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La Maraîchine Normande
11 novembre 2012

LA TERREUR A GENOUILLAC (1794) ou la mésaventure de Michel Bisserier dit l'Éveillé ...

LA TERREUR A GENOUILLAC (1794)

Le hameau de Butiat est situé dans un creux de vallon à 1.500 mètres du bourg de Genouillac, dans le Confolentais.

Là vivaient, au moment de la Révolution, quelques familles de paysans attachés à la glèbe, âpres au gain, hostiles les uns aux autres, prêts à toutes les luttes pour arrondir leur pécule : des Blanchard, des Jollet, des Mingaud. Un nommé Michel Bisserier, dit l'Éveillé, les dominait tous : petit propriétaire faisant un peu de commerce à ses heures perdues, grand chasseur quand il en avait le loisir. Ses qualités d'homme honnête, son instruction un peu plus étendue lui avaient valu d'être choisi en 1789, par ses concitoyens, pour officier municipal, et, depuis, il remplissait ces fonctions avec un zèle qui allait bientôt le mener à la guillotine.

A Butiat, Bertrand Blanchard et Michel Bisserier habitaient des maisons voisines. Propriétaire cultivateur, connu comme ivrogne invétéré, ce Blanchard avait une certaine aisance ; jeune encore, il pouvait, par son travail, largement subvenir à ses besoins, mais cela ne l'empêchait pas de toucher de la nation un secours de 96 livres, lui permettant de godailler plus joyeusement encore qu'à l'ordinaire.

Soucieux des deniers publics, Bisserier eut, certain après-midi de la fin de 1793, en séance du corps municipal, la malheureuse idée de faire remarquer à ses collègues que cette allocation ne s'expliquait pas, n'étant due qu'aux citoyens sans fortune qui avaient besoin de leurs enfants pour vivre - et ce n'était pas le cas de Blanchard.

La chose fut rapportée aussitôt à l'intéressé qui jura de se venger.

Des semaines s'écoulent ; l'hiver passe, cet hiver triste, glacial, transformant en marécages les pâtures et les guérets, cet hiver sanglant de la Terreur qui voit chaque jour tomber tant de têtes.

En apparence, il n'y a rien de changé au hameau, mais, dans l'ombre, une conspiration sourde s'organise, enveloppant peu à peu "l'Éveillé" qui ne se doute de rien. Patiemment, prudemment, Blanchard recueille des armes contre son ennemi et sait à merveille grouper les inimitiés que celui-ci peut avoir dans le pays ! Quoi qu'on fasse, on mécontente forcément les uns et les autres quand, comme Bisserier, on occupe une situation un peu en vue.

Mandinaud, le secrétaire-greffier de la municipalité, lui en veut parce qu'il a demandé sa destitution, lui reprochant de n'être jamais là et de remplir mal ses fonctions. Les Jollet ont avec lui un procès pendant devant le juge de paix de La Péruze pour des questions de chemin et de pacage de moutons. Les Mingaud ne lui pardonnent pas d'avoir obtenu judiciairement, en faveur de son pupille, leur neveu François Paillet, la liquidation des biens familiaux, restés indivis.

Tous ceux-là seront heureux de lui jouer un mauvais tour.

Bisserier, par malheur, n'est pas la prudence même : il ne se gêne pas pour dire ce qu'il pense ; de plus, il aime assez la dive bouteille, et quand il a bu on lui fait dire toute les bêtises qu'on veut : Blanchard sait cela et attend la première occasion propice.

Elle se présente enfin un matin de pluviôse (29 janvier 1794). Vers 8 heures, comme par un fait exprès, il y a devant la porte des Jollet - les métayers de Rivet, maire de la commune, - tout un groupe d'amis qui bavardent avant d'aller au travail, tous de bons citoyens qui applaudissent au triomphe de la Révolution.

Tout à coup, Bisserier vient à passer, son fusil à deux coups sur l'épaule, mis en gaieté par le petit déjeuner qu'il vient de prendre, bien arrosé, comme il convient à un chasseur partant à la poursuite des lièvres.

"L'Éveillé" s'arrête, serre les mains et se laisse faire quand Jollet insiste pour qu'on trinque ensemble. On s'installe sur les bancs, autour de la grande table de chêne ; le pichet circule, les verres se remplissent, se vident, se remplissent à nouveau et Bisserier, qui aime cela, se laisse aller, rit, blague, commence à dérailler. Sans en avoir l'air, Blanchard se lance dans un grand discours. Bisserier réplique : "La Convention nationale ! le Gouvernement ! belles choses vraiment ! des tas de gens qui ne songent qu'à s'enrichir. Le pays est ruiné ! Comme cela irait mieux si c'était lui, l'Éveillé, qui gouvernait !" Et il ajoute confidentiellement : "Vous savez, si les émigrés gagnaient, ce ne serait pas à nous, gens de la campagne, qu'ils feraient du mal. Comme je voudrais bien les voir à Saint-Junien ! J'irais à leur avance et me tournerais de leur côté, etc."

Les autres, sans mot dire, écoutent ce palabre, notent les points saillants et quand, un dernier verre bu, Bisserier s'en va, titubant, il ne se doute pas que sa perte est certaine.

Blanchard, le 5 ventôse (23 février 1794), met son habit neuf, s'arme de son plus solide gourdin, part dès l'aube, gagne à travers champ le chemin de Roumazières d'où l'on découvre l'immense horizon des plaines charentaises.

Sans hésiter, notre homme va frapper à la porte de maître Jacques-Étienne Mathey, juge de paix et officier de police du canton de la Péruze ; mot pour mot, il répète tout ce qu'a dit Bisserier ; à 8 heures, le procès-verbal est dressé et le dénonciateur regrette seulement de ne point savoir signer.

Le lendemain, 6 ventôse, le comité de surveillance du district de Confolens est saisi de l'affaire ; trois jours après, les témoins cités sont invités à déposer devant les citoyens Teste-Picard et Clavaud l'Etang, président et commissaire du comité.

L'Éveillé, à son tour, est mandé à Confolens ; ne se doutant de rien, il quitte son logis le 12 ventôse (2 mars 1794), sans même embrasser sa femme et ses enfants, sans mettre en ordre ses affaires.

Il est loin de penser, en traversant le bourg de Genouillac, qu'il voit pour la dernière fois le cadre familier de la place du village, avec son puits, ses vieilles demeures, le porche clos de son église et, au delà, très en contre-bas, la vallée de la Bonnieure qui coule lente entre les lignes de peupliers. Paisiblement, il s'achemine vers le district, par la grande route sinueuse, accidentée, qui passe à la Péruze, à Manot et domine longtemps, à droite, les montagnes violacées du Limousin avec ses pâturages plantés de hauts chênes ébranchés.

Le soir même, son affaire est réglée ; à l'interrogatoire du citoyen Teste-Picard, il ne peut répondre qu'en protestant de son innocence. Malgré ses protestations, il est sur-le-champ incarcéré aux Ricollets, le couvent désaffecté.

Le directoire du district voit toute la gravité de l'affaire ; sans hésiter, il décide le renvoi immédiat au tribunal révolutionnaire.

Le 15 ventôse, l'ordre de départ est signé et, de brigade en brigade, le pauvre l'Éveillé est emmené vers la capitale. La charrette qui l'emmène passe le 18 ventôse à Limoges, le 19 à Bessines, le 21 à Argenton, le 24 à Vierzon, ainsi de suite jusqu'à Paris où il arrive le 2 germinal.

Depuis Limoges, il voyage en compagnie d'un prêtre et d'un ex-officier de dragon ; ensemble ils sont enfermés à la Conciergerie. Dès le lendemain, Bisserier est transféré aux Carmes, la sinistre prison encore imprégnée du sang des victimes de septembre.

Huit jours plus tard, il subit un interrogatoire. Il supplie qu'on entende des témoins à décharge. Il écrit une lettre touchante à sa femme dans laquelle il dit ses regrets de n'avoir pu l'embrasser avant de partir. Cette lettre est restée au dossier où Fouquier-Tinville l'a jointe aux diverses pièces du procès.

Le 28 messidor seulement (16 juillet 1794), Bisserier, dit l'Éveillé, comparaît devant le Tribunal en compagnie de huit Charentais, inculpés, pour des motifs divers, de conspiration et de manoeuvres contre-révolutionnaires. Sur les huit, sept furent convaincus de s'être déclarés les ennemis du peuple, Bisserier tout spécialement, "en provoquant des intelligences avec les ennemis de l'Etat, la dissolution de la représentation nationale, l'assassinat de ses membres, le rétablissement de la royauté en France".

La peine de mort s'imposait et les sept têtes, le soir même, tombèrent sur l'échafaud, à ce moment dressé à la barrière de Vincennes.

 

Dr GIGON, Les Victimes de la Terreur

du département de la Charente.

(Communiqué par M. Tardieu, instituteur à Genouillac)

Bulletin de la Société charentaise des études locales.

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Commentaires
S
Ce doit être assez surprenant de découvrir un écrit sur l"un de ses aïeux ... Je vous remercie de votre visite et à bientôt, j'espère ♣
Répondre
J
Heureusement que cet aîeul avait des frères sinon je ne serais pas là pour lire sa mésaventure....<br /> <br /> JM BISSERIE
Répondre
La Maraîchine Normande
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