LA PEUR DU RETOUR A L'ANCIEN RÉGIME (Moulidars, entre 1811 et 1814)

Sire, Majesté,

Le soussigné, maire de la commune de Moulidars, canton d'Hiersac (Charente), vient vous exposer que le nommé Lagarde, cantonnier sur la route impériale n° 44 de Clermont à Saintes, travaillant sur le territoire de la dite commune de Moulidars, dans la journée du 27 mai dernier, étant à son ouvrage habituel, des passants, qui lui étaient inconnus, lui dirent que, dans plusieurs localités, les curés plaçaient des tableaux à leur église, que ces tableaux portaient l'empreinte d'épis de blé et de raisins, qu'un curé était représenté sur le même tableau, que cela était le signal du retour de l'ancien régime, que ces tableaux étaient donnés par l'impératrice, que les paysans propriétaires des campagnes ne doivent pas souffrir cela. Dans cette même journée, M. le Curé de Moulidars faisait charger par son sacristain des marbres destinés à son église, le cantonnier s'en aperçut, excité par l'ignorance, crut que c'étaient les singuliers tableaux qui devaient se placer le dimanche suivant à l'église de Moulidars. Notre population de Moulidars qui, d'habitude est si paisible, si dévouée à l'Empereur et à sa dynastie, ne répondit d'abord que par le dédain ; mais plusieurs carrières à plâtre existent dans la localité où se trouve le rebut de la société et c'est ainsi que ces personnes sans jugement se disposaient à se rendre à l'église de Moulidars disant que, si les tableaux ne s'y posaient pas, on les trouverait cachés. Je dus me rendre dans la localité où ces bruits s'étaient répandus et c'est ainsi que j'appris que le cantonnier, l'un des premiers, avait répandu le faux bruit ; je le fis arrêter et conduire à la prison de mon département où il vient d'être condamné à un mois de prison et cinquante francs d'amende. Lagarde a avoué qu'il avait été victime de quelque intrigant de parti, toujours prêt à répandre le désordre. Le malheureux a une femme et un enfant qui n'ont que le fruit de son travail pour vivre. Il jouit d'une bonne moralité, est très bon ouvrier. En conséquence, le soussigné, responsable, comme maire, de la tranquilité publique, dut agir rigoureusement et montrer aux ennemis de l'ordre que l'autorité veille ; mais aujourd'hui le calme le plus complet règne dans ma commune, je viens très humblement supplier Votre Majesté de bien vouloir étendre sa clémence sur ce malheureux Lagarde en lui maintenant sa place de cantonnier, lui allégeant sa peine du mois de prison et des cinquante francs d'amande, que sa pauvre position ne lui permet pas de payer. Il y aura bientôt huit jours qu'il est en prison.

Communiqué par Mme TILLARD, institutrice à Moulidars.

(Bulletin de la Société charentaise des études locales).