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La Maraîchine Normande
12 décembre 2012

LE "REMORDS" DE GOURAUD

A la Gaubretière, tous les hommes en état de porter les armes, tous, sans exception, firent vaillamment leur devoir en 93. On y vit même combattre jusqu'à des enfants ... Il y aurait de quoi remplir un gros livre, si l'on voulait rassembler tous les souvenirs - encore vivants - que la tradition du foyer nous a conservés sur chacun des héros de cette paroisse, l'une des dernières citadelles de la Vendée militaire.

La plupart de ces vaillants tombèrent sur le champ de bataille. Un certain nombre cependant survécurent ; le brave Gouraud, par exemple, sur lequel j'ai eu la bonne fortune de pouvoir recueillir quelques détails, aussi curieux que précis. Il va sans dire que c'est toujours au vénérable maire de la Gaubretière que je dois ces renseignements. M. Augereau a beaucoup connu le glorieux survivant de la Grande-Guerre ; c'est de sa bouche même qu'il a entendu le récit de ses aventures ; j'écris en quelque sorte sous la dictée et sous les yeux de mon témoin ; c'est plus de garanties qu'il ne m'en faut pour mériter la confiance du public, auquel je m'adresse à mon tour.

Gouraud habitait le village de la Pâgerie. Il avait vingt ans en 93. Grand, vigoureux et bien fait, c'était ce qu'on appelle un beau gâs, dans toute la force du terme, et plus d'une fille de la Gaubretière ambitionnait de l'avoir un jour pour époux.

D'autant qu'il était aussi bon compagnon, aussi gai, aussi franc, aussi simple, aussi doux que bien pris dans sa taille et solidement planté sur ses deux jambes. Avec cela, très rangé, point noceur, bon travailleur et bon catholique : en un mot, un modèle accompli.

Comme tous les Bocains d'alors, et comme beaucoup d'aujourd'hui, Gouraud était fier : il aimait son indépendance, ne reconnaissait à nulle autorité au monde le droit de l'empêcher d'adorer son Dieu, tenait à pratiquer sa religion à sa guise, et n'entendait point qu'on touchât à son curé, qu'il vénérait. Aussi fut-il des premiers à emmancher sa faux à revers et à courir sus aux Patauds, lorsque la République, après avoir comblé la mesure de ses persécutions impies, voulut obliger les persécutés, par-dessus le marché, à s'enrôler dans ses milices.

Le 10 mars 1793, Gouraud, en compagnie de ses frères et de tous les gâs de son village, était donc au nombre des insurgés qui obligèrent M. de Sapinaud de la Rairie, dans la cour du Sourdy, à se joindre à l'autre Sapinaud, de la Verrie, pour marcher sur les Herbiers.

Après la prise de cette ville, l'armée du Centre, qui avait établi son quartier général au camp de l'Oie, reçut presque tout de suite une organisation régulière, sous l'active et habile direction de Sapinaud de la Verrie. Gouraud fut versé dans la cavalerie.

Tant que dura l'insurrection, il se battit comme un tigre, prit part à plus de deux cents engagements, et ne déposa les armes que devant le Premier Consul Bonaparte, lorsque celui-ci eut muselé la Révolution, mâté les Patauds, rappelé les prêtres de l'exil et rendu à la France le libre exercice de sa religion.

Plus tard, bien longtemps après la guerre, le vieux Vendéen, qui avait eu la chance de s'en tirer avec deux ou trois égratignures insignifiantes, aimait à raconter ses campagnes, et je vous garantis que ceux qui l'écoutaient, et qui n'avaient point connu eux-mêmes ces temps vraiment extraordinaires de la Grande-Guerre, étaient tout yeux et tout oreilles, lorsque le vieux soldat tirait de son sac à souvenirs, les unes après les autres, toutes les "histoires" dramatiques auxquelles il avait été mêlé !

Ainsi qu'il le disait dans son naïf langage, il en avait vu de pus d'ine mode ! ... Batailles rangées et embuscades, victoires et défaites, massacres et représailles, anecdotes gaies et drames lugubres : il y en avait pour tous les goûts ... Tout cela, mimé avec le geste expressif, non du conteur sans autorité qui invente ou parle par ouï-dire, mais du témoin qui a vu, de l'acteur qui a réellement joué un rôle, et parfois le rôle principal dans les aventures qu'il raconte ...

Entre toutes ces aventures, il en est une, particulièrement dramatique, qui avait beaucoup frappé l'imagination de M. Augereau enfant, l'un des auditeurs les plus assidus du vieux soldat. C'était celle que Gouraud intitulait l'"histoire de son remords".

Puisqu'il faut me borner et choisir, choisissons celle-là : on va voir qu'elle est bien "nature !"

C'était peu de temps après un massacre qui avait eu lieu à la Gaubretière. Les Bleus y avaient tout mis à feu et à sang, notamment au village de la Pâgerie, où l'une des soeurs de Gouraud avait été coupée en morceaux, après avoir été outrageusement violée par les bandits.

Pour se venger, les gâs de la Gaubretière, unis à ceux des paroisses voisines, s'en furent attaquer un détachement républicain près de Mortagne. L'ayant surpris et mis en fuite, ils massacrèrent impitoyablement tout ce qui était tombé entre leurs mains.

Après le combat, Gouraud, qui avait laissé ses camarades prendre les devants, s'en revenait tout seul, rêveur, songeant toujours au massacre de sa pauvre soeur et ruminant de nouveaux projets de vengeance.

Tout à coup, il se trouve face à face avec un Bleu, fuyard égaré après le combat. Il lui saute au collet, le renverse à terre d'un tour de main, lui met un genou sur la poitrine et s'apprête à lui faire son affaire.

- Grâce ! grâce ! ... lui crie alors le misérable ... grâce ! ... ne me tue pas, bon Vendéen ! ... c'est malgré moi que je me trouve avec les Républicains ... je te jure que je n'ai jamais fait de mal à personne ! ...

Et le Bleu, suivant l'expression de Gouraud, braillait comme un veau, en se tordant sous la puissante étreinte de son adversaire ...

Toujours inexorable en pareil cas, car il savait de quoi il retournait et quel compte il fallait tenir de tous ces serments intéressés, Gouraud, qui avait à venger le massacre de sa soeur, ne pouvait qu'être plus impitoyable encore dans la circonstance : le Bleu était mal tombé ! ...

Pourtant, le Vendéen fut touché des gémissements du malheureux. "Ol était in tot jène", avait-il coutume de dire à ce passage de son histoire, "et l'pau' p'tchit bougre me faisait tot d'même grond pidgié ! ..."

Gouraud eut si "grond pidgié", qu'il finit par relâcher sa victime ... - "Fous le camp bé vite", dit-il au Bleu en le remettant sur ses pieds, et remercie le bon Dieu ! ..."

Comme bien on pense, le Républicain ne se fit pas prier deux fois, et il reprit le chemin de Mortagne, non sans avoir fait à son généreux ennemi les plus vives protestations de reconnaissance.

Mais il avait à peine fait une vingtaine de pas, que Gouraud se repentit de cet excès de générosité ... - C'était tout de même bête, ce qu'il venait de faire là ... en relâchant un de ces maudits Bleus, qui, eux, n'épargnaient jamais personne ... pas même les femmes et les enfants ! ... Allait-il donc permettre à celui-là, probablement tout aussi coquin que les autres, d'aller recommencer à massacrer en compagnie des bandits qui, la veille encore, avaient versé tant de sang innocent à la Gaubretière ! ... Car, il n'y avait pas à dire, le Bleu retournait à Mortagne, et ce n'était certainement pas pour aller se confesser qu'il prenait cette direction ! ... Oui ! ... décidément ... c'était trop bête ! ...

En beaucoup moins de temps que je n'en mets à les rendre sur le papier, Gouraud se fit successivement toutes ces réflexions ... Et tout de suite : " Eh ! là-bas ! ... s'écria-t-il, eh ! là-bas, l'ami ! ... r'vé dans in p'tchit p'r'éci ! ..."

Sans défiance, le Bleu revint sur ses pas. Gouraud l'attendait sans bouger.

Lorsque le pau' p'tchit bougre fut pour ainsi dire à le toucher, le Vendéen épaula subitement son fusil, lâcha le coup à bout portant, et le Bleu, frappé en plein coeur, roula foudroyé, sans avoir eu même le temps de se douter de ce qui l'attendait ! ...

Sur le moment, Gouraud se félicita de ce qu'il considérait comme un acte de stricte justice ou, tout au moins, de légitime représaille. Ce ne fut que bien longtemps après qu'il se reprocha de n'avoir point obéi à son premier mouvement. Chaque fois qu'il racontait cette dramatique histoire, m'a déclaré M. Augereau, il terminait par cette courte morale : "V'là tot le remords que j'ai adjû dau tomps d'la Grond-Dgièrre !

H.B.

La Vendée Historique - 1900

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