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La Maraîchine Normande
12 décembre 2012

LA GAUBRETIÈRE (85) - LES AVENTURES DE PIERRE PLESSIS DIT "CANONNIER" (1779 - 1869)

 

ARTILLERIE VENDÉENNE

 

Le "bonhomme Plessis", que ses compatriotes de la Gaubretière avaient surnommé Canonnier, fut peut-être le dernier survivant de cette phalange de héros qui passèrent la Loire, à l'automne de l'année 1793, et portèrent l'étendard de la Vendée catholique jusqu'aux rives de la Manche.

Il me semble encore la voir se détacher sous mes yeux, la silhouette de ce petit vieillard à tête blanche, alerte comme un jeune homme, toujours gai, toujours la chanson aux lèvres, et si droit, si bien campé sur ses deux jambes, que tout le monde était persuadé, et que le bonhomme avait fini par se persuader lui-même qu'il vivrait son siècle !

De fait, il s'en fallut de bien peu.  Baptisé le 19 novembre 1779, du mariage de Pierre Plessis et de Marie-Pélagie Bousseau, Canonnier vécut jusqu'au 15 juillet 1869, - témoin presque centenaire de la glorieuse épopée dont il était si légitimement si fier.

PLESSIS PIERRE ACTE NAISSANCE

J'ai beaucoup connu dans mon enfance ce bon vieillard, attaché jusqu'à la fin de ses jours aux représentants de la famille Forestier, et pour lequel nous avions nous-mêmes une affectation toute particulière. Il était toujours le bienvenu dans cette antique maison patrimoniale de la Garenne, où mes cousins et moi avons commencé à épeler notre alphabet de la Grande Guerre, et où j'espère bien que nos enfants verront se resserrer encore ces liens de famille que rien ne remplace, et qui laissent le coeur en deuil lorsqu'ils viennent à se briser ! ...

Sous le toit hospitalier de l'ancien commissaire-général de l'armée du Centre, Canonnier était de toutes les fêtes. Chaque année, notamment, au retour des vendanges, il se serait fait couper le cou plutôt que de ne pas se rendre à la vigne de famille que nous possédions alors en commun, au bourg de Beaurepaire, et où c'était merveille de le voir "entonner" avec la même ardeur ... et les barriques et les chansons ! ...

- Allons, Canonnier ! ... encore une ! ...

Et Canonnier, après avoir sifflé un verre de moût, attaquait à la fois une nouvelle barrique et un nouveau couplet ! ...

Brave Canonnier ! ... Comme tout cela est déjà loin ! ... Mais comme tout cela me rajeunit, moi qui deviens vieux à mon tour, de me reporter à ces souvenirs d'autrefois, et de faire revivre par l'imagination ta vieille figure de Vendéen ! ... Au point que je me demande tout en laissant courrir ma plume, si c'est bien un simple rêve que je fais ... si j'ai réellement quarante ans passés ... et si ce n'est pas toi, en chair et en os, qui te tiens là à mes côté, toujours vert et souriant, et "entonnant" pêle-mêle nos barriques de vin nouveau et tes vieilles chansons ! ...

Hélas ! non ! ... mon pauvre vieux Canonnier ... ce n'est point toi que je revois ... mais seulement ton souvenir qui vit en moi ! ... Que, du moins, ce souvenir ne s'efface jamais, et puisque j'en trouve l'occasion, laisse-moi parler un peu de toi à ceux qui ne t'ont pas connu, et enchâsser ton médaillon au beau milieu de ces "Histoires" de la "Grande-Guerre" que tu savais si bien conter !

La famille Plessis était une humble et honnête famille d'artisans du bourg de la Gaubretière. Mon bisaïeul, M. Jacques Forestier, l'estimait beaucoup ; aussi avait-il accepté bien volontiers de tenir le petit Pierre sur les fonts baptismaux.

En grandissant, l'enfant s'attacha à mon bisaïeul, et lorsque éclata l'insurrection vendéenne, il voulut à toute force suivre son parrain.

Cela alla bien pendant quelque temps, mais le bambin, qui n'avait pas encore quatorze ans, et qui était haut comme la botte, eut bientôt, comme on dit, les jambes rentrées dans le corps et on résolut de le renvoyer de l'armée.

Plessis était brave : il ne voulut point entendre parler de cette oreille : "Je vous en supplie, mon parrain, dit-il à M. Forestier, ne me chassez pas et laissez-moi vous accompagner ... Quand je serai fatigué, je monterai sur un canon, et vous verrez que je serai bien vite reposé."

Touché d'un pareil dévouement, mon bisaïeul se laissa persuader : l'enfant obtint de rester dans l'armée et continua à tenir la campagne, tantôt marchant aux côtés de son parrain, tantôt à cheval sur un canon, lorsqu'il se trouvait trop fatigué.

C'est de là que lui vient son surnom de Canonnier.

Vendéen St Florent le Vieil

Canonnier assista à toutes les batailles auxquelles prit part l'armée du Centre : il était aux funestes combats de la Tremblaye et de Cholet. Entraîné vers Saint-Florent avec la masse de fuyards, il passa le fleuve à la suite des Vendéens en déroute, et fit toute la campagne d'outre-Loire, jusqu'au désastre du Mans.

Comment il échappa à cet épouvantable désastre, suivi du massacre des blessés, des femmes et des enfants par les hordes sanguinaires du farouche Westermann, Canonnier lui-même ne put jamais bien s'en rendre compte ... Toujours est-il qu'il se trouva tout seul, le lendemain, abandonné au milieu de la campagne, et ne sachant où diriger ses pas pour rejoindre les débris de l'armée en déroute.

Après avoir erré çà et là toute une journée, nu-pieds, transi de froid, mourant de faim et croyant à chaque instant voir les massacreurs lui tomber sur le dos, il finit par se hasarder à aller demander un morceau de pain à la porte d'une maison isolée et d'assez belle apparence.

Le hasard - ou la Providence - voulut que cette maison fût habitée par une brave dame très charitable, qui s'empressa de donner asile au pauvre enfant et le soigna de son mieux.

Canonnier resta là bien tranquille pendant plusieurs jours, et il n'eût pas mieux demandé que d'y rester plus longtemps. Mais les autorités du pays avaient mis à prix la tête des Vendéens égarés qui s'étaient cachés dans les environs, à la suite du désastre du Mans : on traquait ces malheureux comme des bêtes fauves ; on les massacrait impitoyablement, sans distinction d'âge, ni de sexe, et le même sort était réservé aux personnes charitables convaincues de leurs avoir donné asile. Si bonne et compatissante qu'elle fût, l'excellente dame qui avait recueilli Canonnier finit par craindre d'être dénoncée comme receleuse de Brigands, et, un beau jour, l'enfant reçut son congé.

Il fallait voir avec quelle mimique expressive le vieux Canonnier rendait le dialogue qui s'était alors engagé entre son hôtesse et lui ...

- Allons ! mon ptit gâs, je ne peux pas te garder plus longtemps chez moi, et il faut que tu t'en retournes dans ton pays !

- Mais, ma bonne dame, comment voulez-vous que je fasse ... ? Je ne connais pas mon chemin ... et les Bleus me tueront ! ...

- Sois tranquille, mon ptit gâs, le bon Dieu te protégera, et les méchants n'oseront pas te faire de mal, car tu es trop jeune ! ...

L'enfant eut beau prier et supplier, il fallut bien qu'il se décidât à partir. Habillé de neuf, et un petit sac de provisions sur l'épaule, il prit donc en pleurant le chemin de la Vendée.

Même au sein de la douleur, même au milieu des plus grands dangers, la jeunesse finit toujours par retrouver cette charmante insouciance qui est peut-être le plus précieux de ses privilèges et que l'âge mûr - hélas ! - voudrait si bien pouvoir opposer parfois aux embarras et aux chagrins de la vie ! ... A peine hors de la maison hospitalière sur le seuil de laquelle le danger renaissait pour lui, Canonnier se sentit envahi par une idée fixe : passer par Craon, où il avait séjourné quelques temps auparavant avec l'armée vendéenne, et où on lui avait dit qu'il se tenait de magnifiques foires ! - Qui sait ... ? - c'était peut-être l'époque de la foire de Craon ! Et le bambin se sentait déjà tout fier, à l'idée qu'il pourrait en raconter les merveilles, une fois de retour à la Gaubretière ! ...

Il se dirigea donc vers Craon, de toute la vitesse que pouvaient lui permettre ses petites jambes.

A un certain moment, croyant s'être égaré, il s'arrêta pour demander son chemin à deux meuniers, qui étaient en train de faire tourner leur moulin. Mais le pauvre Canonnier, cette fois, tombait on ne peut plus mal : les meuniers étaient deux Patauds, qui devinèrent du premier coup qu'ils avaient affaire à un petit Brigand égaré, et le reçurent brutalement :

- Veux-tu bien f... le camp tout de suite, espèce de vieux Chouan ! lui cria pour toute réponse, l'un des deux hommes, en lui faisant un geste de menace.

Canonnier ne se démonta pas :

- Y sé pas un vieux chouan ! ... y sé un jeune chouan ! reprit-il, et vous voyez bien qu'y sé pas en cas de vous faire de mal ! ... Y voudrais seulement voir la foire de Craon avant de m'en retourner dans mon pays ...

- Ah ! tu veux voir la foire de Craon ... ? Eh bien ! tu vas la voir ! ...

Aussitôt les deux hommes saisissent l'enfant, l'attachent à l'une des ailes de leur moulin, et ... vrrr ! ... vrrr ! ... vrrr ! ...

- Voilà le pauvre Canonnier tourant et retournant entre ciel et terre, tandis que les misérables, riant à gorge déployée, lui criaient à chaque tour qu'il faisait : "Ouvre bien les yeux, et tu verras de là-haut la foire de Craon !"

Lorsqu'ils lui eurent fait faire ainsi une demi-douzaine de tours, ils le détachèrent et le remirent sur ses pieds ... plus mort que vif ! ...

- Eh bien ! lui dirent-ils, es-tu content ... ? Tu as dû voir la foire de Craon tout ton saoûl ... ?

Tandis qu'il tournait de la sorte avec l'aile du moulin, le pauvre Canonnier, on le comprend, avait pensé à toute autre chose qu'à regarder la foire de Craon ! ... "La tête me vezounnait comme ine essaim d'abeilles ! racontait-il plus tard dans son langage imagé, et j'faisais mon acte de contrition, car j'pensais bien que j' ne reverrais pus jamais la Gaubretière !"

Heureusement que la cruauté des misérables meuniers se borna là ... A peine sur ses jambes, Canonnier, encore tout étourdi, s'enfuit en flageolant, et sans demander l'argent de son reste ... Cette tragique aventure l'avait guéri de sa curiosité, et il ne songea plus qu'à retourner tout droit à la Gaubretière, sans chercher davantage à voir la foire de Craon ! ...

L'odyssée de Canonnier à travers le Maine et l'Anjou dura plus de quinze jours. L'aventure du moulin avait rendu le pauvre enfant défiant et craintif : il n'osait plus se confier à personne, hésitait à demander son chemin et s'égarait à chaque instant. Après mille péripéties, auxquelles venaient s'ajouter les tourments de la faim et du froid - sans compter la fatigue et les alertes continuelles ! - il finit cependant par atteindre la Loire, qu'il put traverser grâce à un batelier compatissant, et arriva sain et sauf à la Gaubretière, où tout le monde le croyait mort depuis longtemps.

Vers la fin de l'insurrection, Canonnier, qui était devenu un jeune homme et qui, en dépit de sa petite taille, était doué d'une vigueur exceptionnelle, fut au nombre des plus braves soldats du commandant Sauvageot, et il prit part à la levée d'armes de 1799, jusqu'à la pacification définitive opérée par le Premier Consul ! Depuis cette époque, il vécut tranquillement à la Gaubretière, où il exerçait la profession de charpentier. Il s'y maria avec une excellente jeune fille du village de l'Égonnière, Rose Bousseau, et devint un père de famille modèle.

A propos de ce mariage, il lui arriva une aventure à laquelle fut mêlé un meunier et que le bonhomme, plus tard, ne manquait jamais de rapprocher de son équipée du moulin de Craon.

Rosette, ainsi qu'il appelait familièrement sa prétendue, était courtisée par un garçon meunier des Moulins du Caillon, situés tout près du bourg de la Gaubretière, et ce second galant était un grand gaillard élancé et bien découplé, aussi bel homme que lui, Canonnier, était d'apparences chétives. Or, un dimanche que notre héros, tout flambant dans ses plus beaux atours, entrait au village de l'Égonnière, après les vêpres, pour faire un brin de cour, il trouva son concurrent déjà installé dans la place. Intimidé, il n'osa point y entrer lui-même, mais reprit tristement le chemin de la Gaubretière et s'en vint conter sa peine à son parrain, M. Forestier.

- Comment ! lui dit mon bisaïeul, comment ! Canonnier, toi qui as fait la Grande-Guerre, tu serais incapable de reculer ! ... Je te croyais plus brave que ça ! ... et tu n'es pas digne d'avoir Rosette ! ...

La timidité de Canonnier, dans la circonstance, était plutôt le résultat d'un premier mouvement de dépit : il revint dès le soir même à la charge, et, comme il était aimé, il n'eut pas de peine à faire congédier pour toujours son concurrent.

Gaubretière moulins du Caillon

Canonnier était poète, et la plupart des chansons qui composaient son répertoire étaient de sa composition : plus tard, il en fit une sur sa rencontre avec le garçon meunier des Moulins du Caillon. Je regrette de n'en avoir retenu que ce couplet, consacré à la reculade si bien réparée ensuite :

Allant à l'Égonnière

Pour pensant la trouver,

Plessis fit la rencontre

D'un fort gentil meunier.

Le meunier la caresse

D'une prospérité.

Plessis, par trop timide,

Z-il a bien reculé !

La rime, assurément, n'est pas millionnaire ... Mais la mesure y est, et je sais des bachelier ès-lettres qui ne seraient pas capables d'en faire autant ! ...

Tout petit qu'il fût, j'ai déjà dit que Canonnier était doué d'une vigueur exceptionnelle : j'aurais pu dire herculéenne, car le bonhomme, même à un âge avancé, eût rendu des points à n'importe quel athlète de foire, et, comme on disait à la Gaubretière, le bon Dieu seul - ou le Diable ! - aurait été capable de lui faire "toucher les épaules" !

Cela me rappelle une anecdote que le vieux Vendéens aimait à raconter, et qui avait contribué à établir sa réputation dans toute la contrée.

C'était quelques années seulement avant la pacification, alors que l'odeur de la poudre était encore dans l'air et qu'il suffisait d'un mot, d'un geste pour mettre aux prises, dans chaque bourgade, les Bleus et les Blancs qui continuaient toujours à se regarder de travers. Il y avait, aux Herbiers, un mauvais drôle de Pataud, insolent comme un païen qu'il était, taillé en Hercule et fort comme un boeuf, et qui s'était fait une spécialité, le dimanche et les jours de foire, de provoquer et de tomber successivement tous les Chouans qu'il rencontrait. Cet individu, dont j'ai oublié le nom, était devenu la terreur du pays, et personne n'osait l'approcher. Canonnier résolut de lui donner une leçon.

Un jour de foire, il se rend aux Herbiers, accoste le Pataud sur la place publique et le provoque.

- Espèce de gringalet ! lui dit l'autre en le regardant du haut en bas, passe ton chemin et laisse-moi tranquille ! ... ou je te mets dans ma poche ! ...

- Ah ! c'est comme ça ! espèce de grand escogriffe ! riposte Canonnier ... Eh bien ! attrape ! ...

Et d'un coup de tête en pleine poitrine, il envoie le Pataud rouler à dix mètres de là ! ...

Celui-ci se relève en jurant et s'élance sur son adversaire pour prendre sa revanche. Mais Canonnier le "tombe" de nouveau, une fois, deux fois, trois fois ... A la quatrième reprise, il lui met les deux genoux sur le poitrine, et lui administre une telle volée de coup de poing, que le Pataud, la figure en sang, finit par demander grâce ... Canonnier le retourne alors sur le ventre, le prend par la peau du cou et lui fait faire ainsi le tour du champ de foire ; puis il le remet sur ses jambes, et, lui allongeant au derrière un coup de pied qui l'envoya rouler de nouveau dans la boue : "Tu as maintenant ton compte, lui dit-il, mais tâche de ne plus faire le malin désormais ! ... sans quoi, tu aurais encore affaire à moi, et tu n'en serais pas quitte à si bon marché ! ..."

Hué par la foule, le Pataud se releva tout confus. Canonnier l'avait mis dans un tel état, que le misérable eut beaucoup de peine à regagner son domicile, où il garda le lit pendant plus d'un mois. Mais cette raclée, lui servit de leçon et, depuis ce jour-là, il ne provoqua plus jamais personne.

Pour fêter un si bel exploit, tous les Blancs des Herbiers voulurent trinquer avec notre héros : ce fut une hécatombe de chopines dans les cabarets de la ville. "Le soir, racontait Canonnier, quand je rentrai à la Gaubretière, j'avais tant trinqué ... tant trinqué ... qu'un peu plus j'aurais fait comme le Pataud ... et que j'aurais marché sur la tête !"

Comme tout bon Vendéen du Bocage, Canonnier eut toujours un faible pour le vin blanc : "Ce que le bon Dieu a fait ne peut point faire de mal !" avait-il coutume de répondre à ceux qui le plaisantaient sur son amour de la chopine ... Et, de fait, la verte vieillesse du bonhomme, plein de verve et de gaité jusqu'au dernier jour de ses quatre-vingt-dix ans, pourrait être citée comme exemple à l'appui de cette parole de l'Écriture : que "le bon vin réjouit le coeur de l'homme."

Il est vrai que le vin blanc, du temps de Canonnier, était encore de la façon du bon Dieu, - tandis qu'aujourd'hui ... ?

PLESSIS PIERRE ACTE DECES

H.B. - La Vendée Historique - 1900

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