a une pièce de 12, une autre, un obus de 18 ; elles sont toutes dans le port de Noirmoutier.

Il est à présumer que l'ennemi va paraître  en force sur nos côtes. Je ne manquerai pas, citoyen Préfet, de vous en rendre compte, et je suis persuadé que vous ferez les dispositions nécessaires pour nous envoyer de secours au besoin.

Je vous prie, citoyen Préfet, de vouloir bien me faire connaître ce qui a été décidé, relativement au soi-disant général Abeline ; il peut être utile, en dirigeant son zèle ; mais, dans la qualité qu'il prend, il peut contrarier les mesures nécessaires, et je vous avouerai que les gardes nationales, rentrées sous l'empire de la constitution, ne doivent pas la reconnaître. Cependant, j'attendrai vos ordres auparavant de donner une décision positive à ce sujet.

Je vous salue respectueusement,

P.-M. MAUBLANC

Le même jour, l'autorité française recevait, par une voie inconnue, la lettre suivante écrite d'une canonnière anglaise :

Baie de Bourgneuf, le 2 juillet 1800, à 8 heures du soir.

Au commandant des armes de la Marine, à Nantes.

Citoyen,

Tous bon Français qui s'intéresse au sort de son pays doit s'empresser à donner des renseignements sur tout ce qui peut contribuer à sa perte, et sur toutes les manoeuvres tramées par l'ennemi à ce sujet ; heureux si mon malheur peut être de quelque utilité à ma patrie. Né Français, mais naturalisé bourgeois de Hambourg (la ville), je n'en ai pas moins conservé dans le coeur l'esprit et l'amour de ma patrie. Aussi je m'empresse à vous transmettre les renseignements que je puis vous donner, lesquels, s'ils vous parviennent assez à temps, peuvent vous être de quelque avantage. Parti depuis neufs jours de Vigo, en Espagne, sur le bâtiment prussien le Friendship, capitaine Thompson, sur lequel j'étais passager, me rendant à Altona, destination du bâtiment, le capitaine fut obligé, après quatre jours de traversée, d'abandonner la route, le navire ayant éprouvé des avaries à la mer. Alors, nous trouvant, par la hauteur de Lorient, distant d'environ vingt lieues, il voulut relâcher en ce port quelque temps. Après qu'il eut orienté le navire pour se rendre en cet endroit, nous rencontrâmes, à environ huit lieues de Groa, deux frégates, un lougre et une goëlette-canonnière, que nous reconnûmes bientôt après pour être anglais. Nous fûmes visités par la canonnière, qui, après différents signaux, nous fit la suivre, laissant un officier anglais à bord. Nous arrivâmes entre Belles-Isle et Quiberon, où nous rencontrâmes huit à dix vaisseaux de ligne, quelques frégates et autre bâtiments-transports, tous navires anglais. Le capitaine et moi fûmes conduits à bord du vaisseau commandant l'Impétueuse. Là, je fus reconnu par quelques émigrés français pour être français, m'avoir connu à Hambourg, il y avait huit à dix mois, et très-partisan des principes révolutionnaires de France, à ce qu'ils alléguaient. Malgré mes objections légitimes, je fus déclaré prisonnier de guerre jusqu'à nouvel ordre. On expédia le bâtiment avec la défense au capitaine de n'entrer dans aucun port de France, autres que ceux de la Manche.

Maintenant, je laisse ici ce qui m'est personnel, pour m'entretenir de ce qui peut importer davantage au salut de mon pays. Je reste donc détenu à bord de la canonnière anglaise le Spyder, montant deux canons de vingt-quatre et quatre obus de trente-deux, commandée par un jeune homme de Vannes ou environs, âgé de vingt-huit à trente ans, émigré depuis la première affaire de Quiberon, parlant fort bien anglais et hollandais, et se faisant passer pour Irlandais ; il se nomme Georges Pikous. J'ai appris toutes ces particularités de l'équipage, qui est composé d'Anglais, Irlandais, Français et Hollandais. Il y avait à bord une vingtaine d'émigrés de distinction, qui ont tous été mis à terre sur trois points différents, il y a trois jours, à environ onze heures du soir. Il en fut débarqué sept à l'entrée de la rivière Vilaine, côté droit, autant le lendemain, à l'entrée de la Loire, rive gauche, et six dans le fond de la baie de Bourgneuf, d'où je vous écris maintenant, par l'occasion d'un pêcheur de cette baie, qui a été arrêté par la dite canonnière et ensuite relâché.

Nous sommes depuis hier dans cette baie, avec trois vaisseaux de 74, trois frégates, une bombarde, deux cutters, et la canonnière. Les vaisseaux ont des troupes de débarquement à leur bord, mais pas en assez grande quantité pour opérer un débarquement dans la baie et l'île de Noirmoutier. Ils attendent, à ce que j'ai appris, 12.000 hommes de troupes, qui sont sur Hoedic et Houat, pour tenter un débarquement, qu'ils appellent coup de main, qu'ils veulent faire. Ils attendent aussi journellement un convoi d'Angleterre important pour eux, étant chargé de troupes, de vivres et d'eau particulièrement, car c'est de ce dernier qu'ils manquent le plus ; ils sont bien instruits sur tout ce qui se passe depuis Nantes jusque sur la côte et aux environs ; ils savent très-bien qu'il y a peu de troupes dans ces parages, et que les plus proches sont éloignées de vingt à trente lieues, étant presque toutes dans les environs de Vannes, Quimper et Brest ; ils sont instruits aussi qu'il n'y a de bâtiments de guerre à Paimboeuf que deux frégates qui ne sont pas armées, et un stationnaire mal armé à l'entrée de la Loire. Tous les soirs, ils envoient des vaisseaux, le Puissant et le Gladiateur, mouiller dans la baie, et des officiers à terre sur la côte, et qui vont très-avant dans l'intérieur.

Vous pouvez croire à l'authenticité de ce que je vous annonce ; au reste, dans cette démarche, vous verrez que l'intérêt seul de mon pays est mon unique guide, et, d'ailleurs, les signaux de vos côtes vous annonceront le reste, puisque c'est le deuxième jour que nous sommes dans la baie, à louvoyer à une lieue distant de terre du côté de l'île et de la rivière. On a même envoyé des ingénieurs aujourd'hui dans des embarcations, pour connaître les environs de Noirmoutier. Le temps ne me permet pas de vous en dire plus long, mais tenez-vous sur vos gardes. Le pêcheur, porteur de la présente, est renvoyé de suite. Je l'engage à remettre cette lettre, partout où il débarquera, à la poste.

Signé : Nicolas TEREL

P.-S. - A l'instant on amarine deux bateaux français.

Pour copie conforme :

Le Chef des mouvements maritimes et d'état-major,

ROUX Aîné.

Cette lettre n'est pas d'un Français, et son style trahit une plume étrangère. Les Anglais ont voulu donner le change aux autorités françaises pendant les négociations qui avaient lieu à Noirmoutier, et leur cacher la défaite qu'ils venaient de subir. Elle est du 2 juillet, soit le 13 messidor, c'est-à-dire postérieure aux évènements arrivés sur le Pé, et n'en parle pas. Elle donne, au contraire, des renseignements concernant un débarquement d'émigrés sur la côte vendéenne, alors que le pays est pacifié ; ce qui ressemble fort à une fausse piste.

Quant aux noms des navires signalés, il faut aussi les accepter avec réserve. Le Gladiateur est connu cependant pour avoir fait longtemps croisière dans le courreau de l'île d'Yeu et sur les côtes de Noirmoutier.

MARINE, PORT DE NANTES

Nantes, le 15 messidor an VIII

Le chef des mouvements maritimes et chargé des fonctions attribuées aux officiers d'état-major, au port de Nantes et Paimboeuf, au préfet du département de la Loire-Inférieure.

Citoyen préfet,

Les rapports qui viennent de me parvenir de l'île de Noirmoutier confirment malheureusement que le stationnaire de Fromentine a été incendié par les Anglais, dans la nuit du 12 au 13 de ce mois, ainsi que six petits bâtiments qui s'y trouvaient. Ce qui peut consoler de cette perte, sont les 200 prisonniers qui ont été faits dans les bâteaux qui se sont échoués sur le Pé, qui revenaient rejoindre leurs vaisseaux, après cette expédition. Suivant d'autres rapports, il paraît certain que les ennemis sont toujours au nombre de 14 vaisseaux, 6 frégates et beaucoup de bâtiments légers, depuis Noirmoutier jusqu'aux Perthuis, et qu'il y a beaucoup de troupes de débarquement à bord de tous ces bâtiments.

Sous Belle-île, il y a toujours de 30 à 40 bâtiments de guerre de toutes grandeurs, qui occupent la baie de Quiberon et les environs de cette île.

Salut et fraternité.

ROUX, Aîné.

CABINET DU PRÉFET.

Nantes 17 messidor an VIII

Le préfet du département de la Loire-Inférieure au ministre de la police générale.

Citoyen Ministre,

Il résulte des différents rapports parvenus à la préfecture, que, dans la nuit du 12 au 13 de ce mois, les Anglais ont brûlé le stationnaire de Fromentine et sept petits bâtiments d'un convoi destiné pour Bordeaux ; mais le recès de la marée ayant laissé à sec les chaloupes de l'ennemi, les habitants de Barbâtre et de Noirmoutier ont à l'instant transporté une pièce de 4 sur une charrette, à travers les vases, et ont forcé onze de ces chaloupes à se rendre. Ils ont fait environ 180 prisonniers, parmi lesquels sont 4 officiers, 2 aspirants, et le fils du commodore Warren, commandant la division. Un des officiers anglais a eu la cuisse cassée.

Vous remarquerez sans doute avec satisfaction, citoyen Ministre, et comme preuve de l'amélioration de l'esprit public, que, dans cette circonstance, tous les habitants, qu'elle qu'ait été leur conduite ou leur opinion dans le cours de la Révolution, se sont rapidement réunis et armés contre les Anglais. La haine qu'ils inspirent anéantit tous les ressouvenirs, étouffe toutes les passions, et cette unanimité ne doit laisser aucune espérance à nos ennemis. Cependant, il paraît, d'après une lettre que m'a communiquée le chef des mouvements maritimes de Nantes, et qu'il transmet au ministre de la marine, que la canonnière le Spyder, commandée par Georges Pikous, qui se dit Irlandais, et qu'on croit Français, portait une vingtaine d'émigrés de distinction, dont sept ont été débarqués à l'entrée de la Loire.

LETOURNEUR

CABINET DU PRÉFET

Nantes, 17 messidor an VIII

Le Préfet du département de la Loire-Inférieure au Sous-Préfet

de Paimboeuf.

Je suis informé, par une voie sûre, que la canonnière anglaise le Spyder a dû débarquer, le 10 de ce mois, vers les onze heures du soir, six émigrés, au fond de la baie de Bourgneuf, et sept autres à l'entrée de la rivière.

J'ai dans votre zèle et votre activité une confiance trop entière pour insister sur la nécessité de faire des recherches sur ce débarquement, et de tâcher de suivre la trace de ces émigrés.

J'ai reçu aujourd'hui votre rapport sur l'affaire de Fromentine. On doit compter beaucoup sur la fidélité, le courage, le dévouement des habitants de la côte de votre arrondissement, dont les excellentes intentions doivent recevoir de votre prudence une utile direction et se fortifier de votre surveillance.

LETOURNEUR

DOUANES NATIONALES - Service actif

Nantes, le 18 messidor an VIII

Le directeur des douanes de Nantes au citoyen Letourneur,

préfet du département de la Loire-Inférieure.

Citoyen Préfet,

J'ai l'honneur de vous adresser la copie d'une lettre que je reçois à l'instant du contrôleur de brigades de la Barre-de-Monts ; il me rend compte des mouvements qu'il a fait faire à tous les préposés de sa division, pour s'opposer aux tentatives des Anglais sur nos côtes. Réunis avec quelques militaires et habitants de Noirmoutier, ils se sont emparés de plusieurs chaloupes ennemies, et leur ont fait environ 130 prisonniers.

Les préposés des douanes ayant contribué à arrêter l'exécution des projets des Anglais, je ne crois pas superflu de vous faire connaître la conduite louable qu'ils ont tenue en cette circonstance.

J'ai l'honneur de vous saluer.

Pour le directeur en tournée :

Le premier commis de la Direction,

CHALOT

Pendant que le préfet de la Loire-Atlantique adressait à Fouché les derniers rapports qu'il venait de recevoir, le général Grigny, commandant la subdivision de Nantes, écrivait à Carnot, ministre de la guerre, une lettre, insérée au Moniteur, en date du 22 messidor, dont nous faisons l'extrait suivant :

"Les Anglais nous font, citoyen ministre, une misérable guerre ; leurs vaisseaux nous font le mal qu'un essaim de taons peut faire à un taureau vigoureux. Ils se montrent et se succèdent partout, et partout ils donnent à connaître la faiblesse de leurs moyens. Vous connaissez, citoyen ministre, leur dernière opération entre Beauvoir et Noirmoutier. Après avoir brûlé notre stationnaire, qui ne s'est pas défendu, ils ont brûlé des gabarres chargées pour le compte de particuliers ; mais ce qu'il est intéressant que vous sachiez, c'est que ce détachement de matelots anglais s'est laissé surprendre à terre par la marée baissante ; que nos troupes étaient éloignées de ce point, et que ce ne sont que les paysans de Barbâtre, de Beauvoir et de la côte, rassemblés par le citoyen Mourin, officier de gendarmerie, qui ont marché aux Anglais, armés de faulx, de piques et de quelques fusils. Ces paysans étaient si déterminés rebelles sous Charette, et ce sont eux qui on fait 91 Anglais prisonniers, qui ont affronté le feu des obusiers des chaloupes, et les ont attirées à terre. La perte de ces embarcations a forcé les vaisseaux anglais à appareiller.

Oui, citoyen ministre, les habitants de ces contrées suffiraient presque seuls pour épouvanter l'Anglais. Une lettre du premier consul, qui féliciterait les habitants de Noirmoutier, Barbâtre et Beauvoir, sur leur bravoure et leur belle action, ferait le plus grand effet politique ; elle prouverait que le gouvernement pense à tout, voit tout, apprécie et récompense. Je ne veux pas, par ce fidèle exposé, enlever aucune gloire aux troupes réglées qui sont accourues de toutes parts, de manière que, si l'Anglais avait mis à terre 2.000 hommes, pas un ne se serait rembarqué ; mais j'ai voulu, en rendant aux paysans sur la côte la portion de gloire qui leur appartient, vous donner à juger combien est rassurante la haine qu'ils viennent de manifester contre un ennemi qu'ils protégeaient, lorsqu'ils étaient en révolte contre le gouvernement."

Le soir du jour où avait eu lieu le combat, un parlementaire se présentait à Noirmoutier, de la part de l'amiral, pour proposer un échange des prisonniers, et pour avoir de leurs nouvelles.

Rendre à leur famille des marins retenus depuis longtemps sur les pontons anglais, et voir pendant toute la durée de la guerre l'ennemi s'éloigner des côtes de la baie de Bourgneuf, étaient des propositions trop belles pour être rejetées. Solin-Latour soumis donc à sir Warren la convention suivante, qui fut immédiatement souscrite par l'amiral :

"ARTICLE I - Aucun des articles de la présente convention n'aura son effet qu'autant qu'elle aura été entièrement ratifiée par le général commandant la Division.

ARTICLE II - Les prisonniers anglais faits dans la journée du 2 juillet, tant à Beauvoir qu'à Noirmoutier, seront échangés pour pareil nombre et pareil grade de prisonniers marins de Noirmoutier.

ARTICLE III - Cet échange aura lieu par voie d'un chasse-marée français, qui partira du port de Noirmoutier avec les prisonniers anglais, les conduira en Angleterre et en ramènera les prisonniers français de l'île de Noirmoutier.

ARTICLE IV - L'amiral Warren s'engage à ne commettre aucune hostilité contre l'île jusqu'à ce que l'échange dont il s'agit ait reçu sa pleine et entière exécution".

Dès le lendemain de la signature de la convention, les Anglais devaient quitter la baie de Bourgneuf, mais ils y furent retenus par le vent ; ce qui valut à l'île un nouvel échange de parlementaires. Les officiers noirmoutrins envoyés sur l'escadre y furent traités avec la plus grande courtoisie. Les prisonniers purent recevoir de l'argent et des lettres.

Moins inquiet du sort de son fils, l'amiral donna l'ordre d'appareiller et les Anglais ne reparurent plus dans la baie de Bourgneuf, à la grande joie des riverains. L'étoile du vainqueur de Villaret-Joyeuse venait de pâlir devant quelques gardes nationaux et paysans mal armés.

La ratification de la convention par les autorités françaises traîna en longueur, et l'échange des prisonniers n'eut lieu que quatre mois après. Les malheureux marins de Noirmoutier et des environs purent enfin quitter les pontons infects, où ils étaient retenus et où ils étaient décimés par les tortures morales et les affections contagieuses.

Le 26 juillet, Fouché, ministre de la police, répondait comme il suit au préfet de la Loire-Inférieure :

Paris, le 7 thermidor, an VIII

Le Ministre de la police générale de la République au Préfet du département de la Loire-Inférieure, à Nantes.

J'ai reçu, citoyen Préfet, votre rapport du 21 messidor dernier sur la tournée que vous avez faite sur les côtes de votre arrondissement, au moment de l'apparition des Anglais.

Les observations que vous m'avez présentées à ce sujet, n'ont point échappé à mon attention, et j'en ai tiré le parti convenable.

Au surplus, je remarque avec un vif intérêt le bon esprit qui anime les habitants de l'arrondissement qui vous est confié. J'applaudis sincèrement aux preuves de zèle et de courage qu'ils ont données, au moment où le perfide Anglais inquiétait les côtes.

Je ne doute pas que vous ne sachiez entretenir ces bonnes dispositions.

Dans le cas de nouvelles tentatives de la part de l'ennemi, je compte toujours sur votre zèle et votre surveillance.

Salut et fraternité,

FOUCHÉ

Le même jour, le premier consul écrivait au citoyen Lefaucheux, préfet de la Vendée.

Paris, 7 thermidor

Le premier consul au préfet de la Vendée

On m'a rendu compte, citoyen Préfet, de la bonne conduite qu'ont tenue les habitants de Noirmoutier, de la Crosnière, de Barbâtre et de Beauvoir, dans les différentes descentes tentées par les Anglais. On ne m'a pas laissé ignorer que, ce sont ceux-là même que la guerre civile avait le plus égarés, qui ont montré le plus de courage et d'attachement au Gouvernement.

Faites choisir douze des habitants qui se sont le mieux comportés dans ces affaires, et envoyez-les à Paris, accompagnés de l'officier de gendarmerie qui les a conduits. Je veux voir ces braves bons Français ; je veux que le peuple de la capitale les voie, et qu'ils rapportent à leur retour les témoignages de la satisfaction du peuple français. Si, parmi ceux qui se sont distingués, il y a des prêtres, envoyez-les moi de préférence, car j'estime et j'aime les prêtres qui sont bons Français et qui savent défendre la patrie contre ces éternels ennemis du nom français, ces méchants hérétiques d'Anglais.

Je vous salue

Le premier consul

BONAPARTE

Le secrétaire d'État,

H.B. MARET

Le premier consul, tout en récompensant le mérite, prenait les Vendéens par leur faible et cherchait à se concilier leur affection. Tout le monde remarquera l'adresse avec laquelle ce profond politique place le mot Gouvernement, au lieu de celui de Patrie. Rousseau et ses hommes, ainsi que les braves Barbâtrins, s'étaient battus pour la France et nullement pour son gouvernement consulaire. L'indignation commune avait fait disparaître toute nuance politique et l'ennemi n'avait trouvé devant lui que des Français.

Six hommes furent choisis parmi les maraîchins, et six parmi les Noirmoutrins. Nous n'avons pu nous procurer que les noms des premiers (M. de Sourdeval cite, comme s'étant le plus signalés parmi les hommes de Beauvoir : Pierre Rousseau, Jean Marchais, Bénéteau, Lechardour, Raballand, Jean Bernard, Ch. Burgaud, Longe-épée, Palvadeau et M. Rouillé). Voici ceux des seconds d'après Piet : 1° Julien-André Lassourd, de Barbâtre, sergent de la compagnie franche de la Vendée ; c'est lui qui avait le premier donné l'alarme sur les mouvements des canonnières, et il fut de ceux qui poursuivirent avec le plus d'ardeur les Anglais dans le Gois ; 2° Sébastien Palvadeau ; 3° Jean Penisson ; 4° François Boutet, tous les trois de l'Épine ; 5° Isidore Milsent, et 6° Mathieu Perchais, de Noirmoutier.

A Paris, ces hommes, tirés de leur village, furent magnifiquement traités. Rien ne fut oublié pour les éblouir : ils furent présentés au ministre de la guerre, puis au premier consul, et choyés d'une façon spéciale par le général Hédouville et le curé de Saint-Laud, qui avaient joué l'un et l'autre un rôle si important dans la pacification de la Vendée.

M. Benjamin Fillon possède dans sa collection une gravure représentant la réception des douze paysans par Bonaparte. Cette estampe, à la manière noire et sans nom d'auteur, est aujourd'hui très rare. Les Maraîchins y sont représentés avec un large chapeau ou feutre noir, orné d'une chenille ; une longue veste tombe jusqu'aux mollets. Les bas montent au-dessus du genou et recouvrent des culottes courtes ; enfin, une ceinture rouge et verte sur un gilet de flanelle blanche complète le costume. Au bas, on lit cette légende :

"Les douze Vendéens qui ont chassé les Anglais de Noirmoutier, présentés le 16 fructidor an VIII (3 septembre 1800) aux consuls, aux ministres et aux conseillers d'État assemblés, par le ministre de l'intérieur et le général d'Hédouville. L'un de ces braves remet au secrétaire la lettre d'un prêtre du pays qui a contribué avec eux au succès de cette action, et assure le premier consul de la bonne conduite de ce prêtre et de ses frères. Bonaparte, d'après l'avis de l'assemblée, donne ordre que l'on admette de suite au Prytanée un enfant de chacun de ceux, qui, parmi ces défenseurs de la patrie, se trouvent être père de famille. A Paris, chez Basset, marchand d'estampes et fabricant de papiers peints, rue Saint-Jacques, n° 670." (Lettre de M. Dugast-Matifeux à M. Ed. Gallet).

Bonaparte fit remettre à chaque Vendéen une carabine d'honneur et une somme d'argent, puis il les renvoya dans leur campagne raconter les honneurs qu'ils avaient reçus et les merveilles qu'il leur avait été permis de voir.

L'auteur de la lettre, ajoute M. Gallet, à qui nous devons ces derniers détails, était M. Gergaud, ce pasteur courageux qui avait à peine quitté son troupeau pendant la Terreur, fuyant, quand le danger était trop grand, et revenant dans les moments de calme. Depuis l'arrivée de Hoche, il aqdministrait la paroisse de Beauvoir et celle de Saint-Gervais. Il profita du départ de la députation, pour demander au premier consul l'élargissement de trois prêtres vendéens, MM. Voyneau, Morisset et Guérineau, incarcérés à Bordeaux, à leur retour d'Espagne.

Après avoir lu cette lettre, Bonaparte, s'adressant au chef de la députation : "Est-ce un bon homme, ton curé ?" demanda-t-il. Ouail bé ! répondit Rousseau, dans son patois, o gli en a pas de meliur. - Eh bien ! tu lui diras que ses trois confrères vont être immédiatement relâchés, et qu'ils pourront se rendre dans leur pays."

La promesse consulaire ne tarda pas à se réaliser, et les trois prêtres furent mis en liberté. M. Voyneau fut nommé curé de Challans, où son nom figure sur les registres paroissiaux, du 6 mars 1801 au mois de janvier 1808. M. Morisset, envoyé d'abord comme vicaire à Noirmoutier, en devint curé en 1817. M. Guérineau fut placé à Notre-Dame-de-Monts, puis à Saint-Fulgent, puis à Challans, de 1810 à 1832. Il fut, en dernier lieu, transféré à la cure de Bourbon-Vendée (la Roche-sur-Yon), où il mourut.

DOCTEUR VIAUD-GRAND-MARAIS.

Revue de Bretagne et de Vendée (Vannes)

1872

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