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La Maraîchine Normande
17 décembre 2012

HISTORIQUE DE DEUX FANIONS DU RÉGIMENT DE LA MARINE ROYALE (OU HECTOR)

EXPÉDITION DE QUIBERON (Juillet 1795)

L'expédition de Quiberon est un des épisodes les plus tristes et les plus douloureux de nos guerres civiles. Son dénouement tragique, où tant d'existences humaines furent sacrifiées, est un fait historique connu de tous.

Les deux pièces qui vous sont présentées ont été les témoins - malheureusement muets - de ces évènements dramatiques. Elles sont d'une rareté insigne, - peut-être unique, - car en dehors de quelques plaques de baudriers et de boutons d'uniformes trouvés dans les sables de Quiberon, il ne reste rien ou presque rien de cette expédition que l'imprévoyance et la rivalité des chefs devaient rendre si fatale à ceux qui l'avaient entreprise.

Je me permets de rappeler les faits pour expliquer la présence en nos mains de ces documents, dont l'authenticité n'est pas contestable, et dont l'identification est d'ailleurs facile en raisonnant par analogie suivant les habitudes militaires de l'époque.

Le 16 juin 1795, à 2 heures du matin, une flotte anglaise, sous les ordres du commodore Waren, ayant à son bord 5 000 émigrés, quittait la rade de Spithead et débarquait, le 27 juin, un corps expéditionnaire sur la plage de Carnac ; ce corps était composé de plusieurs divisions. La division, commandée par d'Hervilly, était la plus considérable. Elle comprenait cinq régiments, savoir : Royal Emigrant (ou de la Chatre) ; Du Dresnay ; Royal Louis (ou d'Hervilly) ; Royal Artillerie (ou de Rotalier) et Royal Marine (ou d'Hector). Ce dernier régiment retiendra seul notre attention.

Il avait été formé de l'élite de l'ancienne Marine française et avait pour colonel le comte d'Hector, lieutenant-général de la Marine. Au moment du départ, et par suite de désaccord avec Puisaye sur le lieu du débarquement, Hector resta en Angleterre et fut remplacé à la tête du régiment par le comte de Soulange, son beau-frère, ancien chef d'escadre. Le vicomte de Saint-Riveul, le comte de Boiséon, les comtes de Vanssay et de Beauregard composaient l'état-major. Les anciens brigadiers de vaisseau étaient devenus capitaines, les majors lieutenants, et les anciens lieutenants de vaisseau simples fusiliers. L'uniforme était rouge, doublé de blanc, veste et culotte blanche, sans autre ornement que les marques distinctives du grade.

Ce magnifique régiment devait être anéanti presque entièrement le 16 juillet dans les retranchements de Sainte-Barbe par l'artillerie de Hoche, dont la sûreté de vue et une habileté surprenante dans l'organisation de ses lignes de défense avaient rendu impossible la jonction des émigrés avec les royalistes de Bretagne.

Après le désastre, les malheureux survivants du régiment, sabrés et refoulés par les hussards d'Humbert jusqu'à la plage de Port-Haliguen, n'avaient pas d'autres ressources que de mourir ou de poser les armes. Les uns se précipitent dans les flots pour échapper à une fin plus cruelle ; d'autres, après mille efforts, réussissent à gagner la flotte anglaise ; la plupart, Sombreuil en tête, sont faits prisonniers par les 700 grenadiers qui accompagnent toujours le général Hoche dans ses campagnes, et qui, ce jour-là, forment l'avant-garde de son armée.

C'est à cette heure tragique du drame qu'il faut placer l'épisode des drapeaux raconté par Le Charron, un des rares survivants de la catastrophe.

"Une centaine d'émigrés, écrit-il dans ses mémoires, sont dans la mer jusqu'à la gorge ; ils voient approcher une des chaloupes de la frégate anglaise "La Pomone". Personne ne montera, disent les vaincus, M. de Maillet recueille tous les drapeaux, les porte à bord de la chaloupe, puis revient se noyer avec ses camarades. Ils sont engloutis un à un en regardant les drapeaux qui s'éloignent".

En faisant périr dans les flots l'émigré de Maillet, nous devons relever une erreur de Le Charron. De Maillet regagna la côte et fut fait prisonnier. Traduit devant la Commission Lalène, le 13 thermidor, il fut condamné à mort et passé par les armes le même jour.

Au nombre des enseignes et drapeaux ayant échappé au désastre et dont parle Le Charron, se trouvaient les deux fanions que vous avez sous les yeux, et sur lesquels je vous dois une explication un peu détaillée.

 

L'un est le fanion de la Compagnie Colonelle (ou première compagnie) du régiment de la Marine royale. Le luxe de ce fanion s'explique par ce fait que le régiment se composait entièrement d'officiers de marine émigrés. Il est blanc en l'honneur du prince de Condé, colonel-général de l'Infanterie française depuis 1780. Il porte les armes de France, comme première enseigne du corps, et les ancres aux angles parce qu'il était destiné au régiment de la Marine royale. Ses dimensions restreintes sont celles d'une enseigne et non celles d'un drapeau.

Il ne paraît pas d'ailleurs possible que le régiment ait possédé un drapeau, car celui-ci eut été forcément anglais. En effet, il est d'un usage constant qu'un corps de troupes étranger, levé, armé, habillé, organisé par un gouvernement et dont les officiers sont commissionnés par le ministre de la guerre du dit gouvernement prend le drapeau du pays qui l'a levé et auquel il appartient. Or, dans l'espèce, c'est le drapeau anglais que les régiments d'Hector, du Dresnay et les autres auraient dû prendre, ce qu'ils ne pouvaient faire, car ils ne pouvaient paraître à Quiberon à l'ombre du drapeau anglais, alors qu'ils y venaient, non comme envahisseurs, au compte de l'Angleterre, mais pour rallier les royalistes de Bretagne et donner l'appui d'un noyau de troupes régulières à une levée de boucliers, qu'on espérait devoir être générale et assez forte pour balayer les armées républicaines.

Nous sommes donc bien ici en présence d'un fanion établi avec un luxe qui exclut l'idée d'un simple signe de ralliement de compagnie, et donne la pensée qu'il dut servir de bannière au régiment et être porté par la compagnie Colonelle ou 1ère compagnie du régiment et en tête de ce régiment.

 

Le second fanion est bien un fanion de campement de compagnie du régiment de la Marine royale, ainsi que les ancres des angles en témoignent.

Il a, d'ailleurs, la même provenance que le premier.

Lors de la Révolution, l'infanterie républicaine comme l'infanterie royaliste émigrée avait, en vertu des règlements antérieurs, un fanion par compagnie d'une couleur ou d'un mélange de couleurs différents pour chaque compagnie ou chaque bataillon. Le numéro de la compagnie, d'une teinte tranchant sur le fond, se trouvait au centre de l'étoffe.

Ces fanions servaient aux fourriers à marquer le campement de leurs compagnies respectives. Ils avaient des hampes fort allongées, soit en fer, soit en bois pointu et ferré par en bas. Les adjudants-majors qui précédaient la colonne avec les fourriers et un soldat par compagnie traçaient d'avance, à l'aide de ce peloton que l'on appelait "Le Logement", la position de terrain que devait occuper le régiment campé ou bivouaqué, et chaque compagnie y trouvait son emplacement marqué d'avance.

Pourquoi ce fanion n'a-t-il pas de numéro de compagnie, mais le nom d'Enghien au centre ? Parce qu'il est des exemples que des corps de volontaires et de gardes nationaux divers, aussi bien royalistes que républicains, ont pris à cette époque des noms qui leur étaient chers à la place de numéro pour désigner les divers compagnies d'un même corps. Autrefois, avant la Révolution, les compagnies, outre leurs numéros, étaient désignées par le nom de capitaines d'honneur pour les diverses compagnies ; de là le nom d'Enghien pour une des compagnies, ce qui indiquerait que les compagnies du régiment de la Marine royale  s'étaient partagé les noms de la famille de Bourbon.

La couleur verte de ce fanion s'explique par ce fait qu'elle était la couleur du duc d'Enghien.

Sur le fanion de la compagnie d'Enghien, il faut remarquer que le revers, sur lequel figuraient probablement les mots "Marine royale" et des ancres aux angles, n'existe pas. On peut supposer qu'il a été déchiré et remis au moment de la déroute à un officier du régiment comme souvenir de cette malheureuse campagne.

Le comte de Soulange, colonel du régiment de la Marine royale, avait été traduit devant une Commission militaire et condamné à mort le 13 thermidor. Il fut passé par les armes le même jour dans la prairie de Tréauray.

Au retour des débris de l'expédition en Angleterre, ces deux fanions furent remis à sa veuve, qui habitait alors la petite ville de Reading avec son frère, le vicomte de Kerouartz, et son beau-frère, le comte d'Hector.

Après la mort de ce dernier survenue le 18 août 1808, la comtesse de Soulange revint en France en ramenant avec elle son précieux dépôt. A son décès, il devint la propriété de son fils, puis de ses petits-enfants. ...

R.P.

Bulletin de la Société archéologique

de Nantes et du département de la Loire-Inférieure

1917

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